Philippe (2015)

De Arbres
  • Philippe, Tanguy. 2015. '« Gleb » - Analyse croisée des registres sportifs et langagiers dans le cas du gouren/lutte bretonne', Mannaig Thomas & Nelly Blanchard (éds.), La Bretagne Linguistique 20, 29-43. texte.


intérêt lexical: contient et explicite les termes de gouren gleb, et lamm.


lecture critique

La proposition principale de l'article est une équivalence symbolique dans la lutte bretonne, le gouren: /placage au sol = terre "mère" = élément humide = utérus = souillure = féminin/.

L'argument est purement analogique pour l'auteur, et non justifié. Aucune prédiction n'est développée. Des connecteurs argumentatifs comme donc et ainsi apparaissent dans le texte sans contexte déductif, et les sources citées en appui à la thèse datent des années 80. Malgré la teneur de l'hypothèse, la bibliographie ne comprend aucune référence en études de genre.

Cette interprétation sexuée et genrée de la lutte n'est pas étayée de faits, ni d'étude des représentations des sportifs et sportives, ni du public ou des acteurs des fédérations. L'auteur ajoute que le gagnant de la lutte gagne l'intérêt des "femmes", ou ailleurs dans l'article, des "belles femmes". Là encore, aucune "femme" ni "belle femme" n'a été interrogée pour vérifier ces dires. On ne sait pas non plus qui déterminerait leur beauté, ni sur quels critères, ni non plus ce que les femmes jugées non belles sont supposées penser. L'hypothèse prédit par ailleurs le désintérêt des hommes homosexuels pour ce sport, prédiction qui n'est pas explorée. De façon générale, le système de représentation présenté est, par défaut, considéré comme général alors qu'il concerne spécifiquement des hommes hétérosexuels (qui considéreraient leur mère, son utérus et les femmes en général comme humides et souillantes, et voudraient "rejouer une naissance"). C'est pour le moins une population ciblée, voire de niche, avant preuve du contraire.


Cette étude présente une image du sport traditionnel du gouren comme fondamentalement incompatible avec une pratique par des femmes ou des hommes non-hétérosexuels. La méthodologie révèle plus sur les représentations de son auteur que sur les représentations mises en jeu par le gouren dans la société et pour ses acteurs et ses actrices précisément. Il est possible que ces représentations soient parallèles au moins partiellement à celles de certains ouvrages cités d'il y a quarante ans, ou du début du XX° siècle, mais l'article ne nous donne pas les moyens d'en juger, à part citer un titre d'article de journal par Auguste Brizeux, Un lutteur gagne le cœur des belles filles. Cet article date de 1879.

extraits

Les mots ci-dessous en caractères gras ne le sont pas en version originale.

 "La présence féminine, très discrète, se trouve dans quelques récits aux allures de contes (Jaouen & al. 1984). Les lutteuses le sont à chaque fois dans un cadre exceptionnel, sont célibataires et la séquence est plus ou moins directement matrimoniale.
 [...]
 Analyse
 [...]
 L’issue du combat est donc également un changement de statut, de nomination, une marque ou une souillure rituelle. Le contexte symbolique des combats indique donc la lutte comme agent d’opposition entre sec et humide, correspondant à une opposition masculin-féminin. La verticalité inhabituelle amenée par les combats permet d’illustrer la dichotomie entre les lutteurs (contenus) et l’aire de combat (contenant), rejouant une naissance ou une émancipation symbolique ou, pour l’autre, un retour ad uterum à la « terre-mère (Jeu 1987) », marqué par la souillure rituelle. Le changement d’état et l’accès à la virilité – déclinée en éducation des garçons, statut de champion, perspective matrimoniale, perspective d’embauche, etc. – se fait par le symbolisme du prix, par distinction d’avec la figure du perdant et par orthogonalité avec la terre humide qui fait le contexte du combat."


  • Jaouen, Guy, Jean-Pierre Jaouen & Paul Le Joncour. 1984. 'La lutte bretonne des origines à nos jours', Rennes, Institut Culturel de Bretagne.
  • Jeu, Bernard. 1987. Analyse du sport, Paris, Presses universitaires de France.