Démographie, nuptialité et brassage dialectal en Basse-Bretagne

De Arbres

Dans cet article, je rassemble les sources concernant la démographie en Basse-Bretagne au tournant de la révolution démographique, du XIXe au XXe, afin d'appréhender son impact sur la diversité dialectale dans les foyers, et par là son impact sur la variation dialectale. Deux points en particulier intéressent l'étude dialectale: la migration interne et la mobilité nuptiale.

Avec la baisse de la mortalité courant XIXe et une natalité très forte, la plupart des communes au XIXe montraient un excédent de population considérable donnant lieu à des départs des communes. Ces émigrants d'un dialecte breton allaient-ils, au moins en partie au contact linguistique de locuteurs d'un autre dialecte ? Quel est l'impact de ces migrations sur la flexibilité dialectale ? Une partie de cette migration est-elle nuptiale ? Quelle était la diversité dialectale au sein des couples ? La diversité dialectale des parents décide effectivement de l'input disponible pour l'acquisition du langage par la prochaine génération. Cet impact linguistique est en particulier frappant dans le cas des pratiques de tutoiement et vouvoiement en breton.


Augmentation du taux de natalité au XIXe

Alors qu'en France la natalité baisse au long du XIXe après la révolution démographique, en Bretagne la natalité continue d'augmenter et attire l'intérêt des démographes (Dumont 1889, 1890).

Pour le XIXe, Dumont (1890) constate dans le canton de Fouesnant un taux de nuptialité qu'il considère "parmi les plus considérables que l'on puisse observer en France", accompagné d'une augmentation de la natalité "notablement élevée pendant la décade 1873-1883, où elle se maintient, pour toutes les communes, entre 41,1 et 46,4 [naissances pour 1000 habitants]". Dumont décrit en 1890 un canton de Fouesnant très jeune, comptant seulement une personne de plus de soixante ans pour 22 habitants (Dumont 1890:444).

Dumont (1889) considère qu'en 1888, le département des Côtes-du-Nord détient un des taux de natalité les plus élevés de France. Mais le département n'est pas uniforme. Plus les communes sont pauvres, comme Belle-Île-en-Terre, et plus elles ont une natalité forte. Callac "généralement considéré comme étant [le canton] le plus pauvre de tous", a une natalité record avec "pendant la décade 1873-1883, une moyenne de 5,6 enfants par mariage" (Dumont 1890:441). Ceci dessine une explosion démographique différenciée, d'autant que la mortalité est "plus faible dans le canton de Callac que dans celui de Perros et même que dans une partie de celui de Paimpol".


nuptialité, accès à la terre et capital

Dumont (1889, 1890) lie l'explosion démographique différenciée entre les zones de Bretagne à une relation différente à la propriété. Le Finistère, remarquable par son taux de nuptialité ("presque tous les mariables [y] sont mariés") est caractérisé par une rareté d'accès à la propriété. Dans les communes aisées du Côtes-du-Nord (Nord Trégor et Goëlo), la volonté de préservation du capital foncier contre l'éclatement des héritages pose un un frein à la nuptialité.


petits propriétaires et nuptialité basse

Dans le département des Côtes-du-Nord dans les cantons plus aisés, sur la côte à Paimpol, à Perros-Guirec, et à Dinan la nuptialité chute au XIXe, entrainant une chute de la natalité globale malgré le nombre d'enfants par ménage qui restait similaire. Dumont (1889:312) relève par exemple à Plounez dans le canton de Paimpol un phénomène de célibat tardif pour la partie aisée du bourg. Les mariages y sont "le plus souvent vers 35 ou 40 ans pour les hommes, vers 30 ou 35 ans pour les femmes". Des fermes sont communément tenues par des fratries de célibataires.

