Les interjections

De Arbres

Il existe de multiples interjections dont le sens varie. Elles ne sont pas toujours traduites, ni traduisibles. Les interjections sont des expressions syntaxiquement indépendantes et peuvent être utilisées en isolation. Elles peuvent être paraphrasées, "expliquées" par une phrase qui les suit.


(1) A, arri 'oas, Michela.
Ah arrivé étais Michela
'Ah, tu es là, Michela.'
Trégorrois, Gros (1966:15)


Définition

Meinard (2015) distingue les interjections des onomatopées. Les interjections ne sont pas productives et peuvent remplacer une phrase, ce qui les différencie des onomatopées. "Les onomatopées isolées focalisent sur un objet de conceptualisation et remplissent la fonction référentielle du langage, alors que les interjections focalisent sur le modus, le sujet de conceptualisation et remplissent la fonction conative, phatique ou expressive du langage".


 (1) les interjections ne sont pas source de création lexicale
 (2) les interjections ne peuvent pas référer
 (3) les interjections peuvent remplacer une phrase 
 (4) les interjections contiennent essentiellement une relation prédicative
 (5) les interjections sont sémantiquement réduites
 (6) les interjections sont isolées syntaxiquement, et phonologiquement par des pauses prosodiques
 (7) les interjections ne peuvent pas prendre de flexion sans être dérivées
 (8) certaines interjections peuvent introduire des citations


Selon Meinard (2015), les propriétés (3-6) montrent que les interjections ne constituent pas une catégorie grammaticale. Le contenu prédicatif est mis en évidence par l'argument qu'on peut mentir en produisant une interjection, alors qu'on ne peut pas mentir en produisant une onomatopée.

Les adverbes adjoints peuvent ressembler aux interjections en ce qu'ils n'ont pas d'argument ou de forme fléchie. Ils peuvent aussi avoir un contenu lexical lié aux émotions.

O’Connell & Kowal (2005a,b) listent les différences entre les remplisseurs (marques d'hésitation, type penaos, oñm...) et les interjections. Les remplisseurs (i) ne constituent pas un tour de parole, (ii) ne peuvent pas introduire des citations, (iii) peuvent ne pas impliquer d'emphase émotionnelle, (iv) ne sont pas découpés dans des pauses prosodiques.


invariables, sauf dans l'adresse

Les interjections sont généralement invariables mais on peut déceler des variations liées à l'adresse.

  • Les jurons peuvent se mettre au féminin ou au masculin selon le genre de la personne insultée, même si ce lien est plus lâche que dans le reste du discours.
  • La présence d'un juron empêche généralement l'usage des formes de vouvoiement (dans les dialectes qui en ont).
  • Dans la mesure où ce sont bien des interjections, on voit une variation d'adresse dans Dal ! 'Tiens !' et Dalit ! 'Tenez !'.

Inventaire des interjections en breton

morphologies minimales, interpellations

Certaines interjections de morphologie minimale sont des mots expressifs de sens vaguement exclamatif. Ces interjections sont typiquement utilisées dans les bandes dessinées et à l'oral. Leur morphologie déroge parfois à la phono-esthétique de la langue.

Certains semblent juste attirer l'attention de l'interlocuteur, sans indices sur ce qui va suivre ou bien avec des indices très minimaux. Elles sont traduisibles mais largement interchangeables.


 Eh !, C'hep !, Hep !, Yao !, Yo !, You !, Alo !, Ola !, Oc'hola !, Orê !...


Ces expressions sont restreintes au vocatif, et lorqu'elles sont employées avec une autre adresse vocative, elles apparaissent devant.


(2) He i ! Te ! Paotr !
Eh ho toi gars
'Eh ! Toi ! Mec !'
Standard, Le Saëc (1990:12)


(3) Ola ! Te !
Eh toi
'Eh ! Toi !
Standard, Bannoù-Heol (2000:43)


(4) Orê ! Chasoù ! Laoskit da dremen ur paotr eus an aerbost !
Oh aih ! chiens.copain laissez à1 passer un gars de le air1.poste
'Oh aih ! Les copains ! Laissez passer le gars de la postale !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:15)


onomatopées

On peut traiter à part les onomatopées qui sont traduisibles en ce qu'elles sont conventionnalisées différemment dans chaque langue (voir l'inventaire des onomatopées en corpus dessiné).

 Dao ! 'Pan !', Vlaw ! 'Paf !, Vliw ! 'Vlan !'...


morphologies minimales traduisibles

Certaines interjections ont une morphologie opaque et minimale, mais ont une sorte de proto-sens traduisible. On peut soupçonner quelques idéophones (Ec'h ! pour le dégoût alimentaire).


(1) ɔX te vɛs tao o kunt ano daʁ da vamgoz
Oc'h, te 'vez atav o kount' anv dac'h da vamm-gozh.
Oh ! toi est toujours à4 conter nom de ton1 maman-1vieille
'Oh ! Tu es toujours en train de parler de ta grand-mère'
Saint-Pol-de-Léon, Avezard-Roger (2004a:210)


(2) Fow ! N'emañ ket ma mignoned amañ !
Pfiew ! ne1 est pas mon2 ami.s ici
'Pfiew, mes amis ne sont pas là !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:14)


(3) Sin an dañjer 'zo gantañ, Yañ !
signe le danger est avec.lui einh
'Il fait le signe du danger, einh !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:35)

morphologies dérivées d'items lexicaux

D'autres interjections ont plus clairement emprunté au stock lexical de la langue, par exemple les adverbes ou les verbes. On trouve quelques noms (Chaous !, C'hwitell !, Blev !, Keñtr !, Fae !, ou le conventionnalisé Plouz ! Foenn ! 'Gauche ! Droite !').

