Différences entre les versions de « Ober »

De Arbres
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[[Bjorkman (2011)|Bjorkman (2011]]:180) propose au contraire que le verbe 'faire', et ''ober'' en breton, est la réalisation de la tête ''v°'', la tête du [[VP]] étendu, qui pour une raison particulière à chaque langue est [[linéarisée]] de façon non-adjacente au verbe lexical. [[Bjorkman (2011)]] argumente en montrant à partir du breton, du dialecte lombard de Monno et des langues germaniques scandinaves que l'insertion de l'auxiliaire 'faire' ne découle pas d'une impossibilité de lien entre le verbe [[lexical]] et la tête T. En breton comme en dialecte lombard, l'auxiliaire 'faire' apparaît alors même que le mouvement de V° en T° est par ailleurs possible. En scandinave, l'auxiliaire 'faire' est compatible avec la flexion du verbe lexical.
[[Bjorkman (2011)|Bjorkman (2011]]:180) propose au contraire que l'[[auxiliaire]] 'faire', dont ''ober'' en breton, est la réalisation de la tête ''v°'', la tête du [[VP]] étendu, qui pour une raison particulière à chaque langue est [[linéarisée]] de façon non-adjacente au verbe lexical. [[Bjorkman (2011)]] argumente en montrant à partir du breton, du dialecte lombard de Monno et des langues germaniques scandinaves que l'insertion de l'auxiliaire 'faire' ne découle pas d'une impossibilité de lien entre le verbe [[lexical]] et la tête T. En breton comme en dialecte lombard, l'auxiliaire 'faire' apparaît alors même que le mouvement de V° en T° est par ailleurs possible. En scandinave, l'auxiliaire 'faire' est compatible avec la flexion du verbe lexical.


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Version du 23 juillet 2021 à 10:36

Le verbe ober, gober signifie 'faire, réaliser'. C'est aussi un auxiliaire très employé pour former une conjugaison analytique. C'est un verbe irrégulier dans sa conjugaison car le radical est modifié.


(1) Klevout a ran ha kompren ne ran ket. Standard, Riou (1941:21)
entendre R1 fais et comprendre ne1 fais pas
'J'entends et je ne comprends pas.'


Morphologie

infinitif de ober

La carte 271 de l'ALBB documente la variation de l'infinitif. On trouve en vannetais la forme gober, qui se conjugue autrement sur la même racine ra qu'en KLT.


(2) [ bøde ɛʃtrohaɥɛdaɲmi a wija gober ən trəwsə ]
Bout eh eus estroc'h-evidin-me ha 'ouia gober an traoù-se.
être R y.a autre..plus.que.1SG-1SG que R sait faire le choses-ci
'Il n'y a pas[?] que moi qui sait faire ça.'
Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:36)


(3) Gober a ra pleg-kein lies.
faire R fait plie-dos souvent
'Il courbe souvent l'échine.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:38)


En guérandais, Brenn (2002) signale la forme infinitive zober.


formes des infinitifs conjugés avec ober

Georgelin (2016:'Displegañ ar verboù gant ober') note à Bégard une tendance à utiliser avec l'auxiliaire ober non pas la forme infinitive, mais la racine des verbes arriout, chaokat, degouezhout, gallout, gwelet, implijout, mankout, plijout, poanial, reiñ, soñjal, souetiñ, talvezout. Les verbes gonit, sentiñ et tostaat y sont cependant sous leur forme infinitive, ainsi que les verbes irréguliers mont et ober.


radical eure

Kervella (1947:142-143) rapporte une forme du passé en eure. En corpus du XX°, on trouve ces formes dans Al Lay (1925), Ar Gow (1962) ou Ar Floc'h (1985).


(4) Serri a eure d'ei he daoulagad. Bas-Trégor, Al Lay (1925:13)
fermer R fit à.elle son2 2.oeil
'Elle lui ferma les yeux.'


(5) Kalz fougasoù a eure ar baraer gant e gi yaouank... Pleyben, Ar Gow (1962:174)
beaucoup frimes R fit le boulanger avec son1 chien jeune
'Le boulanger frimait avec son petit chien...'


