Stade critique pour l'acquisition du langage, L1 vs. L2

De Arbres

Nous savons tous qu'à l'âge adulte, les humains maitrisent plus difficilement une langue nouvelle. En contraste, un tout petit enfant humain arrive vite à un niveau de maîtrise grammaticale très proche des langues avec lesquelles il est en contact.

Penfield & Roberts (1959) et Lenneberg (1967) ont postulé un l'existence d'un stade critique pour l'acquisition de la syntaxe, une étape contrainte de mâturation pour l'acquisition d'une langue première. Cette hypothèse pose la question de la nature de ce stade critique. A partir de quel âge d'exposition à la langue un enfant est-il à considérer comme natif? N'y a-t-il qu'un seul stade critique ou une gradation de seuils montrant de la variation individuelle?

Ces questions sont cruciales pour l'étude fondamentale du langage humain, mais aussi, dans le cadre des langues minorisées et en danger d'extinction, pour les politiques linguistiques qui décident des formules scolaires et extrascolaires des jeunes enfants en situation de monolinguisme ou de bilinguisme.


Arguments pour l'existence d'un stade critique

Il existe différents arguments pour l'idée d'un stade critique pour l'acquisition des langues (Smith 2002:95-99).


  • La qualité de récupération après une aphasie acquise dépend de l'âge auquel l'aphasie a frappé (Lenneberg 1967). La récupération est rarement complète lorsque la lésion intervient après la puberté (avec des contre-exemples rares, cf. Vargha-Khadem & al. 1997).
  • Les différents cas d'"enfants-loups", élevés hors contact linguistique humain, montrent une syntaxe appauvrie.
  • Les rares individus atteints du syndrome de Down qui arrivent à une maîtrise normale du langage sont ceux dont le développement langagier s'est complété avant l'âge de la puberté (Rondal 1995).
  • Mayberry (1993) a comparé des adultes apprenant la langue des signes américaine, le premier groupe étant constitué de personnes sourdes de naissance et apprenant donc une langue première à l'âge adulte, et le second groupe étant constitué de personnes devenues sourdes après avoir développé une langue orale comme langue première. Le second groupe a montré de meilleures performances, ce qui suggère un stade critique pour l'acquisition d'une langue première.
  • Un autre argument vient des personnes à la fois sourdes et aveugles. On connait des exemples comme celui de Hellen Keller, devenue sourde et aveugle à l'âge de 18 mois, et qui a développé une maîtrise normale du langage (par le biais du toucher, avec un entrainement approprié). Les bébés nés aveugles et sourds dans un environnement qui ne développe pas de langage par le toucher avant cet âge ne développent pas de syntaxe complexe (Smith 2002:13-17).
  • Selon l'imagerie par résonance magnétique, l'aire fronto-corticale d'une langue native et d'une langue seconde apprise à l'âge adulte dessinent deux espace séparés. L'aire fronto-corticale d'une langue native et d'une langue seconde précoce sont, elles, coïncidentes (Kim & al. 1997).
  • Toujours selon l'imagerie par résonnance magnétique, des enfants ayant parlé le chinois avant le français réagissent différemment des monolingues francophones face à des mots de français inventé. Cela est vrai qu'ils pratiquent toujours leur langue première ou non, ce qui implique que la pratique très précoce d'une langue, même interrompue, laisse des traces dans le cerveau (Pierce & al. 2015).


Ce qui est vrai pour la syntaxe peut ne pas l'être pour d'autres modules du langage. Ainsi, il ne semble pas y avoir de stade critique pour l'acquisition du lexique (Bloom & Markson 1998). Dans le domaine de la phonologie, Jusczyk (1997) propose l'hypothèse que les stades critiques sont différents pour les voyelles et les consonnes, les voyelles semblant être fixées avant les consonnes.