Il est plus rare de trouver un emploi d'élément fonctionnel. On trouve cependant une grammaticalisation du pronom te 'toi', c'hwi 'vous', ou du pronom se 'ça'.



(1) Ah bah ndrahe hat! C'hwi zo va ma du dehou.
ah bah le.1chose.ci mais vous est sur mon1 côté droit
'Ça alors, je vous ai à ma droite, en fait.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


L'adverbe alato 'quand même' a une dimension argumentative. Celle-ci peut complètement disparaître en interjection.


(2) Alato ! C'hoazh ur banne all hag e choman !
allez encore un verre autre et R4 reste
'Allez ! Encore un verre et je reste!'
Standard, Kervella (2006:30)


(3) Setu 'ta E-kichen ar gwez-sapin 'chomer a-sav, hmm !
voici donc à-côté le arbres-sapin R reste.on à-debout hmm
'C'est ça ! On s'arrête du côté de la sapinière, hmm !'
Standard, Monfort (2007:10)


(4) A, sur ! Ha teuziñ 'raint hag e pep lec'h 'vo graet poulloù-dour gante !!
Ah sur et fondre feront et en chaque lieu sera fait flaque.s-eau avec.eux
'C'est ça ! Et ils vont fondre et me faire des flaques partout !!'
Standard, Monfort (2007:19)


(5) A Ma Ya Ma Nann 'ta ! Diouzh o c'hlevet emañ pellgomzer nemetañ ar c'harter gante !
Ah mais oui mais non donc à les2 entendre est loin1.parle.eur seulement.le.plus le 5quartier avec.eux
'Oui mais non mais quoi ! À les entendre il n'y a qu'eux qui ont le téléphone dans tout le quartier !'
Standard, Monfort (2007:42)

noms tabous et évitements

Les noms tabous sont une source typologiquement répandue d'interjections. Ils concernent principalement le domaine sexuel, scatologique ou religieux, et quelques phénomènes naturels violents.


  • Gast !, Putenn ' c’hast ! 'Putain !', Boulzouble! 'Double boulle!' et tous préfixes en boul-, Boulc’hast ! 'Putain!', mauvaise humeur, impatience, Cornillet (2020)
  • Kaoc'h! 'Merde!', Bramm !
  • Doue!, En anv Doue !, Ma Doue !, Traoù Doue !
  • Feiz !, Foei !, Gwerc'hez Vari !,
  • Jesuz !, Ma Jesuz !, Salver benniget !...
  • Gurun !, Boulc'hurun!, Foeltr, Tanfoeltr!


Ce vocabulaire tabou fournit un bon stock d'interjections dans ses termes propres, mais les évitements de ces mêmes termes en fournissent encore plus. Les noms tabous peuvent alors apparaître camouflés par une morphologie expressive, avec alternances apophoniques et reduplications.


 au lieu de Doue 'Dieu', Double !, Double Die !, Tribledie !, Doustik !, A-toue !, Toui !...
 
 au lieu de Boulzouble !, Boulzerv ! 'Boule de chêne!', Boulc'hurun ! 'Boule de tonnerre'
 
 au lieu de Mallozh Doue ! 'Maudit Dieu !': Mallestoue !, Mallestoupen !, et les variantes sur Mallozh ! Mil mallozh ruz ! 
 
 au lieu de Feiz d'am Doue ! 'Foi en mon Dieu !' : Fedamdoulle !, Fidamdaoula !, Fidamdoustik !, Fedamdoustek !, Fedamnotrou !, Fedamnotroudoulle !, Fedamdoull !, Fidamdie !, Damdie !, Fidoue !, Idamdiyee !, Myonafidamdie !, Fidoupenn !, Fedamdouac’h !, Fedamzoupenn !, Fidamdouen !, Fidamdouic’h !, Fidambutun !
 au lieu de Mard on Doue ! ou Merde en Doue ! : Mardouen !, Mardendoue ! 
 
 au lieu de Jesuz !: Iche !, Ichezuz ! (Menard & Bihan (2016-),  Che ! 'Oh !, Mon Dieu !', Cornillet (2020), Chekon ! 'Quoi ?!', Cornillet (2020). Ernault (1879-1880:'bara') relève l'interjection d'étonnement Ichekoñn en Goëlo et ichecon dans Feiz ha Breiz du 7 juillet 1877, qu'il discute à côté de eur chegad, 'un veau', fig. 'un niais' [?]. 
 
 au lieu de sakre 'Sacré... ': Sakrampouezh ! 'Saperlipopette !', Sakredistac'h! (Menard & Bihan 2016-), Satordallik !, Satordistac'h !, Sapredistak !
 
 au lieu de Daonet vo ma ene ! 'Damnée soit mon âme !' : Daoñ ! Daonet !, Redaonet !, Damen !, Dam !, Damen 'vo !, Damnet vo !, Dampred vo !, Damen vo ma ere !, Damen vo krohenn ma ene !, Damen vo krohenn ma eskern !, Damen vo krohenn ma buhez !, Damen vo krohenn ma botez-koad !...
 
 au lieu de Sakre nondedie 'Sacré nom de Dieu' : Sakernondedistag ! (Menard & Bihan 2016-), Sakerdistach !
 
 au lieu de l'emprunt au français Nom de Dieu : Didiach ! Didie !, Nondedië !, Nondidiü !, Nondidiko !, Nondididisteg !
 
 au lieu de l'emprunt au français Mordieu : Merdié !, Merdoulle !, Merdamdoulle !
 
 au lieu de tan 'feu' ou foeltr /foudre/ : Foestr !, Tanfoeltr !, Tandelo ! 
 
 au lieu de Gast, Ga !, Gabell !  


