Différences entre les versions de « Minimiseur »

De Arbres
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|(2)|| Bilzig ||'''gir''' ||''ne'' rannas.
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|||colspan="4" | 'Bilzig ne pipa mot.'|||| ''Bas-Trégor'', [[Al Lay (1925)|Al Lay (1925]]:33)
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| (4) || Me n'am-eus ||'''ket''' bet ||'''ur spilhenn''' || euz ti ||ma zad ||ha ma mamm.|||||| ''Trégorrois parlé (Trédrez)'', [[Gros (1966)|Gros (1966]]:112)
| (4) || Me n'am-eus ||'''ket''' bet ||'''ur spilhenn''' || euz ti ||ma zad ||ha ma mamm.|||||| ''Trégorrois (Trédrez)'', [[Gros (1966)|Gros (1966]]:112)
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||| [[pfi|moi]] [[ne]]'[[R]]<sup>[[1]]</sup>-[[kaout|a]]|| [[ket|pas]] [[bet|eu]] || [[eus|de]] [[ti|maison]] [[POSS|mon]]<sup>[[2]]</sup> [[tad|père]] ||[[&|et]] [[POSS|mon]]<sup>[[2]]</sup> [[mamm|mère]]
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|||colspan="4" | 'Je n'ai rien eu en héritage.'  
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(2) ''Ne glevan '''takenn''''' (/[[ne]]<sup>[[1]]</sup> [[klevout|entends]] goutte/, 'Je n'entends absolument rien.')
(2) ''Ne glevan '''takenn''''' (/[[ne]]<sup>[[1]]</sup> [[klevout|entends]] goutte/, 'Je n'entends absolument rien.')


(3) ''hep kousket '''tamm''''' (/[[hep|sans]] dormir morceau/, 'en passant une nuit blanche')
(3) ''hep kousket '''tamm''''' (/[[hep|sans]] [[kousk|dormir]] [[tamm|morceau]]/, 'en passant une nuit blanche')




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| (5) || Te n'ez || ket  '''kammed''' || d'an aot?
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| (6) ||...ha '''kammed''' den ||ne glevas ||komz ||anezhe.
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| ||colspan="4" |'Jean est abstinent.'  
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=== opaques en synchronie ===
=== opaques en synchronie ===

Version du 30 mai 2020 à 16:46

Les minimiseurs sont des éléments qui ont en commun d'emprunter sémantiquement à l'unité de mesure la plus petite d'une échelle de grandeur donnée. En (1), l'unité minimale est la miette, unité la plus petite possible de nourriture. Son usage est à mettre en relation avec le français classique 'mie'.


(1) N'em-eus ket debret eun elvenn abaoe deh.
ne'R4.1SG-a pas mangé une miette depuis hier
'Je n'ai pas mangé une miette depuis hier.' Trégorrois, Gros (1970b:§'elvenn')


A travers les langues, les minimiseurs grammaticalisent efficacement sous la négation (cf. le français pas un chat, un mot, âme qui vive...), mais à différents degrés.


Inventaire

 les noms den 'personne', gour 'homme', kristen 'chrétien', hini 'celui', tra 'chose', banne, berad 'contenu d'un verre', liv 'couleur', fulenn 'étincelle'
 takenn 'goutte', tamm 'morceau', kammed 'pas', seurt 'sorte', ket ...
 le préfixe dam-
 l'adjectif antéposé au nom dister 'insignifiant, négligeable' ou le préfixe dister- de même sens
 des onomatopées
 Le nom blev 'cheveux' est à part, car c'est un nom collectif, donc pluriel.


Syntaxe

noms comptables et collectifs

On pourrait s'attendre à ne trouver que des noms comptables au singulier parmi les minimiseurs, mais blev est un nom collectif sans son singulatif (blevenn).


(1) A : Argant zo genout? B : Bléw! Cornouaillais de l'est maritime (Riec)
argent est avec.toi cheveux
'A: tu as de l'argent sur toi? B: pas un sou!' Bouzec & al. (2017:101)


portée

Le nom nu peut se trouver juste au dessus de la négation.


