Résomption du sujet 'à la cornouaillaise'

De Arbres

La résomption du sujet dite 'à la Cornouaillaise' montre un sujet dans son emplacement canonique, doublé par un pronom incorporé dans une préposition support, c.a.d. sémantiquement nulle.

Ci-dessous en (1), le sujet masculin singulier qui déclenche l'accord sur le verbe n'est pas exprimé, c'est un pronom vide. Il est repris anaphoriquement par le pronom masculin singulier -añ incorporé dans la préposition support a.


(1) Ne glev netra anezañ.
ne entend rien P.lui
'Il n’entend rien.' Cornouaillais, Trépos (2001:444)


La résomption du sujet est restreinte à la personne 3 et est souvent associée à présence de la négation syntaxique et aux verbes intransitifs.


Interprétation

Les pronoms résomptifs du sujet ne sont pas des arguments du verbe (Timm 1995).

Ils ont une fonction "pléonastique" (Le Gléau 1973:17, Stump 1984:44). Ils sont sans effet particulier de discours (ni contrastif, ni emphatique).

La préposition a dans laquelle le pronom résomptif est incorporé est sémantiquement nulle. C'est une préposition-outil qui semble uniquement servir de support morphologique à cette incorporation.

Distribution

Les structures de résomption du sujet, dans les variétés de breton où elles sont productives, sont soumises à trois restrictions:

- la restriction à la personne 3
- l'association avec la négation
- l'association aux verbes intransitifs


restriction à la personne 3

 Trépos (2001:§444)
 
 "A la forme négative, la troisième personne peut-être renforcée par la préposition conjuguée 
 anezañ: 'lui', anezi: 'elle', anezo: 'eux, elles'."


(3) Ne hello ket sevel ken anezi.
ne pourra.3SG pas lever plus P.elle
'Elle ne pourra plus se lever.' cornouaillais, Trépos (2001:444)


(3) Ne rafent ket an dra-se anezo, koulskoude!
ne feraient pas le chose- P.eux, cependant!
'Ils ne feraient tout de même pas cela!'
cornouaillais, Trépos (2001:444)


(4) Paneve se, me lar dezhi, nie ket gallet kaout boued anezho ivez.
quand.ce.n'est ça moi dit à.elle aurait pas pu avoir nourriture P.eux aussi
'Sans ça, je lui dis, ils n'auraient pas pu avoir à manger non plus.'
Douarneniste (Tréboul), Troadec, Hor Yezh (1983:72)

association avec la négation

Cette structure de résomption du sujet est nettement associée à la négation. Elle semble n'apparaître que dans les contextes négatifs.

Il existe une variation dialectale dans les contextes qui autorisent la résomption du sujet. Ainsi, un adverbe comme a-raok, 'avant', est connu pour son affinité avec la négation puisqu'il peut autoriser des items de polarité négative.

Ci-dessous en (4), le sujet exprimé féminin singulier honnezh est repris anaphoriquement par le pronom féminin singulier -i incorporé dans la préposition a, comme le montre leur coindexation par l'indice x. Il est probable que ce qui autorise cette construction est ici l'adverbe a-raok. En (4), on voit dans sa traduction française que cet adverbe est associé avec le ne de la négation explétive. En (4), on voit que cet adverbe araok en breton autorise la résomption du sujet pour un locuteur de Douarnenez reporté par Timm (1995:21).


(4) araok teuio honnezhx d'ar gêr anezhix.
avant R viendra celle.là à le maison P.elle
'Avant qu'elle (ne) retourne à la maison.' Cornouaille, (Douarnenez), Timm (1995:21)


Cette phrase est agrammaticale pour Mona Bouzeg (de Riec), qui par ailleurs utilise cette structure avec la négation morphologique ((ne) ... ket).

restriction aux intransitifs?

Les exemples en corpus montrent que la résomption du sujet est plus répandue avec les verbes intransitifs (Urien & Denez 1979). Cependant, on trouve des contre-exemples en breton Douarneniste. Timm (1995:21) fournit un exemple de résomption du sujet avec le verbe prenañ, 'acheter'. On trouve aussi le verbe debriñ, 'manger', ou lâret, dire.


