Différences entre les versions de « Sujet prénégation »

De Arbres
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L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Rieg), montrant que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.  
L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Riec), montrant que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.  




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| ||colspan="4" | 'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.'
| ||colspan="4" | 'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.'
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|||||||||||''Rieg'', Mona Bouzeg
|||||||||||''Riec'', Mona Bouzeg
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Version du 8 janvier 2013 à 17:53

En breton standard, le verbe montre une morphologie riche avec un sujet devant la négation. Un sujet réalisé devant la négation déclenche une morphologie d'accord riche sur le verbe.


(1) ... SUJET ne verbe.accord du sujet
mes neuze an dud ne c'hellent ket kanañ ken
mais alors le gens ne pouvaient.3PL pas chanter plus
'Mais alors les gens ne pouvaient plus chanter.'
Standard, Interview Brigitte Kloareg, par Ronan Hirrien


Exception au système d'accord

Le sujet devant la négation, DP ou pronom, déclenche l'accord riche sur le verbe, ce qui est une exception dans le système d'accord.


(2) [ Ɉi labur tʃǝt / nø laburaɲ tʃǝt anehɛ ]
gi ne labourint ket ne labourint ket anezhe
3PL ne travailleront pas ne travailleront pas P.3PL
‘Eux, ils ne travaillent pas.’ Bas-vannetais, Nicolas (2005:33)


Le paradigme ne change pas lorsque la négation est sémantiquement invisible comme en (2):


(2) Ar chas-ze ne reont nemet harzal pe yudal!
le chiens- ne font seulement aboyer ou hurler
'Ces chiens-là ne font qu'aboyer ou hurler.'
Le Bozec (1933:48)


Cette exception au système d'accord de la langue est largement documentée:

Denez (1972:112), Hardie (1948:162f), Hemon (1975a:63, 1975b:273f), Kervella (1947:168), Le Roux (1957:Ch.II), Urien & Denez (1979/1980), Vallée (1926:39ff), Stump (1984, 1989), Schafer (1995), Schapansky (1996), Jouitteau (2005/2010), Jouitteau et Rezac (2006)...


Analyse théorique

Jouitteau (2005:411) propose de dériver ces faits par l'hypothèse que la partie préverbale ne de la négation est un complémenteur, une tête C déclenchant une résomptivité obligatoire lorsqu'un sujet le dépasse ('that-trace effect').

Un sujet dépassant une tête de négation déclenche donc un double pronominal qui lui, déclenche l'accord riche en s'incorporant.

remise en cause du statut de sujet

Dans son abrégé grammatical du breton de Plougrescant, Le Dû (2012:104) propose de considérer que le sujet devant une négation n'est en fait pas le sujet de la phrase, mais une apposition.

Le sujet réel de la phrase est alors le pronom déclenchant l'accord riche sur le verbe.

Cette hypothèse n'est possible que dans une définition de l'apposition qui ne requerrait pas l'adjacence des termes. En effet, les deux formes coréférentes au sujet de la phrase ne sont jamais juxtaposées dans une phrase négative.

Variation dialectale

Il existe des variétés de breton dans lesquelles un sujet prénégation ne force pas l'accord. Les limites dialectales géographiques entre ces deux variétés ne sont pas actuellement systématiquement documentées, mais on trouve des exemples dans tous les dialectes de Bretagne sud.


Stump (1984:293, n.2) note qu'il en existe des traces dans la grammaire du cornouaillais Trépos. Dans un corpus oral de Douarnenez, Denez (1984), on trouve (2), exemple irrégulier où l'accord se comporte comme en phrases positives. Ces exemples sont d'autant plus frappants qu'il s'agit du verbe kaout, 'avoir', qui est bloqué à l'accord riche en standard.


