Les adverbes déictiques spatiaux
Les adverbes déictiques spatiaux sont les clitiques ou suffixes -mañ, -se et -hont, qui marquent différents degrés d'éloignement par rapport au locuteur ('ici', 'là', là-bas').
(1) | locuteur | proximité immédiate | proximité relative | éloignement |
☺ | -mañ | -se | -hont | |
'ici' | 'là' | 'là-bas' |
On retrouve ces clitiques adverbes déictiques spatiaux dans :
- les démonstratifs analytiques, ar plac'h-mañ /la fille-là/ 'cette fille'...
- les pronoms démonstratifs, hemañ, houmañ, hennezh, hounnezh...
- les adverbes déictiques spatiaux statiques avec la préposition support a; amañ, aze et ahont
- les adverbes déictiques spatiaux dynamiques avec la préposition support ale-; alemañ, aleze et alehont
- les formes figées du-mañ (chez-moi/nous') et du-se ('chez toi/vous', 'là-bas').
Morphologie
Les adverbes déictiques sont toujours en position clitique, en bord droit de syntagme.
accentuation
Les adverbes déictiques spatiaux sont inaccentués.
Les particules -mañ, -se et -hont dérogent donc à la règle qui stipule que dans les mots composés mettant côte-à-côte deux mots portant l'accent, c'est celui du premier qui s'efface ou s'amuise.
C'est en effet leur accent qui disparaît en cas d'adjacence (Hemon 1995:§274-275). Ce sont des clitiques. Ils comptent pour l'accentuation comme la dernière syllabe: an dra-mañ 'cette chose', ou mintin-mañ 'ce matin'.
à ne pas confondre:
Le groupe prépositionnel evel-se 'comme ça' est différent dans son accentuation, et c'est tout à fait logique car sa syntaxe est différente: se y est un pronom fort indépendant qui n'est pas clitique sur la préposition.
variation dialectale
-mañ
(1) | 'N al douar-me | zo méllou | traou. | Cornouaillais de l'est maritime | ||||
An avaloù-douar-mañ | zo melloù | traoù. | Standard | |||||
le pomme(s)-terre-ci | est grand | choses | ||||||
'Ces pommes-de-terre-ci sont vraiment énormes.' | Bouzec & al. (2017:88) |
(2) | Ne vin | ket me | mui amañ | é kennig dour deoc'h. | |||
ne1 serai | pas moi | plus ici | à4 proposer eau à.vous | ||||
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' | |||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:107) |
(3) Dre-mañ, a pa lazher un hoc’h, e lamer ar c’hig druz a-zoc’htoñ.,
- 'Par ici, quand on tue un cochon, on lui enlève la viande grasse.', Vannetais, Herrieu (1994:41)
Thibault (1914:179) donne la forme de vannetais littéraire men et en Nord vannetais à Cléguérec ma(n).
-se
La particule -se se voise (en -ze) après les mots terminés par une voyelle ou une des quatre consonnes l, m, n, r (Hingant 1868:§59).
(3) | Ema | o turlutad | aze | gand eur goz souflez. | ||||||
prt.est | à4 bricoler | là | avec le 1vieux soufflet | |||||||
'Il est là en train de bricoler (perdre son temps, s'amuser) avec un vieux soufflet.' | Trégorrois, Gros (1984:484) |
Après une finale /s/, l'initiale peut devenir plosive par sandhi.
(4) | Ar vowes-te | oa (é) honid | hi boued | (e)n-ur welc'h | an dilhad | e ti an dud. |
le 1femme-là | était à4 gagner | son2 nourriture | en 1laver | le habits | en maison le 1gens | |
'Cette femme-là gagnait sa croûte en lavant le linge à domicile.' | Haut-cornouaillais, Lozac'h (2014:'he') |
Le clitique -se ne peut pas être accentué, contrairement au pronom fort indépendant inanimé se 'ça' avec lequel il ne doit pas être confondu.
Thibault (1914:179) donne la forme de vannetais littéraire sé et en Nord vannetais à Cléguérec se(n).
En haut-vannetais, Le Bozec (2018) relève à Plouhinec une forme étymon en -se(n) qui a différents allomorphes:
- La forme -sen apparaît devant un mot commençant par une voyelle pour liaison ( /i mosən ‘ɑ̃/ , E-mod-se(n) eo-eñv, 'Il est comme ça').
- La forme se devant un mot commençant par une consonne (in ty sə marsɑ̃, en tu-se marse(n), 'de ce côté-là peut-être').
- Une autre forme, /sɑ̃/, sans le /n/ final mais avec une voyelle nasale, apparaît en finale absolue (/in ty sɑ̃/, en tu-sen, 'de ce côté-là').