(5) Brene ket gwall alies onenn anezh.
(ne) achetait pas très souvent frêne P.lui
'Il n'achetait pas de frêne très souvent.' Cornouaille, (Douarnenez), Hor Yezh (1983:17)


(6) Setu hi neus ket bet amzer da zebriñ tout ar moneiz anezhi...

Bas-Cornouaillais (Tréboul), Hor Yezh (1983:73)


(7) 'noa ket lâret 'nezhi ma oa 'ba' he soñj mont d'ar fest-noz pe d'ar sinema.
avait pas dit P.elle si était dans son pensée aller à le fest-noz ou à le sinema
'Elle n'avait pas dit (elle), si elle pensait aller au fest-noz ou au cinéma .' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:31)

Variation dialectale

Cette construction est largement reportée par Bouzeg (1986) pour le haut-cornouaillais de Riec.


(1) Ne vez ket alies divew anezh.
ne est pas souvent pfx-saoul P.lui
'Il est ivre la plupart du temps.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:I)


bas-vannetais

Cette construction est prototypique de la Cornouaille, mais existe aussi en bas-vannetais (v. aussi Nicolas 2005:33).


(2) N'eo ket forzh fin anezh.
ne est pas très fin P.lui
'Il n'est pas très fin.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:52)


(3) [ brøma sεlant ʃəvras dən trəwsə anε mε nøzεn wεn sevεr ]
bremañ 'sellant ket vras d'an traoù-se anezhe met neuze 'oant sever.
maintenant ne voient pas beaucoup à le choses-ci P.eux mais alors R étaient sévères
'Maintenant ils ne sont pas regardants sur ces choses-là, mais à l'époque, ils étaient sévères.'
Bas-vannetais, Nicolas (2005:22).


En bas-vannetais, on trouve aussi des résomptifs du sujet avec des verbes transitifs, et avec l'auxiliaire kaout, 'avoir' (4).


(4) [ nø laburaʃəd øni ] / [nø laburaʃət hønõ ]
ne laboura ket anezhi ne laboura ket anezh
ne travaille pas P.elle ne travaille pas P.lui
'Elle/Il ne travaille pas.'
Bas-vannetais, Nicolas (2005:33)


Le résomptif du sujet y semble optionnel, peut-être utilisé pour marquer le focus si l'on en juge par l'équivalence avec un pronom préverbal marquée par Nicolas (2005:33).


(5) [ Ɉi labur tʃǝt / nø laburaɲ tʃǝt anehɛ ]
gi ne labourint ket ne labourint ket anezhe
eux ne travailleront pas ne travailleront pas P.eux
'Eux, ils ne travaillent pas.' Bas-vannetais, Nicolas (2005:33)


Vannetais ?

(2) N'eo ket forzh kaer anezhi...
ne'est pas très beau P.elle
'Elle n'est pas très belle...' Vannetais, Herrieu (1994:79)

sans restriction à la personne 3 ?

La restriction à la troisième personne pourrait ne pas être présente dans tous les dialectes. Le traducteur de Cosey utilise des structures de résomption du sujet en négatives (1)a sans restriction sur la personne comme illustré en (1)b.

Cependant, si la préposition semble bien sémantiquement vide, elle semble disloquée à droite alors que les résomptifs du sujet sont intégrés à la proposition. Une étude prosodique serait nécessaire pour trancher.


(1)a. N'he deus ket kavet netra, anezhi
ne a.3SGF pas trouvé rien P.elle
'Elle n'a rien trouvé.' traducteur Cosey, Kavell ar Bodhisattva, Jonathan 4, p.28


(1)b. N'em eus kavet riboull all ebet, ac'hanon
ne R.1SG ai trouvé chemin autre aucun P.moi
'Je n'ai trouvé aucun autre chemin.' traducteur Cosey, Kavell ar Bodhisattva, Jonathan 4, p.33

à ne pas confondre

La résomption du sujet à la cornouaillaise doit être contrastée avec des constructions du faux sujet, présente dans tous les dialectes, et qui peuvent aussi accidentellement utiliser la préposition 'eus' avec une pronom incorporé de 3SG, dans une phrase qui se trouve être négative.