(2) Ha merc'hed Treboull noe ket tre ar memes taol dorn da lakaat o c'hoef.
et femmes Tréboul avait pas tt.à.fait le même coup main pour mettre leur coiffe
'Et les filles de Tréboul n'avaient pas la même façon de mettre leur coiffe'.
Douarnenez, Melle Griffon, Denez (1984:73)


(3) Nann, ar re-se pa nie diskarget o sardin (en hañv) a yeent gant o bag da vouilhiñ (...)
non le ceux-ci quand avait.3SG déchargé leur sardine (en été) R allaient avec leur bateau pour mouiller
'Non ceux-là, quand ils avaient déchargé leurs sardines, en été, allaient au mouillage (...)'
Douarnenez, G. Nouy, cité par Gwendal Denez dans pêcheurs de Douarnenez
cité dans mémoire de la ville n°3 p.23.


L'exemple ci-dessous est extrait d'un entretien avec Mona Bouzeg (Riec), montrant que le sujet prénégation peut se comporter de façon irrégulière jusqu'en Haute-Cornouaille.


(3) Ma zud-kozh ne ouie poz galleg ebet.
mon grand-parents ne savait parole français aucun
'Mes grand-parents ne parlaient pas un mot de français.'
Riec, Mona Bouzeg


Finalement, on trouve aussi des exemples irréguliers en Vannetais, où Cheveau parle de "variation libre".


 Cheveau (2007:214):
 "en Breton Lorientais nous avons observé de nombreux cas où même à la forme négative, le
 verbe ne s’accordait pas avec son sujet, surtout à la 3e pers. du pl. La forme accordée et non
 accordée semblent être en variation libre dans le cas des phrases négatives avec sujet
 antéposé.
 
 †çɛ ʁɛ cǝ nitʁƒa, 'elles ne faisaient rien' (Qv2)
 tun dyd alɛ† cǝ kaud oʁƒ velo wah, 'tout le monde ne pou[v]ait pas encore avoir un vélo (Qv1)
 çɛ go:€Žʒa cǝ tƒʁenh†ɛ, 'ils ne se parlent pas' (Gu2)
 tun dyd ƒʁ†ɛ cǝt,  'tout le monde ne le faisait pas' (Gu2)
 ǝʁ viɟ‹a:€lǝ z†€ɛ:bɛ† cǝt,  'les enfants n’en mangeaient pas' (Cd2)
 o tyd w†ɛ cǝ peiz˜ɑ n†ɛhɛ† ?, 'vos parents n’étaient pas des paysans ?' (Pm1)


Diachronie

On trouve de tels exemples dès le début du XX°. Le Gléau (1973:48) remarque ce fait d'accord anormal et note "Cette simplification semble pour le moment abusive".


(4) Al loened gouez ne reas droug erbet dezhañ.
le animaux sauvage ne fit.3SG mal aucun à.3SGM
'Les animaux sauvages ne lui firent aucun mal.' HISA. (1900:72), cité dans Le Gléau (1973:48)

Bibliographie

  • Denez, P. 1972 [1980]. Brezhoneg buan hag aes, (le breton vite et facilement-Breton fast and easy). Paris: Omnivox.
  • Hardie, D. W.F. 1948. A Handbook of Modern Breton (Armorican), University of Wales Press, [Bangor / Caerdydd: Gwasg Prifysgol Cymru].
  • Hemon, R. 1975a [1995]. Breton Grammar. Translated, adapted, and revised by Michael Everson. Dublin: Everson Gunn Teoranta.
  • Hemon, R. 1975b [1984]. A Historical Morphology and Syntax of Breton, Dublin Institute for Advanced Studies.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici
  • Kervella, F. 1995 [1947],Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
  • Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.
  • Vallée, F. 1926. La langue bretonne en 40 leçons [7° éd.], Librairie Prud'homme, Saint-Brieuc.
  • Schafer, R. 1995, ‘Negation and Verb Second in Breton.’, Natural Language and Linguistic Theory 13, 135-172.
  • Schapansky, N. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.
  • Stump, G. T. 1989. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.