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Les [[morphèmes]] singulatifs, comme ''[[-enn]]'', sont utilisés pour obtenir des entités singulières. La plupart apparaissent sur des [[noms collectifs]] ou [[massiques]].
Les [[morphèmes]] '''singulatifs''' sont utilisés pour obtenir des entités singulières à partir d'entités sémantiquement plurielles ou massiques. Le singulatif le plus connu est le suffixe ''[[-enn]]'' qui obtient ''gwezenn, ur wezenn'' 'arbre, un arbre' sur la racine plurielle ''[[gwez]]'' 'arbres'.


La plupart des singulatifs apparaissent sur des [[noms collectifs]] ou [[massiques]]. Le singulatif obtient un singulier dérivé.


== Suffixes singulatifs ==


=== ''-enn'' ===
== Inventaire des singulatifs ==


Le [[suffixe]] singulatif le plus communément utilisé est de loin le suffixe ''[[-enn]]''.
=== les suffixes ===


=== ''-ez'' ===
==== ''-enn'' ====


On trouve aussi le suffixe ''[[-ez (singulatif)|-ez]]''. [[Kervella (1947)|Kervella (1947]]:§342) donne ''brag'''ez''''', ''bragoù'', ''bot'''ez''''', ''botoù'', ''der'''ez''''', ''diri''. Ce suffixe tombe au pluriel.
Le [[suffixe]] singulatif le plus communément utilisé est de loin le suffixe ''[[-enn]]'' (se reporter à la [[-enn|page dédiée]]).


== Noms singulatifs ==


Une stratégie singulative consiste à associer à un nom collectif les noms ''penn'', 'tête', ''loen'', 'animal' ou ''[[pezh]]'', 'morceau' ([[Kervella (1947)|Kervella 1947]]:§343, [[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:236). [[Kervella (1947)|Kervella (1947]]:§343) donne aussi ''pe(m)mo'h'','cochon', ''penn-deñved'', 'mouton', ''loen-kezeg'', 'cheval'.
==== ''-ez'' ====


On trouve aussi comme singulatif le suffixe ''[[-ez (singulatif)|-ez]]''. [[Kervella (1947)|Kervella (1947]]:§342) donne ''brag'''ez''''', ''bragoù'', ''bot'''ez''''', ''botoù'', ''der'''ez''''', ''diri''. Ce suffixe tombe au pluriel.


[[Gourmelon (2014)|Gourmelon (2014]]:44) remarque que ce phénomène touche surtout les noms de groupes d'espèces et des ensembles hétéroclites (''penn chatal'', 'tête de bétail', ''pezh dilhad'', 'pièce d'habits (différents)', ''pezh arrebeurri'', 'meuble') ainsi que les noms finissant déjà en -''en'', dans une stratégie morphologique d'éviter le singulatif suffixal en ''[[-enn]]''.


== Singulatif sur singulier ==
=== les noms singulatifs ===


Des noms syntaxiquement et sémantiquement singuliers peuvent localement apparaître avec le singulatif ''-enn''.
Une stratégie singulative consiste à associer à un [[nom collectif]] les noms ''[[penn]]'' 'tête', ''[[loen]]'' 'animal' ou ''[[pezh]]'' 'morceau' ([[Kervella (1947)|Kervella 1947]]:§343, [[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:236). [[Kervella (1947)|Kervella (1947]]:§343) donne ''[[pemoc'h|pe(m)mo'h]]'' 'cochon', ''[[penn]]-[[deñved]]'' 'mouton', ''[[loen]]-[[kezeg]]'' 'cheval'.


Dans certains cas, le nom racine a été réinterprété comme [[collectif]], c'est-à-dire syntaxiquement pluriel ([[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:244 cite ''raz'', ''razenn'', 'rat'; ''to'', ''toenn'', 'toit'; ''gwal'', ''gwalenn'', 'alliance'; ''minwal'', ''minwalenn'', 'muselière').


