Les prépositions

De Arbres

Les prépositions se reconnaissent par un faisceau de propriétés:


  • Les prépositions ont au moins un argument, contrairement aux adverbes.
  • Les prépositions ne sont pas toutes invariables et la plupart peuvent former des paradigmes, comme c'est le cas dans toutes les langues celtiques, et contrairement à l'anglais ou au français.
  • Les prépositions forment une classe importante qui est seulement semi-ouverte. Elles ne se créent pas facilement par création lexicale ou emprunt, mais elles sont nombreuses pour des éléments fonctionnels.
  • Sémantiquement, les prépositions peuvent avoir un contenu identifiable ou être purement fonctionnelles, c'est-à-dire que certaines d'entre elles comme da et a peuvent aussi servir uniquement de mots-outils (pour fournir un cas, ou fournir un support morphologique à l'incorporation d'un pronom).


L'article ci-dessous dresse un portrait syntaxique synthétique des prépositions bretonnes. Pour une vue plus détaillée sur chaque préposition, se reporter à leur tableau d'inventaire ou à la liste des prépositions référencées sur ce site.

Pour savoir quel verbe sélectionne quelle préposition, ainsi que pour les usages et tournures propres à la langue bretonne, on pourra se reporter à Gros (1970:chap.II), Favereau (1997), Fave (1998), ou aux différents dictionnaires du breton.


Prépositions simples

Les prépositions sélectionnent un argument interne qui peut être un groupe nominal (evit Laïla 'pour Laïla') ou une proposition infinitive (evit neuial 'pour nager').

Lorsque l'argument interne d'une préposition est un pronom, celui-ci apparaît incorporé morphologiquement dans la préposition, qui comprend donc un paradigme à toutes les personnes. Ce sont les prépositions fléchies (eviti, 'pour elle', evito da vont kuit 'pour qu'elles partent').

Toutes les prépositions ne peuvent pas incorporer leur objet pronominal. Par exemple la préposition ouzhpenn 'plus de' ne le peut pas.


variation dialectale et diachronique

L'usage des prépositions varie grandement selon les variétés de breton.

Dans certains dialectes, et pour certains locuteurs, des prépositions simples pourtant très utilisées comme eus, ouzh et diouzh ne sont maintenant pas différenciées (f. deus et doc'h).


prépositions purement fonctionnelles

Certaines structures grammaticales imposent la présence d'une préposition purement fonctionnelle, une préposition-outil qui ne contribue pas sémantiquement à la structure.

Ces prépositions sont les prépositions assignatrices de cas comme la préposition da, ou la préposition support a (ac'hanon, anezhi) qui peut fournir uniquement un matériel morphologique pour l'incorporation d'un pronom.


prépositions doublées

Il existe des paradigmes où plusieurs de ces prépositions purement fonctionnelles se suivent, de type da Yann da vont 'pour que Yann vienne'. On parle alors de prépositions doublées.


Une préposition peut aussi apparaître deux fois dans les paradigmes dits des prépositions fléchies. En (1), la préposition ouzh apparaît une fois seule, suivie directement de la même préposition ouzh sous sa forme outañ, c'est-à-dire avec un pronom incorporé de troisième personne du singulier masculin.


(1) Miroud a reent oh outañ da evezia euz hent Gwiler. Plouzane, Briant-Cadiou (1998:193)
empêcher R1 faisaient de de.lui de1 surveiller de route Guilers
'Ils l'empêchaient de surveiller la route de Guilers.'


Morphologie

accentuation

En breton, la plupart des catégories fonctionnelles ne portent pas d'accent de mot, au contraire des catégories lexicales. Les prépositions forment une catégorie intrinsèquement mixte qui reflète cette règle (cf. Hemon 1975c:§282). Les pronoms incorporés, eux, comme tous les pronoms, portent l'accent de mots.

composition des prépositions complexes

avec un nom

Les prépositions peuvent former des composés avec des noms.


(1) Bale, redek, nijal a rit-hu war-du an termen.
marcher courir voler R faites-vous sur-côté le terme
'Vous marchez, courez, volez vers le terme.'
SMM. (1864:32), cité dans Le Gléau (1973:45)


avec une autre préposition

Certaines prépositions sélectionnent une autre préposition comme leur argument interne et forment avec elle une préposition complexe.

Hingant (1868:§131) note, et c'est toujours valable en breton du XX°, que la préposition directionnelle a-glei, 'à gauche', ne se trouve pas sous la forme *a glei hañ, mais a-glei d'éhañ, /à gauche P.3SGM/, 'à sa gauche'.


 (Hingant 1868:§132)
 Abenn, signifiant 'directement', et var-éeun, doivent toujours être suivis de da : 
 Abenn d'ann ti-mañ, 'directement à cette maison'
 abenn d'he, 'directement à eux ou à elles' 
 var-éeun d'ar park, 'tout droit au champ'
 var-éeun d'éhañ, 'tout droit à lui', etc.


Kerrain (2001) cite abalamour din, a-dreñv din, a-drugarez dit, a-us dezhañ, enep dit, a-enep dezhi, a-wel d’an holl, en-dro dimp...


La seconde préposition est souvent purement fonctionnelle, comme la préposition da, qui peut n'apparaître que lorsqu'un pronom doit trouver un support d'incorporation. Des prépositions sémantiquement équivalentes peuvent servir de support d'incorporation morphologique (dreist) ou non (a-zioc'h, a-us).


