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=== réduction des traits d'accord ===
=== réduction des traits d'accord ===


Adger (2017) étudie la perte du gaëlique d'Ecosse dans les communautés du Sutherland de l'Est. Il propose que la réduction des traits d'accord dans ce gaëlique est seul responsable, dans son interaction avec le reste de la langue, d'un ensemble d'évolutions syntaxiques comme la réalisation des objets de verbes non tensés, des structures possessives inaliénables et certaines constructions passives. Ces faits sont indépendants de la pression de l'anglais qui est la langue dominante.
Adger (2017) étudie l'évolution du gaëlique d'Ecosse dans les communautés du Sutherland de l'Est, en concurrence avec l'anglais. Il propose que la réduction des traits d'accord dans ce gaëlique est seul responsable, dans son interaction avec le reste de la langue, d'un ensemble d'évolutions syntaxiques comme la réalisation des objets de verbes non tensés, des structures possessives inaliénables et certaines constructions passives. Ces faits sont indépendants de la pression de l'anglais qui est la langue dominante. Par exemple, les jeunes perdent pour l'expression de la [[possession]] la structure [[proclitique]] [[*]] ''mo leabhar'' /mon livre/ qui est pourtant analogue à l'anglais ''my book'', et utilisent la structure prépositionnelle ''an leabhar agam'' (/le livre à.moi/).





Version du 20 avril 2018 à 08:24

Une langue d'héritage est une langue acquise de manière native, mais dans un contexte de bilinguisme diglossique ou une détérioration de l'input.

Les locuteurs de langues d'héritage sont un type de locuteur natif en ce qu'ils sont exposés tôt dans la vie à la langue dite d'héritage. Leur maitrise de cette langue varie de natif sans interruption de pratique avec des zones diglossiques, à des formes d'attritions radicales de la langue. Les facteurs déterminants sont la fréquence d'exposition, la consistance de l'input, l'usage actif de la langue et la présence d'une instruction dans la langue (Montrul 2015).


Etudier les langues d'héritage

langue de comparaison

Etudier une langue d'héritage implique d'établir une comparaison avec une variété plus complète, extensive ou maitrisée de la langue. Il est important que cette langue de comparaison soit précisément la variété avec laquelle un locuteur donné est ou a été en contact, et non pas par exemple une version standard de cette langue, ou un dialecte divergent.

Pour les secondes ou troisième générations, on doit établir l'input auquel ils ont accès (quelle variété dans la famille? accès à l'école, à l'écrit? à des loisirs dans la langue? auprès de natifs? de L2? etc.).


locuteurs réceptifs

Les locuteurs dits "réceptifs" d'une langue sont à la fin du spectre de l'attrition. Ils ne produisent pas ou peu d'énoncés, mais comprennent leur langue d'héritage. Ils ont cependant des jugements de grammaticalité sur la langue, et repèrent des fautes éventuelles dans la structure. Sherkina-Lieber (2011) et Sherkina-Lieber & al. (2011) ont ainsi montré que locuteurs réceptifs de l'innuttitut du Labrador, un dialecte de l'innuktitut, ont une sensibilité aux violations morphosyntaxiques, même si cette sensibilité est moindre comparée à celle de locuteurs actifs.


Attrition morphologique

genre

Le genre est une zone sensible dans les cas d'attrition, et signale rapidement la maitrise incomplète d'une langue. Dans les langues où le genre n'est pas devinable morphologiquement de façon productive, le locuteur doit connaître le genre particulier de chaque nom, ce qui requiert un usage lexical extensif.

Polinsky (2008b) montre que dans une variété de russe parlée en Amérique, l’assignation du genre ne suit pas le système casuel du russe. Les locuteurs ont réinterprété les finales des formes de citation comme des marques de genre, créant donc de toute pièce un système productif d'assignation de genre.


inflection

Les paradigmes d'inflexion sont vite dégradés dans les langues d'héritage, au profit de constructions analytiques (Smits 1996).


simplification casuelle

Polinsky (2008a) montre que dans une variété de russe parlée en Amérique, le cas nominatif est utilisé pour le sujet mais aussi l’objet, et que les cas pronominal accusatif a, lui, colonisé le paradigme des objets indirects et de but.

Simplification syntaxique

Dans les cas d'insécurité linguistique comme une langue d'héritage, il semble y avoir une pression de simplification des structures.

