Tout

De Arbres

Tout 'tous, tout' est un quantifieur universel positif, parfois quantifieur flottant. Cette forme semble sémantiquement équivalente à holl, rac'h et ioc'h. De cet usage de quantifieur dérive probablement le pronom tout 'tout', ainsi que l'adverbe tout signifiant 'entièrement, complètement'.


(1) Met m'eus disoñjet tout an dra-se paotr paour, aet eo tout deus ma spered.
mais 1SG'a oublié tout le 1chose-ci gars pauvre allé est tout de mon2 esprit
'Mais j'ai oublié tout ça, mon pauvre, c'est tout parti de ma tête.'
Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:72)


Morphologie

emprunt

L'adverbe breton tout est un emprunt transparent à l'adverbe français tout. Il manque parfois dans les ouvrages prescriptivistes de breton standard (Gourmelon 1976), mais est intégré sans ambiguïté au breton moderne.


composés

(2) piz manjtout
pois mange-tout
'des haricots verts.' Riec, Bouzeg (1986:I)

Quantifieur

distribution dans le groupe nominal

Tout se place canoniquement devant dans le groupe nominal. Au contraire de holl, tout ne peut pas apparaître après l'article.


(1) N'ema ket toud [DP al lorc'h ] en Pariz!
ne'est pas tout le orgueil à Paris
litt. 'Tout l'orgueil ne se trouve pas à Paris!'
> (se dit à une personne immodeste.) Le Berre & Le Dû (1999:52)


Au contraire de holl, tout ne peut pas précéder un état construit.


(2) * tout traoù an ti
tout choses le maison agrammatical "néo-breton", Favereau (1997:§308)


Au moins en vannetais, tout peut précéder un nom sans article.


(3) I kreiz en di i oé tout gouleu alumet.
en-milieu le jour R était tout lumières allumé
'Toutes (les) lumières étaient allumées en plein jour.' Vannetais, An Diberder (2000:104)


Tout peut précéder le quantifieur kement. Il peut être élidé dans le second conjoint d'une coordination.


(4) Tout kement ki ha kement kazh a oa bet d'an interamant braz.
Tout chaque chien et chaque chat R était été à'le enterrement grand
'Tous les chiens et tous les chats avaient été au grand enterrement.'
Dastum, Enquête ethno-linguistique à Combrit, - 2004-12-14


mouvement interne au groupe nominal ?

Il se peut que parfois le mouvement du nom reste interne au groupe nominal.


(1) Amañ en-dro d'ar Rest emañ ar parkeier toud war zinaou.
ici autour de'le Rest est le champ.s tous sur descente
'Ici autour du Rest tous les champs sont en pente.' Trégorrois, Gros (1996:259)


(2) C'hwi, kaz, na viot ket o kalamarhad an traoù toud amañ.
vous chat ne.R1 serez pas à4 piétiner le choses tout ici
'Vous, mon chat, vous ne piétinerez pas tout (vous ne sauterez pas partout) ici!.'
Trégorrois, Gros (1989:'kalamarhad')

quantifieur flottant

Tout est un quantifieur flottant; il peut apparaître séparé du groupe nominal qu'il quantifie.


(1) [An dud ]i a ouie dont [ tout _ ]i da di Mémère neuze.
le 1gens R AUX venir tous à maison Mémère alors
'Les gens venaient alors tous chez Mémère.' Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:75-76)


mouvement du nom sans tout

Tout est, comme le français tous, un quantifieur flottant. Dans une hypothèse dérivationnelle, le quantifieur apparaît sur le chemin de la montée du groupe nominal.


(2) [Ar re-mañ ]i a zo [ toud _ ] i reud pe reutoh evel an touseg pa oa tremenet an ogejou dreizañ.

