Différences entre les versions de « Le conditionnel présent »
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Version du 23 mai 2022 à 11:33
Le conditionnel présent est en breton l'un des deux paradigmes verbaux du conditionnel.
Le conditionnel présent est marqué morphologiquement par le morphème -f. Sémantiquement, des alternatives possibles sont ouvertes, et restent ouvertes. On parle de conditionnel réalis.
Morphologie
La morphologie du conditionnel réalis en breton moderne est caractérisée par le morphème -fe, ou -he.
(1) | Derc'hel | a | rin | d'am | gêr | nemet | mervel | a rafen. | ||||||
tenir | R1 | ferai | à1 mon2 | mot | sauf | mourir | R1 ferais | |||||||
'Je tiendrai parole sauf si je meurs.' | ||||||||||||||
An Here (1995:'nemet') |
variation dialectale
diachronie -f vs. -h
Les formes du potentiel sont historiquement des formes en -h. Le Berre (2009:17) relève dans le Stabat Mater de Guéguen de 1622 des exemples de conditionnel est en –he : ma studyhe, na estonhe.
En dehors du vannetais, ces formes en -h ont ensuite convergé avec les formes de l'imparfait en -f.
Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B): "Depuis le XVIIème, une nouvelle désinence en -fen, fes, fe... s'est répandue dans les autres dialectes [que le vannetais]. Elle vient de verbes usuels comme 'mourir', 'vivre', moyen breton marwhe 'il mourrait', bewhen 'je vivrais'. Le groupe -wh- a abouti a -vh-, puis à -f- et s'est répandu, d'où les formes dites régulières karfen, karfes, karfe.
Le Gléau (1973:12,13): "Vers 1710, les trois cinquièmes des formes potentielles des verbes réguliers s'entendent et s'écrivent comme des imparfaits. Par exemple, la caractéristique H s'est toujours amuïe en position intervocalique, sauf pour quelques formes de dont. [...] Le besoin de clarté a imposé progressivement une caractéristique F. Ce passage de H à F existe dans des mots comme dihuniñ: Josef a zifunas BSA. (1877:50) [...] Entre 1610 et 1830 la caractéristique FE s'impose en Haut-Léon dans les verbes réguliers. Bris semble encore ignorer FE, Milin ignore déjà HE. [...] Endevout dans le dernier tiers du 19° siècle et bezan dans le premier tiers du 20° alignent leurs formes potentielles sur celles des verbes réguliers."
On trouve encore en breton moderne des formes en -he en vannetais et dans le bord vannetais. La carte 480 de l'ALBB le montre bien, avec la variation dialectale des traductions de Il irait (s'il voulait). Cette même carte montre aussi qu'en vannetais et dans le nord du pays Glazik, le conditionnel présent est susceptible d'être remplacé par une morphologie du futur.
(4) | Pa | vehec'h | lakaet | paravis | din, | 'vehe gwelet | piv eo | an hani | brasañ. | |||
quand1 | seriez | m.is | vis-à-vis | de.moi | R serait v.u | qui est | le celui | grand.le.plus | ||||
'Si on nous mettait en vis-à-vis (si on nous comparait), on verrait qui est le plus grand.' | ||||||||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:26) |
morphologie en -j
Le conditionnel réalis peut être localement associé à une morphologie en -j-.
(2) | ma chomjec'h | / | ma vije | labour amañ. | |||||||||
ma chomfec'h | / | ma vefe | labour amañ. | Equivalent standard | |||||||||
si4 restiez | si4 serait | travail ici | |||||||||||
'si vous restiez.' / 's'il y avait du travail ici.' | |||||||||||||
Trégorrois (Perros-Guirrec), Konan (2017:263) |
Syntaxe
matrices et subordonnées
Le mode conditionnel peut apparaître en matrices comme en subordonnées.