 Dumont (1889:306)
 "A Plounez, à Kerfot surtout, un grand nombre de ménages sont composés de trois, quatre ou cinq frères et sœurs cultivant ensemble un petit bien de 1 000 à 1 400 francs de revenu et vieillissant sans songer au mariage. Ils redoutent un changement de condition, prétextent la crainte de ne plus pouvoir vivre chez eux et d'être obligés d'aller travailler à la journée chez les autres. […] Parfois il arrive que le plus jeune de la famille, au retour du service militaire, émancipé par l'air du dehors, signifie à ses frères et sœurs sa résolution de se marier. Cela jette la consternation dans le ménage ; c'est la division inévitable du patrimoine, le désarroi de l'association, la dispersion de ses membres. Alors chacun doit songer à soi, se créer un nouveau foyer, et il n'est pas rare de voir les quatre ou cinq frères et sœurs contracter mariage le même jour par économie, alors que les aînés ont la quarantaine ou même la dépassent."


La littérature du XIXe et du début du XXe confirme l'image d'une société au Nord du domaine brittophone où l'accès au mariage n'est pas évident pour un individu, qui doit prendre en compte les ressources de son tissu familial. Des célibats tardifs voire définitifs peuvent par exemple être provoqués par un aîné qui ne se marie pas pour cause d'études, et monopolise les ressources (Ar Floc'h 1937-1938).

Le célibat tardif n'est pas massivement compensé par des naissances illégitimes. Au milieu du XIXe siècle les hospices des Côtes-du-Nord reçoivent chaque année 600 à 1300 enfants abandonnés, ce qui en fait un des départements français les moins touchés. Les mères sont typiquement dans leur vingtaine, célibataires pauvres, domestiques ou journalières (Le Boulanger 2011).


domaine congéable et quévaise, nuptialité forte

Le domaine congéable, et la quévaise qui en est assez proche, sont une originalité du Droit Rural breton (pour une revue historique et juridique de détail, se reporter à Hamon 2006). Par ce domaine congéable, des ménages sans capital peuvent louer une terre (ar font) sans en être propriétaires et y faire subsister une famille. Ces "domaniers" ou "convenants" ne sont cependant pas des locataires: ils possèdent les "édifices et superfices"; bâtiments et talus qu'ils construisent, les arbres qu'ils plantent et les améliorations qu'ils apportent (ar gwir), lesquelles sont constatées et remboursées par le propriétaire si celui-ci venait à rompre le contrat. Le convenant transmet ses possessions en héritage à ses enfants (à part dans le vicomté de Rohan, où l'ensemble revient au seigneur). Le convenant peut lui-même prendre convenant.

La pratique du domaine congéable couvre un domaine comprenant le pays de Vannes et le vicomté de Rohan autour de Pontivy, la Cornouaille, le Trégor, à l'exception de l'évêché de Tréguier et du comté de Goëlo autour de Paimpol, ainsi que de la commune de Daoulas proche du Léon (Sée 1906:648, Le Roscouët 1992, Hamon 2006). Le Léon est à part (Hamon 2006), et la simple location des terres, le fermage, y est "presque exclusivement localisé dans [c]e riche diocèse". Sée (1906:650) décelait juste sur le fermage une influence des pratiques du domaine congéable voisin ("dans le pays de Léon et dans la juridiction de Daoulas, les fermes sont plus nombreuses que les convenants, mais elles sont soumises à un usement particulier, qui a subi l'influence du domaine congéable : elles sont le plus souvent de 9 ans, comme les baillées des convenants ; le fermier, comme le domanier, doit acquitter une commission assez élevée, et il doit donner pour les corvées la somme même qui est prescrite par l'usement de Cornouaille").

On trouve aussi des modulations du domaine congéable en Tréguier: l'arrière grand-père de Jules Gros était domanier au début du XIXe à Trédrez, dans la partie occidentale de Tréguier. Les édifices n'y sont cependant pas héritables:

 TBP.I:9:
 "Fañch an Alan 'oa ur massoner en devoa savet e di e hunan en traoñv Koad-Tredrez, koad pin, 'kichen ar maner er penn-mañ d'ar c'hoad, gant un tamm douar 'oa ket dehañ eveljust. Gwechall veze gwraet traoù evelse alies. Hag a vese savet un ti gant un tamm douar bennag, ha neuse na vese nemed ar gwir, an heni en devoa savet anehañ, ar font 'oa ket dehañ. Gwechall 'vese komz deus gwir ha font. Ar gwir 'oa an dra 'oa savet, un ti, pe ul loch, pe ur c'hraou, hag an douar 'oa ar font. An heni a oa ar gwir dehañ, a vese hanwet ar gwirer, hag an heni a oa ar font dehañ a oa ar fontcher. Pa varwe an heni en devoa savet an ti, a degouezhe an ti d'ar fontcher."