L'interjection Freous ! que Cornillet (2020) traduit 'Merde !' et signale comme vulgaire est peut-être à rapprocher de frep 'pet'. L'interjection Tredir ! que Cornillet (2020) et Menard & Bihan (2016-) traduisent 'Corbleu !, Morbleu !' semble du même tonneau.

minimiseurs

Les minimiseurs griñsenn 'brin', blev 'cheveu' ou les minimiseurs dérivés d'onomatopées comme grik, lorsqu'employés en noms nus, produisent des interjections signifiant 'Rien ! Que dalle ! Bredouille ! Niquedouille ! Chou blanc !'.

syntagmes

Il est plus rare que les interjections déploient une structure syntaxique articulée. Lorsque l'interjection est décomposable, elle est probablement fondue morphologiquement.

  • Gant ar vezh ! 'Avec la honte !'
  • Ken a vo ! 'Au revoir !'
  • Forzh ma buhez ! 'Au secours !'
  • Na petra 'ta !, 'Et comment donc !, bien sûr !, évidemment !' (Cornillet 2020), verum focus

interjections performatives, vœux, ordres, insultes

Certaines interjections sont performatives, c'est-à-dire qu'elles réalisent un acte de langage (remercier, s'excuser, souhaiter, ordonner, demander grâce...). En cela, elles forment une proposition et une phrase indépendante, et correspondent donc à la définition d'une interjection.

 Salokras!, Digarez 'Pardon' 
 Trugarez!, Mersi! 'Merci!'
 Chaous! 'Zut'
 Chik !, Grik ! 'Chut !, Motus !'
 Yec'hed! 'Santé!'
 Demat ! 'Bonjour!', Kenavo ! 'Au revoir!', Koukoug ! 'Coucou !'
 Truez ! 'Grâce !, Pitié !'
 Plouz ! Foenn ! 'Gauche ! Droite !'


Certaines interjections sont simplement des ordres ou des vœux qui ont été réduits de manière elliptique. Dans le cas des insultes, c'est la copule à la seconde personne qui a été élidée. Dans le cas de Brav ! Mat ! 'Bien !', c'est la copule à la personne 3.

 War-sav ! 'Debout!', War varc'h ! 'A cheval !'
 Arabat !, Arsav ! 'Arrête !'
 Dal ! 'Tiens', Dalit ! 'Tenez !'
 Grit peoc'h!, Peoc'h ! 'Chut ! Silence ! Pas un mot !'


(1) Taol vat deoc'h, paotred !
table1 bon à.vous gars.s
'Bon appétit, les gars !'
Standard, Ar Menn (2015:5)


(2) Sell 'ta ! Deoc'h-c'hwi eo ar c'hi-mañ eta ?!?
regarde donc ! à.vous est le 5chien-ci donc
'Tiens donc ! Il est à vous ce chien ?!?'
Standard, Bannoù-Heol (2000:5)

jeux

Certaines interjections sont circonscrites à un jeu en particulier. Typiquement, ils annoncent les points et les scores.


interjections de réponses

Certaines interjections sont des particules affirmatives qui encodent l'attitude du locuteur face au contenu de l'énoncé précédent.

C'est le cas de Allas !, Siwazh !, Malerusamant ! ou Sur avat!. Elles sont à contraster avec des interjections qui ne nécessitent pas de contenu précédent comme Alala !.

Les particules affirmatives et négatives Ya 'Oui', Geo 'Si', Nann 'Non', doivent aussi être considérées comme des interjections puisqu'elles peuvent apparaître en isolation syntaxique. La restriction de leurs occurrences en isolation à des actes de discours antécédents peut être traitée en pragmatique.

Ces interjections de réponse ont quelques variantes, comme l'intensification Ya da 'Oui da !', qui n'est pas aussi datée que sa traduction française (cf. Bannoù-Heol 2000:10).

autres

Le cas de gwa! en breton moderne est un cas limite d'interjection, car l'expérienceur doit être amené par la préposition da. Il n'est donc pas indépendant.

Morphologie

morphologie expressive

On retrouve comme dans tous les mots expressifs une affinité pour les réduplications et les alternances apophoniques.


(1) Amañ ez eus tu d'ober ur pladad eus ar c'hentañ !... Menam ! Menam !
ici R est moyen de1 faire un plat.ée de le 5 premier Miam ! Miam !
'Il y a de quoi faire une bonne poêlée ! Miam ! Miam !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:35)


variation dialectale, idiolectale, formes ambigües

Certaines interjections ont des sens contraires suivant les contextes, et probablement les dialectes ou idiolectes, comme ma ! qui peut signifier 'Tanpis !', 'Bon !' ou 'Bien !' (peut-être sur une dérivation concurrente sur mat 'bien').

L'interjection /daõw/, selon le contexte, peut être un camouflage morphologique par réduction de Daonet vo ma ene ! Damnée soit mon âme !'. Si elle est rédupliquée, elle dérive de l'onomatopée de toquer à une porte ou de sonner des cloches.

(2) Daoñ ! Chom trankil 'ta !
Damné ! reste tranquille donc
'Doux Jésus ! Reste donc tranquille !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:19)


  • Daoñ !! Daoñ !! 'Toc !! Toc !!', Haut-cornouaillais (Landeleau), Lozac'h (2014)

dérivation des interjections

Les interjections sont parfois décomposables morphologiquement, et elles peuvent être le résultat d'une dérivation (Boulc'hurun !, Goublev !), mais elles sont assez rarement elles-mêmes source de dérivation.


emploi nominal, puis adjectival de Fidamdoue

Les noms tabous et les évitements morphologiques de ces noms tabous ont une dimension sémantique évaluative qui permettent un usage adjectival de ces interjections.


