Trugarez

De Arbres

Trugarez a un usage d'interjection proche du français merci, parole performative du remerciement. C'est aussi un nom qui dénote la 'pitié' (comme en français archaïsant dans demander merci).


(1) N'am euz foeltr tamm ezom dimeuz e drugarez.
ne1'1SG a foutre morceau besoin de son1 merci
'Je n'ai pas le moindre besoin de sa pitié.'
Haute-Cornouaille (Kergrist-Moëlou), Le Garrec (1901:57)


Morphologie

composition

On retrouve trugarez dans la préposition complexe a-drugarez 'grâce à'.


(2) Diwar hiziv e vo peoc’h, en ti-mañ pelloc’h, a drugarez Doue.
à.partir.de aujourd'hui R4 sera paix dans.le maison-ci finalement de1 merci Dieu
'A partir d'aujourd'hui, grâce à Dieu, cette maison vivra finalement en paix.'
Perrot (1943:48)


dérivation

Kervella (1947:§880) donne les adjectifs trugarezus et son opposé didrugar 'sans pitié'.


Le verbe 'remercier' se forme avec le suffixe -aat, avec un K épenthétique.


(3) ...èl a pa vennahe ma zrugarekaat e'it ar pezh am eus graet eviti [...].
...comme C C1 voulait me2 re.merci.er pour le ce.que R.1SG a fait pour.elle
'...comme si elle voulait me remercier de ce que j'ai fait pour elle [...].'
Vannetais, Herrieu (1994:56)


accentuation

Dans les dialectes KLT, l'accentuation est sur l'avant-dernière syllabe, /tryGAre/.

Une syllabe accentuée est normalement préservée de l'érosion morphologique. Une abréviation est pourtant apparue fin XX° chez de jeunes bilingues, Trug' !, qui ne garde que la première syllabe. Il s'agit du résultat d'une apocope; une opération de troncage des finales à la française, comme dans ciné pour cinéma(tographe) ou amphi pour amphithéâtre.


Diachronie et horizons comparatifs

La forme /-gar/ est la racine du verbe karout 'aimer' qui a subi une lénition. L'objet patient du verbe le précède. En breton moderne, la forme simple tru a disparu, au profit de truez 'pitié', mais cette forme tru est largement attestée depuis le vieux breton.

Deshayes (2003:'tru') propose un celtique commun * tro(u)go-, donnant le gaulois trougo- 'malheureux' le vieil irlandais trùag 'malheureux', le gallois tru 'misérable, malheureux, pitoyable', le cornique tru 'hélas' et truan 'misérable, pauvre, malheureux'. En vieux breton, Evans & Fleuriot (1985) relèvent tru et trued, qu'ils traduisent par 'pitié, humanité'. Deshayes (2003) donne la forme de vieux breton truu (v.1050). Deshayes (2003) relève au début du XVI° tru, réalisant le nom 'hère' et l'adjectif 'misérable'.