Particule o
La particule o préverbale est une particule aspectuelle.
(1) | Soñj 'm-eus | kleved | ma zud | o lared... | |||
pensée R.1SG-a | entendre | mon2 parents | à dire | ||||
'Je me rappelle entendre mes parents dire....' | Uhelgoat, Skragn (2002:56) |
Morphologie
La particule o4 précède toujours un verbe infinitif. Elle déclenche sur lui une léni-provection. Ce déclencheur de mutation est représenté ici par le chiffre 4 en exposant.
variation dialectale
La variation dialectale de cette particule aspectuelle est documentée dans la carte 474 de l'ALBB, traduction de 'il est en train d'aller...'. A travers les dialectes, on trouve cette particule préverbale sous les formes o, e, i, oc'h ou ouzh et doc'h.
Parfois, la particule n'est pas elle-même prononcée et sa présence est uniquement signalée par la mutation consonantique qu'elle provoque sur le verbe comme en Goëlo en (2). Cette mutation est sujette à variation de dialecte en dialecte.
(2) | ' falé, | ' foñnt, | ' freynañ | Goëlo | ||
o vale, | o vont, | o vreinañ | Standard | |||
en train de marcher | en train d'aller | en train de pourrir | ||||
'en train de marcher, aller, pourrir.' | Koadig (2010:83) |
Parfois, le verbe ne commence pas par une consonne mutable et il n'y a alors plus du tout d'évidence morphologique pour la particule.
(3) | [ pe vɛɤ | l̥abuˑɤǝ ] | Breton central | ||
pa vezer | o labourat | Standard | |||
quand est.IMP | à travailler | ||||
'Quand on travaille.' | Breton central, Wmffre (1998:36) |
On distingue les formes suivies d'un proclitique objet de celles qui précèdent directement le verbe infinitif.
sans proclitiques
Lorsque la particule apparaît directement devant le verbe, on trouve les formes o ou oc'h en KLT.
forme e
A Sein, en Léon, à Plougrescant ou à Groix, la particule est prononcée /e/.
(6) | Ma fri | 'zo | e | vera. | ||
mon nez | est | à4 | couler | |||
'Mon nez coule.' | Sein, Fagon & Riou (2015:'berañ') |
(7) | /xizo bed | eferniča / | ||||
elle.est été | à4 patelles.chercher | |||||
'Elle a été ramasser des patelles.' | Groix, Ternes (1970:252) |
Le Dû (2012:97) signale la forme e4 en trégorrois. On retrouve aussi une forme orthographiée e en Léon.
(2) | N'eus ket | aet den ebet | da baour | e trempañ | e zouar. | |
ne est pas | allé personne aucun | à1 pauvre | à fumer | son1 terre | ||
'Personne n'est tombé dans la pauvreté en fumant sa terre.' | ||||||
Léon, Mellouet & Pennec (2004:93) |
forme i
Ailleurs en vannetais, cette particule est orthographiée é mais prononcée [i].
(2) | Ne vin | ket me | mui amañ | é [INF | kennig dour deoc'h ]. | ||
ne serai.1SG | pas moi | plus ici | à4 | proposer eau à.vous | |||
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' | |||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:107) |
(3) | [hɛ | zo | (i) | [VP | fɔ̃ n | tǝn dɔ̃ :n] . | ||
Int | 'zo | o | vont | d'an traoñ | ||||
eux | est | à4 | aller | à le bas | ||||
‘Ils [les jours] vont en diminuant.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:212) |
François Louis (c.p.) précise que dans une bonne partie du bas-vannetais, on n'entend pas la particule [i], mais on entend distinctement devant les voyelles le [h] qui y est associé (cf. graphies en éh ou éc'h). Devant L, N, R, J, ce éc'h provoque un dévoisement de ces consonnes (cf. en gallois).
(4) | Ema ec'h ober | e damm marmouz! | ||||
est à4 faire | son1 morceau singe | |||||
'Il est à faire son bout de singe, il fait des grimaces.' | ||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:57) |
(5) | Atav | 'vez-heñv | é rekinal. | |||
toujours | est-lui | à4 rechigner | ||||
'Il fait le grincheux en permanence.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:57) |
La forme [i] est aussi signalée en pays bigouden (Goyat 2012:274).
devant proclitiques
Les formes ouzh en KLT et d'oc'h en vannetais et bord vannetais ne sont pas à proprement parler des variations dialectales, ce sont les formes sous lesquelles apparaît cette particule lorsqu'elle est suivie d'un proclitique objet.
De façon consistante à travers les dialectes, la particule o change de morphologie devant un pronom proclitique. Elle prend alors une forme qui ressemble de façon plus transparente à une préposition.
