Sujet prénégation

De Arbres

En breton standard, et dans la plupart des dialectes, le verbe montre un accord riche avec un sujet placé devant la négation, ce qui est remarquable car cela va, à première vue, contre l'effet de complémentarité du système d'accord breton. Le sujet devant la négation peut porter une lecture de focus, ou une lecture neutre.


(1) Ma z'eus gwall amzer ar bagoù ne c'hellint ket mont er-meas.
si est mauvais temps le bateaux ne1 pourront pas aller dehors
'Si le temps est mauvais, les bateaux ne pourront pas sortir.'
Léon (Plougerneau), M-L. B. (05/2016)


Syntaxe de l'accord

accord avec un sujet prénégation

Le sujet devant la négation, sujet lexical ou pronom, déclenche l'accord riche sur le verbe, ce qui est une exception dans le système d'accord. Cette exception au système d'accord de la langue est largement documentée, et de longue date De Rostrenen (1738:178), Vallée (1926:39ff), Hardie (1948:162f), Kervella (1947:168), Le Roux (1957:Ch.II), Denez (1972:112), Hemon (1975a:273f, 1975b:63), Urien & Denez (1979/1980), Stump (1984, 1989), Schafer (1995), Schapansky (1996), Jouitteau (2005/2010), Jouitteau et Rezac (2006), Hewitt (2010b)...


(2) [ Ɉi labur tʃǝt / nø laburaɲ tʃǝt anehɛ ]
gi ne labourint ket ne labourint ket anezhe
eux ne travaillent pas ne travaillent pas P.eux
‘Eux, ils ne travaillent pas.’ Bas-vannetais, Nicolas (2005:33)


Le paradigme ne change pas lorsque la négation est sémantiquement invisible comme en (3):


(3) Ar chas-ze ne reont nemet harzal pe yudal!
le chiens- ne font seulement aboyer ou hurler
'Ces chiens-là ne font qu'aboyer ou hurler.'
Le Bozec (1933:48)


variation dialectale de l'accord

Il existe des variétés de breton dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Les limites dialectales géographiques entre ces deux variétés ne sont pas actuellement systématiquement documentées, mais on trouve des exemples dans tous les dialectes de Bretagne sud.


Stump (1984:293, n.2) note qu'il en existe des traces dans la grammaire du cornouaillais Trépos. Dans un corpus oral de Douarnenez, Denez (1984), on trouve (2), un exemple irrégulier où l'accord se comporte comme en phrases positives.


(2) Ha merc'hed Treboull noe ket tre ar memes taol dorn da lakaat o c'hoef.
et femmes Tréboul avait pas tt.à.fait le même coup main pour mettre leur2 coiffe
'Et les filles de Tréboul n'avaient pas la même façon de mettre leur coiffe'.
Douarnenez, Melle Griffon, Denez (1984:73)


Cet exemple est d'autant plus frappant qu'il s'agit du verbe kaout, 'avoir', qui est bloqué à l'accord riche en standard. Ce n'est pas le cas en Douarneniste, comme confirmé en (3) d'une source différente.


(3) Nann, ar re-se pa nie diskarget o sardin (en hañv) a yeent gant o bag da vouilhiñ (...)
non le ceux-ci quand avait.3SG déchargé leur2 sardine (en été) R allaient avec leur2 bateau pour1 mouiller
'Non ceux-là, quand ils avaient déchargé leurs sardines, en été, allaient au mouillage (...)'
Douarnenez, G. Nouy, cité par Gwendal Denez dans pêcheurs de Douarnenez
cité dans mémoire de la ville n°3 p.23.


L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Riec). Il montre que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.


(4) Ma zud-kozh ne ouie poz galleg ebet.
mon2 parents-vieux ne savait parole français aucun
'Mes grands-parents ne parlaient pas un mot de français.'
Riec, Mona Bouzeg


Finalement, on trouve aussi des exemples irréguliers en Vannetais, où Cheveau parle de "variation libre".

 Cheveau (2007:214):
 "en Breton Lorientais nous avons observé de nombreux cas où même à la forme négative, le verbe ne s’accordait pas avec son sujet, surtout à la 3e pers. du pl. La forme accordée et non accordée semblent être en variation libre dans le cas des phrases négatives avec sujet antéposé.
 
