Différences entre les versions de « Ober »

De Arbres
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== Description ==
=== Restrictions sur le contexte syntaxique ===
Dès le moyen breton, l'infinitif est en initiale de phrase et précède "presque toujours" l'auxiliaire (Leroux 1957:410). En breton moderne, la structure est restreinte aux phrases où l'espace préverbal serait autrement vide:
: - phrases simples ("matrices") car dans les subordonnées, l'espace préverbal est occupé par le complémenteur.
: - phrases sans focus préverbal (en contraste avec [[l'auxiliaire ober en moyen breton]])
Un cas épineux est celui de la négation préverbale. Dans quelle mesure la négation préverbale exclut-elle l'antéposition de l'infinitif en breton moderne? (cf. [[l'auxiliaire ober en moyen breton]]). - question ouverte.
Le verbe lexical conjugué par l'auxiliation en '[[Auxiliaire ober|ober]]' précède toujours cet auxiliaire. On ne trouve donc jamais l'ordre AUX-V. Une exception toutefois, dans le cas des ellipses du syntagme verbal comme en (2). Dans ce cas, le groupe du verbe infinitif non-prononcé est plausiblement après l'auxiliaire.
{| class="wikitable"
|(2)|| [ <sub>[[DP]]</sub> '''Ar re'''  || ''''neus''' || ur post tu bennag ], ||
|-
| ||  det ceux || a.3 || det poste côté quelconque ||
|-
| || pa  c'hall'''ant''' || [ degass || un douzh o familh || da labourad ba'r memes ti ] , || a '''ra''' [ '''Ø'''  ]
|-
| || quand  peuvent.3PL ||  apporter || 1 P 3PL famille || P travailler P det même maison || R fait.3SG
|-
|||colspan="4" | 'Ceux qui ont un emploi quelque part, lorsqu'ils peuvent faire venir quelqu'un de leur famille pour travailler dans la même maison, ils le font.'|||| Plourin (2000:42)
|}
=== Restrictions sur le verbe infinitif ===
En breton moderne, dans la plupart des dialectes, les verbes infinitifs peuvent s'auxilier avec le verbe ''ober'',  y compris lui-même (''ober a ran X'', /faire je fais X/ = 'je fais X'),
: sauf les verbes ''bezañ'', 'être' (*''Bez(añ) a ran X'' pour 'je suis X'
: et ''kaout/kavout'', 'avoir' (*''ka(v)out a ran X'') pour 'je possède X'.
Cependant, le verbe 'avoir', basé sur le verbe 'être', peut se conjuguer avec l'auxiliaire ''ober'' (litt. /faire être Y à quelqu'un/ = 'quelqu'un avoir Y'), et ce sous sa forme analytique en vannetais ou sous sa forme synthétique à Quimperlé (''kaout a ran un oto'', D.L).
{| class="wikitable"
|(3)|| '''''hur bout''' a ramb'' || nous avons
|-
| ||'''''hé dout''' e ré'' || elle avait
|-
| ||''hag '''en devout''' e rehè m'anemisèd?'' || est-ce que mes ennemis auraient...?
|-
| ||'''''hou poud''' a ra'' || vous avez (impersonnel)
|-
| |||||| Le Roux (1957) citant la [[Revue Celtique, Table des matières |''Revue Celtique'']] VIII:43, IX:265, XI:473.
|}
La structure auxiliée avec ''ober'' est attestée dans de multiples écrits, et dans tous les dialectes. L'exemple ci-dessous date de 1398.
{| class="wikitable"
|(4) || ferwet, ferwet, ferwet || '''donet''' || '''a rant'''.
|-
| ||fermez, fermez, fermez || venir || R font.3PL
|-
| ||'Fermez, fermez, fermez, ils viennent.'
|-
| |||| Vannes 1398, || noté dans Fleuriot (1997:26),(EC,t.11:146)
|}





Version du 17 juillet 2009 à 11:25

L'auxiliaire ober, 'faire', peut prendre comme argument une structure verbale lexicale (1) ou une petite proposition.