Dans les terres des Monts d'Arrée, où les seigneuries ecclésiastiques depuis le moyen-âge voulaient favoriser l'installation de main d'œuvre pour le défrichement et la culture, la formule de domaine congéable est modulée en "quévaise" (Sée 1906:648, Laurent 1972). Chaque paysan nouveau venu obtient un emplacement de maison, un petit jardin et un lopin de terre contre obligation de culture d'une partie des terres, un prélèvement sur les récoltes et quelques volailles. L'habitat y est regroupé et les parcelles égales. La division du patrimoine n'y est pas un risque, car seul le plus jeune des enfants hérite du contrat. Les filles ne sont pas exclues de l'héritage (Hamon 2006:fn 97). Cette formule encourage la natalité car le domaine revient au seigneur s'il n'y a pas de descendance (c'est le cas aussi dans le domaine congéable pratiqué dans le vicomté de Rohan). La "Motte" est une autre formule encore plus proche du droit féodal, et disparaitra, comme la quévaise, à la Révolution.

Hamon (2006) fait remonter le domaine congéable "au moins depuis le milieu du XIIIème siècle" et constate qu'il existe encore dans le nouveau Code Rural de 1983. Il a en effet survécu à la Révolution française. Une loi a d'abord aboli le domaine congéable, dont la terre peut alors être rachetée en août 1792, puis récupérée sans rachat en 1793. Mais ces lois sont abrogées ensuite par la loi du 9 brumaire an VI (30 octobre 1797), rejetant l'argument qu'il appartiendrait au droit féodal.

Comment le domaine congéable joue-t-il sur la démographie ? Selon Dumont (1889), la formule du domaine congéable favorise une nuptialité maximale, car elle la débarrasse de la peur de la division du patrimoine. Au XIXe, autour de Quimper, dans le canton de Fouesnant, la population est pauvre et ne possède pas les terres qu'elle travaille. La nuptialité y est maximale (et particulièrement remarquable pour les hommes). En 1881, les communes de Bénodet, Clohars, La Forêt, Gouesnac'h, Pleuven, Saint-Evarzec et Fouesnant ne comptaient, sur une population de 8007 habitants, que très peu de célibataires de plus de quarante ans (47 hommes et 70 femmes, Dumont 1889:429, 441).

Les modalités de la passation d'héritage dans les domaine congéables comprend des zones d'ombres. Certes, les "édifices et superfices" du convenant lui appartiennent, et il peut les vendre, les louer ou les léguer en héritage. Mais cet héritage est-il divisé entre tous les enfants ? Seulement l'aîné ? Seulement le plus jeune ? Les filles sont-elles inclues partout ? La variation de ces paramètres entre les paroisses a sûrement un impact et reste à préciser. Cependant, la formule est indéniablement adaptée à une explosion démographique. Dupuy (1999), pour la région de Lorient et Guidel, montre bien que la souplesse du système de sous-location le laisse s'adapter aux changements de situation de populations précaires, le rend propice à l'installation de sous-parcelles pour de nouveaux arrivants. La classe sociale qui a bruyamment critiqué le domaine congéable lors de la révolution pour ses traits féodaux (droit d'éviction permanent du propriétaire foncier) est en fait la classe des domaniers principaux qui voulaient capter seuls la rente dégagée par leurs sous-locataires. L'avantage de la formule perdure au long du XIXe, car le domaine congéable s'adapte souplement à la mobilité sociale-foncière post-révolutionnaire. La grande propriété seigneuriale et bourgeoise est très progressivement morcelée au profit de la moyenne et petite propriété paysanne.