Ci-dessous, la phrase est négative et le syntagme nominal préverbal lie la préposition a/eus qui porte ses traits de genre et de nombre 3. Ici, ce qui montre qu'il ne s'agit pas d'une résomption du sujet à la Cornouaillaise est le fait que la préposition eus, si on rétablissait l'argument ar bannah gwin-ze à sa droite, ne disparaitrait pas (eur veskennad eus ar bannah gwin-ze).


(4) [Ar bannah gwin-ze]3SGM na oa ket eur veskennad anezañ.3SGM
le verre vin- ne-R y.avait pas un dé.à.coudre-contenu de.lui
'cette goutte de vin-là (ce verre de vin-là), il n'y en avait pas plein un dé à coudre.'
trégorrois, Gros (1984:14)


En (5), la préposition anezhañ pourrait être remplacée par un possessif devant diabarzh (...ha du-mouar e diabarzh). Il s'agit d'une structure adjective prédicative. Pour s'en convaincre, il suffit de noter que la prédication, si elle devait être transférée au temps passé, révélerait une copule (...hag 'oa du-mouar an diabarzh anezhañ).


(5) E gwirionez, d'ober hor boa gant ur gwaz gwenn a-ziavaez ha du-mouar an diabarzh anezhañ.
en vérité à faire 2PL avait avec un homme blanc en-dehors et noir-mûres le dedans de.lui
'En vérité, nous avions affaire à un homme blanc dehors et noir profond à l'intérieur.' (Priel 1955)

Intérêt théorique

Les premières analyses formelles de ces pronoms semblent être celles de Urien & Denez (1979), qui reprennent la description de Trépos (1968) de la restriction à la personne trois et l'association récurrente avec la négation. Ils notent l'association récurrente avec les verbes intransitifs.

Pour Borsley & Stephens (1989), le pronom de troisième personne est un sujet pronominal. En ce sens, les exemples ci-dessus représenteraient des exceptions à l'effet de complémentarité qui caractérise le système d'accord breton. Timm (1995) s'oppose à l'analyse des pronoms comme pronoms sujets. Elle montre qu'ils peuvent apparaître dans la même phrase qu'un sujet réalisé (ses autres arguments ne portent pas, car elle confond les pronoms du sujet et les pronoms écho du sujet, qui ont une distribution distincte). Stump (1989:441) note qu'à la différence des sujets, les pronoms résomptifs ne peuvent pas être antéposés. Ce ne sont donc décidément pas des arguments du verbe. Timm (1995) propose que ces pronoms ne sont pas des sujets postverbaux, mais des pronoms anaphoriques.

Les différentes restrictions de cette structure (personne 3, négation, verbes intransitifs) restent inexpliquées.


Bibliographie

  • Blanchard, N. 2004. ‘L’utilisation pédagogique des textes du concours ‘Ar Falz’’, La Bretagne Linguistique 13, numéro spécial Dialectologie et Géolinguistique, CRBC : UBO, Brest, 13-30.
  • Gros, J. 1984. Le trésor du breton parlé III. Le style populaire, Brest: Emgleo Breiz - Brud Nevez.
  • Stump, G. T. 1984. 'Agreement vs. incorporation in Breton', Natural Language and Linguistic Theory, 2:289-348.
  • Stump, G. T. 1989. 'Further remarks on Breton agreement: A reply to Borsley and Stephens', Natural Language and Linguistic Theory, 7:429-471.
  • Timm, L., 1995. 'Pronominal A-forms in Breton: A discourse-based analysis', Journal of Celtic Linguistics 4:1-34.
  • Trépos, P. 2001 [1968, 1980, 1996], Grammaire bretonne, 1968 édition Simon, Rennes.- 1980 édition Ouest France, Rennes; 1996, 2001 édition Brud Nevez, Brest.
  • Urien, J.Y. & Denez, Per, 1977-9. 'Essai d’analyse sémiologique du mot verbal et du syntagme verbal en breton contemporain', Studia Celtica, 12-13:259-90, 1977; 14-15:290-312.