 Scontras & al. (2015a:5): 
 "The list of default-like structures attested for heritage languages includes the use of dependencies which target only the highest structural constituent (as in the Russian relativization [...]); the absence of nesting dependencies (Benmamoun et al., 2013a,b); the elimination of irregular morphology and the concomitant rise of analyticity (Benmamoun et al. 2013a,b); rigid word order (Isurin and Ivanova-Sullivan 2008, Ivanova-Sullivan 2014), often accompanied by the placement of closely associated items next to each other, in keeping with Behaghel’s First Law (Behaghel 1909, Haiman 1983); and the lack of non-compositional structures (Dubinina 2012; Rakhilina and Marushkina 2014)."


dépendances longue distance

Kim (2007) compare les interprétations du liage à longue distance chez des locuteurs d'héritage du coréen. Que la langue dominante soit le chinois ou l'anglais, les locuteurs évitent également les situations de liage complexe comme les anaphores à longue distance. Ce résultat comparatif est important, car il montre que l'appauvrissement ne vient pas du transfert d'une langue de contact en particulier, car autrement l'effet de simplification aurait été plus net pour les locuteurs bilingues en anglais (Scontras & al. 2015a:5).

Polinsky (2011) montre que les locuteurs adultes du russe d'héritage de langue dominante anglais comprennent parfaitement les relatives du sujet mais pauvrement les relatives de l'objet, qui demandent une dépendance à plus longue distance. Elle montre par ailleurs que cet effet est absent chez les enfants, ce qui suggère une dégradation des structures relatives à partir d'une maitrise enfantine.


réduction des traits d'accord

Adger (2017) étudie l'évolution du gaëlique d'Ecosse dans les communautés du Sutherland de l'Est, en concurrence avec l'anglais. Il propose que la réduction des traits d'accord dans ce gaëlique est seul responsable, dans son interaction avec le reste de la langue, d'un ensemble d'évolutions syntaxiques comme la réalisation des objets de verbes non tensés, des structures possessives inaliénables et certaines constructions passives. Ces faits sont indépendants de la pression de l'anglais qui est la langue dominante. Par exemple, les jeunes perdent pour l'expression de la possession la structure proclitique * mo leabhar /mon livre/ qui est pourtant analogue à l'anglais my book, et utilisent la structure prépositionnelle an leabhar agam (/le livre à.moi/).


cause des simplifications

La cause exacte des simplifications syntaxiques n'est pas toujours facile à isoler, et la simplicité de telle ou telle structure est à argumenter. Si il est évident qu'une structure matrice est plus simple qu'une structure enchâssée, la rigidité de l'ordre des mots n'est pas en soi plus simple qu'un ordre flexible. Selon Boon (2014:24), c'est la réduction des environnements sociolinguistiques aux usages entre locuteurs familiers qui implique la raréfaction des enchâssées et des formes verbales rares. Cependant, l'enchâssement est nécessaire à toute parole rapportée, son usage survit donc à la familiarité. De plus, l'argument de la rareté des formes verbales est circulaire (les formes utilisées seront considérées comme non-rares).

Réorganisations langagières

impact sur la langue dominante

L’état de la langue d’héritage peut donner lieu à des réorganisations grammaticales à l’intérieur du système de la langue dominante. Lee & al. (2011) montrent que l'interprétation de la portée de la négation dans la langue d'héritage coréenne a un impact pour les locuteurs sur l'interprétation de leur langue dominante l'anglais.

Scontras (2015a,b) montre que des locuteurs de chinois mandarin d'héritage dont la langue dominante est l'anglais avaient dans leur anglais une possibilité très basse de portée inverse et donc de lecture ambigüe dans les phrases à deux quantifieurs. L'impossibilité de portée inverse est par ailleurs un trait du chinois mandarin.


A ne pas confondre

langue d'héritage vs. dialecte

Les langues d'héritage favorisent les structures compositionnelles, qui requièrent moins de stock lexical. Cela peut dessiner un contraste net avec les faits dialectaux.

L'adverbe complexe da bep mare en est un bon exemple. C'est un adverbe itératif composé de la préposition da 'à', qui provoque une lénition sur le quantifieur pep 'chaque' qui quantifie sur le nom mare 'moment'. Son sens est compositionnel dans la plupart des dialectes 'à chaque moment' > 'continuellement' (De Rostrenen 1732). Cependant, en Haut-cornouaillais maritime, da bep mare a grammaticalisé et signifie 'de temps en temps', et non pas 'à chaque instant' (Bouzec & al. 2017:133). Cet adverbe n'y est donc plus compositionnel.


langue d'héritage vs. langue seconde

L'incomplétion de la maitrise de la langue rassemble les locuteurs d'héritage et les apprenants d'une langue seconde. Ces locuteurs ont cependant des profils différents.

Les apprenants d'une langue seconde ont généralement accès à l'input par un biais scolaire, et non par immersion comme les locuteurs d'héritage. Ils montrent donc une plus grande aisance à l'écrit que des locuteurs d'héritage. Dans le cas des jeunes locuteurs natifs du breton, cette différenciation peut cependant être compliquée par le fait que l'immersion est souvent scolaire.

Il reste cependant la différenciation entre natifs d'une langue ou non, ce qui implique la capacité de créativité langagière et l'usage de structures grammaticales complexes comme la capacité en breton de produire un numéral discontinu dans une structure démonstrative analytique.