(6) Degouezhout a eure hepdale an tri all er gwaremm. Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:14)
arriver R1 faisait bientôt le trois autre dans.le garenne
'Les trois autres arrivèrent tout de suite après à la garenne.'


Hemon (2000:229) et Le Roux (1957:158-159) relèvent la forme eure en moyen breton, mais considèrent qu'il s'agit en breton du XX° siècle d'une forme litttéraire archaïsante. On en relève des formes en eure dans des corpus du XVIII° (en trégorrois pré-moderne, gret 'deus e hefort me 'eure ma hini, BUR20, Kernaudour 2017b).

On trouvait aussi en moyen breton la forme guere.

  • rac disprisa a guère pep tra mondain.
'car elle méprisait toute chose mondaine', Breton 1576, Ca., Loth (1890c:290)


radical gober

Gober est une forme assez répandue de l'infinitif en vannetais. C'est la forme gober qui est mutée en (1).


(1) 'mè ke' mé daou pe dri faz da r'hor. Cornouaillais de l'Est (Riec)
Ne 'm beze ken met daou pe dri faz da c'hober. Equivalent standard
ne1 1SG avait plus mais deux ou1 trois2 pas à1 faire
'Ce n'était qu'à deux pas de chez moi.'
Bouzec & al. (2017:89)


C'est aussi la forme rare du radical dans té gobéro dë zèbagn , te a ray da zebriñ, 'tu feras à manger' rapporté par Le Ruyet (2012b) à Séné.

Dans l'ALBB, le verbe gober est conjugué consistamment sur la racine gober à l'Île d'Arz. La carte 264 'si nous faisons' obtient ma wobiramp, la carte 262 'si tu fais, si vous faites' ma wobires, ma wobiret, la carte 262 'si je fais' mar gobiran...


dérivation

grammaticalisation

En haut-vannetais du XXI°, Delanoy (2010) mentionne dobér 'besoin' (item de polarité négative; Mes ket dobér, 'Je n'ai pas besoin').

Syntaxe

Le verbe et auxiliaire ober 'faire', existe syntaxiquement en trois sortes (Stephens 1982:97):

 (i) une forme sémantiquement vide qui sert uniquement de support morphologique pour des traits de personne, denombre et/ou de temps. Cette forme apparaît directement une tête verbale infinitive, ou dans les questions en reprise
 (ii) une forme anaphorique qui sélectionne une petite proposition comme argument interne, 
 (iii) une forme lexicale servant aussi de semi-auxiliaire causatif.


En (1), la forme gra de ober est une forme qui offre uniquement un support morphologique pour les traits de personne et de temps.


(1) Da vamm ne gaozea ket brezhoneg diouzhit, gra ?
ton1 mère ne1 parle pas breton à.toi fait
'Ta mère ne te parle pas breton, si ?'
Trégorrois (Bégard), locuteur né en 1920, Yekel (2016:'goulenn nac'h')


L'exemple en (2) montre bien la différence entre ober support morphologique et ober lexical, qui a vraiment le sens de 'faire', 'réaliser'. On voit d'abord la forme sémantiquement vide de l'auxiliaire ober qui suit l'infinitif lavar 'dire' (i), puis le verbe lexical ober 'faire' (iii) utilisé en se prenant lui-même comme auxiliaire (i).


(2) Lavar a ra, ober ne ra ket.
dire R fait faire ne fait pas
litt. 'Dire il fait, faire il ne fait pas.'> 'Il dit, il ne fait pas.'
Trépos (2001:351)


Dans les cas (i, ii, et iii), ober porte les traits de mode, de temps et éventuellement d'accord du sujet pour un verbe lexical. Dans le cadre d'une énumération, une seule occurrence de ober peut suffire.


(2) Grognal, gwic'hal, oc'hal, doc'hal ha soroc'hal a rae, ma tlee beza klevet betek Toulzac'h, moarvat.
grogner grogner grogner grogner et grogner R faisait que devait être entendu jusqu'à Toulzac'h, probablement
'Il grognait, il piaillait, il grognait à nouveau, il grognait encore et encore, à tel point qu'on devait probablement l'entendre jusqu'à Toulzac'h.'
Kerrien (2000:86)


l'auxiliaire sémantiquement vide

Sémantiquement, cette structure analytique est totalement équivalente à sa contrepartie synthétique:


(2) Anavezout a ran katwoman. Katwoman a anavezan.
connaitre R fais Catwoman Catwoman R connais
'Je connais Catwoman.'


