Différences entre les versions de « Les mots à morphologie expressive »

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Les mots appelés '''mots expressifs''', ou '''mots à morphologie expressive''' forment une classe assez hétéroclite comprenant:
Les mots appelés '''mots expressifs''', ou '''mots à morphologie expressive''' forment une classe assez hétéroclite comprenant:


* les [[idéophones]] ou phono-esthèmes (''tufat'' 'cracher', sur ses consonnes ''t-f-t'')
 
* des expressions comme ''menam-menam'' 'miam-miam' dénotant typiquement des émotions et des ressentis, repérables par une morphologie particulière, souvent [[redupliquée]] et avec des [[alternances apophoniques]].
 
* les [[idéophones]] ou phono-esthèmes (''tufat'' 'cracher', sur ses consonnes ''t-f-t'' qui reproduisent articulatoirement la gestuelle de l'action de cracher)


* les "mimétiques" qui imitent un son, comme les [[onomatopées]] (''ar flip'' 'le martinet') et certains [[huchements]] (''oc'h-oc'h'' à un cochon).
* les "mimétiques" qui imitent un son, comme les [[onomatopées]] (''ar flip'' 'le martinet') et certains [[huchements]] (''oc'h-oc'h'' à un cochon).
* des [[interjections]] de sens vaguement [[exclamatif]] associant des sons à des actes de langage de manière arbitraire et conventionnée, comme ''dao !'' 'pan!', qui semble être ensuite paraphrasé en (1).
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|(1)|| Sarr || an nor || warnahoñ ||ha '''dao''' !|| Echu || an traou.
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||| [[serriñ|fermer]]|| [[art|le]] [[dor|porte]] ||[[war|sur]].[[pronom incorporé|lui]] ||[[&|et]] pan || [[echu|fini]] || [[art|le]] [[traoù|choses]]
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|||colspan="10" | 'Fermer la porte derrière lui et pan ! C'est fini.'
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Les quatre classes ci-dessus utilisent des critères morphologiques et sémantiques qui peuvent être compatibles, et certains mots expressifs appartiennent à deux classes à la fois. Le nom ''roc'h'' 'ronflement' est à la fois une [[onomatopée]] et un [[idéophone]], alors que le verbe ''[[krozal]]'' qui est aussi un [[idéophone]] n'est pas une [[onomatopée]].
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|(2)|| Hervez ||ar '''roc'h'''ou ||a '''groze''' || dre gwerzidou ||ar gweleou
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Dans le cas des [[onomatopées]] et de certains [[huchements]] aux animaux, on voit qu'un son hors du langage humain est reproduit en prenant en compte la langue d'accueil (inventaire des voyelles, par exemple).
Dans le cas des [[onomatopées]] et de certains [[huchements]] aux animaux, on voit qu'un son hors du langage humain est reproduit en prenant en compte la langue d'accueil (inventaire des voyelles, par exemple).


A travers les langues, on voit aussi que les mots expressifs peuvent montrer une morphologie déviante par rapport aux [[morphèmes]] et lexèmes de la langue (longueur, accentuation, structure acceptée de la syllabe, phono-esthétique...). Diffloth (1976, 1979) puis Zwicky & Pullum (1987) ont proposé que les mots expressifs ressortent d'une morphologie externe à la grammaire, extragrammaticale. Diffloth (2001) montre dans un article en français qu'en Khmer de Surin, la trente-quatrième voyelle du système vocalique n'apparaît que dans les expressifs. En langage prosaique, 17 voyelles brèves s'opposent à 16 voyelles longues. La dix-septième voyelle longue n'apparaît, elle, que dans les expressifs.
A travers les langues, on voit aussi que les mots expressifs peuvent montrer une morphologie déviante par rapport aux [[morphèmes]] et lexèmes de la langue (longueur, accentuation, structure acceptée de la syllabe, phono-esthétique...). Diffloth (1976, 1979) puis Zwicky & Pullum (1987) ont proposé que les mots expressifs ressortent d'une morphologie externe à la grammaire, extragrammaticale. Diffloth (2001) montre dans un article en français qu'en Khmer de Surin, la trente-quatrième voyelle du système vocalique n'apparaît que dans les expressifs. En langage prosaïque, 17 voyelles brèves s'opposent à 16 voyelles longues. La dix-septième voyelle longue n'apparaît, elle, que dans les expressifs. En français, les codas ne finissent en [ŋ], si on écarte les emprunts de style ''footing'', dans les onomatopées (''ding-dong'').
 