 †çɛ ʁɛ cǝ nitʁƒa, 'elles ne faisaient rien' (Qv2)
 tun dyd alɛ† cǝ kaud oʁƒ velo wah, 'tout le monde ne pou[v]ait pas encore avoir un vélo (Qv1)
 çɛ go:€Žʒa cǝ tƒʁenh†ɛ, 'ils ne se parlent pas' (Gu2)
 tun dyd ƒʁ†ɛ cǝt,  'tout le monde ne le faisait pas' (Gu2)
 ǝʁ viɟ‹a:€lǝ z†€ɛ:bɛ† cǝt,  'les enfants n’en mangeaient pas' (Cd2)
 o tyd w†ɛ cǝ peiz˜ɑ n†ɛhɛ† ?, 'vos parents n’étaient pas des paysans ?' (Pm1)


Selon Ternes (1970:284), la négation a un impact sur l'accord à Groix uniquement avec les sujets pronominaux.


 Ternes (1970:284): 
 "Quand le sujet de la proposition est exprimé par un nom, le verbe négatif se met à la 3SG, que le sujet soit un nom au singulier ou au pluriel."
 

Ternes (1970:284) précise que "la détermination de la personne est obligatoire quand le sujet n'est pas exprimé par un nom". Cependant, il n'explique pas sur quelles données repose ce constat, or les pronoms de troisième personne provoquent tous à Groix la même morphologie verbale.


(4) /we:ručet / /xawe:ručet /
il saura pas elles saura pas
'Il ne saura pas', 'Elles/ils ne sauront pas.' Groix, Ternes (1970:285)


Plus au sud, à Guérande, l'ALBB relevait:

carte 206, pour la traduction de 'Je ne peux pas (courir)'; Mé gèl kèt (standard Me c'hell ket).
carte 235, pour la traduction de 'Je ne sais pas'; Me wèr kèit (standard Me oar ket).
carte 242, pour la traduction de 'Je ne savais pas (cela)'; Me werè kèit (standard Me ouie ket).


diachronie

On trouve des exemples de non-accord d'un sujet prénégation dès le début du XX°. Le Gléau (1973:48) remarque ce fait d'accord anormal et note "Cette simplification semble pour le moment abusive".


(4) Al loened gouez ne reas droug erbet dezhañ.
le animaux sauvage ne fit mal aucun à.lui
'Les animaux sauvages ne lui firent aucun mal.' HISA. (1900:72), cité dans Le Gléau (1973:48)

Structure informationnelle : impact sur le sujet

Les sujets recevant une lecture de focus apparaissent obligatoirement devant la négation, qu'ils soient des sujets lexicaux ou pronominaux.


Léon (Cléder), Seite (1985:42)
(1) Ar vistri-skol o-unan ne boulzent ket ar vugale da jom war ar mêz.
le1 maîtres-école leur-un ne1 poussaient pas le1 enfants à1 rester sur le dehors
'Les instituteurs eux-mêmes ne poussaient pas les enfants à rester à la campagne.'


(2) Ni avad, ar re vihanna, ne oam ket sujed d'al lezenn-se! Léon (Cléder), Seite (1985:43)
nous cependant le ceux1 petit.le.plus ne1 étions pas sujet à1'le loi-
'Mais nous, les plus petits, n'étions pas assujettis à cette règle!'


Les pronoms sujets préverbaux semblent restreints à cette lecture de focus contrastif. Dans Seite (1985), les seuls pronoms sujets devant une négation sont en co-occurrence avec des conjonctions d'opposition comme met 'mais' ou avat 'cependant', des adverbes contrastifs comme kennebeut ou encore dans des contextes où ils suivent un ensemble avec lequel ils sont clairement contrastés.


On trouve aussi des sujets lexicaux devant la négation qui ne sont pas focalisés, comme pointé par Kennard (2013:311, contra Jouitteau 2010:418). Kennard (2013:96) relève chez des locuteurs traditionnels, des jeunes adultes et des jeunes scolarisés dans un système immersif autour de Quimper un fort pourcentage de phrases négatives avec un sujet à l'initiale. Le matériel d'élicitation utilisé, à partir de cartes-mots et d'images à commenter, pourrait induire un plus grand nombre de sujets initiaux qu'en corpus spontané, mais le protocole écarte en tout cas efficacement les sujets focalisés à l'initiale. Il existe indépendamment différents arguments syntaxiques que les sujets lexicaux devant la négation ne sont pas restreints à une lecture de focus.


impersonnel devant la négation

Les impersonnels sont, par définition, incompatibles avec la saillance informationnelle. Dans l'axe central des dialectes, où on trouve un impersonnel sujet devant la négation, ce sujet est en arrière-plan dans la structure informationnelle.