(2) Petra 'mañ oc'h ober ar fidamdie a blantenn-mañ amañ?
quoi est à4 faire le foi.à.mon.D. de1 plante-ci ici
'Qu'est-ce que cette p* de plante fait ici ?'
Standard, Monfort (2006:11)


La dérivation adjectivale semble disponible pour n'importe quel nom évaluatif, quelle que soit sa morphologie puisque des idéogrammes apparaissent même à sa place.


(3) Pebezh mennozh ! ar ☠ ☠ ☠ ☠ ☠ a blantenn-mañ en ur burev !
quel idée le de1 plante-ci en un bureau
'Quelle idée ! Cette p* de plante dans un bureau !'
Standard, Monfort (2006:11)


En (4), les quatre idéogrammes sont respectivement un tourbillon, un éclair, et deux étoiles.


(4) ar x x x x a gi-se 'zo tec'het kuit !
le xxxx de1 chien- est enfui parti
'Cette xxxx de chien s'est enfuie !'
Standard, Bzh5 (2007:42).


L'usage adjectival est disponible pour les noms en breton s'ils ont une dimension évaluative et s'ils ont le nom qu'ils modifient sémantiquement dans leur restricteur. Le nom trubuilh 'tracas' a par exemple une dimension évaluative qui modifie le nom plantenn dans son restricteur. La dimension évaluative est récupérée par l'usage adjectival. Les adjectifs, eux, n'ont pas à être évaluatifs pour pouvoir apparaître dans cette structure.


  • Petra 'mañ oc'h ober an trubuilh a blantenn-mañ amañ?
'Que fait cette douce plante ici ?'
  • Petra 'mañ oc'h ober ar c'hast a blantenn-mañ amañ?
'Qu'est-ce que cette p* de plante fait ici ?'
  • Petra 'mañ oc'h ober ar flour a blantenn-mañ amañ?
'Que fait cette douce plante ici ?'
  • Petra 'mañ oc'h ober ar hir a blantenn-mañ amañ?
'Que fait cette longue plante ici ?'


La dérivation adjectivale n'est pas disponible pour les autres interjections.


  • * Petra 'mañ oc'h ober an ac'hanta a blantenn-mañ amañ?
  • * Petra 'mañ oc'h ober an hopala a blantenn-mañ amañ?
  • * Petra 'mañ oc'h ober ar paw a blantenn-mañ amañ?


L'usage nominal n'est pas documenté en dehors de la construction adjectivale (mais le minimiseur devrait être possible).

  • * Gwelet em eus ar fidamdoue.
  • * Petra a rafen gant ar fidamdoue ?.
  • ? N'em eus ket gwelet ur fidamdoue. (à documenter)

pas de dérivation verbale

Il existe des interjections qui sont en lien avec des verbes, mais ce lien n'est pas dérivationnel. Ces verbes ont une racine qui ressemble à une interjection, suivi d'un suffixe verbal de l'infinitif signifiant 'FAIRE, PRODUIRE'. Le sens de ces verbes montre que c'est l'onomatopée et non pas l'interjection qui est la racine du verbe. Les onomatopées sont connues pour être très productives en dérivation, contrairement aux interjections.


  • Dachou ! 'huchement pour chasser la volaille' et le verbe dachouañ 'chasser (la volaille)'
  • Habo ! 'huchement pour chasser le loup' et le verbe haboat 'crier Habo ! pour chasser le loup'
  • Double ! 'juron' et le verbe doubleal 'jurer'


Il existe des interjections qui dénotent une action comme Badadav ! 'Badaboum !' qui est utilisée en relation avec la chute d'un objet ou d'un être animé articulé. Malgré cette sémantique active, ces interjections ne peuvent pas prendre de dérivation verbale. En Cornouaille à Locronan, A-M. Louboutin (10/2021) ne peut traduire le français très improvisé, de résonance enfantine mais compréhensible, Le banc a badaboumé crac par terre. Elle considère comme agrammatical son essai A bank a neus * badadavet, et se replie sur des stratégies grammaticales d'intensification sans dimension expressive.


(4) A bank zo kouet g'or pezh mell trouz.
le banc est tomb.é avec un morceau grand bruit
'Le banc est tombé en grand fracas.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


La dérivation adverbiale a-fardaklav 'lourdement' est bâtie avec la préposition a connue pour être très productive, suivie de l'idéophone fardaklav. Il serait intéressant de savoir si cette dérivation serait disponible pour des interjections qui utilisent le même type de morphologie expressive, comme Badadav! (à documenter).


yao ? rip ? verbes de mouvement ?

Le huchement Yao ! 'Hue' est spécialisé sur l'adresse aux chevaux, qui leur ordonne d'avancer ou d'avancer plus vite. Cornillet (2020) rapporte Yao ! comme plus généraliste, traduit par 'Allons-y ! C'est parti ! En route !'. On retrouve ce yao, dans ce sens de mouvement, intégré dans la structure d'une matrice non-tensée. En contexte, le locuteur et l'interlocuteur sont à cheval. Syntaxiquement, il pourrait être substitué par mont 'aller' ou un autre verbe de mouvement à l'infinitif (... ha mont da vro Vec'hiko !, ... ha distreiñ da vro Vec'hiko !, ... ha lammat da vro Vec'hiko !). À noter que dans ces structures, le mouvement pourrait aussi être interprété par la préposition dynamique da 'pour, vers'.


(5) ... ha yao da vro Vec'hiko !
et hue pour1 pays 1Mexique
'... et hue ! On retourne au Mexique !'
Standard, Ar Menn (2015:6)


(6) Ha yao d'an toull-bac'h, paotred Dalton !
et hue pour1 le trou-séquestrer gars.s Dalton
'Et zou, en prison les Dalton !'
Standard, Bzh5 (2007:43).


Cornillet (2020) donne comme exclamatif Rip ! 'Allez !, En route !'. Le verbe ripañ signifie 'se défiler, chiper'.