(4) qement tra a zo dreistomp / a zioc'h deomp / a huz deomp
tout chose R1 est au-delà.nous / dessus de.nous / dessus de.nous
'tout ce qui nous est supérieur'
Rostrenen (1732:'supérieur')


Les paradigmes ne sont pas toujours uniformes, et sont sujets à des grandes variations diachroniques et dialectales.


variations dialectales

L'ALBB documente la variation dialectale des réalisations de différentes prépositions fléchies. L'une des tâches était de traduire le français 'attaché à'. Pour toutes les personnes du paradigme, on constate une grande variation dans la réalisation de la préposition choisie (diouzhin, deusouzhin, diwin, deuzon, dwiton...)

 carte 501 '(attaché) à moi'
 carte 502 '(attaché) à toi, à vous'
 carte 503 '(attaché) à lui, à elle'
 carte 504 '(attaché) à nous'
 carte 505 '(attaché) à eux'


autres exemples:

En 1868, le trégorrois Hingant note que betek, 'jusqu'à', ne se trouve pas sous la forme 1SG *betegon. Il note la forme betek ennon, /jusqu'à dans.1SG/, 'jusqu'à moi' (Hingant 1868:§130). A la même époque, en vannetais, Guillome, lui, a un paradigme entier (voir aussi Le Bayon 1878:52, Ernault 1904:22).


(2) 1SG bet ag on 1PL bet ag omb
2SG bet ag ous 2PL bet ag oh
3SGM beta-z-ou 3PL beta-z-hai
3SGF beta-z-hi Vannetais XIX°, : Guillome (1836:90-91): 'jusqu'à', bet a, bet ag


On trouve des formes fléchies simples de la même préposition en breton vannetais du XX°.


(3) N'am doug ket mui man divhar betagoc'h-c'hwi.'
ne me porte pas plus mon 2.jambe jusqu'à.2PL-2PL
'Viens Maryvonne, viens ici puisque mes jambes ne me portent plus jusqu'à toi.'
Vannetais, Ar Meliner (2009:113)


Syntaxe

îles pour le mouvement

Il n'est pas possible en breton d'extraire l'objet d'une préposition (pas de "preposition stranding", King 1982:90). Ce sont des îles pour le mouvement.


(2) ar plac'h a gomzan ganti / * gant. King (1982:90)
le fille R1 parle avec.elle / avec _
'la fille à qui je parle'

élision à l'initiale

Certaines prépositions simples sont régulièrement élidées si elles sont à l'initiale du premier groupe de la phrase.


(1) ø Daou gilometr dioh ouzom... Léon (Plouzane), Briant-Cadiou (1998:220)
(à) deux1 kilometr de de.nous
'A deux kilomètres de nous...'


Diachronie

Les prépositions complexes peuvent évoluer en prépositions simples: (Hingant 1868:§131) stipule que a-raok, 'avant', ne se trouve pas sous la forme *arok-oñ, mais sous la forme complexe a-rok d', /avant-P.1SG/, 'avant moi'. La forme araozon est cependant actuellement largement attestée dans la langue moderne.

La préposition enep 'contre' peut apparaître en composé avec la préposition da dans le vannetais de Guillome (1836), alors qu'elle est maintenant une préposition simple en breton standard.


(1) 1SG inep t'eign 1PL inep t'emb
2SG inep t'id 2PL inep t'oh
3SGM inep te-h-ou 3PL inep te hai
3SGF inep te hi Vannetais, XIX°.
Guillome (1836:90-91): 'contre', inep de.


Les prépositions complexes peuvent donc évoluer en prépositions simples. A l'inverse, des prépositions simples peuvent aussi évoluer diachroniquement en prépositions complexes.


Bibliographie

  • Gourmelon, Yvon. 2012. 'Displegañ an araogennoù pe chom hep ober?', Notennoù yezhadur, Al Liamm (éd.), 59-62.
  • Gourmelon, Yvon. 2012. 'Div araogenn dirak ar memes anv', Notennoù yezhadur, Al Liamm (éd.), 63-66. [rééd. 2008. Al Liamm 368, 81-84].
  • Gros, Jules 1970. TBP.I Le trésor du breton parlé I. Le langage figuré, chapitre II.
  • Kersulec, P-Y. 2005. 'Sell-lagad war un araogenn-gonsedin bennak e lavarioù ar "Chreisteiz bras"', Hor Yezh 241:5-14.
  • Ledunois, J. P. 2002. La Préposition Conjuguée en breton, thèse, Skol-Veur Roazhon, Atelier National de Reproduction des Thèses.
  • Trevidig, TG ( ?). 1977. 'Notennoù a-zivout ‘dre-benn’ – troienn araogennel ha stagell-abegañ', Hor Yezh 115-6 :37-48.

horizons comparatifs

  • Hirata, Ryuichiro. 2013. Preposition Stranding in Welsh, PhD. thesis, U. Bangor, pdf.
  • Rouveret, Alain. 1990. 'La nature des prépositions conjuguées', Anne Zribi-Hertz & Liliane Tasmowski (éds), Hommages à Nicolas Ruwet, Communication & Cognition, 529-555.