Différences entre les versions de « Morphème zéro »

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Un '''morphème zéro''' est un [[morphème]] qui a une existence syntaxique (et la plupart du temps sémantique) sans réalisation phonologique ni morphologique.
Un '''morphème zéro''', ou '''morphème vide''', ou '''morphème nul''', est un [[morphème]] qui a une existence syntaxique (et la plupart du temps sémantique) sans avoir de réalisation phonétique, phonologique ou morphologique.


On peut déceler son existence dans la structure, mais il n'est pas prononcé.


== Morphème zéro des nominalisations ==


Le verbe ''[[lavar]]'', 'dire', peut par exemple subir un processus de [[dérivation]] morphologique qui transforme le verbe en nom. Comme le résultat de cette [[dérivation]] est la forme identique ''lavar'', on postule l'addition d'un morphème nominalisant qui ne se prononce pas.
== Inventaire en breton ==




Un morphème zéro peut être en compétition avec un morphème réalisé, comme ici avec le [[morphème]] [[nominalisant]] ''[[-ians]]'':
=== morphème zéro agentif des nominalisations  de participes ===
 
La morphologie du breton rend disponibles des [[suffixes]] d'[[agent]] qui sont phonologiquement réalisés qui obtiennent un nom d'agent à partir d'une [[racine]] verbale, comme le suffixe ''[[-ad]]'' / ''[[-iad]]'' qui forme son pluriel en ''[[-idi]]''.
 
Il existe aussi un suffixe agentif qui n'est pas prononcé. La [[nominalisation]] du [[participe]] passé ''an daonet'' 'le damné' obtient sémantiquement un nom d'agent sans dérivation en ''[[-ad]]'' / ''[[-iad]]''. Ce morphème est morphologiquement vide uniquement au singulier. Au pluriel, c'est le suffixe ''[[-idi]]'' qui apparaît (''an daonidi'' 'les damnés' [[Vallée (1980)|Vallée 1980]]:XX), ce qui révèle une dérivation morphologique commune.
 
=== morphème zéro suffixe verbal de l'infinitif ===
 
Il existe un autre morphème zéro qui est un [[suffixe verbal de l'infinitif]]. Il obtient des verbes infinitifs sans désinence réalisée. La disponibilité de ce morphème zéro est sujet à variation dialectale.
 
C'est le cas dans ''[[kousk]]'' 'dormir', que l'on trouve aussi sous la forme ''kousket'', ou dans ''[[lavar]]'' 'dire' que l'on trouve aussi sous les formes infinitives ''lavarout'' ou ''lavaret''.
 
 
=== les noms déverbaux ===
 
==== morphème zéro des nominalisations sur infinitif ====
 
Il existe un morphème zéro [[exocentrique]] qui obtient un nom à partir de l'infinitif d'un verbe. C'est clairement l'infinitif du verbe et non sa base qui apparaît. Le verbe infinitif ''[[sevel]]'' 'monter' a une base en ''sav-''. On obtient ''ar sevel listri'' 'les chantiers navals', ''ar sevel-loened'' 'l'élevage', ''ar sevel heol'' 'le levant'.
 
 
En (2), on voit la forme ''ober'' et non ''gra-''. Le morphème zéro est ici en compétition avec un morphème réalisé, le [[morphème]] [[nominalisant]] ''[[-ians]]'':




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== Morphème zéro agentif des nominalisations ==
==== morphème zéro des nominalisations sur radical verbal ====


La morphologie du breton rend disponible des [[suffixes]] d'[[agent]], comme ''[[-ad]]'' / ''[[-iad]]'', qui obtiennent un nom d'agent à partir d'une [[racine]] verbale. Ce suffixe forme son pluriel en ''[[-idi]]''.
Un autre morphème zéro [[exocentrique]] qui obtient un nom à partir de l'infinitif d'un verbe. C'est clairement la base du verbe et non son infinitif qui apparaît. Le verbe infinitif ''[[sevel]]'' 'monter' de base en ''sav-'' obtient ''ar sav heol'' 'le levant'.


Il existe aussi un suffixe agentif qui n'est pas prononcé. La [[nominalisation]] du [[participe]] passé ''an daonet'', 'le damné', obtient sémantiquement un nom d'agent sans dérivation en ''[[-ad]]'' / ''[[-iad]]''.