(7) Rip d'ar fest  !
Ouste pour1 le fête
'Allez Ouste, à la fête !'
Cornillet (2020)

Syntaxe

modification

adjectivale

En (1), le sens de cheinik n'est pas transparent, mais le diminutif -ig suggère un emploi nominal, modifié donc adjectivalement par Doue 'Dieu' (cf. Buoc'hig Doue, loenig Doue 'bête à Bon Dieu').


(1) Cheinik Doue, hema zo eun tamm tra goalldra!
dos.petit? Dieu celui.ci est un morceau chose mauvais1.chose
'Mon Dieu, quel pleurnicheur !'
Cornouaillais, Martin (1929:180)


quantification

(2) Tri mil boulc'hurun an diaoul !
trois mille boule.5tonnerre le diable
'Mille milliards de mille sabords !'
Standard, Kervella (2001:2)


intensification

L'interjection avat !, dérivée de l'adverbe avat 'cependant', est spécialisée sur l'intensification d'une autre interjection. C'est souvent aussi la fonction de 'ta !.

L'interjection ya peut être intensifiée par da !.


(3) Ya da !, Se 'ch eus graet c'hoazh gant ur maen-hir !
oui da ! ça 2SG a fait déjà avec le pierre-long
'Pour sûr ! Tu l'as déjà fait avec un menhir !'
Standard, Preder & Armor (1977:19)


restriction aux matrices

Les interjections sont, comme le vocatif, une adresse à l'interlocuteur. Elles sont restreintes au discours direct. Syntaxiquement, on n'en trouve jamais en enchâssées.


(4) Ahanta, Kaou! Mond a ra mad ganéz?
interjection Kaou aller R1 fait bien avec.toi
'Eh, Kaou, ça va?'
Léon, Seite & Stéphan (1957:71)


périphérie et incises

Les interjections sont autonomes des autres éléments de la phrase. Elles ne sont jamais sélectionnées par aucun autre élément de la phrase. Elles apparaissent donc plutôt en périphérie des phrases ou en incises, où elles sont parfois cumulables.


(5) Klev anezhi o lar m'eus graet vat, o ya.
entendre P.elle à4 dire 1SG'a fait mais oh oui
'Mais je l'ai entendue raconter, ça oui.'
Le Juch, Hor Yezh (1983:13)


à gauche de la périphérie gauche

L'interjection avat ! dérivée de l'adverbe avat 'cependant' peut toujours apparaître en bord droit du bloc formé par l'interjection.


(6) Feiz 'hat ! Lakaat ' ra anezho da vont endro !
foi ! ! mettre R ra P.eux à aller postpos.
'Eh bien ! Il les fait marcher à la baguette !'
Standard, Keit Vimp Bev (1984:4)


positions agrammaticales et variation dialectale

Il existe une variation certaine, dialectale et probablement idiolectale, dans la disponibilité et dans la distribution syntaxique des interjections, avec des profils de locuteurs qui ont plus ou moins recours à la morphologie expressive. La restriction n'est pas stylistique, car on peut obtenir des résultats d'agrammaticalité. Par exemple, en cornouaillais de Locronan, A-M. Louboutin (10/2021) ne trouve pas de moyen de traduire dingeling dans Je me croyais toute seule et dingeling!, ya José qui est entré. La locutrice évoque Balim-balon qui ne colle pas avec le contexte puisque c'est plutôt le bruit d'une cloche, et n'a pas de solution de recours. Il est possible que l'agrammaticalité de dingeling dans son breton soit un résultat d'attrition de la langue, auquel cas le refus d'emprunt est remarquable, même si cette locutrice est généralement réticente aux emprunts perçus comme tels.


La distribution syntaxique offre aussi des résultats d'agrammaticalité. A-M. Louboutin (10/2021) a une distribution très restreinte des interjections, qui doivent pour elle strictement précéder leur paraphrase. À noter qu'il n'est pas sûr qu'elle ait comme grammaticale la traduction en français qui lui a été soumise en élicitation.


(1) Zioup! Prest int da vont kuit.
zioup prêt sont à1 aller parti
'Je les ai, zioup !, prêtes à partir.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


(2) Prest (* zioup) int da vont kuit.

Prest int (* zioup) da vont kuit.
Prest int da vont kuit (, * zioup!).


A-M. Louboutin (10/2021) résiste à l'insertion de flik-flak après l'objet en (3).


(3) Amelia a rae batous (? flik-flak) betek ahe.
Amélia R faisait patouille jusque
'Amélia faisait de la patouille, flic-flac jusque là!'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)

Sémantique

prédicats

Les interjections ne réfèrent pas. Ce sont des prédicats.

négation

Une interjection grammaticalisée d'un minimiseur, grik ! contient une négation car elle autorise un item de polarité négative, le nom nu den 'personne, aucune personne'.


(1) Grik da zen !
? à1 personne
'Pas un mot à quiconque !'
Standard, Ar Menn (2015:26)


Il est aussi possible que la phrase élidée qui les a porté soit encore présente syntaxiquement malgré une conventionnalisation forte (Ne larin ket grik da zen!).

spécialisation sur une adresse

Certaines interjections sont spécialisées sur une adresse, comme certaines insultes ou les huchements aux animaux. Certains des huchements d'appel sont des onomatopées évoquant un son produit par l'animal lui-même, mais d'autres sont plus conventionnalisés.

Une insulte est incompatible avec le vouvoiement (dans les dialectes qui ont une stratégie de tutoiement et vouvoiement).

contenu sémantique paraphrasable

Certaines interjections semblent traduites, paraphrasées par la phrase qui les suit.

La phrase en (1) est prononcée après que le locuteur ait entendu un enfant parler. Elle débute par une interjection minimale dont le sens est ensuite paraphrasé.