Le domaine congéable au XIXe soutient la nuptialité, et par là l'explosion démographique. Le domaine nourrit, même pauvrement, en bout de chaine de sous-locations, ceux qui le travaillent. Les sous-locations permettent de bâtir et de créer des sous-domaines temporaires, l'un ou l'autre des héritiers rachetant ponctuellement des parts aux autres. Pour les enfants de foyers fondés sur des domaines congéables, fonder un foyer sans avoir un apport capital initial important n'impliquait pas de déclassement social comme en système propriétaire. La natalité forte fournit une main d'œuvre jeune, et assure par de vastes fratries un environnement de solidarité familiale pour les travaux agraires. Les propriétaires fonciers auraient pu légalement être un frein au bâti par peur que ces travaux leur demande un trop fort prix à la sortie du bail, mais en situation de demande, ces droits étaient juste augmentés pour les nouveaux entrants et augmentaient la rente.

nuptialité et religion

Selon Dumont (1888, 1889, 1890), l'église a un impact négatif évident sur la nuptialité. L'emprise inégale de la religion catholique à travers le pays participe au contraste entre les communes du Nord Trégor et Goëlo et de la Cornouaille.

Dans le canton de Fouesnant, Dumont (1889:425) considère que l'empressement des fidèles à sortir de l'église le dimanche et l'abandon des tombes dans le cimetière sont des indices que les cornouaillais "restent pliés aux pratiques religieuses avec plus de régularité que de zèle."


Dumont (1888:737) considère qu'à Bréhat, le mariage n'est contracté que si le manque d'aisance impose à un homme de prendre femme, par besoin de main d'œuvre. Dès que l'aisance s'installe, la nuptialité baisse en laissant voir les effets de la religion comme repoussoir au mariage. Dumont (1889:277) considère que les hommes du canton de Paimpol sont peu croyants mais que, par les femmes "pour qui le prêtre est un dieu, la religion a conservé une influence considérable sur les mœurs. Elle tend à leur faire regarder l'amour comme une embûche du démon, l'état de mariage comme très inférieur à celui de virginité". Le Nord du Trégor a aussi une petite communauté protestante. A part dans la commune intérieure de Tremel, le culte est restreint aux villes côtières comme Dinan qui accueillaient des anglais de façon saisonnière (Corbes 1961).

Explosion démographique différenciée et migrations intérieure

Les travaux de Dumont mettent en évidence une explosion démographique différenciée entre les cantons brittophones. Selon les généralisations qu'il dégage; à partir des cantons de Paimpol, Perros-Guirec, Fouesnant et Callac, les communes pauvres, montrant une faible emprise de l'église, et avec des accès aisés au bâti pour les pauvres ont du voir leur population exploser dans la seconde partie du XIXe, ce qui a créé une forte source d'émigration. En terme linguistiques, ces zones étaient exportatrices de locuteurs.


traces des mobilités internes dans les recensements

L'étude des recensements montre des soldes migratoires positifs ou négatifs sur les communes, et dessine des mouvements de population. Par exemple à Ploubazlanec, en situation semi-isolée de presqu'île, de 1831 à 1851, l'excédent de la natalité sur la mortalité est chaque année de 8,6 pour 1 000 habitants, mais l'augmentation de population a été de 293 habitants seulement. La moitié environ de l'excédent de la natalité a émigré au dehors, et l'émigration a dépassé de 276 le nombre inconnu des immigrants (Dumont 1889:291). On ne sait pas si ces mouvements étaient liés aux mariages, ni les destinations ou provenances de ces mouvements, mais des corrélations émergent.

Les villes comme Paimpol, qui ont une natalité faible tout le long du XIXe croissent cependant en habitants. C'est principalement dû à une attraction sur les populations rurales proches.

Cette émigration rurale est probablement accompagnée par un mouvement vers les côtes. Dumont (1889:286) note par exemple que dans les communes pauvres mais maritimes du département des Côtes-du-Nord, comme Kerity, Plouezec, Trélevern ou Trévou-Tréguignec, les recensements du début du XIXe révèlent un solde migratoire positif. Les communes agricoles proches de Yvias, Plounez ou Plourivo ont en effet exporté leur surplus démographique de 1800 à 1831. Dumont attribue ce mouvement à "l'attrait que la vie maritime exerce sur les populations pauvres de l'intérieur", sans préciser la nature de cet attrait.