Dans d'autres cas, le nom non-dérivé a tout simplement disparu ([[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:244 cite ''higenn'', 'hameçon' a un cognat ''hig'' en Cornique).
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| (4)||Pa veze || lazet || ar '''penn'''-moh ||e veze || eur gwall || zervez.
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| || [[pa|quand]] [[vez|était]] ||[[lazhañ|tué]] || [[art|le]] [[penn|tête]]-[[moc'h|cochons]] || [[R]]<sup>[[4]]</sup> [[vez|était]] || [[art|un]] [[gwall|sapré]]<sup>[[1]]</sup> || [[deiz|jour]]n.[[-vezh|ée]]
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| || colspan="10" | 'Quand on tuait le cochon ça nous faisait une sacrée journée.'  |||| ''Léon (Plouzane)'', [[Briant-Cadiou (1998)|Briant-Cadiou(1998]]:8)
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[[Gourmelon (2014)|Gourmelon (2014]]:44) remarque que ce phénomène touche surtout les noms de groupes d'espèces et des ensembles hétéroclites (''penn [[chatal]]'' 'tête de bétail', ''pezh [[dilhad]]'' 'pièce d'habits (différents)', ''pezh [[arrebeurri]]'' 'meuble') ainsi que les noms finissant déjà en -''en'', dans une stratégie morphologique d'évitement du singulatif suffixal en ''[[-enn]]''.
 
== Syntaxe et sémantique ==
 
=== singulatif sur singulier ===
 
Des noms syntaxiquement et sémantiquement singuliers peuvent localement apparaître avec le singulatif ''[[-enn]]''.
 
Dans certains cas, le nom [[racine]] a été réinterprété comme [[collectif]], c'est-à-dire syntaxiquement [[pluriel]] ([[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:244 cite ''[[razh, razhed|raz]]'', ''razenn'' 'rat'; ''to'', ''[[toenn]]'' 'toit'; ''gwal'', ''gwalenn'' 'alliance'; ''minwal'', ''minwalenn'' 'muselière').
 
Dans d'autres cas, le nom non-dérivé a tout simplement disparu ([[Trépos (1957)|Trépos 1982]]:244 cite ''higenn'' 'hameçon', qui a un cognat ''hig'' en Cornique mais aucun nom ''hig'' en breton moderne).
 
 
== Horizons comparatifs ==
 
Le recours à un [[morphème]] singulatif comme le suffixe ''[[-enn]]'' en breton n'est pas d'une originalité typologique ébouriffante: il existe entre autres un singulatif dans toutes les autres langues celtiques, mais aussi en berbère, dans les divers dialectes de l’arabe, dans les langues slaves, en swahili (langue bantoue) et en sorbe (Asmus & Werner 2015).
 
Les langues comme le français, qui n'ont pas de singulatif [[grammaticalisé]], doivent avoir recours à des classificateurs nominaux individuants pour isoler une sous-unité sémantique d’un nom massique. Cette sous-unité sémantique obtient un objet sémantique singulier qui peut ensuite être pluralisé.
 
 
''Lectures du pluriel des noms massiques et collectifs''
{| border="2" cellpadding="5" style="margin: 1em 1em 1em 0; line-height: 1.2em; border-collapse: collapse; background: #f9f9f9; border: 1px #aaa solid;"
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! collectif
! massique
! racine + classificateur individuant
! pluralisation
! ''sens obtenu''
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!(2)
! a.
| ''(du) bétail''
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| ''une tête de bétail''
| ''des têtes de bétail''
| pluriel d'entités distinctes   
|-
!
!  b.
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| ''(du) sel''
| ''une pincée de sel''
| ''des pincées de sel''
| pluriel d'entités distinctes 
|-
!
!  c.
|
| ''(de la) salade''
| ''un pied de salade''
| ''des pieds de salade''
| pluriel d'entités distinctes 
|-
!
!  d.
|
| ''(du) pain''
| ''un bout de pain''
| ''des bouts de pain''
| pluriel d'entités distinctes 
|}
 
 
Le français opère donc toujours comme dans les rares cas du breton où le singulatif n'est pas utilisé, en utilisant des unités individuantes comme ''penn'', 'tête' ou ''[[pezh]]'', 'morceau'. L'opération sémantique d'individuation peut être effectuée à l'intérieur même du mot comme en anglais en passant du [[nom massique]] ''snow'' 'neige' à ''snowflake'' 'flocon de neige'.
 
 
L'analyse fonctionnelle de [[Heinz (2009)]] lie le système gallois du [[singulatif]] à celui du [[diminutif]]. Elle note une tendance en gallois moderne pour les tournures analytiques, sous l'influence de l'anglais.