(1) Oc'ho ! 'M eus aon n'eo ket peurgousket an holl vugaligoù.
je.pense ne1 est pas tout1.endormi le tous 1enfants.petits
'Tiens donc ! Je pense que (finalement) tous les enfants ne dorment pas profondément.'
Standard, Riou (1941:14)


En (2), il s'agit d'une onomatopée d'éternuement, utilisée comme un groupe verbal.


(2) Heoñv neus tennet e vask hag Atchoum ! An neus krañchet kreiz e fas.
lui 3SGM.a tir.é son1 masque et atchoum R.3SGM a éternu.é milieu son1 face
'Il a retiré son masque et Atchoum! Il lui a éternué dans la figure.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


En (3), il s'agit d'un idéophone qui est suivi par une paraphrase en petite proposition.


(3) ha vrrip, Yann ' hont roud nor gass ar liñsen...
et vrrip Yann à4 aller route en1 envoyer le drap
'... et vrrip, Yann s'en fût en prenant le drap.'
Poullaouen, locuteur né vers 1910
Favereau (1984:441)


(4) ... gant an tommder, en ul luc'hedenn pffuitt ! Aet da vurezh !
avec le chal.eur en un éclairs.1 pfffuit allé à1 vapeur
'... grâce à la chaleur, en deux secondes, pfffuit !, évaporé !'
Standard, Monfort (2007:19)


(5) An daoulagad 'zigoran, ha bouf ! Ur mennozh 'zeu din !
le deux.œil R1 ouvre et Bouf ! un idée R1 vient à.moi
'J'ouvre les yeux et bouf ! J'ai une idée !'
Standard, Monfort (2007:32)


  • Krac'h, ... ha krac'h ! '... et paf !', dénouement, Monfort (2006:8)

Ces paraphrases sont un indice sur le contenu sémantique des interjections. Selon la maxime de manière de Grice qui stipule que la communication conversationnelle obéit à la règle de restriction de prolixité non-nécessaire (ici la répétition), l'information donnée par l'interjection et sa paraphrase ne peuvent pas être équivalentes. L'hypothèse que le contenu sémantique des interjections est non asserté, implicite, prédit la possibilité des paraphrases, et on peut prédire que les interjections précèdent leur paraphrase.

Le contenu sémantique des interjections ne consiste pas en des inférences conversationnelles (conversational implicatures) car elles ne sont pas défaisables (# Hélas ! Mais je m'en fiche., # Ahlala ! Mais je ne me plains pas.). Sont-elles des implications logiques (entailment) ?

Quelles sont les conditions de vérité des interjections?

chutes et matières

Les actions de chute correspondent à des interjections différentes suivant les matières en contact, avec une dimension onomatopéique puisque ces chutes peuvent produire un bruit corrélé, mais aussi et surtout une dimension idéophonique car on retrouve des consonnes non-plosives pour les éléments liquides, des plosives en finales (-k) pour les objets cassants solides et des multisyllabiques à alternance apophonique pour les objets ou humains articulés, offrant plusieurs points d'impact.

Gerven (2011) traduit 'Patatras !' par Badadaoù !, Badadaoñ !, Baladaoñ !, ou Poudoum. Cornillet (2020) traduit Patatras ! par Padadao !, et 'Badaboum !' par Pouloudoufez !, Pouroudoum !.

Certaines interjections de chute sont plus généralistes que d'autres, ce qui montre leur éloignement de la dimension onomatopéique. Comme le français Patatras !, Badadav ! /badadao/ est généraliste en ce que la locutrice en (1) le trouve malheureux mais pas nettement agrammatical pour la chute d'un jaune d’œuf, en contraste avec klak qu'elle trouve irrecevable. Ceci éloigne Badadav ! de la dimension onomatopéique car un jaune d’œuf en tombant n'a pas plus de chance de sonner /badadao/ que /klak/.


(1) Flav! Klak! Badadav!
liquide OK *
jaune d’œuf OK * #
plat, assiette * OK
armoire, banc OK
bébé OK
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


(2) Flav, ar melen vi zo kouet ba 'n douar.
patatras le jaune œuf R est tomb.é dans le terre
'Patatras, le jaune d’œuf est tombé par terre.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


(3) Klak, ur plad zo kouet ba 'n douar.
patatras un plat R est tomb.é dans le terre
'Patatras, une assiette est tombé par terre.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)


(4) Heoñv neus boutet ar perseus ha badadav! An armel zo kouet.
lui 3SGM.a pouss.é le perceuse et badaboum le armoire est tomb.é
'Il a poussé la perceuse et badaboum l’armoire est tombée.'
Cornouaillais (Locronan), A-M. Louboutin (10/2021)

valeurs d'autres catégories du discours

Certaines interjections ont des contenus semblables à différentes catégories syntaxiques, comme des adverbes, des particules de discours.


valeur appréciative

L'interjection peut exprimer l'attitude appréciative du locuteur vis-à-vis d'un fait du contexte. Il peut s'agir d'un fait concret (Ec'h !) ou de langue (Alala !). L'appréciation peut être favorable ou défavorable.


(1) Ret e vo c'hoazh fardañ gevier dezho... Halala !
obligé R sera encore préparer mensonge.s à.eux Ahlala !
'Il va encore falloir leur conter des fredaines... Ahlala!'
Standard, Moulleg (1978:21)


Cornillet (2020) associe l'interjection Be ! 'Bah !' à "l'indifférence ou le mépris". Il est possible que cette interjection vienne d'un huchement détourné (be be be 'ra ma gavr 'bê bê bê fait ma chèvre'; c'est-à-dire 'Je m'en soucie autant que ma chèvre') qui a aussi donné beial 'bêler' et beiadeg 'bévue, gaffe'.