En breton, on sent un effet expressif dans l'[[alternance de voyelles]], mise en valeur dans des [[réduplications]] de consonnes, comme dans ''brezonek p'''añ'''p'''e'''s, p'''i'''p'''i''', p'''i'''p'''onn''''' 'mauvais breton' (Trégorrois de Trévérec, [[Ernault (1879-1880)|Ernault 1879-1880]]:164).
 


La dérivation morphologique peut être impactée. Un mot expressif peut avoir une fonction adverbiale, mais être dépourvu de possibilités de modification par ailleurs productif sur les adverbes (Diffloth 1994:108). Diffloth présente aussi le cas de mots expressifs en bahnar (mon-khmer) qui ont un système suffixal de pluriel et de duel, alors même que les suffixes sont rares dans cette langue.


=== syntaxe et intégration syntaxique ===
=== syntaxe et intégration syntaxique ===


Les mots expressifs ont différents degrés d'intégration dans les systèmes linguistiques, allant jusqu'à indépendance grammaticale dans le cas des [[interjections]].  
Les mots expressifs ont différents degrés d'intégration dans les systèmes linguistiques, allant jusqu'à indépendance grammaticale dans le cas des [[interjections]].  
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|(3)|| '''Ale vliw''' ! || Hezh skôe ket || war ar youd, ||oa 'biou-'biou|| beb taol.
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||| [[ale|allez]] [[vliw|vlan]] || [[DEM|il]] [[skeiñ|frappait]] [[ket|pas]]|| [[war|sur]] [[art|le]] [[yod|bouillie]] || [[COP|était]] [[e-biv|à-côté]]-[[e-biv|à-côté]] || [[bep|chaque]] [[taol (M.)|coup]]
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|||colspan="10" | 'Allez vlan ! Il ne frappait pas sur la bouillie, c'était à côté à chaque coup.'
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Les mots expressifs montrent une affinité avec les [[infinitifs narratifs]], phrases non-tensées typiques du style narratif en breton.
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|(4)|| Krog un' || ba bep pén ||d'ar sac'h :|| '''Vliw !!''' || Chet || (a)nehoñ || dreist d'ar pont.
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||| [[kregiñ|croché]] [[unan|un]] || [[e-barzh|dans]] [[bep|chaque]] [[penn|bout]]|| [[da|de]]'[[art|le]] [[sac'h|sac]]|| [[vliw|vlan]] || [[setu|voici]] || [[a|P]].[[pronom incorporé|lui]] || [[dreist|dessus]] [[da|de]]'[[art|le]] [[pont]]
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|||colspan="10" | 'Un crochant dans chaque bout du sac : Vlan !! Jeté par dessus le pont.'
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Il y a une affinité avec les [[minimiseurs]] (''bu, ba, grik'', etc.).


L'idée est commune que l'intégration grammaticale va avec une perte d'expressivité, jusqu'à ce que la dimension expressive soit totalement émoussée ou opaque pour les locuteurs.
L'idée est commune que l'intégration grammaticale va avec une perte d'expressivité, jusqu'à ce que la dimension expressive soit totalement émoussée ou opaque pour les locuteurs.




=== sémantique et iconicité ===
=== iconicité et arbitraire du signe ===
 
Les mots expressifs sont généralement analysés comme montrant des formes d'iconicité, mais la question de l'iconicité est complexe. Les mots expressifs ont en tout cas une forme morphophonologique qui déroge partiellement à l'arbitraire du signe.
 