Certaines zones accueillent clairement des populations nouvelles, mais sans que cela ait un impact sur le brassage des dialectes bretons. Dumont (1888:739) compte sur l'île de Bréhat 21% des habitants nés en dehors de la commune, mais ce sont probablement de nouveaux arrivants qui ne proviennent pas de Basse-Bretagne, suite à une baisse du foncier. De plus, les habitants y sont tournés vers le fonctionnariat et sont déjà, fin XIXe, en train de choisir préférablement le français comme langue d'échange.

Migration internes, nuptialité et sex-ratio

émigration différentiée

 Pelras (1966):172-3), sur Goulien en Cap Sizun:
 "Jusqu'en 1911, [l']émigration était surtout le fait des hommes ; le mouvement était beaucoup moins marqué chez les femmes ; depuis les cinquante dernières années [1906-1966], c'est l'inverse qui se produit : le déficit en femmes est presque le double de celui en hommes.
 […] à la fin du XIXe siècle, [l]es migrations temporaires touchaient particulièrement la population non agricole, beaucoup d'hommes partaient travailler comme maçons, à Brest, à Nantes, ou dans d'autres villes ; d'autres s'engageaient pour plusieurs années dans l'armée ou dans la marine, etc."


accroissement des fratries et endogamie

Selon l'hypothèse développée par Sutter & Tabah (1955), l'augmentation des fratries a une influence directe sur l'endogamie car elle fait apparaître pour chaque individu nombre de cousins jusqu'au sixième degré. La révolution démographique au tournant de l'ère industrielle implique, partout en Europe, le passage de systèmes où l'endogamie est fortement présente à des systèmes massivement exogames. La Bretagne ne fera pas exception, mais son passage à l'exogamie est nettement plus tardif. Fin XIXe et début XXe, l'endogamie y a été assez forte, avec des records européens.

Cela intéresse l'étude des migrations internes car dans les mariages endogames, la distance de commune d'origine entre conjoints est plus grande. Dans cette hypothèse, l'augmentation des fratries constatée fin XIXe en Centre Bretagne et en Basse Cornouaille met en ménage des conjoints dialectalement plus différents.


l'éclairage des généticiens des années 50

De façon détournée, les études de génétique des populations des années cinquante, qui s'appuyaient sur les documents d'archives des mariages et les consanguinités déclarées aux évêchés, peuvent nous renseigner à la marge sur les brassages inter-dialectaux induits par le mode de formation des familles.

Sutter & Tabah (1955) ont comparé les origines de conjoints des deux départements du Finistère et du Loir-et-Cher du XIXe et du début du XXe selon que les unions ont nécessité une dérogation religieuse pour des raisons de consanguinité (unions entre parents du premier degré jusqu'aux cousins au sixième degré). Sutter et Tabah considèrent que la persistance de l'endogamie est caractéristique des départements bretons. Ils comptent, pour 1911, 4,5% d'unions consanguines en Finistère. De plus, chaque guerre provoque à sa suite une petite poussée endogame, et les unions consanguines dépassent les 6% juste après la première guerre mondiale. Dans l'entre-deux guerres, elles se stabilisent autour de 2 ou 3 %, puis descendent à 2,9% en 1942 et enfin à 0,6% en 1949.

Dans le cadre d'une recherche linguistique, ce qui nous intéresse est la corrélation géographique et donc dialectale des pratiques nuptiales. Or, les unions consanguines induisent un principe d'anti-localité. Sutter & Tabah (1955) ont en effet montré que l'endogamie est corrélée avec une aire de choix des conjoints plus grande de quelques kilomètres que dans les unions non-consanguines. Plusieurs dimensions sociologiques peuvent expliquer ces faits. Le tabou incestueux rend plus acceptable le choix d'un conjoint d'extraction familiale si celui-ci provient culturellement d'une zone différenciée. La nécessité de partir d'un lieu saturé démographiquement pousse aussi à chercher des candidats plus loin géographiquement. Ce type de choix est rendu possible par un mode de sociabilisation rural en famille élargie, entre "cousins à la mode de Bretagne", où les familles voyageaient assez loin de chez elles pour des noces familiales durant plusieurs jours, ce qui constituait les rares occasions de sociabilisation non-religieuses pour les jeunes gens. Dumont (1890:425) note ainsi à Fouesnant fin XIXe que les noces sont "l'occasion de repas prolongés pendant plusieurs jours. On y chante encore un peu et l'on danse au son du biniou".

