Différences entre les versions de « Sujet prénégation »

De Arbres
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[[Kennard (2013)|Kennard (2013]]:96) relève chez un locuteur traditionnel, des jeunes adultes et des jeunes scolarisés dans un système immersif autour de Quimper un fort pourcentage de phrases négatives avec un sujet à l'initiale. Le matériel d'[[élicitation]] à partir de cartes-mots et d'images à commenter pourrait induire un plus grand nombre de sujets initiaux qu'en corpus spontané, mais pas des sujets focalisés à l'initiale. Une influence du français dans ces tâches d'élicitation serait aussi possible, mais à relativiser car l'effet exclut nettement le verbe ''[[bezañ]]'' 'être', qui montre toujours des sujtes postverbaux.


== Bibliographie ==
== Bibliographie ==

Version du 20 février 2017 à 17:03

En breton standard, et dans la plupart des dialectes, le verbe montre un accord riche avec un sujet placé devant la négation, ce qui va, à première vue, contre l'effet de complémentarité du système d'accord breton.


(1) ... SUJET ne verbe.accord du sujet
mes neuze an dud ne c'hellent ket kanañ ken
mais alors le gens ne pouvaient.3PL pas chanter plus
'Mais alors les gens ne pouvaient plus chanter.'
Standard, Interview Brigitte Kloareg, par Ronan Hirrien


Cette exception au système d'accord de la langue est largement documentée, et de longue date De Rostrenen (1738:178), Vallée (1926:39ff), Hardie (1948:162f), Kervella (1947:168), Le Roux (1957:Ch.II), Denez (1972:112), Hemon (1975a:273f, 1975b:63), Urien & Denez (1979/1980), Stump (1984, 1989), Schafer (1995), Schapansky (1996), Jouitteau (2005/2010), Jouitteau et Rezac (2006), Hewitt (2010b)...


Syntaxe

Le sujet devant la négation, groupe nominal ou pronom, déclenche l'accord riche sur le verbe, ce qui est une exception dans le système d'accord.


(2) [ Ɉi labur tʃǝt / nø laburaɲ tʃǝt anehɛ ]
gi ne labourint ket ne labourint ket anezhe
eux ne travailleront pas ne travailleront pas P.eux
‘Eux, ils ne travaillent pas.’ Bas-vannetais, Nicolas (2005:33)


Le paradigme ne change pas lorsque la négation est sémantiquement invisible comme en (2):


(2) Ar chas-ze ne reont nemet harzal pe yudal!
le chiens- ne font seulement aboyer ou hurler
'Ces chiens-là ne font qu'aboyer ou hurler.'
Le Bozec (1933:48)


analyse théorique

Jouitteau (2005:411) propose de dériver ces faits par l'hypothèse que la partie préverbale ne de la négation est un complémenteur, une tête C déclenchant une résomptivité obligatoire lorsqu'un sujet le dépasse ("That-trace effect").

Un sujet dépassant une tête de négation déclenche donc un double pronominal qui lui, déclenche l'accord riche en s'incorporant.


remise en cause du statut de sujet

Dans son abrégé grammatical du breton de Plougrescant, Le Dû (2012:104) propose de considérer que le sujet devant une négation n'est en fait pas le sujet de la phrase, mais une apposition.

Le sujet réel de la phrase est alors le pronom déclenchant l'accord riche sur le verbe.

Cette hypothèse n'est possible que dans une définition de l'apposition qui ne requerrait pas l'adjacence des termes. En effet, les deux formes co-référentes au sujet de la phrase ne sont jamais juxtaposées dans une phrase négative.


Variation dialectale

Il existe des variétés de breton dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Les limites dialectales géographiques entre ces deux variétés ne sont pas actuellement systématiquement documentées, mais on trouve des exemples dans tous les dialectes de Bretagne sud.


Stump (1984:293, n.2) note qu'il en existe des traces dans la grammaire du cornouaillais Trépos. Dans un corpus oral de Douarnenez, Denez (1984), on trouve (2), un exemple irrégulier où l'accord se comporte comme en phrases positives.


(2) Ha merc'hed Treboull noe ket tre ar memes taol dorn da lakaat o c'hoef.
et femmes Tréboul avait pas tt.à.fait le même coup main pour mettre leur2 coiffe
'Et les filles de Tréboul n'avaient pas la même façon de mettre leur coiffe'.
Douarnenez, Melle Griffon, Denez (1984:73)


Cet exemple est d'autant plus frappant qu'il s'agit du verbe kaout, 'avoir', qui est bloqué à l'accord riche en standard. Ce n'est pas le cas en Douarneniste, comme confirmé en (3) d'une source différente.


(3) Nann, ar re-se pa nie diskarget o sardin (en hañv) a yeent gant o bag da vouilhiñ (...)
non le ceux-ci quand avait.3SG déchargé leur2 sardine (en été) R allaient avec leur2 bateau pour1 mouiller
'Non ceux-là, quand ils avaient déchargé leurs sardines, en été, allaient au mouillage (...)'
Douarnenez, G. Nouy, cité par Gwendal Denez dans pêcheurs de Douarnenez
cité dans mémoire de la ville n°3 p.23.