Le signe parait arbitraire car il varie typologiquement et diachroniquement (Saussure 1971:103).
 
  Saussure (1971:103)
  "Quant aux [[onomatopées]] authentiques (celles du type ''glou-glou'', ''tic-tac'', etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que l’imitation approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits (comparez le français ''ouaoua'' et l'allemand ''wauwau''). En outre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entraînées dans l’évolution phonétique, morphologique, etc. que subissent les autres mots (cf. ''pigeon'', du latin vulgaire ''pīpiō'', dérivé lui-même d'une [[onomatopée]]) : preuve évidente qu’elles ont perdu quelque chose de leur caractère premier pour revêtir celui du signe linguistique en général, qui est immotivé.
  2°. Les [[interjections|exclamations]], très voisines des onomatopées, donnent lieu à des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre thèse [de l'arbitraire du signe]. On est tenté d'y voir des expressions spontanées de la réalité, dictées pour ainsi dire par la nature. Mais pour la plupart d'entre elles, on peut nier qu’il y ait un lien nécessaire entre le signifié et le signifiant. Il suffit de comparer deux langues à cet égard pour voir combien ces expressions varient de l'une à l'autre (par exemple au français ''aïe'' ! correspond l’allemand ''au'' !) On sait d'ailleurs que beaucoup d’exclamations ont commencé par être des mots à sens déterminé (cf. ''diable'' ! ''mordieu'' ! = 'mort Dieu', etc.)."


Les mots expressifs sont généralement analysés comme montrant des formes d'iconicité. La question de l'iconicité est complexe. Les mots expressifs ont en tout cas une forme phonomorphologique qui déroge partiellement à l'arbitraire du signe.
La variation typologique et diachronique peut tenir à la nature même du signe linguistique: on ne connait pas de signe linguistique immune à la variation. De plus, on sait que la dimension exclamative a une érosion diachronique importante. L'arbitraire du signe des mots expressifs n'est pas total : les statistiques typologiques le montrent, et les résistances à l'érosion diachronique aussi.  


L'iconicité potentielle des mots expressifs les rend particulièrement importants pour l'étude comparée des langues orales et des [[langues signées]].
L'iconicité potentielle des mots expressifs les rend particulièrement importants pour l'étude comparée des langues orales et des [[langues signées]] (cf. Cuxac 1993).




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* Hiérarchie implicationnelle des systèmes de mots expressifs (Dingemanse 2012)
* Hiérarchie implicationnelle des systèmes de mots expressifs (Dingemanse 2012)
: Son > Mouvement > Visual patterns > autre perceptions sensorielles > sentiments et émotions internes
: son > mouvement > formes visuelles > autre perceptions sensorielles > sentiments et émotions internes




== Terminologie ==
== Terminologie ==


Dans la littérature francophone pré-moderne, le terme d'onomatopée a largement couvert le spectre large des mots expressifs. Sur ce site et en français contemporain, le terme d'[[onomatopée]] dénote plus précisément les mots formés sur l'imitation d'un son externe au langage humain, qui ne sont qu'une sous-classe des mots expressifs. Le terme de ''mot expressif'' rejoint les traditions terminologiques asiatiques du Sud et du Sud Est.  
Dans la littérature francophone pré-moderne, le terme d'[[onomatopée]] a largement couvert le spectre large des mots expressifs. Sur ce site et en français contemporain, le terme d'[[onomatopée]] dénote plus précisément les mots formés sur l'imitation d'un son externe au langage humain, qui ne sont qu'une sous-classe des mots expressifs. Le terme de ''mot expressif'' se trouve déjà dans Meillet (1904, 1928). Son utilisation rejoint aussi les traditions terminologiques asiatiques du Sud et du Sud Est.  