En KLT, sa forme devant un proclitique est ouzh.
La forme de la particule lorsqu'un proclitique objet apparaît devant le verbe est doc'h en vannetais et bord-vannetais.
(3) | jɔ̃ | wɛ | dɔʁ | [VP | mǝ hʁogɛ̃ɲ ] . | |
eñ | oa | o | me c'hregiñ. | |||
lui | était | à4 | me mordre | |||
‘Il était en train de me mordre.’ | Bas-vannetais, Cheveau (2007:207) |
(4) | Ma | ferson a lâre din | tuchantik, | a pa | oa doc'h | man deveriñ... | ||
mon2 | recteur R disait à.moi | tout.à.l'heure.DIM | quand | était à | me V | |||
'Mon recteur me disait tout à l'heure, quand il me donnait l'extrême onction...' | ||||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:178) |
(5) | Emaont | doc'h | en em lesaat. | |||
sont | à | se courtiser | ||||
'Ils se font la cour.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:29) |
Ternes (1970:304) rapporte qu'à Groix, cette construction progressive en o n'est pas compatible avec un pronom proclitique objet (une alternative avec la préposition / ̌jet/, gant, est alors utilisée).
Syntaxe
distribution
particule aspectuelle devant un infinitif
La particule o4 est toujours la tête d'un domaine non-tensé. Elle précède toujours directement un verbe infinitif.
- emañ o4 [VP vrevi e gorv.], 'Il est en train de se briser le corps.', Trépos (2001:§86)
Le fait qu'elle précède toujours le verbe la fait parfois analyser comme un rannig (cf. Cheveau 2007). Cette analyse s'appuie sans doute sur le fait que les rannigs a et e n'apparaissent jamais devant les verbes infinitifs. Cependant, la morphologie prépositionnelle de o/ouzh, ainsi que l'impact sémantique qu'elle obtient dans la plupart de ses constructions distinguent nettement la particule o des rannigs.
matrices infinitives
La particule o apparaît aussi dans les matrices infinitives.
(3) | Hag eñ | o redek | d'an | druilh drast. | |
et lui | à4 courir | de.le | N Adj | ||
'Et lui de courir à toute vitesse.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
propositions infinitives
Le domaine non-tensé sélectionné par la particule o peut être assez large pour contenir un sujet vide (PRO). Cette propriété permet de construire des structures où le sujet non-réalisé du verbe infinitif n'est pas co-référent avec celui de la principale.
Trépos (2001:§350) note justement qu'en (10), la particule o permet d'avoir la lecture J'ai vu votre mère qui allait à Quimper. En contraste, la particule en ur aurait été grammaticale, mais aurait bloqué la phrase à son interprétation (b.) où le sujet du verbe infinitif co-réfère avec celui de la principale.
(10) | [DP Ho mamm ]x | am-eusz gwelet | o | [VP PROx/z | vont da Gemper ]. | ||
votre3 mère | R.1SG-kaout vu | à4 | aller à Quimper | ||||
a. 'J'ai vu votre mère qui allait à Quimper.' | |||||||
b. 'J'ai vu votre mère en allant à Quimper.', | Trépos (2001:§350) |
Structures ECM
Le domaine non-tensé sélectionné par la particule o est une petite proposition, avec un sujet et parfois un objet. En (2), cette petite proposition est elle-même l'objet du verbe klevout, 'entendre'.
(2) | A-raog pellaad | diouz Penmarh | e karfen | kleved | [ SC | ahanout | o kana | Gwerz Penmarh ]. |
avant éloigner | de Penmarc'h | R4 aimerais | entendre | P.2SG | à4 chanter | chanson Penmarc'h | ||
'Avant de quitter Penmarc'h, j'aimerais t'entendre chanter la complainte de Penmarc'h.' | ||||||||
Léon, (Cléder), Seite (1998:93) |
sélection
La particule o semble parfois sélectionnée comme faisant partie de la grille argumentale d'un verbe ou d'une construction en particulier.