(2) Bilzig gir ne rannas.
Bilzig mot ne dit
'Bilzig ne pipa mot.' Bas-Trégor, Al Lay (1925:33)


Chemin de grammaticalisation

avec un déterminant

Certains minimiseurs ne sont que faiblement grammaticalisés. Certains ont un déterminant, comme dans le français Ya pas un chat.


(2) E neb lec'h ne weled ket eur heotenn.
dans aucun lieu ne1 voit.IMP pas un 1herbe.SG
'On ne voyait pas un brin d'herbe.' Léon (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:209)


(3) Ar re-se ne reont ket ur fulenn. Trégorrois, Konan (2017:'fulenn')
le ceux-ci ne1 font pas un étincelle
'Ils n'en foutent pas une ramée.'


(4) Me n'am-eus ket bet ur spilhenn euz ti ma zad ha ma mamm. Trégorrois (Trédrez), Gros (1966:112)
moi ne'R1-a pas eu un épingle de maison mon2 père et mon2 mère
'Je n'ai rien eu en héritage.'

avec ebet 'aucun'

D'autres minimiseurs apparaissent avec ebet 'aucun'.

Avec ebet, un minimiseur a deux propriétés importantes pour son chemin de grammaticalisation. Le déterminant disparaît. Le groupe nominal en ebet confère une autonomie dans l'interprétation négative (les groupe nominaux en bet peuvent par exemple répondre seul à une question, sans la présence de la négation de proposition: Piv a deuio? Mennozh ebet 'Qui viendra? Aucune idée').


(4) 'vê ket gwel' lost ébet mui.
(ne1) est pas vu queue aucun plus
'On n'en voit plus l'ombre (d'une sardine).' Cornouaillais de l'Est, Bouzec & al. (2017:283)


(5) N'em eus gwelet liou ebet anezan abaoue ma'z eo eat ac'halen... Cornouaillais / Léon, Croq (1908:10)
ne1'R.1SG a vu couleur aucun P.lui depuis que4,+C est allé de.ici
'Je ne l'ai pas vu depuis qu'il est parti d'ici...'


(6) N'eus seblant lusk ebet gantañ da vonet... Trégorrois, Konan (2017:'ave')
ne1'est air mouvement aucun avec.lui de1 aller
'Il n'y a pas le moindre signe qu'il bougera...'


(5) N'eus kristen ebet o vale.
ne'y.a chrétien aucun à4 marcher
'Il n'y a pas âme qui vive.' Gourmelon (2014:104)

seconde partie de la négation

Certains minimiseurs, en usage de nom nu, sans ebet, grammaticalisent en seconde partie de la négation (kammed, littéralement 'pas'). On peut aussi citer avec Favereau (1997:284):


(1) Ne welan banne (/ne1 vois verre/, 'Je ne vois rien/goutte.'),

(2) Ne glevan takenn (/ne1 entends goutte/, 'Je n'entends absolument rien.')

(3) hep kousket tamm (/sans dormir morceau/, 'en passant une nuit blanche')


(4) Amañ n'eus ger a damm.
ici ne1'y.a mot de1 morceau
'Ici il n'est pas question de manger.' Trégorrois, Gros (1989:'gér')


(5) Te n'ez ket kammed d'an aot?
toi ne1'vas pas jamais à1'le grève
'Tu ne vas jamais à la grève?' Trégorrois, Gros (1970b:§'kammed')


(6) ...ha kammed den ne glevas komz anezhe.
... et jamais homme ne1 entendit parler P.eux
'Et jamais nul n'entendit parler d'eux.' Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:34)


Les minimiseurs qui ne peuvent pas servir de seconde partie de négation sont aussi ceux qui résistent à l'usage de nom nu (un elvenn, 'une miette', un ivinad, 'quantité enlevable avec l'ongle').


(5) Ne lakaan ket eun ivinad amann gand ma boued.
ne1 mets pas un onglée beurre avec mon2 nourriture
'Je n'ajoute pas une miette de beurre à mes aliments.' Trégorrois, Gros (1989:'kap')


C'est aussi le cas en français (Rooryck 2008).


(6) Jean n’a pas bu une goutte vs. * Jean n’a bu une goutte
* Jean n’a pas rien bu vs. Jean n’a rien bu Rooryck (2008)
'Jean est abstinent.'

opaques en synchronie

Certains minimiseurs complètement grammaticalisés en adverbes négatifs sont devenus opaques en synchronie.