Dans ce même sens large que couvre le terme ''mot expressif'', Doke (1935) a proposé en anglais le terme ''idéophone'', maintenant communément utilisé en littérature anglophone. La tradition d'analyse japonaise, elle, utilise le terme de ''mimétiques'' (Akita 2009).
Dans ce même sens large que couvre le terme ''mot expressif'', Doke (1935) a proposé en anglais le terme ''idéophone'', maintenant communément utilisé en littérature anglophone. La tradition d'analyse japonaise, elle, utilise le terme de ''mimétiques'' (Akita 2009).
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* Armoskaite, S., & Koskinen, P. 2017. 'Structuring sensory imagery: ideophones across languages and cultures', ''Canadian Journal of Linguistics/Revue Canadienne de Linguistique'' 1–5. https://doi.org/10.1017/cnj.2017.12.
* Armoskaite, S., & Koskinen, P. 2017. 'Structuring sensory imagery: ideophones across languages and cultures', ''Canadian Journal of Linguistics/Revue Canadienne de Linguistique'' 1–5. https://doi.org/10.1017/cnj.2017.12.
* Cuxac, Christian 1993. 'Iconicité des Langues des Signes', ''Motivation et iconicité'', ''Faits de langues'' 1, 47-56. [https://www.persee.fr/doc/flang_1244-5460_1993_num_1_1_1034 texte].
* Dingemanse, M. 2021. 'Ideophones', Eva van Lier (éd.), ''The Oxford Handbook of Word Classes'', [https://ling.auf.net/lingbuzz/005949 texte].


* Dingemanse, M. 2012. 'Advances in the cross-linguistic study of ideophones', ''Language and Linguistics Compass'' 6:10, 654–672. https://doi.org/10.1002/lnc3.361.
* Dingemanse, M. 2012. 'Advances in the cross-linguistic study of ideophones', ''Language and Linguistics Compass'' 6:10, 654–672. https://doi.org/10.1002/lnc3.361.
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* Diffloth, Gérard. 1979. 'Expressive phonology and prosaic phonology in Mon-Khmer', ''Studies in Tai and Mon-Khmer phonetics and phonology in honour of Eugénie J. A. Henderson'', Chulalongkorn University Press, Bangkok, 49-59.
* Diffloth, Gérard. 1979. 'Expressive phonology and prosaic phonology in Mon-Khmer', ''Studies in Tai and Mon-Khmer phonetics and phonology in honour of Eugénie J. A. Henderson'', Chulalongkorn University Press, Bangkok, 49-59.
* Diffloth, Gérard. 1994. '/i/: big, /a/: small', L. Hinton, J. Nichols, J. Ohala (éds.), ''Sound Symbolism'', Cambridge University Press, 107-114.


* Diffloth, Gérard. 2001. 'Les expressifs de Surin et où cela conduit', ''BEFEO'' 88: 261-269, Paris. [https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_2001_num_88_1_3516 texte].
* Diffloth, Gérard. 2001. 'Les expressifs de Surin et où cela conduit', ''BEFEO'' 88: 261-269, Paris. [https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_2001_num_88_1_3516 texte].
* Diffloth, Gérard. 1994. '/i/: big, /a/: small', L. Hinton, J. Nichols, J. Ohala (éds.), ''Sound Symbolism'', Cambridge University Press, 107-114.


* Doke, C. M. 1935. ''Bantu Linguistic Terminology'', London: Longmans, Green, and Co.
* Doke, C. M. 1935. ''Bantu Linguistic Terminology'', London: Longmans, Green, and Co.
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* Ibarretxe-Antuñano, I. 2017. 'Basque ideophones from a typological perspective', ''The Canadian Journal of Linguistics / La Revue Canadienne de Linguistique'' 62(2), 196–220.
* Ibarretxe-Antuñano, I. 2017. 'Basque ideophones from a typological perspective', ''The Canadian Journal of Linguistics / La Revue Canadienne de Linguistique'' 62(2), 196–220.


* Svantesson, J.-O. 2017. 'Sound symbolism: the role of word sound in meaning', ''Wiley Interdisciplinary Reviews: Cognitive Science'' e0144, 1–12. https://doi.org/10.1002/wcs.1441
* Meillet, Antoine. 1928. 'Les formes populaires du vocabulaire indo-européen', ''Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres'' 72-1, 50-52.
 