-hont
En vannetais, Thibault (1914:179) donne la forme de vannetais littéraire hont et en Nord vannetais à Cléguérec hõn.
A Ouessant, la morphologie de -hont montre un ancien renforcement en -se-hont (an dud-se ahont, an dud-s'hont).
Malgorn (1909), Ouessant: "Ne s'emploie pas seul. Souvent on met un s ou un z entre cette particule et le mot précédent : An dud-s'-hont, an den-z'-hont, an ti-z'-hont. Peut-être pourrait-on, par induction, établir une règle pour l'emploi de cette lettre intercalaire. Il est, du reste, bien possible qu'elle existât primitivement. Quelquefois il se produit une répétition : En tu-hont-s'-hont 'de l'autre côté là-bas'.
Sémantique
déicticité et démonstratifs
La dimension déictique des adverbes déictiques spatiaux est utilisée par extension dans le système des démonstratifs. Ces adverbes clitiques sont utilisés pour former des démonstratifs.
(4) bœrmɑ̃, nõzmɑ̃
- matin-ci nuit-ci
- 'ce matin, cette nuit', Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:46)
propriétés anaphoriques
Les trois adverbes clitiques déictiques spatiaux -mañ, -se, -hon apparaissent après kement (Hemon 1995:36).
(3) | N'oa | ket eas | dit lakaat | kement-se ablamour | ar bezhin a zo rinklus. | |||
ne'était | pas facile | à.toi mettre | autant-ça car | le algues R est glissant | ||||
'On ne pouvait pas en mettre tellement que ça, car les algues sont glissantes.' | ||||||||
Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:41) |
Une tournure particulière, e-giz-mañ, permet d'obtenir l'anaphorique /comme ici/. L'adverbe déictique spatial acquiert ici des propriétés anaphoriques (= 'comme ça' en français).
(5) | O sacha | e-giz-mañ | war nask va buoc'h, | a rankan | da stleja ... | ||
à4 tirer | comme.là/ça | sur chaine mon2 vache | R dois | de1 trainer | |||
'En tirant ainsi sur la chaine de ma vache, que je dois trainer.' | |||||||
Cornouaille (Pleyben), Ar Floc’h (1950:57) |
A ne pas confondre
Des trois clitiques, seul -mañ apparaît à l'intérieur d'un composé morphologique: le morphème -mañ semble apparaître dans la formation des indéfinis de choix libre par reduplication: ar paotr-mañ-paotr 'tel ou tel garçon'; mais pas * ar paotr-se-paotr, ni * ar paotr-hont-paotr.
Cependant, Jouitteau (2015b) a montré que le morphème -mañ qui apparaît dans la reduplication den-mañ-den 'telle ou telle personne' n'est pas l'adverbe déictique spatial -mañ, et ne lui ressemble que de façon superficielle.
Tous les adverbes spatiaux ne sont pas déictiques. Eno 'y' est un adverbe spatial anaphorique. Son référent n'est pas à chercher dans le contexte d'énonciation du locuteur, mais dans le co-texte, c'est-à-dire ce qui précède linguistiquement le message. L'adverbe spatial anaphorique eno a besoin d'un antécédent linguistique. Ce n'est pas le cas des adverbes déictiques.
(6) | Met al labour | n'eo | eno | heñvel ouzh | netra. | ||
mais le travail | ne est | là | pareil à | rien | |||
'Mais là, le travail ne ressemble à rien.', | Trégorrois (Kaouenneg)/Standard, Ar Barzhig (1976:32) |
Horizons comparatifs
En gallois, la partie droite du composé formant le démonstratif ressemble plus à un élément pronominal car il est marqués pour le genre et pour le nombre.
(1) a. masculin singulier: hwn 'this', hwnnw 'that'
- b. féminin singulier: hon 'this', honno 'that'
- c. pluriel: hyn 'these', hynny 'those', Gallois, Nurmio (2017:59)
(2) yr adar hyn, Gallois, Nurmio (2017:59)
- le oiseaux DEM
- 'ces oiseaux'
Terminologie
Hingant (1868:§59) appelle les adverbes déictiques spatiaux des 'adjectifs démonstratifs'. Kervella (1947) les appelle en breton rannig-diskouezh.
Bibliographie
- Jouitteau, M. 2015, 'Free choice and reduplication, a study of Breton dependent indefinites', Tomasz Czerniak, Maciej Czerniakowski and Krzysztof Jaskuła (éds.), Representations and Interpretations in Celtic Studies, Lublin, 201-230, pdf.