L'usage de cette forme sémantiquement vide de ober est restreint aux phrases avec une tête verbale infinitive antéposée (sans son objet ou autre argument, qui peuvent apparaître plus loin dans la phrase). Par exemple, l'objet y apparaît séparé de son verbe lexical comme en (2).

Cet auxiliaire sémantiquement vide est uniquement présent pour porter les marques d'aspect, de temps et d'accord éventuels du sujet. Il s'agit de la conjugaison analytique.


terminologie

Stephens (1982) parle d'auxiliaire 'sémantiquement vide'. Hewitt (1988a) appelle cet auxiliaire ober 'l'auxiliaire factice'. Jouitteau (2011) l'appelle l'auxiliaire 'support', et l'associe au paradigme de la conjugaison analytique.

ne pas confondre

Tous les ordres de mots avec un infinitif devant un auxiliaire ober ne sont pas des cas de conjugaison analytique. Certains sont des cas d'antéposition de VP où l'auxiliaire sélectionne un groupe verbal infinitif en entier. Leurs différences syntaxiques sont synthétisées dans la fiche sur les ordres à infinitif préverbal.

la forme anaphorique

L'auxiliaire anaphorique ober sélectionne un syntagme verbal (VP) (et non seulement une tête verbale). Dans le cas de reprise anaphorique d'ellipses, ober peut reprendre un domaine tensé.

AUX-V

On trouve quelques ordres [AUX.ober-VP]. Par exemple, dans les cas de focalisation du VP en nemet.


(1) Kaer he devoa klask lakaat he marc'h da vont buan, ne rea pep kammed nemet koueza war e benn.
beau 3SGF avait chercher mettre son2 cheval à1 aller vite ne1 faisait chaque pas que tomber sur son1 tête
'Elle avait beau chercher à lancer son cheval, il ne faisait que tomber sur sa tête à chaque pas.'
Léon (Saint Pol de Léon), Milin (1922:403)


Cet ordre [AUX.ober-VP] se trouve aussi dans le cas des ellipses du syntagme verbal comme en (2). Dans ce cas, le groupe du verbe infinitif non-prononcé est plausiblement après l'auxiliaire.


(2) [ DP Ar re 'neus ur post tu bennag ],
le ceux a.3 un poste côté quelconque
pa c'hallant [ degass un douzh o familh da labourad ba'r memes ti ] , a ra [ Ø ]
quand peuvent apporter un de leur2 famille à1 travailler dans le même maison R fait
'Ceux qui ont un emploi quelque part, lorsqu'ils peuvent faire venir quelqu'un de leur famille pour travailler dans la même maison, ils le font.'
Plourin (2000:42)


domaines infinitifs

L'auxiliaire anaphorique ober peut apparaître dans des domaines infinitifs. Typiquement, son argument interne est focalisé d'une manière ou d'une autre et l'objet d'un transitif y apparaît adjacent à son verbe lexical.


(7) Eno a zo kokouz penegwir ne vez ken med [ VP kargañ ar voz ] [ SC d'ober tVP ]
y R y.a coques C ne est plus mais charger le poignée à1' faire (VP)
'Là, il y a des coques, puisqu'il n'y a qu'à charger (ramasser) avec les mains jointes (à pleines mains).'
Trégorrois, Gros (1984:13)


(8) [VP Lavared ya pe nann krak ] 'n hini a vez [ SC d'ober tVP ]
dire oui ou non carrément le N R est à1' faire (VP)
'Dire carrément oui ou non, c'est ce qu'il faut faire.'
Trégorrois, Gros (1984:82)


(9) Ar vrumenn-ze na [ VP glebiañ ] na [ VP sehañ ] ne ra tVP
le 1brume- ni mouiller ni sécher ne1 fait ( ni VP ni VP )
'Cette brume-là ni ne mouille ni ne sèche (elle ne sert à rien).'
Trégorrois, Gros (1984:79)


C'est aussi cet auxiliaire que Stephens dit 'anaphorique', qui apparaît avec des ellipses de verbes infinitifs, comme avec les tournures d'intensification ken e ra ø, hag e ra ø. Il est plausiblement suivi d'une ellipse non-tensée du verbe qu'il modifie.