* Meillet, Antoine. 1904. 'Notes sur quelques recherches de linguistique', ''L'Année psychologique'' 11, 457-467. [texte].
 
* Svantesson, J.-O. 2017. 'Sound symbolism: the role of word sound in meaning', ''Wiley Interdisciplinary Reviews: Cognitive Science'' e0144, 1–12. https://doi.org/10.1002/wcs.1441.
 
* Saussure, F. (de). 1971. ''Cours de linguistique générale'', éd. Bally et Sechehaye.


* Trips, Carola. 2014. 'How to account for the expressive nature of phrasal compounds in a conceptual-semantic framework', ''Skase Journal of Theoretical Linguistics'' 11:1. 33-61.
* Trips, Carola. 2014. 'How to account for the expressive nature of phrasal compounds in a conceptual-semantic framework', ''Skase Journal of Theoretical Linguistics'' 11:1. 33-61.

Version du 2 août 2021 à 12:47

Les mots appelés mots expressifs, ou mots à morphologie expressive forment une classe assez hétéroclite comprenant:


  • des expressions comme menam-menam 'miam-miam' dénotant typiquement des émotions et des ressentis, repérables par une morphologie particulière, souvent redupliquée et avec des alternances apophoniques.
  • les idéophones ou phono-esthèmes (tufat 'cracher', sur ses consonnes t-f-t qui reproduisent articulatoirement la gestuelle de l'action de cracher)
  • les "mimétiques" qui imitent un son, comme les onomatopées (ar flip 'le martinet') et certains huchements (oc'h-oc'h à un cochon).
  • des interjections de sens vaguement exclamatif associant des sons à des actes de langage de manière arbitraire et conventionnée, comme dao ! 'pan!', qui semble être ensuite paraphrasé en (1).


Haut-cornouaillais (Landeleau), Lozac'h (2014:'dao(ñ)')
(1) Sarr an nor warnahoñ ha dao ! Echu an traou.
fermer le porte sur.lui et pan fini le choses
'Fermer la porte derrière lui et pan ! C'est fini.'


Les quatre classes ci-dessus utilisent des critères morphologiques et sémantiques qui peuvent être compatibles, et certains mots expressifs appartiennent à deux classes à la fois. Le nom roc'h 'ronflement' est à la fois une onomatopée et un idéophone, alors que le verbe krozal qui est aussi un idéophone n'est pas une onomatopée.


Standard, Riou (1941:7)
(2) Hervez ar roc'hou a groze dre gwerzidou ar gweleou
selon le ronflement.s R1 grondait par fuseau.x le lit.s
'à en croire les ronflements qui grondaient à travers les barreaux des lits'


Pour un état des lieux de la littérature scientifique sur les mots expressifs en général, se reporter à Vigliocco & Kita (2006), Akita (2015), Armoskaite & Koskinen (2017), Ibarretxe-Antuñano (2017), Svantesson (2017). Akita & Dingemanse (2019) proposent une synthèse théorique.


Tentatives de définition

Selon Dingemanse (2012), les mots expressifs (qu'il appelle, en tradition anglophone, idéophones) sont "des mots [formellement] marqués qui dépeignent une imagerie sensorielle".


morphologie déviante, mais adaptation au système langagier

Dans le cas des onomatopées et de certains huchements aux animaux, on voit qu'un son hors du langage humain est reproduit en prenant en compte la langue d'accueil (inventaire des voyelles, par exemple).