L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Riec). Il montre que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.


(4) Ma zud-kozh ne ouie poz galleg ebet.
mon2 parents-vieux ne savait parole français aucun
'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.'
Riec, Mona Bouzeg


Finalement, on trouve aussi des exemples irréguliers en Vannetais, où Cheveau parle de "variation libre".

 Cheveau (2007:214):
 "en Breton Lorientais nous avons observé de nombreux cas où même à la forme négative, le verbe ne s’accordait pas avec son sujet, surtout à la 3e pers. du pl. La forme accordée et non accordée semblent être en variation libre dans le cas des phrases négatives avec sujet antéposé.
 
 †çɛ ʁɛ cǝ nitʁƒa, 'elles ne faisaient rien' (Qv2)
 tun dyd alɛ† cǝ kaud oʁƒ velo wah, 'tout le monde ne pou[v]ait pas encore avoir un vélo (Qv1)
 çɛ go:€Žʒa cǝ tƒʁenh†ɛ, 'ils ne se parlent pas' (Gu2)
 tun dyd ƒʁ†ɛ cǝt,  'tout le monde ne le faisait pas' (Gu2)
 ǝʁ viɟ‹a:€lǝ z†€ɛ:bɛ† cǝt,  'les enfants n’en mangeaient pas' (Cd2)
 o tyd w†ɛ cǝ peiz˜ɑ n†ɛhɛ† ?, 'vos parents n’étaient pas des paysans ?' (Pm1)


Selon Ternes (1970:284), la négation a un impact sur l'accord à Groix uniquement avec les sujets pronominaux.


 Ternes (1970:284): 
 "Quand le sujet de la proposition est exprimé par un nom, le verbe négatif se met à la 3SG, que le sujet soit un nom au singulier ou au pluriel."
 

Ternes (1970:284) précise que "la détermination de la personne est obligatoire quand le sujet n'est pas exprimé par un nom". Cependant, il n'explique pas sur quelles données repose ce constat, or les pronoms de troisième personne provoquent tous à Groix la même morphologie verbale.


(4) /we:ručet / /xawe:ručet /
il saura pas elles saura pas
'Il ne saura pas', 'Elles/ils ne sauront pas.' Groix, Ternes (1970:285)


Plus au sud, à Guérande, l'ALBB relevait:

carte 206, pour la traduction de 'Je ne peux pas (courir)'; Mé gèl kèt (standard Me c'hell ket).
carte 235, pour la traduction de 'Je ne sais pas'; Me wèr kèit (standard Me oar ket).
carte 242, pour la traduction de 'Je ne savais pas (cela)'; Me werè kèit (standard Me ouie ket).


diachronie

On trouve des exemples de non-accord d'un sujet prénégation dès le début du XX°. Le Gléau (1973:48) remarque ce fait d'accord anormal et note "Cette simplification semble pour le moment abusive".


(4) Al loened gouez ne reas droug erbet dezhañ.
le animaux sauvage ne fit mal aucun à.lui
'Les animaux sauvages ne lui firent aucun mal.' HISA. (1900:72), cité dans Le Gléau (1973:48)

Structure informationnelle

Les sujets apparaissant devant la négation reçoivent souvent une lecture de focus. Cependant, on trouve aussi des sujets prénégation dans des phrases où le focus est ailleurs, comme en (1) où il est sur ker sot an eil gant egile.


(1) An dud ne oant ket ker sot an eil gant egile.
le1 gens ne étaient pas tant sot le second avec autre
'Les gens n'étaient pas aussi sots les uns avec les autres.'
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:11)


Kennard (2013:96) relève chez un locuteur traditionnel, des jeunes adultes et des jeunes scolarisés dans un système immersif autour de Quimper un fort pourcentage de phrases négatives avec un sujet à l'initiale. Le matériel d'élicitation à partir de cartes-mots et d'images à commenter pourrait induire un plus grand nombre de sujets initiaux qu'en corpus spontané, mais pas des sujets focalisés à l'initiale. Une influence du français dans ces tâches d'élicitation serait aussi possible, mais à relativiser car l'effet exclut nettement le verbe bezañ 'être', qui montre toujours des sujtes postverbaux.

Bibliographie

  • Hardie, D. W.F. 1948. A Handbook of Modern Breton (Armorican), University of Wales Press, [Bangor / Caerdydd: Gwasg Prifysgol Cymru].
  • Hemon, R. 1975a [1984]. A Historical Morphology and Syntax of Breton, Dublin Institute for Advanced Studies.
compte rendu par Kenneth Jackson 1977. Zeitschrift für Celtische Philologie 36, 275-276.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici
  • Kervella, F. 1995 [1947],Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
  • Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.
  • Vallée, F. 1926. La langue bretonne en 40 leçons [7° éd.], Librairie Prud'homme, Saint-Brieuc.
  • Schafer, R. 1995, ‘Negation and Verb Second in Breton.’, Natural Language and Linguistic Theory 13, 135-172.
  • Schapansky, N. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.
  • Stump, G. T. 1989. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.