(8) Ar bugel-ze a labour ken e ra _[ø]_
le enfant- R1 travaille autant R fait
'Cet enfant travaille énormément.' Trégorrois, Gros (1984:50)


(9) Harz, ma faotr, ha gra _[ø]_ !
Aboie, mon2 garçon et fais
'Aboie, mon garçon, allez vas-y.' Trégorrois, Gros (1984:64)


reprise anaphorique d'ellipses

Les cas de reprise anaphorique d'ellipses sont étranges, car il serait impossible de rétablir l'ellipse tout en gardant la forme en ober.


graet

(2) Ma zeir c'hoar zo dimezet ha me n'on ket (bet) graet (morse).
mon2 trois sœur est marié et moi ne'suis pas (été) fait (jamais)
'Mes trois sœurs sont mariées, et moi je ne l'ai pas été (jamais).' Favereau (1997:§374)


ober

(3) /məmbez guləne kã li:w ̌jəti, me Xifoteče təXi gober den/
Me 'mbez goulennet kant lev geti met hi faote ket dezhi gober din.
moi.a demandé 100 franc avec.elle mais elle.fallait.pas à.elle faire à.moi
'Je lui ai demandé cent francs, mais elle ne voulait pas me (les) donner.'
Groix, Ternes (1970:321)


restrictions sur le verbe infinitif

Tous les verbes infinitifs ne peuvent pas se conjuguer avec l'auxiliaire ober.

En breton moderne, dans la plupart des dialectes, les verbes infinitifs peuvent s'auxilier avec le verbe ober, y compris lui-même (ober a ran X, /faire R fais X/ = 'Je fais X'), mais cette stratégie n'est possible ni avec le verbe bezañ 'être' (* Bez(añ) a ran X) pour 'je suis X' ni avec le verbe kaout/kavout 'avoir' (*ka(v)out a ran X) pour 'je possède X'.


De rares exceptions émergent à travers les dialectes. La copule existentielle peut être réalisée en breton central par l'expression bout a ra (cf. carte 80 de l'ALBB).


(1) Bout a ra tud a soñj gante ec'h on-me ur poeltron.
être R fait gens R1 pense avec.eux R suis-moi un poltron
'Il est des gens pour croire que je suis un pleutre.'
Breton central, Marie-Josèphe Bertrand, Kimiad paotred Plouilio


Le verbe kaout 'avoir' apparaît en conjugaison avec le verbe ober dans un manuel d'apprentissage des années cinquante en Léon, ce qui laisse à penser que les auteurs n'avaient pas conscience de la rareté de la structure.


(2) N'on ket souezet, rag kaout a ra ur spered lemm. Léon, Seite & Stéphan (1957:59)
ne1'suis pas surpris car avoir R fait un esprit aiguïsé
'Je ne suis pas surpris, car elle est vive d'esprit.'


En vannetais, le verbe 'avoir', basé sur le verbe 'être', peut se conjuguer avec l'auxiliaire ober (litt. /faire être Y à quelqu'un/ = 'quelqu'un avoir Y'), sous sa forme analytique (Ma 'm bout a ran (me)..., 'Si j'en ai (moi)', Favereau 1997:§418).


(3) hur bout a ramb 'nous avons'
hé dout e ré 'elle avait'
hag en devout e rehè m'anemisèd? 'est-ce que mes ennemis auraient...?'
hou poud a ra 'vous avez (impersonnel)'
Le Roux (1957) citant la Revue Celtique VIII:43, IX:265, XI:473.


variation dialectale

A Groix, la conjugaison avec l'auxiliaire ober est plus restreinte qu'ailleurs.