A travers les langues, on voit aussi que les mots expressifs peuvent montrer une morphologie déviante par rapport aux morphèmes et lexèmes de la langue (longueur, accentuation, structure acceptée de la syllabe, phono-esthétique...). Diffloth (1976, 1979) puis Zwicky & Pullum (1987) ont proposé que les mots expressifs ressortent d'une morphologie externe à la grammaire, extragrammaticale. Diffloth (2001) montre dans un article en français qu'en Khmer de Surin, la trente-quatrième voyelle du système vocalique n'apparaît que dans les expressifs. En langage prosaïque, 17 voyelles brèves s'opposent à 16 voyelles longues. La dix-septième voyelle longue n'apparaît, elle, que dans les expressifs. En français, les codas ne finissent en [ŋ], si on écarte les emprunts de style footing, dans les onomatopées (ding-dong).

En breton, on sent un effet expressif dans l'alternance de voyelles, mise en valeur dans des réduplications de consonnes, comme dans brezonek ppes, pipi, piponn 'mauvais breton' (Trégorrois de Trévérec, Ernault 1879-1880:164).


La dérivation morphologique peut être impactée. Un mot expressif peut avoir une fonction adverbiale, mais être dépourvu de possibilités de modification par ailleurs productif sur les adverbes (Diffloth 1994:108). Diffloth présente aussi le cas de mots expressifs en bahnar (mon-khmer) qui ont un système suffixal de pluriel et de duel, alors même que les suffixes sont rares dans cette langue.

syntaxe et intégration syntaxique

Les mots expressifs ont différents degrés d'intégration dans les systèmes linguistiques, allant jusqu'à indépendance grammaticale dans le cas des interjections.


(3) Ale vliw ! Hezh skôe ket war ar youd, oa 'biou-'biou beb taol.
allez vlan il frappait pas sur le bouillie était à-côté-à-côté chaque coup
'Allez vlan ! Il ne frappait pas sur la bouillie, c'était à côté à chaque coup.'
Haut-cornouaillais, Lozac'h (2014:'vliw')


Les mots expressifs montrent une affinité avec les infinitifs narratifs, phrases non-tensées typiques du style narratif en breton.


(4) Krog un' ba bep pén d'ar sac'h : Vliw !! Chet (a)nehoñ dreist d'ar pont.
croché un dans chaque bout de'le sac vlan voici P.lui dessus de'le pont
'Un crochant dans chaque bout du sac : Vlan !! Jeté par dessus le pont.'
Haut-cornouaillais, Lozac'h (2014:'vliw')


Il y a une affinité avec les minimiseurs (bu, ba, grik, etc.).

L'idée est commune que l'intégration grammaticale va avec une perte d'expressivité, jusqu'à ce que la dimension expressive soit totalement émoussée ou opaque pour les locuteurs.


iconicité et arbitraire du signe

Les mots expressifs sont généralement analysés comme montrant des formes d'iconicité, mais la question de l'iconicité est complexe. Les mots expressifs ont en tout cas une forme morphophonologique qui déroge partiellement à l'arbitraire du signe.

Le signe parait arbitraire car il varie typologiquement et diachroniquement (Saussure 1971:103).

 Saussure (1971:103)
 "Quant aux onomatopées authentiques (celles du type glou-glou, tic-tac, etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu'elles ne sont que l’imitation approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits (comparez le français ouaoua et l'allemand wauwau). En outre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entraînées dans l’évolution phonétique, morphologique, etc. que subissent les autres mots (cf. pigeon, du latin vulgaire pīpiō, dérivé lui-même d'une onomatopée) : preuve évidente qu’elles ont perdu quelque chose de leur caractère premier pour revêtir celui du signe linguistique en général, qui est immotivé.
 2°. Les exclamations, très voisines des onomatopées, donnent lieu à des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre thèse [de l'arbitraire du signe]. On est tenté d'y voir des expressions spontanées de la réalité, dictées pour ainsi dire par la nature. Mais pour la plupart d'entre elles, on peut nier qu’il y ait un lien nécessaire entre le signifié et le signifiant. Il suffit de comparer deux langues à cet égard pour voir combien ces expressions varient de l'une à l'autre (par exemple au français aïe ! correspond l’allemand au !) On sait d'ailleurs que beaucoup d’exclamations ont commencé par être des mots à sens déterminé (cf. diable ! mordieu ! = 'mort Dieu', etc.)."