L'endogamie a diminué fortement dans la première partie du XXe. Sutter (1958:245) note en Finistère une chute significative du pourcentage de mariés domiciliés dans la même commune entre 1911-1912 (46,2%) et 1951-1953 (29%), ainsi qu'une chute des mariages endogames. La fin de la période endogame coïncide avec une extension de l'aire géographique de choix des conjoints plus forte, due à l'industrialisation, l'immigration et l'émigration, l'augmentation des moyens de transports, etc.

Sous l'hypothèse raisonnable que les brittophones se comportaient maritalement comme l'ensemble de la population finistérienne, cette période a été une période de brassage des dialectes bretons à l'intérieur des familles, dans un contexte d'installation massive du bilinguisme français.

Autres sources de migrations internes au XIXe

Dès le XIXe, quelques industries défaillantes peuvent déjà, sporadiquement, induire des migrations. Sébillot, en discussion de Dumont (1888), pointe par exemple que l'émigration à Bréhat peut être y être liée à l'arrêt de l'activité de la production de soude.


Diachronie

Dumont (1890) rapporte qu'avant la Révolution, les cérémonies de mariages comportaient des simulacres d'enlèvement.

La société du Bas-Léon au XVIII° est une société patriarcale sans ambiguïté. Les décisions concernant les futurs mariés sont prises par leurs pères. Le nouveau couple, selon l'accord entre les pères respectifs des futurs époux, pourra habiter dans la famille de la future épouse (matrilocal) ou du futur époux (patrilocal), mais dans les termes de la discussion il s'agit de choisir dans la maison du père de qui le couple restera. La valeur de la mariée dépend de sa virginité (Le Gonidec 1806:169) et son anneau est appelé ar c'habestr 'le licol' (Le Gonidec 1806:167). Dans la chambre nuptiale où les noceurs sont invités à chahuter les époux pour leurs trois premières nuits, la mariée, traditionnellement, pleure, mais le marié, non (Le Gonidec 1806:171). On retrouve déjà l'idée que le nombre d'enfants d'un ménage qui accède au mariage est limité par le capital familial, et dépasse rarement deux. En ce début du XIXe, l'implicite est que les gens n'ont que rarement plus deux enfants adultes mariables. Le destin des enfants "non-mariables" n'est pas mentionné. Les options peuvent être de travailler à la ferme, de partir dans les ordres ou de devenir journalier ailleurs, sans capital - toutes options associées au célibat. Le taux de nuptialité est fixé sur le capital.

 Le Gonidec (1806:166):
 "C'est [dans une auberge proche] que l'on détermine la dot que l'on donne de part et d'autre aux futurs époux: c'est là encore que l'on fixe la part de ménage à accorder à celui des deux qui restera dans la maison paternelle. 
 Cette portion de ménage varie suivant la fortune des parens, et le nombre d'enfans que l'on doit marier à la maison. S'il l'on n'en marie qu'un, il est d'usage de lui donner la moitié ou le tiers du ménage; si l'on en marie deux, on leur donne à chacun un tiers: si la ferme est considérable et qu'il y ait plusieurs enfans, on en marie quelquefois plus de deux dans la maison, et alors on donne à chacun un sixième seulement."

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bases de données

Le site de la TGIR (Très Grande Infrastructure de Recherche) Progedo liste de multiples sources de données historiques quantitatives disponibles en ligne.

  • Progedo – Développer la culture des données en sciences humaines et sociales [En ligne]. Création le 15 janvier 2020, disponible sur https://progedo.hypotheses.org Consulté le [25/11/2021].


Entre autres, l'INSEE fournit des bases de données en ligne sur les recensements au XIXe et jusqu'aux années 1925, avec des variables par département, ainsi qu'une bibliothèque numérique de la statistique publique qui comprend des références sur la Bretagne.