(1) An nen ne glaska ket. / An nen ’neus ket bet klasket
IMP ne1 cherche pas IMP ne1'a pas été cherché
'On ne cherche pas [la complication]', 'On n’a pas cherché.'
Trégorrois (Bégard), locuteurs nés en 1915 et 1920, Yekel & al. (2015-2017:'on')


(2) An nen ne oar ket bepred.
IMP ne sait pas toujours
'On ne sait pas toujours.' Riec, Mona Bouzeg, c.p. (01/2009)


(3) 'n nen 'ouia ket.
IMP R sait pas
'On ne sait pas.', Haute-Cornouaille Favereau (1997:§316)


une exception comme en Frison ?

En Frison de l’ouest, dans les phrases matrices, men ([mən]) peut être accentué. Sa dénotation est vaguement similaire à 'des gens comme nous', avec une tendance forte à glisser vers la lecture de la première personne du singulier. C'est une différence profonde avec le pronom on du français qui, s'il tolère une lecture 1SG (On a sa fierté !), ne supporte aucune mise en avant dans la structure informationnelle, et surtout pas un focus contrastif comme en (2).


(1) MEN moat altyd de smoarge putsjes dwaan!
IMP doit toujours DET sale boulot faire
'Je dois toujours me taper le sale boulot !' Frison de l’ouest, Hoekstra (2010)


(2) In oar hat it dien en MEN kriget de skuld!
DET autre a 3SGM fait et IMP reçoit DET blâme
'Quelqu’un d’autre l’a fait et JE suis blâmé.e !' Frison de l’ouest, Hoekstra (2010)

avec un focus postverbal

Le sujet ne reçoit visiblement pas le focus de phrase lorsque celui-ci est marqué de manière postverbale, comme en (1) où il est sur ker sot an eil gant egile.


(1) An dud ne oant ket ker sot an eil gant egile.
le1 gens ne1 étaient pas tant sot le second avec autre
'Les gens n'étaient pas aussi sots les uns avec les autres.'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:11)


On remarque le même type de focus postverbal avec une focalisation en nemet, ou en ebet chez Seite.

 Seite (1985:30):
 "A-wechou, pa veze kuzet mad an neiziou ha pa ne zeuem ket a-benn d'o havoud, or-beze an eston da weled eun deiz, eun torrad yér-bihan o tifoupa ha ne ouiem ket euz a beleh, gand ar yar goz ouz o heul. Med an dra-ze ne hoarveze nemed ral a wech."
 Seite (1985:42):
 "Ar hemm etre eul leanez hag a veze evidom eur wir vamm, a gomze brezoneg eveldon, hag eur mestr yaouank divrezoneg, o tond euz kêr-Vrest, m'am-eus soñj mad, a oa evidon eur hemm re vraz. Lakaet e oen, evel just, er hlas izella, anvet ganeom ar hlas bihan. Ar skolaer ennañ, evel m'am-eus lavaret, ne ouie gér brezoneg e-béd, ha me ken dizesk all war ar galleg !"
 Seite (1985:75):
 "Ar patatez d’ober had ne vezent tennet nemed pa veze kroget mad d’ar streo da veleni."
 "Euz ar Feunteun-Veur eo e teue dezo ar muia dour. Feunteun Sant-Ke, aliez, ne ree nemed bera : disterig an dour a zeue anezi."

La présence d'une focalisation postverbale ne rend pas obligatoire un sujet lexical postverbal non plus (tant qu'un autre élément est devant le verbe tensé).

 Seite (1985:64):
 "Eiz deveziad baroiou o-deveze da lamed. D'ar mare-ze ne veze lamet ar baro nemed eur wech ar zizun."

information nouvelle sur toute la phrase

Ci-dessous, le sujet prénégation va zud introduit de l'information nouvelle, comme le fait tout le reste de la phrase, induisant un focus sur tout l'ensemble, donc sans emphase particulière sur le sujet.