Au pluriel cependant, c'est un pluriel de nom d'agent en ''[[-idi]]'' qui apparaît (''an daonidi'', 'les damnés' [[Vallée (1980)|Vallée 1980]]:XX), ce qui révèle une dérivation morphologique commune.
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L'unicité de ce suffixe zéro est cependant mise en cause par le fait que le genre des [[noms déverbaux]] à suffixe vide n'est pas stable. 
 
* Certains sont des noms féminins. On a ainsi sur le radical de ''[[treiñ]]'' 'tourner' ''[[tro]]'' 'tour', ''un dro'' 'un tour', ou bien sur le radical de ''[[kargañ]]'' 'charger' ''[[karg]], ur garg'' 'une charge', ou encore sur le radical de ''[[kaozeal]]'', ''[[kaoz]], ar gaoz'' 'une causerie'.
 
* Certains noms déverbaux sur radical sont masculins. [[Menard & Bihan (2016-)]] annoncent ''[[dle]]'' 'dette' (''daou zle''), ''[[had]]'' 'graine', ''[[sell]]'' 'regard' (''ur sell teñval'' 'un regard sombre') comme masculins.
 
 
Tous les noms homophones avec le radical du verbe ne sont pas des noms dérivés. Le nom ''labour'' n'est par exemple pas un nom déverbal du verbe ''labourat''. Au contraire, c'est le verbe ''[[labourat]]'' 'travailler' qui est dérivé par suffixation du [[verbe léger]] ''[[-at]]'' 'faire' sur le nom ''[[labour]]''.
 
==== problèmes pour l'analyse ====


Certains verbes ont un radical de l'infinitif et une base identiques. La variation dialectale doit aussi être prise en compte.


== Morphème zéro des verbes infinitifs ==
Prenons le verbe infinitif ''[[lavarout]]'' 'dire'. Il peut subir une [[dérivation]] morphologique qui transforme le verbe en nom sur sa racine ''lavar-''. Dans les dialectes où la forme infinitive n'est pas ''lavarout'' ou ''lavaret'' mais simplement ''lavar'', le résultat de cette [[dérivation]] est la forme nominale ''[[lavar]]'' 'langue, langage'. Il n'est alors pas évident que la base de la dérivation soit la racine verbale putot que son infinitif.


Quelques verbes, et cela est sujet à variation dialectale, ont un [[suffixe verbal de l'infinitif]] qui est un morphème zéro, comme ''[[kousk]]'' 'dormir', que l'on trouve aussi sous la forme ''kousket''.
== Horizons théoriques ==


=== modularité ===
A partir des données du néerlandais, Cavirani & van Oostendorp (2019) enquêtent sur la différence entre les morphèmes sans réalisation phonétique et les morphèmes qui en plus n'ont pas de matrice phonologique.


== Bibliographie ==
== Bibliographie ==
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* [[Awbery (2009)|Awbery, G. M. 2009]]. 'Pluralization in Welsh, and the Need for Phonologically Null Suffixes', ''[[Journal of Celtic Linguistics]]'' 13:1, University of Wales Press, 1-20.
* [[Awbery (2009)|Awbery, G. M. 2009]]. 'Pluralization in Welsh, and the Need for Phonologically Null Suffixes', ''[[Journal of Celtic Linguistics]]'' 13:1, University of Wales Press, 1-20.
* Cavirani, E. and van Oostendorp, M., 2019. 'Empty morphemes in Dutch dialect atlases: Reducing morphosyntactic variation by refining emptiness typology', ''Glossa: a journal of general linguistics'' 4(1), p.88. DOI: http://doi.org/10.5334/gjgl.689.




[[Category:fiches|Categories]]
[[Category:fiches|Categories]]

Version du 24 juin 2022 à 08:32

Un morphème zéro, ou morphème vide, ou morphème nul, est un morphème qui a une existence syntaxique (et la plupart du temps sémantique) sans avoir de réalisation phonétique, phonologique ou morphologique.

On peut déceler son existence dans la structure, mais il n'est pas prononcé.


Inventaire en breton

morphème zéro agentif des nominalisations de participes

La morphologie du breton rend disponibles des suffixes d'agent qui sont phonologiquement réalisés qui obtiennent un nom d'agent à partir d'une racine verbale, comme le suffixe -ad / -iad qui forme son pluriel en -idi.