L'adverbe négatif morse est la grammaticalisation d'un minimiseur, par un emprunt au gallo morcé 'morceau' (Ernault 1892b:353).

Selon Willis (2013:254), l'étymologie de ket par le moyen breton quet, serait à chercher dans un minimiseur pour 'habits' dont on trouve une trace dans un composé vieux breton guelcet 'habit de fête' (< guel 'fête' + cet 'habit').


expressions figées

Certains minimiseurs sont grammaticalisés à partir d'onomatopées. Ils sont alors tenus dans des expressions idiomatiques.


(7) gouzout na bu na ba
savoir ni bu ni ba
'piger que dalle' Trégorrois, Konan (2017:105)


Sémantique

item de polarité négative emphatique

En contexte négatif, un minimiseur contient un même implicite (Schmerling 1971), qui obtient un effet maximisant (> 'pas (même) la plus petite unité' > 'pas du tout'). Cet effet sémantique déborde les contextes de la négation propositionnelle, et ressemble plutôt aux contextes plus larges autorisant les items de polarité négative.

En (1), le nom nu den 'humain, personne' a le sens de 'la moindre personne, pas même une seule personne'.


(1) Hennez n'eo ket goest da zic'hrasio deñ.
celui.ci ne'est pas capable de1 désobliger personne
'Il ne ferait pas de mal à une mouche.'
Cornouaillais de l'est intérieur, Martin (1929:179)


En (2), un préfixe minimiseur porte la lecture implicite même dans une conditionnelle.


(2) Ma he-devoa klevet eun damhér bennag…
si 3SGF-avait entendu un demi1.mot quelconque
'Si elle avait entendu un demi-mot (la moindre parole).' Trégorrois, Gros (1984:372)


En (3), un minimiseur porte la lecture implicite même sous la portée d'une négation.


(3) Mat, Per, n'o doa ket frigaset un unan zoken.
bien, Per ne'3PL avait pas écrasé un un même
'Bien, Per, ils n'en avaient pas écrasé la moindre (pas même une motte). ' Léon, Abeozen (1986:59)


(4) Ne deu ket eun unan d'am goulenn !
ne1 vient pas un un pour'me demander
'Pas la moindre personne ne me demande (je n'ai pas le moindre prétendant).' Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347)


modification du minimiseur

Minimiser le minimiseur revient à créer un effet d'insistance sur la négation (an disterañ... 'la moindre...').


Horizons comparatifs

En français, certains minimiseurs sont des items de polarité négative: le moindre X, ou les VPs fermer l'oeil, lever le petit doigt ou faire du mal à une mouche, avec des indéfinis ou des définis faibles. Certains autres ont grammaticalisé en seconde partie de négation: pas, mie, goutte, point.

En anglais, on peut citer les équivalents sleep a wink, lift a finger, ou hurt a fly. La distribution des minimiseurs en anglais mimique celle des items de polarité négative. Chierchia (2013:58) donne des exemples où ils sont autorisés par la négation, l'antécédent d'une conditionnelle ou un prédicat adversatif (refuse, mais pas accept). Chierchia (2013:59) note aussi que certains des minimiseurs semblent plus restreints dans leur distribution, sans que la raison en soit apparente.

L'anglais n'a pas de négation bipartite, et la négation not dérive du mot négatif nothing, 'rien'.


Terminologie

Le terme anglais de minimizer, ou minimiseur en français, remonte à Bolinger (1972).

En breton, minimiser se traduit par disteraat, ce qui donne pour minimiseur disteraenn, nf.


Bibliographie

  • Bolinger, Dwight. 1972. Degree words. The Hague: Mouton.
  • Chierchia, Gennaro. 2013. Logic in Grammar: Polarity, Free Choice, and Intervention, Oxford Studies in Semantics and Pragmatics, Oxford University Press.
  • Rooryck, J. 2008. On the scalar nature of syntactic negation in French. (ms.)
  • Schmerling, Susan. 1971. 'A note on negative polarity', Papers in linguistics 4, 200-206.
  • Willis, David. 2013. 'Negation in the history of the Brythonic Celtic languages', David Willis, Christopher Lucas & Anne Breitbarth (éds.), The History of Negation in the Languages of Europe and the Mediterranean, 239-298.