 Seite (1985:22):
 "Evel-se e tremene or buhez merket gand goueliou braz an Iliz : Nedeleg, Pask, ar Pantekost, Goueliou ar Zakramant, gouel an Oll-Zent...
 Va zud ne oant ket pinvidig."
 Seite (1985:39): 
 "Tenn-kenañ e veze dezo mond en-dro, goude beza tañvet buhez c'hwék ar gêr, rag hini ne veze sur euz e vuhez. Ar mortuajou ne baouezent ket da zond."
 Seite (1985:59), début de paragraphe: 
 "Yaouankizou an amzer hirio (komz a ran er bloaz 1984) ne hellint morse tañva na kompren petra 'oa or beilladegou gwechall.
 Seite (1985:60):
 "Moueziou groz ar wazed en em veske brao-kenañ, gand moueziou sklintin ar merhed ha moueziou tener ar vugale. An Anaon ne vezent ket ankounac'heet. Eur plas frank zokén a veze greet dezo, evel ma vijent c'hoaz euz an ti."
 Seite (1985:140):
 "E relijion a oa eün ha didroidell. N'ez ee ket da glask pemp troad d'ar maout. Ar mennoziou uhel ne drabasent ket e spered."


On le constate en matrice comme en enchâssée.

 Seite (1985:30):
 "Bez' ez oa eun devez dreist ar re all evid ar hezeg : koursiou kezeg aot ar Hernig e Ploueskad. An devez braz-se a veze gortozet ganeom pell a-raog ma'h errue, rag va zad ne vanke morse da vond di."
 Seite (1985:70):
 "Me 'lavar deoh n'eo ket buhez eo a vanke neuze en ti nag en-dro d'an ti. Med réd e vije kabalad, rag ar gousperou ne hortozent ket, ha war ar poent-se, ar person koz a oa striz."


information donnée, ou partiellement donnée

Le sujet peut ne pas porter d'information nouvelle, mais de l'information entièrement donnée par le contexte, comme ici où il réfère à la phrase précédente.

 Seite (1985:33):
 "Evel just, ar paour-kêz loen a wihe evel ma vijed bet ouz he laza. An dra-ze ne bade ket pell, a-drugarez Doue."
 Seite (1985:71):
 "“Eüruz an hini a zo hir e fri ! Hag eürusoh c'hoaz an hi' garo Soaz.“ An dra-ze 'vad ne oa ket siriuz."
 Seite (1985:88):
 "Ar wech kenta m'am-eus gwelet kement-se, e oan bet kén skoet ma'z eo chomet an daolenn-ze garanet em spered, evel ma vijem bet o tigemer an Aotrou Doue diskennet war an douar. Seurt taolenn ne hell ket beza komprenet gand bugale an deiz a hirio."

Le sujet peut aussi être partiellement introduit dans le discours, par association partie/tout, comme ici les roues après l'introduction du référent "voiture".

 Seite (1985:23):
 "Pa glevem eun oto o tond, ni a skampe beteg ar hleuz, a gabale da bignad warnañ da weled ar harr-dre-dan o tond. Daou blas a veze ennañ peurvuia, digor d'ar pevar-avel. Ar rojou ne grevent morse, rag kaoutchou toud e oant."


reprise de topique

Le sujet devant la négation peut être un topique déjà installé dans le discours.

 Miossec (1981:51):
 "... e sav hag e ya d'ar red beteg ar poliser. Digand hemañ e houlenn gervel dioustu eur medisin ha lakaad digas eur hravaz. Ar Poliser ne respont netra, evel ma vije bouzar."


indéfini

Le sujet devant la négation peut être un indéfini.

 Seite (1985:62):
 "Gand arhant eo e c'hoariem : eur gwenneg toull an taol, hag atao war zaouhanter. Ne veze rivinet dén. Eur gwenneg toull ne dalveze ket kalz a dra."


quantifieurs

Parmi les sujets partiellement introduits, certains peuvent être quantifiés en ebet, ce qui n'est pas normalement disponible pour les topiques.