Chalm (2008:§D4) cite:
le verbe skuizhañ, '(se) fatiguer (de)', 'se lasser (de)', ainsi que les constructions verbales avec: koll, 'perdre': koll amzer, 'perdre du temps', koll arc'hant, 'perdre de l'argent', koll pasianted, 'perdre patience' tremen, 'passer': tremen amzer, 'passer son [du,le] temps' kaout, 'avoir': kaout mezh, 'avoir honte'; kaout plijadur, 'avoir plasir'; kaout poan, 'avoir du mal'... bezañ, 'être': bezañ nec'het, 'être inquiet', bezañ laouen, 'être content' et avec bet, participe passé du verbe bezañ, 'être' dans le sens de 'aller' (et 'revenu')
(1) | Laouen on | o vezañ amañ, | asambles ganeoc’h, | evit sinadur ofisiel | Ya d’ar brezhoneg (...). |
content suis | à4 être ici | ensemble avec.vous | pour signature officielle | oui à le breton | |
'Je suis heureuse d’être parmi vous pour la signature officielle de Ya d’ar brezhoneg.' | |||||
Standard, Lena Louarn, Présidente de l'Office de la Langue Bretonne, 22 avril 2009 |
(2) | Poan am-eus | o kredi | e vefen pare mad. | ||
peine R.1SG-ai | à4 croire | R serais guéri bien | |||
'J'ai peine à croire que je serais vraiment guéri.' | Léon,Fave (1998:132) |
(3) | Koll a raen | ma amzer | o klask. | ||
perdre R faisais | mon temps | à4 chercher | |||
'Je perdais mon temps à chercher.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
(4) | Skuizhañ a ran | o | touzañ ar geot. | ||
fatiguer R fais | à4 | tondre le herbe | |||
'Je suis fatigué.e de tondre l'herbe.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
(5) | Bet eo | o | kerc'hat he sac'h. | ||
été est | à4 | prendre son2 sac | |||
'Elle est allée prendre son sac.' | Standard, Chalm (2008:D4) |
Sémantique
progressif
La particule o4, ou sa variante vannetaise é4, est prototypiquement la particule du progressif du groupe verbal qu'elle introduit. Sémantiquement, l'aspect progressif marque l'inclusion du temps de la phrase dans le temps du prédicat.
(1) | Gwall | drist | e oa gwelet | [ SC | an traoù-se holl | é kouezhel | tamm àr-lec'h tamm ] |
très1 | triste | R était voir | le choses-là tout | à4 tomber | morceau après morceau | ||
'C'était triste de voir tout cela tomber peu à peu en ruines.' | Vannetais, ar Meliner (2009:16) |
L'usage de la particule o avec le verbe de situation emañ fixe sa lecture au progressif.
Elle est alors traduisible en français par en train de (cf.C'était triste de voir tout cela en train de tomber peu à peu en ruines).
Comme la structure française, la structure bretonne ne supporte pas que le temps du prédicat, même réitéré régulièrement à l'intérieur du temps de la phrase, soit non-uniforme (Où es-tu en train de dormir ces temps-ci?).
(2) | Pelec'h | e kouskez ? | Standard | |||||||
Pelec'h | e vezez o kousket ? | |||||||||
Pelec'h | e kustumez kousket ? | Léon | ||||||||
* | Pelec'h | emaout o kousket ? | inadapté | |||||||
'Où dors-tu (ces temps-ci) ?' | Madeg (2013:7) |
L'expression gelée bezañ o chom, litt. 'être à rester', pour 'habiter' est une exception (cf. * Où es-tu en train d'habiter?).
(3) | Pelec'h | emaout o chom ? | ||
où | es à rester | |||
Où habites-tu (#ces temps-ci)?' |
L'emploi de la particule o est plus large que celui du progressif français en train de, comme illustré en (4).
(4) | Ni | vie | o redek | kuit | en tu all | dre an nor. |
nous | étions | à4 courir | parti | dans.le côté autre | par le porte | |
'Nous, on courait de l'autre côté par la porte.' | ||||||
Bas-Cornouaillais (Le Juch), Hor Yezh (1983:5) |
emplois non-progressifs
La particule o4 n'est pas réductible à l'usage du progressif. Elle est parfois sélectionnée par des adjectifs (bezañ pell o kanañ, bezañ laouen o kemenn...).
Chalm (2008:D4,n1) a noté que ces utilisations de o peuvent même être incompatibles avec le progressif. Par exemple en (1), il s'agit de la construction bezañ laouen, 'être heureux (de)'. La forme du verbe 'être' qui apparaît avec la particule o est la forme d'actualité int. La forme de situation correspondante, qui serait la marque du progressif, serait emaint.
(1) | Laouen int | o | klevet o | bugale | o komz e brezhoneg. | ||
heureux sont | à4 | entendre leur2 | enfants | à4 parler en breton | |||
'Ils sont heureux d'entendre leurs enfants parler breton.' | |||||||
Standard, A. Cousin, 'Ken eürus e galleg hag e brezhoneg' | |||||||
Finistère, Revue d’Information du Conseil Général du Finistère p.22. |
En (2), la forme emañ de la copule typique du progressif serait agrammaticale dans ce dialecte (An ebeulez n'emañ ket pell o skeiñ...).