 Ternes (1970:280)
 "La troisième conjugaison a une valeur sémantique particulière: l'action est envisagée dans son développement ou sa durée (aspect duratif). L'emploi de cette conjugaison est particulièrement commun pour désigner les phénomènes de la nature (y compris le temps qu'il fait et le temps qui passe) et les sensations physiques.
 [...]
 Cet emploi de la troisième conjugaison ne coïncide pas avec l'usage dans d'autres dialectes bretons dans lesquels c'est cette conjugaison-ci qui est neutre sémantiquement. (P.ex. dialecte du Léon: gouzout a ran "je sais".) 
 Dans le breton groisillon, l'emploi de la troisième conjugaison est strictement limité à l'expression de l'aspect duratif."


En cornouaillais de l'Est intérieur, Naoned (1952:61) note que l'auxiliation en ober n'existe pas, à part pour des tournures exogènes venant d'autres dialectes (mont a ra, gober a ra glao, gout a rit...). Naoned (1952:61) précise que ober, à Scaër/Guiscriff, suit le verbe uniquement lorsqu'il y a une emphase lourde sur ce verbe. On trouve aussi mention d'une restriction sur l'auxiliation en ober dans Guillevic & Le Goff, p. 147.


semi-auxiliaire causatif

Ober est aussi un verbe lexical utilisé aussi comme semi-auxiliaire causatif. Il est alors associé à la préposition da et peut sélectionner une petite proposition.


(1) [ DP Ar berradou dour [...] ] a rae d' [ SC an aer beza yen-sklas ]
le gouttes eau R faisait à le air être froid-INT
'Les gouttes d'eau [...] rendaient l'air glacial.' Léon, Kerrien (2000:8)


(2) Lomig a raio d' [ SC ar vugale dastum avaloù ].
Lomig R fera à1' le1 enfants récolter pommes
'Lomig fera ramasser des pommes aux enfants.'
Trégorrois, Stephens (1982:101)


La structure causative est un des rares cas où l'argument interne de ober est réalisé après lui dans un domaine tensé.

 Trépos (2001:§439):
 "Lorsque l'infinitif suit la forme de ober', celle-ci a son sens propre.
 
 Me a ray sevel eun ti, 'Je ferai construire une maison'
 Sevel a rin eun ti, 'Je construirai une maison'              "

Expressions

ober war dro, 's'occuper de'

(1) Benn 'vez prenet un azen e vez dav gober war e dro, mallestoupen!
quand (R) est acheté un âne R4 est obligé faire sur son1 tour sacrebleu
'Quand on achète un âne on s'en occupe, sacrebleu!'
Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016b)


L'alternative est d'utiliser bezañ war dro.


Léon, Seite & Stéphan (1957:83)
(2) Va mamm eo a vez war-dro ar yér.
mon2 mère est R1 est autour le poules
'C'est ma mère qui s'occupe des poules.'


Diachronie et horizons comparatifs

L'exemple ci-dessous date de 1398. Dès le moyen breton, l'infinitif apparaît en initiale de phrase et précède "presque toujours" l'auxiliaire ober (Le Roux 1957:410).


(1) ferwet, ferwet, ferwet donet a rant.
fermez, fermez, fermez venir R font.3PL
'Fermez, fermez, fermez, ils viennent.'
Vannetais 1398, noté dans Fleuriot (1997:26),(EC,t.11:146)


Hemon (1975:240) considère un emprunt au latin opera. Le Roux (1957:48), note que les trois langues brittoniques présentent la conjugaison formée au moyen de l'infinitif et de l'auxiliaire 'faire', et propose d'en faire remonter l'origine au brittonique commun.


langues celtiques

langues brittoniques

auxiliaire initial

La construction périphrastique avec l'auxiliaire 'faire' est aussi productive en cornique et en moyen gallois (Le Roux 1957:408). Cependant, l'ordre auxiliaire/infinitif est inversé par rapport aux ordres de mots licites en breton.


(2) An pap a ruk y presia. Cornouaillais, BM.:2792.
E veulin a reas ar pab. Breton, cité dans Pennaod (1969:33)
'Le pape le loua'


Selon Le Roux (1957), citant Anwyll, la construction périphrastique avec l'auxiliaire 'faire' n'apparaît que dans des tournures restreintes en gallois moderne: au prétérit, au futur et à l'impératif.