La notion de stade critique peut être pensée au pluriel: les données que nous avons montrent une (dé!)gradation de nos facultés d'acquisition d'une langue en vieillissant. Il est rarement trop tard pour apprendre une langue, mais il peut être trop tard pour réaliser une maîtrise semblable à celle des natifs de cette langue.


Différences entre locuteurs L2 et L1

stresser un natif

Schutter (2013:203):

 "it has been shown that near-native late L2 learners of a second language are perfectly capable of acquiring a native-like L2 grammar, but still produce non-native-like interface structures when pressurised through time and/or memory constraints."

horizons comparatifs

Schutter (2013) a montré que des apprenants avancés de l'anglais dont la première langue est le néerlandais montrent qu'ils ont une connaissance grammaticale des structures de leur L2 en compréhension comme en production, mais qu'ils sur-utilisaient cette connaissance dans des cas exceptionnels sous une pression de temporelle ou de mémorielle.


Drozdova (2018) montre une différence dans le traitement du signal sonore langagier entre natifs et non-natifs lorsqu'il existe un bruit de fond. Ses résultats montrent que le traitement du signal sonore par des non-natifs leur permet d'apprendre à reconnaitre des voix non-familières et d'en tirer des bénéfices, mais que ce bénéfice ne s'étend pas à la reconnaissance lexicale, au contraire des natifs de la langue. Cette étude recoupe l'expérience professionnelle des studios de doublage de films en langue bretonne. J-M. Ollivier (c.p., 2015), ingénieur du son à Dizale, témoigne ainsi que d'expérience, il doit monter la puissance du son spécifiquement lorsque la parole est en breton dans un film, car la clarté langagière percue est généralement plus basse. Le public comme les comédiens témoignent d'une impression récurrente d"entendre moins bien" en breton, qui est massivement pour eux une langue seconde ou une langue d'héritage.

breton

Pour le breton, Jouitteau (2018) montre que les natifs du breton se distinguent des non-natifs en ayant une réponse syntaxique pour une double contrainte opposée. Les 'dizaines plus un' comprenant un nom réalisé (vingt et un rochers, trente et un rochers, quarante et un rochers) imposent un article indéfini devant la structure. Les démonstratifs analytiques imposent, eux, un article défini. En demandant à des brittophones de traduire 'ces trente et un rochers-ci', elle obtient des réponses syntaxiques créatives et diverses de la part de jeunes natifs de la langue scolarisés à Diwan, et un refus de la part de L2 fonctionnels dans la langue. Leur attitude et leur réponse dessine un contraste net entre natifs et non-natifs.

Références

  • Bloom, P. & L. Markson. 1998. 'Capacities underlying word learning', Trends in Cognitive Sciences: 2, 2:67-73.
  • Drozdova, Polina. 2018. The effects of nativeness and background noise on the perceptual learning of voices and ambiguous sounds, LOT Dissertation Series, texte.
  • Lenneberg, E. 1967. Biological foundations of language, New-York, Wiley.
  • Mayberry, Rachel. 1993. 'First language acquisition after childhood differs from second-language acquisition: The case of American Sign Language', Journal of Speech and Hearing research 36:1258-70.
  • Pierce, Lara J., Jen-Kai Chen, Audrey Delcenserie, Fred Genesee, Denise Klein. 2015. 'Past experience shapes ongoing neural patterns for language', Nature Communications 6: 10073 DOI: 10.1038/ncomms10073, résumé sur ScienceDaily
  • Rondal, J. 1995. Exceptional Language Development in Down Syndrome, Cambridge, Cambridge University Press.
  • Smith, Neil. 2002. Language, Bananas & Bonobos; Linguistic Problems, Puzzles and Polemics, Blackwell Publishers.
  • Vargha-Khadem, F., L. Carr, E. Isaacs, E. Brett, C. Adams & M. Mishkin & al. 1997. 'Onset of speech after left hemispherectomy in a nine-year-old boy', Brain 120:159-82.
  • Penfield, W.; Roberts, L. 1959. Speech and Brain Mechanisms, Princeton: Princeton University Press.