La désapprobation et l'impatience peuvent être exprimés par Ata ! Ac'hanta !. L'interjection adverbiale Erfin ! apparaît dans les mêmes contextes (cf. Moulleg 1978:4).


(2) Ata ! Dont a ri ?
et.donc venir R1 feras
'Alors, tu viens ?'
Standard, Le Saëc (1990:6)


(3) Ac'hanta ! Kousket out ?
depuis.donc dormi es
'Ben alors ! Tu dors (limaçon!) ?'
Standard, Moulleg (1978:4)

valeur épistémique

L'interjection peut aussi exprimer l'attitude du locuteur vis-à-vis de la véracité de son énoncé, comme le ferait un adverbe épistémique.


(4) pep hini veille mad or e damm douar, o ya !
chaque celui (R)1 veillait bien sur son1 morceau terre oh oui
'Chacun veillait bien sur son lopin, pour sur !'
Ouessant, Gouedig (1982)


L'interjection d'incrédulité emprunte directement à l'adverbe 'jamais' biskoazh.

L'interjection où le locuteur exprime son espoir dans la réalisation du prédicat, comme le français J'espère !, est formé sur l'adverbe épistémique emichañs (Emichañs !, Mechañs !, Pechañs !, Pichoñs ! 'J'espère !', Gerven 2011) ou l'adverbe épistémique feteiz 'sans doute'.


valeur argumentative

Certaines ont une valeur argumentative, comme A-toue! 'c'est que...'. Elles peuvent être oppositionnelles, ou au contraire marquer l'adhésion comme dans les cas prototypique des particules Ya, Geo, Nann.


(5) Mat ! m'en tou, a rankan kaout eur gwaz a-benn miz Du kenta.
bien moi'le jure R1 dois avoir un mari d'ici mois novembre premier
'Bien! Pour sur, je dois avoir un mari d'ici novembre.'
Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1922:347)


(6) Fedamdoulle! Me na oan ket bet teir eur o kas ar zaout...
moi ne.R1 étais pas été trois heure à4 envoyer le vaches
'Je t'assure que je n'avais pas mis trois heures pour emmener les vaches...'
Trégorrois (Trédrez), Gros (1966:112)


En (7), l'interjection pourrait être paraphrasée par Vous voyez bien !, Je vous l'avais bien dit !.


(7) Ha ! ma 'ven ket amañ...
Ah ! si4 étais pas ici
'Ah ! Si j'étais pas là... '
Standard, Moulleg (1978:27)


Au bord de l'argumentatif, on a la prise à témoin Te !, C'hwi !.


(8) An arhant a ya e-kerz hennez, c'hwi !
le argent R va en.possession celui.là vous !
'Mais l'argent qu'il me coûte, celui-là ! (ne comprenez-vous pas ?)'
Trégorrois, Gros (1984:101)

valeur interrogative

L'interjection A ? réalise une question polaire sur la véracité de l'énoncé précédent, ou sur la véracité d'un fait observé 'C'est vrai ? Vraiment ?'.


(1) A ? Ha da belec'h e soñjez mont, Joe ?
voilà et à1 R penses aller Joe
'Ah bon ? Et où penses-tu aller, Joe ?'
Standard, Ar Menn (2015:44)


L'interjection de voyelle nasale en fin de phrase hañ ?, heñ ?, comme le français hein ?, équivaut sémantiquement à une question comme Qu'est-ce que tu dirais ? Qu'est-ce que tu ferais ?. Elle peut apparaître après une conditionnelle ou une question. C'est une interjection dans la mesure où elle peut aussi apparaître en isolation et poser une question sans contenu lexical (Hañ ?, 'Qu'est-ce qui se passe ?' 'Qu'est-ce que c'est ?' 'Pourquoi es-tu là ?'). Comme toutes les stratégies de question en reprise, elle peut réaliser des questions polaires (Giwr eo, hañ ? 'C'est vrai, einh ?'), mais c'est la seule question en reprise à pouvoir réaliser des questions ouvertes.


(8) Ha ma teufe ar mell bazar-se da vont a-dreuz, hañ ?!
et si4 venait le grand bazar- à1 aller à-travers einh ?
'Et si ce grand bazar venait à dérailler, einh?!'
Standard, Moulleg (1978:6)


L'adverbe neuze 'alors' peut aussi être disloqué à droite et être le seul marqueur de question (intonation descendante sur la phrase avant lui), ou même apparaître en isolation.


  • Ha ma teufe ar mell bazar-se da vont a-dreuz. Neuze ?.
'Et si ce grand bazar venait à dérailler. Alors?!'

valeur exclamative

Certaines interjections semblent n'avoir qu'une valeur exclamative.


(1) Fedamdoustek! Da goef te a zo joget 'vat!
interjection ton1 coiffe toi R est chiffonné donc
'Nom d'un chien, comme ta coiffe est chiffonnée!'
Trégorrois, Gros (1989:'joga')


Elles peuvent intensifier une autre interjection.


(2) A: - Vo ket laret din? B: - O nann, gredan ket...
sera pas dit à.moi Oh non, 1crois pas
'A: 'Tu ne me diras pas?' / B: 'Oh non, je ne pense pas.'
Cornouaillais (Le Juch), Hor Yezh (1983:22)


Les interjections exclamatives sont compatibles avec d'autres exclamatifs. En (3), l'exclamatif na ! est inclus dans la paraphrase de l'interjection O!.