== Bibliographie ==
== Bibliographie ==


=== horizons comparatifs ===
=== horizons comparatifs ===
* Asmus, Sabine & E. Werner. 2015. 'Singulatives in Modern Celtic and Slavic Languages'', D. Johnston, E. Parina, M. Fomin (éds.), ''Yn llawen, yn llawn iaith: Proceedings of the 6th International Colloquium of Societas Celto-Slavica'', Llandysul: Gomer Press, 89-104.
* Harrison, Godfrey & Susan Jones, 1984. ‘The imperceptible marking of Welsh singulatives’, ''Cardiff Working Papers in Welsh Linguistics'' 3, 89–96.
* [[Heinz (2009)|Heinz, Sabine (Asmus). 2009]]. 'Diminutive Formations in Modern Welsh and Functions of their Formatives', Maria Bloch-Trojnar (éd.), ''Perspectives on Celtic Languages'', ''Lublin Studies in Celtic Languages'' 6, Lublin: Wydawnictwo KUL, 2009, 187-198.
* [[Irslinger (2011)|Irslinger, Britta. 2011]]. 'Les dérivés gallois, cornique en ''-yn'' / ''-en'', breton en ''-enn'' et irlandais en ''-ne'' : fonction et sémantique', Nelly Blanchard, Ronan Calvez, Yves Le Berre, Daniel Le Bris, Jean Le Dû, Mannaig Thomas (dir.), ''[[La Bretagne Linguistique]]'' 15:43-81.
* Irslinger, Britta. 2009. 'Singulativ und Kollektiv in den britannischen Sprachen', Uwe Hinrichs, Norbert Reiter et Siegfried Tornow (éds.), ''Eurolinguistik. Entwicklung und Perspektiven'', 233–53. (Eurolinguisitische Arbeiten 5) Wiesbaden: Harrassowitz.


* Nurmio, S. 2015. ''Studies in grammatical number in Old and Middle Welsh'', dissertation, St John’s College, University of Cambridge.
* Nurmio, S. 2015. ''Studies in grammatical number in Old and Middle Welsh'', dissertation, St John’s College, University of Cambridge.
* Pronk, Tijmen, 2015. ‘Singulative n-stems in Indo-European’, ''Transactions of the Philological Society'' 113(3), 327–348.




[[Category:articles|Categories]]
[[Category:articles|Categories]]

Version du 24 février 2021 à 18:11

Les morphèmes singulatifs sont utilisés pour obtenir des entités singulières à partir d'entités sémantiquement plurielles ou massiques. Le singulatif le plus connu est le suffixe -enn qui obtient gwezenn, ur wezenn 'arbre, un arbre' sur la racine plurielle gwez 'arbres'.

La plupart des singulatifs apparaissent sur des noms collectifs ou massiques. Le singulatif obtient un singulier dérivé.


Inventaire des singulatifs

les suffixes

-enn

Le suffixe singulatif le plus communément utilisé est de loin le suffixe -enn (se reporter à la page dédiée).


-ez

On trouve aussi comme singulatif le suffixe -ez. Kervella (1947:§342) donne bragez, bragoù, botez, botoù, derez, diri. Ce suffixe tombe au pluriel.


les noms singulatifs

Une stratégie singulative consiste à associer à un nom collectif les noms penn 'tête', loen 'animal' ou pezh 'morceau' (Kervella 1947:§343, Trépos 1982:236). Kervella (1947:§343) donne pe(m)mo'h 'cochon', penn-deñved 'mouton', loen-kezeg 'cheval'.


(3) Ar moh bihan o-devoa eur reun tano a oa êsoh da werza.
le cochons petit 3PL-avait un soies fin R1 était facile.plus à1 vendre
'Les porcelets avaient des soies fines qui étaient plus faciles à vendre.' Léon (Plouzane), Briant-Cadiou(1998:7)


(4) Pa veze lazet ar penn-moh e veze eur gwall zervez.
quand était tué le tête-cochons R4 était un sapré1 journ.ée
'Quand on tuait le cochon ça nous faisait une sacrée journée.' Léon (Plouzane), Briant-Cadiou(1998:8)


Gourmelon (2014:44) remarque que ce phénomène touche surtout les noms de groupes d'espèces et des ensembles hétéroclites (penn chatal 'tête de bétail', pezh dilhad 'pièce d'habits (différents)', pezh arrebeurri 'meuble') ainsi que les noms finissant déjà en -en, dans une stratégie morphologique d'évitement du singulatif suffixal en -enn.