 Seite (1985:35):
 "Ar vugale, evel just, a gemere perz er gouel-ze hag o-deveze droad da jom er gêr euz ar skol en deiz-se. Skolaer e-béd ne helle mired ouz kement-se."
 Seite (1985:56):
 "Va mamm a oa mestrez, rouanez an ti. An arhant a oa etre he daouarn ha dispign e-béd ne helle beza greet heb he asant."
 Seite (1985:41):
 "« Echu ar brezel ! echu ivez ar skol evid hirio ! Kit laouen d'ar gêr ! » Kit laouen !... An oll koulskoude ne oant ket laouen."
 Seite (1985:43):
 "Darn euz va hamaraded, paotred dizuj anezo, a bake “punisionou“ digand ar mestr. Neuze e veze rust an traou ha nikun ne vije eet da glemm er gêr euz eur roustad bet digand ar mestr-skol..."


topique dans le restricteur

Les restricteurs des noms nus den ou hini sont, eux, des topiques dont le référent est introduit par le contexte.


 Seite (1985:50):
 "Ar punisionou a gouezas, diouz an druill, war or hein, med hini e-béd euz ar vistri ne zeuas a-benn da houzoud netra, nag ar gerent kennebeud, ar pez a oa souezuz a-walh, rag ar paotrezed n'edont ket heb gouzoud."
  Seite (1985:49):
 "An traou a badas evel-se e-pad ar goañv penn-da-benn, beteg an nevez-amzer, en eur vond atao war wasaad. Hini ahanom, a-vad, ne grede mond da zevel klemm na d'e gerent na d'ar Skolaer."
 Seite (1985:48):
 "Peurvuia, en or hontre, e vezem paotred fur a-walh, ha dén n'e-neveze tro da zevel klemm a-eneb deom..."


Le restricteur du nom nu sujet peut être à l'initiale, en position de topique, et laisser le nom nu en zone postverbale.

 Seite (1985:144):
 "Evel m'am-eus lavaret dija, euz an diou japel he-doa e Kleder, houmañ, ha chapel Lomaria, ne jom mui hini e-béd."


construction du faux sujet et négation

Les sujets devant la négation semblent donc pouvoir avoir toutes les lectures qu'ils ont dans la construction du faux sujet. A noter que cette dernière est effectivement aussi compatible avec la négation.

 Seite (1985:118):
 "Jañ-Mar ne oa fin e-béd dezañ da êsa e voul."
 'Jean-Marie n'en finissait pas de viser avec sa boule.'
 Seite (1985:141):
 "Ar paour ne vez morse taolet evez out."
 'On ne prête jamais attention aux pauvres.'

Avec le verbe emañ

La structure est différente lorsque le verbe emañ est utilisé, comme dans le cas des phrases progressives. Ce verbe est en effet licite seul à l'initiale de phrase, et semble immune à la règle V2 touchant les autres verbes.

Winterton (2016) compare les productions de trois générations de locuteurs, sur la même localité des environs de Quimper et avec la même méthodologie que Kennard (2013): une image est présentée aux locuteurs barrée d'une croix rouge pour obtenir une négation. Les phrases obtenues sont progressives négatives, très plausiblement avec une structure informationnelle plate. Winterton compte chez trois locuteurs seniors interviewés 88% de sujet lexicaux postverbaux, et seulement 10% de phrases avec un sujet à l'initiale (une occurrence isolée par ailleurs inexpliquée). Un contraste émerge nettement: les jeunes adultes et les enfants en classes immersives, hors cas d'attrition particulier, ont des productions similaires à leurs aînés alors que les enfants des classes bilingues montrent un usage massif de sujets à l'initiale dans ces structures.


analyse

Jouitteau (2005) propose que le verbe emañ est plus haut dans la structure que les autres verbes, prédisant ainsi que seuls des sujets focalisés peuvent le précéder. Dans ces cas, l'obligation de focalisation du sujet initial vient de la distribution particulière de ce verbe, et non de la négation en elle-même. On ne peut pas vérifier si l'effet persiste lorsque la négation est absente, car le verbe emañ est indépendamment (?) illicite avec un sujet initial, qui déclenche la forme zo de la copule.

Rezac (c.p.) relève cependant des exemples en Léon et Cornouaille où le sujet prénégation avec emañ ne porte pas de l'information nouvelle en contexte.

 Léon, Fave (1989):
 A-zav adarre... eur post-polis. Tostaad a reom ouz harzou Bro-Volivia hag e vez beillet aketuz war ar re a zeu hag a ya. Ar habiten n’ema ket er post, ne vez lezet dén da baseal.
 
 et après la mention en contexte du lieu Passe-Reine:
 
 Passe-Reine n’ema ket pell diouz Gonaïves.