'Ceux-ci sont tous plus raides (durs, fiers) les uns que les autres, comme le crapaud quand la herse lui était passée dessus (l'avait écrasée).'
Trégorrois, Gros (1984:20)


(3) [Al labourerien-douar gwechall]i a oa [toud _ ]i paour-pe-baouroh.
le travaill.eurs-terre jadis R était tous _ pauvre-ou1-pauvre.plus
'Les cultivateurs autrefois étaient tous plus pauvres les uns que les autres.' Trégorrois, Gros (1984:70)


(4) Ne oa ket deut [ e gig ]i gantañ [ toud _ ] i, da laras-añ!
ne était pas venu son1 viande avec.lui tout à dit-lui
'Il n'avait pas ramené toute sa chair (il y avait laissé des plumes), comme il disait.'
Trégorrois, Gros (1984:39)


(5) Ha setu neus bet [an traou-se]i [tout _ ]i evit netra deus perzh ma zud ivez.
et voila a eu le choses-ci tout pour rien de part mon2 parents aussi
'Et aussi il a eu toutes ces choses là gratuitement de mes parents.'
Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:74)


(6) Ar vugale, toud __ neus gwelet ar vaouez.
le1 enfants tout a vu le 1femme
'Tous les enfants ont vu la femme.' Léon (Plougerneau), M-L.B (10/2018)


(7) Ar re-se oa tout ___ o taol foenn Cornouaille (Plogonnec), Kergoat (1976:22)
le ceux- était tout à4 jeter foin
'Tous ceux-là [ces champs] étaient en foin.'


mouvement de tout sans le nom

(1) A-revr emañ ma jeu ganin, toud emañ [ _ ma zraoù ] d'ober.
à-cul est mon2 jeu avec.moi tout est mon2 choses à'faire
'Mon travail est en retard, tout mon ouvrage reste à faire.' Trégorrois, Gros (1989:'jeu')

accord

Le nom sur lequel tout quantifie peut être un pronom incorporé dans l'accord verbal. Dans ces cas là, on voit que tout n'est pas un pronom mais un quantifieur. En effet, si tout était un pronom pluriel indépendant, selon le système d'accord breton, l'accord verbal devrait apparaître à l'accord pauvre, au singulier.


(1) Emaint toud _ o lakaad o faoiou war ar zoudard.
sont tous à4 mettre leur2 pattes sur le soldat
'Ils mettent tous leurs mains sur le soldat.' Cornouaillais de l'Est, Derrien (1980:33)


(2) A-benn neuze e vinti debret [ toud _ ]i

'D'ici là ils seront tous mangés.'
Trégorrois, Gros (1984:312)


distribution des noms quantifiés en tout

La productivité des ordres OVS par antéposition de l'objet peut être interrompue par la quantification en tout. En (1), l'objet est illicite en position de fous initial. Cela n'est pas dû à l'ordre respectif des mots (comparer avec le passif grammatical Tout an dessinou bleunioù a zo roget gant ur c'hruadur bennak.). La phrase équivalente avec pep est par ailleurs grammaticale.


(1) * Tout an dessinou bleunioù en deus roget ur c'hruadur bennak.
tout le dessins fleur.s 3SGM a déchiré un 5enfant quelconque
'Un enfant a déchiré chaque dessin de fleur.' (il y a en contexte un seul enfant)
Léon (Plougerneau), M-L. B. (05/2016)


Ces faits s'expliquent si le quantifieur tout est illicite sous une lecture de focus.


ellipse du nom

usage pronominal

Tout supporte l'ellipse du nom sur lequel il quantifie. Il est alors en usage pronominal.


(1) E-skoaz pa veze sklaer ar mor ha kalm, e weles tout brav.
alors.que quand1 était clair le mer et calme R4 vois tout beau
'tandis que lorsque la mer est claire et calme, tu vois très bien (ce que tu fais).'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:23)


pas un pronom

Le quantifieur tout est de nature adverbiale. Il déclenche l'accord riche, ce qui est un signe qu'aucun sujet n'est réalisé ailleurs.


(1) Tout aent da geneuta di. Trégorrois (Gros), Giraudon (2014:18)
tous allaient pour1 bois.chercher y
'Ils allaient tous y ramasser du bois.'


En (2), dans un dialecte où l'opposition a/e est vivante, tout' est utilisé avec le rannig e. En dialecte léonard, le rannig e est associé aux éléments non-nominaux antéposés.