(2) | An ebeulez na | oa ket bet pell | o skei ar harr | en e hourvez. | ||
le pouliche ne.R | était pas été long | à cogner le voiture | dans son1 couché | |||
'La pouliche ne fut pas longue à renverser la charrette .' | ||||||
Trégorrois, Gros (1989:'gourvez') |
En (3), l'action d'être tué, action ponctuelle s'il en est, montre que la structure aspectuelle du verbe n'est pas au mode progressif.
(3) | "Pupille de la Nation" | e oa bet Kongar, | e dad | o | vezañ bet marvet | er brezel. | |
R était été Kongar | son1 père | à4 | être été tué | dans.le guerre | |||
'Kongar avait été "Pupille de la Nation", son père ayant été tué à la guerre.' | |||||||
Standard, Denez (1993:23) |
circonstancielle de moyen
La particule o4 peut introduire une circonstancielle de moyen.
(1) | Tout | e vezont krevet | oc'h ober bourjinerezh, | o klask gwelet piv eo ar c'hapaplañ. | ||
tous | R sont crevé | à4 faire bêtise | à4 chercher voir qui est le capable.plus | |||
'Tous se crèvent en faisant des bêtises à essayer de voir qui est le meilleur.' | ||||||
Léon, Mellouet & Pennec (2004:160) |
Lorsque o introduit une circonstancielle de moyen, ce qui est traduit en français par le gérondif (en faisant...), on peut en breton utiliser la forme en ur à la place de o si le sujet de l'infinitive coïncide avec le sujet de la matrice.
(3) | Amañ em eus | klasket strollañ | ar pezh a zo bet | skrivet gantañ | diwar-benn ar politikerezh, | ||
ici R.1SG a | cherché grouper | ce que R est été | écrit par.lui | sur le politique | |||
[ o4 tastum | e destennoù | diwar-benn Breiz Atao, | ha diwar-benn | an Istor ]. | |||
à4 collecter | son1 textes | sur Breiz Atao | et sur | le Histoire | |||
'J'ai cherché ici à rassembler ses écrits sur la politique, en collectant ses écrits sur Breiz Atao et sur l'Histoire.' | |||||||
Standard, Denez (1993:33) |
(4) | [ O4 selaou an dud ] | en doa desket | ur bern traoù. | |||||
à4 écouter le gens | R.3SGM avait appris | un tas choses | ||||||
'Il avait appris un tas de choses en écoutant les gens.' | ||||||||
Standard, | Chalm (2008:D4) |
o vezañ ma
La construction gelée commençant par o vezañ ma V peut introduire les infinitives de moyen.
(4) | [ O4 vezañ | ma oa | rust ar mor ] | e oa chomet | ar bigi | er porzh. | |
à être | que était | rude le mer | R était resté | le bateaux | dans.le port | ||
'Étant donné que la mer était mauvaise, les bateaux étaient restés au port.' | |||||||
Standard, Chalm (2008:D4) |
Diachronie
Ernault (1888b:246) signale que cette forme est relevée (au moins) depuis le moyen breton.
Horizons comparatifs
Cette construction est très similaire en moyen breton et en cornique.
(1) | my a grys | bos Tom | ow palas | y'n lowarth. | Cornique | ||
Me a gred | bout Tom | o palad | el luorz. | Moyen breton | |||
Me a gred | ema Tom | o palad | el liorz. | Breton | |||
moi R crois | est Tom | à bêcher | dans.le jardin | ||||
'Je crois que Tom est en train de bêcher dans le courtil.' | cité par Trépos (2001:§363) |
Le gallois, lui, a maintenant un usage différent de cette particule, qu'on retrouverait ici, dans la même phrase, aussi dans la proposition principale:
(2) | yr wyf yn credu | bod Tom | yn palu | yn yr ardd. | Gallois | ||
_ est prt/en croire | être Tom | prt bêcher | dans le jardin | ||||
'Je crois que Tom est en train de bêcher dans le courtil.' | cité par Trépos (2001:§363) |
L'usage de prépositions spatiales pour former un progressif n'est pas rare à travers les langues (Elle est à bêcher dans le jardin).
A ne pas confondre
Puisqu'elle sert à l'expression du moyen, la particule o4 recouvre partiellement celle de l'équivalent du gérondif français en ur1. Les deux particules ne doivent cependant pas être prises comme équivalentes.
Terminologie
Kervella (1947), considérant que o n'apparaît que devant les verbes, appelle en breton la particule o araogenn rannig-verb.
Bibliographie
- Yann Gerven. 2014. ' oc'h ober? en ur ober? traoù all? ', Yezhadur!, Alioù fur evit ar vrezhonegerien diasur, Keit Vimp Bev, 113-114.
- Stephens, J. 1983b. 'Talvoudegezh “o” hag “en ur”', Hor Yezh, 152:23-31.