(1) Anavezout a ran __ katwoman.
connaitre R fais.1SG Catwoman
'Je connais Catwoman.'



en infinitives

En propositions infinitives, ober apparaît lorsque le verbe lexical qu'il prend comme argument interne lui est antéposé (ici, dans le cas d'une focalisation).


(7) Eno a zo kokouz penegwir ne vez ken med kargañ ar voz d'ober _
là R est coques C NEG est plus mais charger det poignée P faire
'Là, il y a des coques, puisqu'il n'y a quà charger (ramasser) avec les mains jointes (à pleines mains).' trégorrois, Gros (1984:13)


Horizons comparatifs

Leroux (1957:48), note que les trois langues brittoniques présentent la conjugaison formée au moyen de l'infinitif et de l'auxiliaire 'faire', et propose d'en faire remonter l'origine au brittonique commun. La construction périphrastique avec l'auxiliaire 'faire' est productive en cornique et en moyen gallois (Leroux 1957:408). Elle n'apparait que dans des tournures restreintes en gallois moderne: au prétérit, au futur et à l'impératif (Leroux 1957, citant Anwyll).

Leroux (1957:48): "l'irlandais ignore cette construction, qui existe aussi, plus ou moins développée, dans d'autres langues, en particulier en français, en anglais et en allemand." Comme les langues celtiques gaéliques n'ont pas cette construction, Leroux interroge une influence brittonique-latine pour la naissance de cette construction (cf. structure périphrastique en 'faire' en ancien français et latin). A noter cependant que l'auxiliaire 'faire' se trouve régulièrement dans des langues tout à fait indépendamment de l'influence du latin (par exemple en russe).


Ancien Français

Leroux (1957:48) fait remonter l'apparition de cette construction en français aux Formulaires et Capitulaires de Charlemagne. La construction viendrait d'un glissement en latin de:

domum aedificare facio, 'j'ai fait construire.[agentif] une maison'
à
domum aedificari facio, 'j'ai fait construire.[passif] une maison > j'ai fait qu'une maison soit construite > j'ai construit une maison.'


Fleuriot (1997:99-103) note aussi l'usage d'une structure à auxiliaire 'faire' en ancien français: "Dans certains cas, en ancien français, 'faire' suivi d'un infinitif n'a pas de sens factitif. "La périphrase équivaut alors à un verbe simple" (Ménard 1970:60§72). Il cite, entre autres: Or faites prendre cette épée pour 'Prenez donc cette épée'; ou Faites moi écouter pour l'impératif moderne 'Ecoutez'.


Français moderne

Une forme étrange existe en français, où le verbe faire semble avoir la même transparence sémantique que le verbe ober, 'faire' en breton. C'est la forme (ne) faire que INF, avec une lecture de focus contrastif obligatoire sur le contenu lexical du verbe infinitif. Le sujet de faire et celui du verbe infinitif y sont obligatoirement coréférents.

(9) Elle (ne) fait que dormir de toute la journée!
Je lui fais pas le ménage, je (ne) fais que prendre ses commissions.
Vous (ne) faites que prendre la mouche, aussi!


sélection d'une petite proposition

L'auxiliaire ober peut aussi sélectionner une petite proposition comme en (10). C'est le seul cas où l'argument interne de ober ne lui est pas antéposé.


(10) [ DP Ar berradou dour [...] ] a rae [ SC d'an aer beza yen-sklas]
det goutte eau R faisait P det air être froid-intensifieur
'les gouttes d'eau [...] rendaient l'air glacial.' Kerrien (2000:8)


Bibliographie

  • Corre, E. 2005. 'L’auxiliarité en anglais et en breton : Le cas de do et ober', Cercles, Occasional Papers Series 2, 27-52. PDF
  • Fleuriot, L. 1997. Notes lexicographiques et philologiques (langues celtiques), rééd. d'articles parus dans les Etudes Celtiques avec un index général établi par Gwennole Le Menn, Skol.
  • Ménard, P. 1970. Syntaxe de l'ancien français (Manuel de l'ancien français t.3), publié sous la direction d'Yves Lefêvre, Bordeaux, Sobodi.
  • Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.

corpus

  • Kerrien 2000. Ar Roc'h Toull (La roche percée), Armorica.