(3) E ma goûg ha rac'h 'm eus bet unan. O ! Na droug !
dans mon2 gorge et tout 1SG a eu un Oh que mal
'J'en ai eu aussi un [furoncle] à la gorge. Oh ! Comme ça fait mal!'
Haut-vannetais (JMh), Louis (2015:218)


valeur causale

(4) An heñi gouez ba krabanou hezh beñ heñ n'a ket pell (a)nahoñ.
le celui (R)1 tombe dans paluches celui.ci ben lui ne1 va pas loin P.lui
'Celui qui tombe entre ses paluches ne va pas loin.'
Haut-cornouaillais (Plouyé), Lozac'h (2014:'mond')

Emprunts, bilinguisme et code-switching

Certaines interjections sont des emprunts complètement lexicalisés, comme tampir! tampis emprunté au gallo tant-pire. Certaines interjections semblent des emprunts moins intégrés, ou même l'effet d'un changement de code, comme les nasales en /ɛ᷉/, ou les marques d'hésitation en euh typiques du français.


(1) [bɛ᷉ ː paˈseːl ʁa bjuz ˈɐxə ˈgiʃə, ᷉ɛ ]
Ben... paseal (a) ra biou aze, e-giz-se, hein.
eh bien passer (R) fait à-côté comme-ça einh
'Eh bien, (le fait est qu')il passe par ici, einh.'
Cornouaille (Briec), Noyer (2019:249)


Les locuteurs sont bilingues, et il y a des rapprochements évidents entre certaines interjections minimales en breton et en français. Le breton Ba! comme le français Bah ! exprime une résignation, un dégagement des enjeux de la situation.


(2) Ba ! Lez da vont! Muioc'h e vo evit ar re all!
bah laisse à1 aller plus R sera pour le ceux autre
'Bah ! Laisse tomber ! Ça en fera plus pour les autres !'
Standard, Le Saëc (1990:11)


En français, Ouste ! est complètement conventionnalisé, mais Brou ! serait des plus exotiques.


(3) Kit kuit ! Oust ! Brou !
allez parti Ouste ! Ouste !
'Ouste ! Du balai !' (à une mouette)
Standard, Monfort (2006:20)


Des morphologies proches entre les deux langues peuvent tout de même rester distinctes, comme Olaaa en breton et Ohlala en français (en français, Olaaa signifie plutôt Ne tire pas de conclusions trop hâtives, pas si vite ! Comme tu y vas !, et Ohlala est toujours interprété comme un emprunt au français).


(4) Ezhomm 'm eus bet eus amzer hag habaskted, Olaaa !
besoin 1SG a eu de temps et patienc.e Ohlala
'J'ai eu besoin de temps et de patience, Ohlala!'
Standard, Monfort (2006:3)


(5) Disfizius eo an den-mañ, Olalaa !
.conf.ant est le homme-ci Ohlala
'Il est méfiant, celui-ci, J'te dis pas!'
Standard, Monfort (2006:13)


Diachronie

Hemon (1975a:§212,213) relève quelques interjections en moyen breton. Il remarque qu'elles sont construites sans verbe fléchi, à part les impératifs (Harz al laer! 'Au voleur!', Breton pré-moderne de 1869, TDE.FB. 935).

  • aey! leun ouf gant angoes, Breton du XVI°, G. 787.
'Oh! I am full of anguish'
  • au chetu me disaereet, Breton 1530, J. p.119.
'Oh! I am unbound!'
  • hau! cleu!, Breton 1557, B. n.371.
'Oh! Hear!'

Les reitérations sont facilement repérables.

  • ha ha, quen scuiz ez-aff na allaf pat, Breton 1557, B. n.583.
'Ah ah! I am getting so tired that I cannot go on'
  • cza! cza! Ma a ray tempest hag estlamm., Breton 1557, B. n.27.
'Now, now! I will storm and rage!'
  • (e) boa boa, chetu chuy bagol!, Am. n.641.
'Bah! Bah! You are in a joyful mood!'


 Troude (1886:'Fi !')
 Foue ! Foe ! Ac'h! Ac'h-men ! Be ! (Prononcez ce dernier comme en français baie.) 
 'Fi, le vilain ! Ac'h-men d'al lous ! Foe louz ! Foe al louz ! Harao pennmoc'h ! Foe ampoezon !
 Troude (1886:'garde, gare !')
 'Prenez garde !' sorte d'interjection, pour dire qu'il y a danger, etc ; Diwallit ! Holla 'ta ! Lec'h-lec'h !
 'Prends garde !' Diwall ! Diwall 'ta ! Holla 'ta !, Evez !
 Troude (1886:'Ah !')
 Aioul ! Ai ! Aiou ! Doue !

A ne pas confondre

Une interjection n'emprunte pas forcément un son provenant du dehors du langage. C'est une propriété qui la distingue nettement d'une onomatopée.

Sa forme peut être entièrement arbitraire, ce qui la distingue des mots expressifs.


Horizons théoriques et comparatifs

Wierzbicka (1992), à partir d'un inventaire des interjections en russe, polonais, anglais et yiddish, a proposé de classifier les interjections en (i) émotive, (ii) volitive, ou (iii) cognitive. Le sens des interjections est capturé par des noms de sentiments, ou par un calcul de quelques primitives sémantiques.


Terminologie

KAG (2016) utilise pour 'interjection' le terme estlamadell, ce qui couvre leur usage exclamatif. Chalm (2008) utilise ger hopal, ce qui couvre leur usage d'interpellation.

Bibliographie

breton


horizons théoriques et comparatifs

  • Meinard, Maruszka Eve Marie. 2015. 'Distinguishing onomatopoeias from interjections', Journal of Pragmatics 76, 150-168.
  • O’Connell, Daniel C. & Sabine Kowal. 2005b. 'Interjections in interviews', Journal of Psycholinguistic Research 34, 153-171.
  • O’Connell, Daniel C. & Sabine Kowal. 2005a. 'Uh and Um Revisited: Are They Interjections for Signaling Delay?', Journal of Psycholinguistic Research 34, 555–576.