(3) | Nemet | karout | a rafen | e virfes | ez kerz | un dra | bennak | e koun | eus | hon daremped ... | ||||||||
seulement | aimer | R ferais | R4 garderais | en.ta.possession | un 1chose | quelconque | en souvenir | de | notre rencontre | |||||||||
'Seulement, j'aimerais que tu gardes quelque chose en souvenir de notre rencontre.' | ||||||||||||||||||
Standard, Drezen (1990:43) |
Une conditionnelle peut être introduite par le complémenteur ma, ou en vannetais, par le complémenteur pa, ou ha pa.
(3) | Pa vehec'h lakaet | paravis din, | 'vehe gwelet | piv eo an hani brasañ. | ||||||||
quand1 seriez mis | vis-à-vis de.moi | R serait v.u | qui est le celui grand.le.plus | |||||||||
'Si on nous mettait en vis-à-vis (si on nous comparait), on verrait qui est le plus grand.' | ||||||||||||
Le Scorff, Ar Borgn (2011:26) |
Sémantique
négation et alternatives
Les verbes qui introduisent une complétive, lorsqu'ils sont au négatif, peuvent pointer une alternative possible au monde (Je doute que... Je ne crois pas que... ). Ils imposent alors un conditionnel dans l'enchâssée (Le Clerc 1986:203).
(4) | N 'ê ket laret | [CP | e teufe | ar medisin arc'hoaz | ]. | |||||||
ne1 est pas dit | R4 viendrait | le médecin demain | ||||||||||
'Il n'est pas dit que le médecin vienne demain.' | ||||||||||||
Tréguier, Le Clerc (1986:203) |
Si aucune alternative n'est ajoutée, le conditionnel n'est pas employé.
(5) | Ne | oar | ket | [CP | ec'h on | klanv | ]. | |||||
ne1 | sais | pas | R4, +C suis | malade | ||||||||
'Il ne sait pas que je suis malade.' | ||||||||||||
Tréguier, Le Clerc (1986:203) |
le potentiel sans le doute
Le conditionnel n'implique pas le doute du locuteur. Le locuteur peut dire ne pas croire à une éventualité. Tant que cette éventualité existe, par exemple du fait de l'interlocuteur, le conditionnel peut être utilisé. Le locuteur peut clairement prendre position contre une alternative qu'il reconnait cependant possible.
(1) | Ne | gredan | két | e yafe | beteg | disul. | ||||||
ne1 | crois | pas | R4 irait | jusque | dimanche | |||||||
'Je ne crois pas qu'elle tienne jusqu'à dimanche.' | ||||||||||||
Léon, Seite (1975:65) |
(2) | Ne gredan ket | [CP | e kouskfe | ma breur | ]. | Conditionnel réalis | ||||||
ne1 crois pas | R4 dormirait | mon2 frère | ||||||||||
'Je ne crois pas que mon frère dorme.' | ||||||||||||
Tréguier, Le Clerc (1986:203) |
Parfois, la morphologie du conditionnel marque la postériorité par rapport à un temps de la proposition ancré dans le passé. En (3), le temps où Matriona se lève est un temps du passé. Elle sait à ce moment précis à quoi sera (*serait) occupé le futur de sa journée.
(3) | Gout' ouie | en ur sevel, | da betra | e vefe kinniget | an devezh. | |||||||
savoir R1 savait | en lever | à1 quoi | R serait employé | le journée | ||||||||
'Elle savait (bien), en se levant, à quoi serait employée la journée.' | ||||||||||||
Standard, Ar Barzhig (1976:29) |
potentiel sans morphologie du conditionnel
apodose indicatif présent
Quand la valeur du conditionnel est introduite ailleurs dans la phrase, la morphologie du conditionnel peut être remplacée par celle de l'indicatif.
(2) | Ma kouezfe | eun den amañ | a zo (/ez eus) | fin dezañ. | |||||||||
si tomberait | un homme ici | est | fin de.lui | ||||||||||
'Si quelqu'un tombait ici, c'en serait fait de lui.' | |||||||||||||
Trégorrois, Gros (1966:25) |
apodose indicatif passé
Selon Hewitt (2010b:303), le verbe de la matrice peut optionnellement apparaître à l'indicatif dans l'aire Nord-Est incluant le trégorrois.