(2) [ Tout _i ] e vezonti krevet oc'h ober bourjinerezh, o klask gwelet piv eo ar c'hapaplañ.
R sont crevé à4 faire bêtise à4</sup chercher voir qui est le 5capable.le plus
'Tous se crèvent en faisant des bêtises à essayer de voir qui est le meilleur.' Léon, Mellouet & Pennec (2004:160)


L'adverbe -tout

Il existe aussi un usage proprement adverbial de tout. Il a alors le sens d'un modificateur perfectif de type 'tout à fait, entièrement, complètement, absolument, vraiment'. Il modifie un prédicat.


(1) Tout c'hwalennet da vaïchou.
tout salé ton1 manches
'Tes manches couvertes de sel.'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:11)


L'adverbe perfectif paraît le plus souvent cliticisé à droite du prédicat.


(2) Goude e vezont bloñset ha dibloñset tout evel-just.
après R4 sont tapé et /di-tapé/ tout bien.sur
'Après, ils sont meurtris bien sûr.' Léon, Mellouet & Pennec (2004:152).


(3) Tristaet-tout e oa Matriona baour o tont d'ar gêr.
attristé-tout R était Matriona 1pauvre à4 venir à'le 1maison
'Matriona était toute triste en rentrant à la maison.' Trégorrois (Kaouenneg)/Standard, ar Barzhig (1976:38)


On trouve aussi tout à gauche du prédicat qu'il modifie.


(4) [aˈviʃən zo tu ne ˈfeͥs]
ar vichenn zo tout en he fezh
le 1miche est tout dans son2 pièce
'la miche est entière' Cornouaille (Briec), Noyer (2019:323)


après un superlatif

C'est ce marqueur maximisateur qui apparaît après les superlatifs.


(1) [ hònɛrhə ənɛsã tut awe laburat ]
Hennezh eo an aesañ-tout evit labourat
celui.là est le facile..plus-tout pour travailler
'C'est le plus pratique pour travailler.' Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:14)


(2) [ar 'ɡɥɛla ˌtud], ar gwella-toud 'le mieux de tous'

[ar 'brawa ˌtud], ar brava-toud 'le plus joli de tous', Plozévet, Goyat (2012:202)


N-tout

L'adverbe tout est aussi utilisé dans les tournures prédicatives ci-dessous, qui signifie toujours 'recouvert(e) de', 'entièrement constitué(e) de', 'rempli(e) de':


(1) Fañch a oa deut d'ar gêr gwad-ha-labez toud.
Fañch R était venu à le 1maison sang-et-souillures tout
'François était revenu à la maison couvert de sang.' Trégorrois, Gros (1984:39)


(2) P'edon me er skol, vehe kemet brezouneg toud...
quand'étais moi dans.le école était pas.mais breton tout
'Du temps où j'allais à l'école, il n'y avait que du breton (dans la société).'
Léon (Plougerneau), Elegoet (1975:9)


  • Hudurnez toud e oa honnez.
'Celle-là était toute saleté (était dégoutante).', Trégorrois, Gros (1984:48)


  • Patatez toulloù toud a ya an hanter anezho da goll.
'des pommes de terres toutes en trous (pleines de trous) dont la moitié va se perdre.'
Trégorrois, Gros (1984:48)
  • vhɑ̃nk tout, vhrédon tout, gwad tout
'couvert de boue, très joyeux, couvert de sang.', Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:51)


Au delà de ces usages, l'adverbe est illicite sur des noms.


(3) * Ar vugale toud neus gwelet ar vaouez.
le1 enfants tout a vu le 1femme
'Tous les enfants ont vu la femme.' Léon (Plougerneau), M-L.B (10/2018)


horizons comparatifs

De tels usages adverbiaux de tout trouvent des parallèles frappants non seulement en français de Basse-Bretagne (cf. bretonnismes), mais aussi en français québécois et en français classique.

En Québécois, l'adverbe se prononce /tut/, comme en français standard le quantifieur 'toute' au féminin.