(3) Gwnaeth Elin brynu torth o fara.
fit Elin acheter miche de pain
'Elin a acheté une miche da pain.'
Gallois moderne, Borsley & al. (2007:12)


idiosyncrasie en moyen gallois

Watkins (1993) note que l'auxiliation avec le verbe 'faire' n'est pas disponible en moyen gallois pour certains verbes, comme gwneuthur 'faire', bod 'être', geni 'naître', cael 'obtenir', gwybod 'savoir'. Meelen (2016) note cependant qu'il existe une variation car elle relève une structure avec ce dernier.


(4) A Gwybot a wnaeth Arthur...
et savoir prt fit Arthur
'Et Arthur sut que...'
Moyen gallois, BR.12.16, cité dans Meelen (2016)


autres langues celtiques

Le Roux (1957:48): "l'irlandais ignore cette construction, qui existe aussi, plus ou moins développée, dans d'autres langues, en particulier en français, en anglais et en allemand."

Puisque les langues celtiques gaéliques n'ont pas cette construction, Le Roux interroge une influence brittonique-latine pour la naissance de cette construction (cf. structure périphrastique en 'faire' en ancien français et latin). A noter cependant que l'auxiliaire 'faire' se trouve régulièrement dans des langues tout à fait indépendamment de l'influence du latin (par exemple en russe, basque ou coréen).

langues romanes

ancien français

Le Roux (1957:48) fait remonter l'apparition de cette construction en français aux Formulaires et Capitulaires de Charlemagne. La construction viendrait d'un glissement en latin de:

domum aedificare facio, 'j'ai fait construire.[agentif] une maison'
à
domum aedificari facio, 'j'ai fait construire.[passif] une maison > j'ai fait qu'une maison soit construite > j'ai construit une maison.'


Fleuriot (1997:99-103) note aussi l'usage d'une structure à auxiliaire 'faire' en ancien français: "Dans certains cas, en ancien français, 'faire' suivi d'un infinitif n'a pas de sens factitif. "La périphrase équivaut alors à un verbe simple" (Ménard 1970:60§72). Il cite, entre autres: Or faites prendre cette épée pour 'Prenez donc cette épée'; ou Faites-moi écouter pour l'impératif moderne 'Écoutez'.


français moderne

Il existe en français une forme du verbe faire où il semble avoir la même transparence sémantique que le verbe ober, 'faire' en breton. C'est la forme (ne) faire que INF, avec une lecture de focus contrastif obligatoire sur le contenu lexical du verbe infinitif. Le sujet de faire et celui du verbe infinitif y sont obligatoirement coréférents.


(5) Elle (ne) fait que dormir de toute la journée!
Je lui fais pas le ménage, je (ne) fais que prendre ses commissions.
Vous (ne) faites que prendre la mouche, aussi!


La conjugaison analytique déteint évidemment aussi sur le français de Basse-Bretagne:

  • Causer il fait, mais travailler, il fait pas!, Lossec (2010:90)


dialectes lombards

Des exemples de "do-support" à l'anglaise sont documentés dans d'autres langues romanes, comme le monnese, un dialecte lombard du nord de l'Italie parlé dans le village de Monno (Benincà & Poletto 2004).


(1) Ke fa-1 majà?
quoi fait-il manger
'Qu'est-ce qu'il mange?'
Monnese, Benincà & Poletto (2004:52)
(2) Ngo fe-t ndà?
fais-tu aller
'Où vas-tu?'
Monnese, Benincà & Poletto (2004:73)


autres langues

L'auxiliation avec un verbe sémantiquement léger de type ober 'faire' existe dans de nombreuses langues du monde. On en trouve de multiples exemples dans les langues germaniques (Platzack 2012); le néerlandais (Cornips 1994, 1998), en Danois (Houser & al. 2006), en suédois (Källgren & al. 1989), en norvégien (Lødrup 1990). Hors des langues indo-européennes, on en a des exemples en coréen ou en basque.