(3) | Ma viches | lamped ase | e veffes | marw. | |||||||||
Ma viches | lamped ase | e oas | marw | ||||||||||
si serait | sauté là | R4 serait/étais | mort | ||||||||||
'Si tu sautais là, tu te tuerais.' | |||||||||||||
Hewitt (2010b:303) |
Le même effet est notable avec penemet (panevet).
(4) | Penemet | ma'z | oc'h-c'hwi | kañveriez, | me am boa graet | deoc'h | ur garlantez. | ||||||
sinon | que+C,4 | êtes-vous | deuil.l.ée | moi R.1SG avais fait | à.vous | un guirlande | |||||||
'Sinon que vous êtes en deuil, Je vous aurais fait une guirlande.' | |||||||||||||
Luzel (1868:258) | |||||||||||||
cité dans Menard (1995:172) |
Pour une hypothèse sémantique sur l'utilisation de la morphologie du passé pour créer des contrefactuels, se reporter à Ippolito (2002).
apodose indicatif futur
La carte 480 de l'ALBB montre la variation dialectale des traductions d'une apodose: Il irait (s'il voulait). En vannetais et dans le nord du pays Glazik, on relève une morphologie du futur (on ne sait pas si la protase du conditionnel était avant ou après, mais elle était par ailleurs réalisée).
morphologie du conditionnel sans potentiel
La morphologie du conditionnel peut obtenir une lecture d'habitude.
(1) | /ˌnuzõ | ke 'plɛ:h | møfe ˌlakɛ | ma ly'ni:du/ | |||||||||
N'ouzon | ket peleh | ’mefe laket | ma lunedou. | ||||||||||
ne1 sais | pas où | aurais mis | mon2 lunettes | ||||||||||
'Je ne sais jamais où je mets mes lunettes.' | |||||||||||||
Plozévet, Goyat (2012:301) |
La morphologie du conditionnel peut aussi obtenir un futur, sans que l'interprétation soit d'une incertitude de réalisation de prédicat.
(2) | /bɛn a ˌhwa | dãn ˌør ma | ˌvifiɲ i la'bu:ra | da 'va:d/ | |||||||||
A-benn arhoaz | d’an eur-mañ | e vint o labourad | da vad. | ||||||||||
d'ici demain | à le heure-ci | R seront à1 travailler | pour1 bon | ||||||||||
'Demain à cette heure-ci, ils seront en plein travail.' | |||||||||||||
Plozévet, Goyat (2012:303) |
(3) | Lak an dilhad | er-maez bepred | ma vo gwelet | petra refont: | pe sec'hfont | pe na refont... | |||||||
mets le habits | dehors toujours | que4 sera v.u | quoi (R1) feront | ou1 (R4) sècheront | ou1 ne1 feront | ||||||||
'Mets le linge dehors toujours, que l'on voit ce qu'il fera: s'il sèchera ou non... ' | |||||||||||||
Trégorrois, Gros (2014:'pe') |
Diachronie
Hewitt (2010b:301) considère que le paradigme du potentiel [‑ffe- (G‑ehe-)] dérive historiquement d'un subjonctif imparfait.
Le Brigant (1779:A4) signale l'usage de an diaoul, 'diable' (ayoul ne vifés, an diaoul ne vefes, 'diable que tu fusses').
À ne pas confondre
En trégorrois, les formes plurielles du paradigme du futur utilisent le paradigme en -f qui est par ailleurs caractéristique du conditionnel présent (Falc'hun & Fleuriot 1978-79:6B, Konan 2017:263).
Terminologie
Le Clerc (1986:203) parle pour les formes en -fe de subjonctif potentiel. Cette terminologie vient de l'analyse des phrases équivalentes en français.
Le Gléau (1973:12) utilise le terme de forme potentielle. Ce terme de forme potentielle s'oppose au paradigme de l'hypothétique du conditionnel passé irréalis.
KAG (2016) conditionnel potentiel par amzer c'hallus an doare divizout.
Bibliographie
- Bottineau, Didier. 2012a. 'Les conditionnels potentiel et irréel en breton : De la morphologie temporelle à la valeur instructionnelle', Faits de langues 40, Peter Lang, 85-92. texte.