 Cornouaillais, Helias (1957):
 Chanorig: N'emaon ket o klask bara. Pinvidig n'on ket, med bara am-eus da zebri. O klask va gwaz emaon. 
 Fañch: Ho kwaz n'ema ket amañ. N'eus nemedon hag a zoug bragou en ti-mañ. 
 
 Cornouaillais, Helias (1958):
 Eur wech divontet ar voutaill, c'hwi oar mad, ar jistr n'ema ket pell o vond du ha treñk.

Analyse théorique

Rezac (c.p.) pointe qu'il est possible de montrer que le sujet devant la négation résulte d'une opération de mouvement car le sujet prénégation a portée sémantique sous cette négation. En (1), la phrase signifie qu'il existe des gens malades qui ne sont pas à l'hôpital, et non pas 'C'est le cas que tous les gens malades sont en dehors de l'hôpital'. Le sujet devant la négation est donc interprété sous cette négation, là où se trouve la trace du mouvement.


(1) An oll dud klañv n'emaint ket _ en ospital.
le tous1 gens malade ne1 sont pas dans.le hôpital
'Tous les gens malades ne sont pas à l'hôpital.'
Helias, Brasa pareour er bed, pdf


mouvement de focus et that-trace effect

Jouitteau (2005:411) propose de dériver les cas de lecture focale avec accord riche par l'hypothèse que la partie préverbale ne de la négation est un complémenteur, une tête C déclenchant une résomptivité obligatoire lorsqu'un sujet le dépasse ("That-trace effect").

Un sujet dépassant une tête de négation déclenche donc un double pronominal qui lui, déclenche l'accord riche en s'incorporant.

Cette hypothèse ne rend pas compte des ordres de mots où le sujet ne serait pas dérivé par mouvement.


remise en cause du statut de sujet

Dans son abrégé grammatical du breton de Plougrescant, Le Dû (2012:104) propose de considérer que le sujet devant une négation n'est en fait pas le sujet de la phrase, mais une apposition. Le sujet réel de la phrase est alors le pronom déclenchant l'accord riche sur le verbe.

Cette hypothèse n'est possible que dans une définition de l'apposition qui ne requerrait pas l'adjacence des termes. En effet, les deux formes co-référentes au sujet de la phrase ne sont jamais juxtaposées dans une phrase négative.


une construction du faux sujet... accidentellement sur le sujet

L'intuition de Le Dû (2012:104) pourrait être travaillée en pensant qu'il s'agit, dans les structures informationnelles plates, d'une construction du faux sujet. Selon l'analyse de Jouitteau (2005), un groupe nominal est généré en position SpecTop dans la périphérie gauche, et lie un résomptif plus bas dans la structure IP.

Cette hypothèse n'explique pas pourquoi cette structure n'est pas disponible dans les phrases positives.

Bibliographie

  • Hardie, D. W.F. 1948. A Handbook of Modern Breton (Armorican), University of Wales Press, [Bangor / Caerdydd: Gwasg Prifysgol Cymru].
  • Hemon, R. 1975a [1984]. A Historical Morphology and Syntax of Breton, Dublin Institute for Advanced Studies.
compte rendu par Kenneth Jackson 1977. Zeitschrift für Celtische Philologie 36, 275-276.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici
  • Kennard, Holly Jane. 2014. 'The persistence of verb second in negative utterances in Breton', Journal of Historical Linguistics 4:1, 1–39.
  • Kennard, Holly Jane. 2013. Breton morphosyntax in two generations of speakers: evidence from word order and mutation, DPhil. University of Oxford.
  • Kervella, F. 1995 [1947],Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
  • Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.
  • Vallée, F. 1926. La langue bretonne en 40 leçons [7° éd.], Librairie Prud'homme, Saint-Brieuc.
  • Schafer, R. 1995, ‘Negation and Verb Second in Breton.’, Natural Language and Linguistic Theory 13, 135-172.
  • Schapansky, N. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.
  • Stump, G. T. 1989. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.


horizons comparatifs

  • Hoekstra, J. 2010. ‘On the impersonal pronoun men in Modern West Frisian’, présentation au workshop on human impersonals, mai 2010, University Paris VIII.