J'étais toute seule pour tout /tUt/ m'occuper de tout.
Il a tout vu le groupe.
J'ai tout vu construire ça.
J'ai tout fait les hôpitaux, monsieur...
J'avais tout laissé mes amis à la campagne., Français de Montréal, Lemieux & al. (1985:50-52)
J'ai tUt poussé les chariots pendant 30 minutes.
J'ai tUt frappé les chiens pendant 30 minutes., Burnett (2010)

Des exemples du français classique sont rapportés dans Lemieux & al. (1985):

Maudits gamins, ils ont tout déchiré leur fond de culotte., (cité dans Andersson 1961:260)
Tu vas tout faire des saletés., (cité dans Damourette et Pichon)
Cependant que le jeusne enrouille tout nos dents., (cité dans Damourette et Pichon)


En français de Basse-Bretagne, l'adverbe peut apparaître après le verbe (contrairement au préfixe sémantiquement équivalent peur- en breton).

Jean, chez nous, a koagué tout sa voiture
> 'Notre Jean a entièrement cabossé sa voiture.', Français de Basse-Bretagne, Lossec (2010:44)


ha-tout

En composé avec la marque de coordination ha, l'adverbe tout obtient un étendeur général.

Il a alors parfois le sens de 'déjà' en Haute-Cornouaille, "alors qu'il signifie plutôt ailleurs 'et tout', 'y compris'" (Favereau 1997:§308).

Interet ha-tout 'oa, 'Il était déjà enterré'
traou prest ha-tout, '(du) tout prêt'
Aï ha-tout oc'h?, 'Vous êtes déjà prêt?', Favereau (1997:§308)


Cependant, le sens de 'y compris' est aussi présent en Cornouaillais de l'est maritime.


(1) avalou-douar plusk ha-tout
pomme.s-terre peau et-tout
'des pommes de terres en robe des champs.' Cornouaillais de l'est maritime (Riec), Bouzeg (1986:I)


Répartition dialectale

tout vs. holl, rac'h, ioc'h, pizh

Les formes qui font concurrence à tout sont, selon les dialectes, holl, rac'h, ioc'h et pizh. Selon Gros (1984:198) le remplacement de holl en breton trégorrois par 'tout' n'est pas recommandable à l'écrit. Ceci contredit ses propres pratiques passées.


(1) Ar vag he-doa ranket amina toud he lienou.
le 1bateau 3SGF-avait amener tout son2 voiles
'Le bateau avait été obligé d'amener toutes ses voiles.' Gros (1970b:§'lien')


En trégorrois ou à Sein, on trouve par ailleurs tout et holl apparaissant dans le même syntagme.


(2) toudd en oll dut
tout le tout 1gens
'tout le monde.' Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012b:'tout')


(3) a-gwalc'h evit toud an oll.
à1-satiété pour tout le tout
'assez pour tout le monde.' Sein, Fagon & Riou (2015:'bodennad')

A ne pas confondre

'pendant tout(e)...'

Kerrain (2001) note l'usage émergent qu'il réprouve * E-pad tout…, qu'il considère comme une "création récente". Il donne : e-pad an deiz 'toute la journée', a-hed ar bloaz 'toute l'année', a-hed an hent 'pendant toute la route'.

'tout ceci, tout cela'

Kerrain (2001) juge agrammatical * tout-se et préconise l'usage de kement-mañ, kement-se.

Bibliographie

breton


horizons comparatifs

  • Andersson 1961. Nouvelles études sur la syntaxe et la sémantique du mot tout, Lund, Carl Bloms Boktryckeri, A.-B.
  • Andersson 1954. Études sur la syntaxe et la sémantique du mot tout, Lund, Carl Bloms Boktryckeri, A.-B.
  • Burnett, Heather 2010. 'Floating Quantifiers and the Structure of Telic Predicates in Québec French', présentation à Going Romance, Leiden.
  • Lemieux, M., M. Saint-Amour et D. Sankoff. 1985. '/tUt/ en français de Montréal: un cas de neutralisation morphologique', Les tendances dynamiques du français parlé à Montréal, Collection Langues et Société, Gouvernement du Québec, tome 2, pp. 7-90.
  • Parent, François. 2000. 'Analyse et classement du mot TOUT en sémantique grammaticale', Langues et Linguistique 26:73-105.