La variation typologique et diachronique peut tenir à la nature même du signe linguistique: on ne connait pas de signe linguistique immune à la variation. De plus, on sait que la dimension exclamative a une érosion diachronique importante. L'arbitraire du signe des mots expressifs n'est pas total : les statistiques typologiques le montrent, et les résistances à l'érosion diachronique aussi.

L'iconicité potentielle des mots expressifs les rend particulièrement importants pour l'étude comparée des langues orales et des langues signées (cf. Cuxac 1993).


Horizons comparatifs

Les langues d'Asie, d'Afrique et des Amériques sont particulièrement bien documentées pour contenir des classes lexicales fermées de mots expressifs (Akita & Dingemanse 2019). Les langues varient dans leur inventaire de mots expressifs. Différentes hiérarchies implicationnelles ont été proposées.

  • Hiérarchie de l'iconicité lexicale (Akita 2009)
Phonomimes (onomatopées) > Phenomimes > Psychomimes
  • Hiérarchie implicationnelle des systèmes de mots expressifs (Dingemanse 2012)
son > mouvement > formes visuelles > autre perceptions sensorielles > sentiments et émotions internes


Terminologie

Dans la littérature francophone pré-moderne, le terme d'onomatopée a largement couvert le spectre large des mots expressifs. Sur ce site et en français contemporain, le terme d'onomatopée dénote plus précisément les mots formés sur l'imitation d'un son externe au langage humain, qui ne sont qu'une sous-classe des mots expressifs. Le terme de mot expressif se trouve déjà dans Meillet (1904, 1928). Son utilisation rejoint aussi les traditions terminologiques asiatiques du Sud et du Sud Est.

Dans ce même sens large que couvre le terme mot expressif, Doke (1935) a proposé en anglais le terme idéophone, maintenant communément utilisé en littérature anglophone. La tradition d'analyse japonaise, elle, utilise le terme de mimétiques (Akita 2009).


Bibliographie

  • Akita, K. 2009. A Grammar of Sound-Symbolic Words in Japanese: Theoretical Approaches to Iconic and Lexical Properties of Japanese Mimetics (PhD dissertation), Kobe University, Kobe. texte.
  • Akita, K., & M. Dingemanse. 2019. 'Ideophones (Mimetics, Expressives)', Oxford Research Encyclopedia for Linguistics. Oxford: Oxford University Press. doi:10.1093/acrefore/9780199384655.013.477.
  • Armoskaite, S., & Koskinen, P. 2017. 'Structuring sensory imagery: ideophones across languages and cultures', Canadian Journal of Linguistics/Revue Canadienne de Linguistique 1–5. https://doi.org/10.1017/cnj.2017.12.
  • Cuxac, Christian 1993. 'Iconicité des Langues des Signes', Motivation et iconicité, Faits de langues 1, 47-56. texte.
  • Dingemanse, M. 2021. 'Ideophones', Eva van Lier (éd.), The Oxford Handbook of Word Classes, texte.
  • Dingemanse, M. 2012. 'Advances in the cross-linguistic study of ideophones', Language and Linguistics Compass 6:10, 654–672. https://doi.org/10.1002/lnc3.361.
  • Diffloth, Gérard. 1972. 'Notes on expressive meaning', Chicago Linguistic Society 8, 440–447.  
  • Diffloth, Gérard. 1976. 'Expressives in Semai', Oceanic Linguistics Special Publications 13, 249–264.  
  • Diffloth, Gérard. 1979. 'Expressive phonology and prosaic phonology in Mon-Khmer', Studies in Tai and Mon-Khmer phonetics and phonology in honour of Eugénie J. A. Henderson, Chulalongkorn University Press, Bangkok, 49-59.
  • Diffloth, Gérard. 1994. '/i/: big, /a/: small', L. Hinton, J. Nichols, J. Ohala (éds.), Sound Symbolism, Cambridge University Press, 107-114.
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