Il existe aussi un suffixe agentif qui n'est pas prononcé. La nominalisation du participe passé an daonet 'le damné' obtient sémantiquement un nom d'agent sans dérivation en -ad / -iad. Ce morphème est morphologiquement vide uniquement au singulier. Au pluriel, c'est le suffixe -idi qui apparaît (an daonidi 'les damnés' Vallée 1980:XX), ce qui révèle une dérivation morphologique commune.

morphème zéro suffixe verbal de l'infinitif

Il existe un autre morphème zéro qui est un suffixe verbal de l'infinitif. Il obtient des verbes infinitifs sans désinence réalisée. La disponibilité de ce morphème zéro est sujet à variation dialectale.

C'est le cas dans kousk 'dormir', que l'on trouve aussi sous la forme kousket, ou dans lavar 'dire' que l'on trouve aussi sous les formes infinitives lavarout ou lavaret.


les noms déverbaux

morphème zéro des nominalisations sur infinitif

Il existe un morphème zéro exocentrique qui obtient un nom à partir de l'infinitif d'un verbe. C'est clairement l'infinitif du verbe et non sa base qui apparaît. Le verbe infinitif sevel 'monter' a une base en sav-. On obtient ar sevel listri 'les chantiers navals', ar sevel-loened 'l'élevage', ar sevel heol 'le levant'.


En (2), on voit la forme ober et non gra-. Le morphème zéro est ici en compétition avec un morphème réalisé, le morphème nominalisant -ians:


(2) Ar gloaneier a zo ker, hag an ober(ïans) anezo a zo ive.
le laine.s R est cher et le faire.(sfx) P.eux R est aussi
'Les laines sont chères, et leur façon (fabrication, travail, ici: leur tricotage) l'est aussi.'
Gros (1970b:§'ober-20')


morphème zéro des nominalisations sur radical verbal

Un autre morphème zéro exocentrique qui obtient un nom à partir de l'infinitif d'un verbe. C'est clairement la base du verbe et non son infinitif qui apparaît. Le verbe infinitif sevel 'monter' de base en sav- obtient ar sav heol 'le levant'.


Trégorrois (Perros-Guirrec), Konan (2017:27)
(1) Ranket am eus ober ur sav a-espres en noz-mañ da lakat ar c'hi da devel.
d.û 1SG a faire un lev.ø exprès en nuit-ci pour1 mettre le 5chien à1 taire
'J'ai du me lever exprès cette nuit pour faire taire le chien.'


L'unicité de ce suffixe zéro est cependant mise en cause par le fait que le genre des noms déverbaux à suffixe vide n'est pas stable.

  • Certains sont des noms féminins. On a ainsi sur le radical de treiñ 'tourner' tro 'tour', un dro 'un tour', ou bien sur le radical de kargañ 'charger' karg, ur garg 'une charge', ou encore sur le radical de kaozeal, kaoz, ar gaoz 'une causerie'.
  • Certains noms déverbaux sur radical sont masculins. Menard & Bihan (2016-) annoncent dle 'dette' (daou zle), had 'graine', sell 'regard' (ur sell teñval 'un regard sombre') comme masculins.


Tous les noms homophones avec le radical du verbe ne sont pas des noms dérivés. Le nom labour n'est par exemple pas un nom déverbal du verbe labourat. Au contraire, c'est le verbe labourat 'travailler' qui est dérivé par suffixation du verbe léger -at 'faire' sur le nom labour.

problèmes pour l'analyse

Certains verbes ont un radical de l'infinitif et une base identiques. La variation dialectale doit aussi être prise en compte.

Prenons le verbe infinitif lavarout 'dire'. Il peut subir une dérivation morphologique qui transforme le verbe en nom sur sa racine lavar-. Dans les dialectes où la forme infinitive n'est pas lavarout ou lavaret mais simplement lavar, le résultat de cette dérivation est la forme nominale lavar 'langue, langage'. Il n'est alors pas évident que la base de la dérivation soit la racine verbale putot que son infinitif.

Horizons théoriques

modularité

A partir des données du néerlandais, Cavirani & van Oostendorp (2019) enquêtent sur la différence entre les morphèmes sans réalisation phonétique et les morphèmes qui en plus n'ont pas de matrice phonologique.

Bibliographie

horizons comparatifs

  • Cavirani, E. and van Oostendorp, M., 2019. 'Empty morphemes in Dutch dialect atlases: Reducing morphosyntactic variation by refining emptiness typology', Glossa: a journal of general linguistics 4(1), p.88. DOI: http://doi.org/10.5334/gjgl.689.