(1) Ik doe wel even de kopkes af wasse.
je fais prt juste le tasse prt lave
'Je vais laver les tasses.'
Néerlandais Cuijk, Atheme report 2015


(2) Chelswu–ka chayk-ul ilk-ci ani ha-ess-ta.
Chelsu.NOM livre.ACC lire-ci NEG faire.PASS.DECL
'Chelsu n'a pas lu le livre.'
Coréen, Hagstrom (1996)


(3) Ines etorri egin da.
Ines venir faire AUX
'Ines est VENUE.'
Basque, Haddican (2007:736)


Horizons théoriques

motivation pour l'insertion

L'hypothèse traditionnelle, et la plus répandue, est que l'insertion de l'auxiliaire 'faire' est une stratégie morphologique de dernier recours pour fournir un hôte aux morphèmes de flexion (Chomsky 1957, Lasnik 1981, Chomsky 1991, Bobaljik 1995, Embick & Noyer 2001). Pour l'insertion de ober en breton, Jouitteau (2005, 2011, 2012a, 2013, 2020b) se situe dans cette tradition d'analyse: suite à l'excorporation du verbe lexical pour réaliser V2 en dernier recours à l'étape de la linéarisation, le verbe 'faire' ober est inséré pour fournir un support morphologique aux morphèmes affixaux du temps et de l'accord.


Bjorkman (2011:180) propose au contraire que l'auxiliaire 'faire', dont ober en breton, est la réalisation de la tête , la tête du VP étendu, qui pour une raison particulière à chaque langue est linéarisée de façon non-adjacente au verbe lexical. Bjorkman (2011) argumente en montrant à partir du breton, du dialecte lombard de Monno et des langues germaniques scandinaves que l'insertion de l'auxiliaire 'faire' ne découle pas d'une impossibilité de lien entre le verbe lexical et la tête T. En breton comme en dialecte lombard, l'auxiliaire 'faire' apparaît alors même que le mouvement de V° en T° est par ailleurs possible. En scandinave, l'auxiliaire 'faire' est compatible avec la flexion du verbe lexical.

Terminologie

Le terme breton pour 'support' est skor. Lorsque l'auxiliaire sert uniquement de support morphologique pour la réalisation de traits de temps, nombre, personne, sans contenu lexical propre, on peut utiliser le terme verb skor. C'est le cas dans la conjugaison analytique en ober, ou dans les questions en reprise en ober.

Le terme verb skor, ou 'skorverb, est à mettre en contraste avec verb-skoazell, littéralement 'verbe de secours', qui est le terme pour 'auxiliaire'. KAG (2016) utilise le terme skoazeller.


Bibliographie

breton

  • Corre, E. 2005. 'L’auxiliarité en anglais et en breton : Le cas de do et ober', Cercles, Occasional Papers Series 2, 27-52. PDF
  • Fleuriot, L. 1997. Notes lexicographiques et philologiques (langues celtiques), rééd. d'articles parus dans les Etudes Celtiques avec un index général établi par Gwennole Le Menn, Skol.
  • Hewitt, Steve, 1988a. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', [La Bretagne Linguistique]], 4:203-11.
  • Jouitteau, M. 2012. 'Verb doubling in Breton and Gungbe; obligatory exponence at the sentence level’, The Morphosyntax of Reiteration in Creole and Non-Creole Languages, Aboh, Enoch O., Norval Smith and Anne Zribi-Hertz (éds.) [CLL 43]
  • Jouitteau, M. 2011. 'Post-syntactic Excorporation in Realizational Morphology: Breton Analytic Tenses', Andrew Carnie (éd.), Formal Approaches to Celtic Linguistics, Cambridge Scholars Publishing, 115-142. pdf sur lingBuzz/001169.
  • Le Roux, P. 1957. Le Verbe breton (Morphologie, syntaxe), Rennes, Librairie Plihon / Paris, Librairie Champion.
  • Stephens, J. 1982. Word order in Breton, Ph.D. thesis, School of Oriental and African Studies, University of London.
  • Wojcik, Richard, 1976. 'Verb fronting and auxiliary do in Breton', A. Ford, J. Reighard, and R. Singh (eds), Papers from the Sixth Meeting of the Northeastern Linguistic Society, Montreal Working Papers in Linguistics, vol.6., McGill University, Montreal.


horizons comparatifs

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