Syntaxe et sémantique

singulatif sur singulier

Des noms syntaxiquement et sémantiquement singuliers peuvent localement apparaître avec le singulatif -enn.

Dans certains cas, le nom racine a été réinterprété comme collectif, c'est-à-dire syntaxiquement pluriel (Trépos 1982:244 cite raz, razenn 'rat'; to, toenn 'toit'; gwal, gwalenn 'alliance'; minwal, minwalenn 'muselière').

Dans d'autres cas, le nom non-dérivé a tout simplement disparu (Trépos 1982:244 cite higenn 'hameçon', qui a un cognat hig en Cornique mais aucun nom hig en breton moderne).


Horizons comparatifs

Le recours à un morphème singulatif comme le suffixe -enn en breton n'est pas d'une originalité typologique ébouriffante: il existe entre autres un singulatif dans toutes les autres langues celtiques, mais aussi en berbère, dans les divers dialectes de l’arabe, dans les langues slaves, en swahili (langue bantoue) et en sorbe (Asmus & Werner 2015).

Les langues comme le français, qui n'ont pas de singulatif grammaticalisé, doivent avoir recours à des classificateurs nominaux individuants pour isoler une sous-unité sémantique d’un nom massique. Cette sous-unité sémantique obtient un objet sémantique singulier qui peut ensuite être pluralisé.


Lectures du pluriel des noms massiques et collectifs

collectif massique racine + classificateur individuant pluralisation sens obtenu
(2) a. (du) bétail une tête de bétail des têtes de bétail pluriel d'entités distinctes
b. (du) sel une pincée de sel des pincées de sel pluriel d'entités distinctes
c. (de la) salade un pied de salade des pieds de salade pluriel d'entités distinctes
d. (du) pain un bout de pain des bouts de pain pluriel d'entités distinctes


Le français opère donc toujours comme dans les rares cas du breton où le singulatif n'est pas utilisé, en utilisant des unités individuantes comme penn, 'tête' ou pezh, 'morceau'. L'opération sémantique d'individuation peut être effectuée à l'intérieur même du mot comme en anglais en passant du nom massique snow 'neige' à snowflake 'flocon de neige'.


L'analyse fonctionnelle de Heinz (2009) lie le système gallois du singulatif à celui du diminutif. Elle note une tendance en gallois moderne pour les tournures analytiques, sous l'influence de l'anglais.

Bibliographie

horizons comparatifs

  • Asmus, Sabine & E. Werner. 2015. 'Singulatives in Modern Celtic and Slavic Languages, D. Johnston, E. Parina, M. Fomin (éds.), Yn llawen, yn llawn iaith: Proceedings of the 6th International Colloquium of Societas Celto-Slavica, Llandysul: Gomer Press, 89-104.
  • Harrison, Godfrey & Susan Jones, 1984. ‘The imperceptible marking of Welsh singulatives’, Cardiff Working Papers in Welsh Linguistics 3, 89–96.
  • Heinz, Sabine (Asmus). 2009. 'Diminutive Formations in Modern Welsh and Functions of their Formatives', Maria Bloch-Trojnar (éd.), Perspectives on Celtic Languages, Lublin Studies in Celtic Languages 6, Lublin: Wydawnictwo KUL, 2009, 187-198.
  • Irslinger, Britta. 2011. 'Les dérivés gallois, cornique en -yn / -en, breton en -enn et irlandais en -ne : fonction et sémantique', Nelly Blanchard, Ronan Calvez, Yves Le Berre, Daniel Le Bris, Jean Le Dû, Mannaig Thomas (dir.), La Bretagne Linguistique 15:43-81.
  • Irslinger, Britta. 2009. 'Singulativ und Kollektiv in den britannischen Sprachen', Uwe Hinrichs, Norbert Reiter et Siegfried Tornow (éds.), Eurolinguistik. Entwicklung und Perspektiven, 233–53. (Eurolinguisitische Arbeiten 5) Wiesbaden: Harrassowitz.
  • Nurmio, S. 2015. Studies in grammatical number in Old and Middle Welsh, dissertation, St John’s College, University of Cambridge.
  • Pronk, Tijmen, 2015. ‘Singulative n-stems in Indo-European’, Transactions of the Philological Society 113(3), 327–348.