Les ordres T3

De Arbres

Il existe de nombreuses recherches concernant les éléments qui peuvent apparaître en zone préverbale et leurs ordres respectifs (Timm 1989, Schapansky 1996, Jouitteau 2005/2010, 2009...).

Dans les exemples ci-dessous, l'élément supplémentaire est signalé en caractères gras, et l'élément remplissant la zone préverbale est souligné d'un trait.


Adverbes + V2

Dans beaucoup de cas d'ordres à verbe en troisième position, il s'agit d'une phrase V2 classique précédée d'un type particulier d'adverbe.


adverbes d'évidentialité

En (2), marteze est un adverbe évidentiel; il marque l'attitude du locuteur vis-à-vis de son énoncé. L'adverbe apparaît au dessus de la négation.


(2) Marteze ivez n'he doa ket klasket Matriona kalz war o lerc'h.
peut-être aussi NEG 3SGF avait NEG cherché Matriona beaucoup P POSS.3PL suite
'Peut-être aussi que Matriona n'avait pas beaucoup cherché à les trouver.'
Treger (Kaouenneg)/standard, Ar Barzhig (1976:34)


compléments adverbiaux décrivant la scène

propositions temporelles

(1) Pan erruo ar brini du, douget gant an avel gwalarn, tostaat a reio ar goanv.
quand arrivera DET corbeaux noir porté P DET vent Nord-Ouest approcher R fera DET hiver
'Quand arriveront les noirs corbeaux poussés par les vents du nord, l'hiver approchera.' Le Bozec (1933:18)


propositions locatives

(2) Én èbr heneoah ne fehè bout kleuet boéhieu en Eled é kañnal d’er Peah.
P.DET ciel ce soir NEG serait être entendu voix DET anges P chanter P DET paix
'Dans le ciel ce soir, on ne pourrait entendre les voix des anges chanter à la paix.' vannetais, Herrieu (1974:41)

topique + NEG-V

Un topique peut apparaître au dessus d'une négation.


(1) An dour na vo nemet tommoc'h a ze.
DET eau NEG.R sera seulement chaude.plus P ça
'L'eau n'en sera que plus chaude' Tréguier, Leclerc (1986:130)


(4) /zân 'tomaz 'grédaz kén 'ɥelaz /
Sant Tomas ne gredas kent ne welas.
Saint Thomas NEG crut jusqu'à NEG vit
'Saint Thomas ne crut qu'une fois qu'il vit.' proverbe, Plourin (1982:669)

faux sujet + Adv

En (2), un faux sujet apparaît devant la proposition adverbiale temporelle.

Cet exemple est difficile à traiter comme une incise, car la proposition adverbiale temporelle est manifestement l'élément visible pour le rannig.


(2) Me, evel m'am bez evet un dakenn win, e lamm ar gwad dioustu em fenn.
Moi, comme C R.1SG ai bu DET goutte vin, R saute DET sang tout.de.suite P.1SG tête
'Moi, dès que je bois une goutte de vin, le sang me saute tout de suite à la tête.'
trégorrois, Gros (1984:55).

license poétique

Comme en français, la poésie et les chansons permettent des inversions et des topicalisations multiples que l'on ne trouve pas par ailleurs dans la langue orale.


objet + circonstanciel + NEG + verb

(7) Ar bank en tan ne lakaer ket _ _ _ _ Dre ma vez an alc'hwez kollet.
DET coffre dans.DET feu NEG met.IMP NEG objet CC de lieu P C est DET clef perdu
'On ne jette pas le coffre au feu pour en avoir perdu la clef.'
Barzaz Breiz 177-178, cité dans Menard (1995:17)


faux cas de V3

incises

Lorsque le rannig varie selon le premier élément d'un ordre V3, il est probable que l'élément entre les deux soit une incise, c.a.d. un élément qui n'intègre pas la structure syntaxique à par entière.


(8) Ar re-mañ, evid ar bloaz kenta e oant e Huelgoad,
ceux.là pour DET année premier R étaient P Huelgoat
a-noa bet c'hoant rei deom da weled petra a oa Meurlarjez 'barz o bro.
avait eu envie donner P.1PL P voir quoi R était carnaval P [[POSS].3PL pays
'Ils avaient eu envie, pour leur première année à Huelgoat, de nous montrer ce que c'était que le carnaval dans leur pays.'
breton d'Huelgoat, Skragn (2002:107)

modification de l'élément initial

En (8), la proposition circonstancielle de temps modifie non pas la phrase, mais le DP 'le cultivateur'. Le faux sujet est donc ici le seul élément devant le rannig.


(8) Al labourer douar, [ a-benn ma vez hanter-kant vloaz], a vez friket e gorf gand al labour.
DET travailleur terre, à.peine C est moitié-cent année R est brisé POSS.3SGM corps avec DET travail
'Le cultivateur, quand il arrive à cinquante ans, a le corps brisé par le travail.'
trégorrois, Gros (1984:53).

Horizons comparatifs

Les langues à verbe second (V2), à travers les langues du monde, sont de deux types. Dans le premier type, représenté par les langues germaniques telles que le norvégien, il n'y a qu'un seul élément qui peut apparaître devant le verbe tensé. Dans le second type, comme en breton, il peut y avoir plus de matériel devant le verbe tensé, du moment qu'il y a au moins un élément. Le breton n'est pas la seule langue V2 à autoriser des ordres V3. C'est aussi le cas du Rhaeto-romance ou du Karitiana (langue Arikém parlée par 350 personnes au Brésil).

Dans l'exemple du karitiana en (1), on peut remarquer que par rapport au breton, les places prespectives du focus et du topique suspendu sont inversées. Comme en breton cependant, le focus et le topique suspendu peuvent apparaître tous deux devant le verbe tensé. De tels ordres de mots sont complètement agrammaticaux en norvégien.


(1) [Gok myry' in] yn na-amang andyk-i (yn) .
manioc seulement 1SG décl.planter ASP-futur 1SG
'Quant à moi, je ne planterai que du manioc.'
karitiana, Storto 2011.


Bibliographie

  • Jouitteau, M. 2009. 'A typology of V2 with regard to V1 and second position phenomena: an introduction to the V1/V2 volume', Jouitteau (éd.), Verb-first, Verb-second, Lingua.
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Schapansky, N. 1996. Negation, Referentiality and Boundedness in Breton, a case study in markedness and asymmetry, ms thesis.
  • Storto, Luciana. 2011. 'Focus phenomena in Karitiana', communication orale à l'université Paris-Diderot (Linglunch).
  • Timm, L. 1989. 'Word Order in 20th century Breton', Natural Language and Linguistic Theory 7: 3. 361-378.