(1) Degas an ur mein ha tregont -se din.
envoie le un roche & trente -là à.moi
'Amène-moi ces trente et une roches.' Léon/Standard, M. Lincoln (07/2016), c.p.


langue d'héritage vs. production enfantine

Les enfants produisent très tôt des structures enchâssées. Les relatives apparaissent dès le début de la troisième année. Les langues d'héritage, elles, sont caractérisées par un évitement des dépendances à longue distance (cf. Scontras & al. 2015, et leurs références).

Terminologie

Le terme d'héritage est maladroit dans le sens où toutes les langues constituent un héritage, mais il a l'avantage de saisir ensemble les langues minorisées autochtones et les langues immigrées, qui partagent un rapport similaire à l'espace public et un rapport particulier à une langue dominante. Le terme langue d'héritage signifie plus précisément langue d'héritage plus que de pratique. Il est important de souligner que l'attrition linguistique renvoie à une réalité qui n'est pas celle de toutes les pratiques de langues minorisées, et encore moins de toutes les pratiques bilingues ou plurilingues.

Le terme anglais est Heritage language. Le terme breton est yezh (a) herezh.


Bibliographie

(la bibliographie ci-dessous concerne principalement les productions adultes en état de diglossie provoquée par une attrition de l'input. Plus de références sur l'acquisition d'une langue seconde en contexte bilingue, ou sur les scolarisations en breton peuvent se trouver sur la page sur l'acquisition du langage, ou pour les cas productions adultes, sur la page sur le bilinguisme)


horizons comparatifs en celtique

  • Adger, David. 2017. 'Structure, use, and syntactic ecology in language obsolescence', Canadian Journal of Linguistics/Revue canadienne de linguistique, 62(4): 614–638, texte.
  • Boon, Erin Diane. 2014. Heritage Welsh: a study of heritage language as the outcome of minority language acquisition and bilingualism, Doctoral dissertation, Harvard University, texte.
  • Dorian, Nancy. 1976. 'Gender in a terminal Gaelic dialect', Scottish Gaelic Studies 12/13: 279-282.
  • Dorian, Nancy. 1977. 'The problem of the semi-speaker in language death', International Journal of the Sociology of Language 12: 23-32.
  • Dorian, Nancy. 1978. 'Fate of morphological complexity in language death: Evidence from EastSutherland Gaelic', Language 54: 3: 590-609.
  • Dorian, Nancy. 1980. 'Language shift in the community and individual: The phenomenon of the laggard semi-speaker.' International Journal of the Sociology of Language 25: 85-94.
  • Dorian, Nancy. 1982. 'Language loss and maintenance in language contact situations', The Loss ofLanguage Skills, Richard D. Lambert and Barbara F. Freed (éds.), 44-59. Rowley, MA:Newbury House.


horizons théoriques

  • Behaghel, O. 1909. 'Beziehungen zwischen Umfang und Reihenfolge von Satzgliedern', [Relationships between size and ordering of constituents], Indogermanische Forsch 25, 110–142.
  • Benmamoun, Ellabas, Silvia Montrul & Maria Polinsky. 2013a. 'Defining an “ideal” heritage speaker: theoretical and methodological challenges Reply to peer commentaries', Theoretical Linguistics 39, 259–294.
  • Benmamoun, Ellabas, Silvia Montrul & Maria Polinsky. 2013b. 'Heritage languages and their speakers: opportunities and challenges for linguistics', Theoretical Linguistics 39, 129-181.
  • Benmamoun E, Montrul S, Polinsky M. 2010. White Paper: Prolegomena to Heritage Linguistics. Harvard University, texte.
  • Dubinina, I. 2012. 'How to Ask for a Favor: An Exploration of Speech Act Pragmatics in Heritage Russian, PhD. ms., Bryn Mawr College.
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  • Ivanova-Sullivan, T. 2014. Theoretical and Experimental Aspects of Syntax-discourse Interface in Heritage Grammars, Leiden: Bril.
  • Kim, J.-H. 2007. Binding Interpretations in Korean Heritage Speakers and L2 Learners, PhD. ms., University of Illinois at Urbana-Champaign.
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  • Polinsky, Maria. 2008b. 'Gender under incomplete acquisition: Heritage speakers’ knowledge of noun categorization', Heritage Language Journal 6: 1: 40-71.
  • Polinsky, Maria. 2005. 'Word class distinctions in an incomplete grammar', Perspectives on Language and Language Development, Dorit Diskin Ravid and Hava Bat-Zeev Shyldkrot (éds.), 419-434. Dordrecht: Kluwer Academic Publishers.
  • Rakhilina, R., and Marushkina, A. 2014. 'Non-calquing strategies in Heritage Russian', paper Presented at the Second International Conference on Heritage/Community Languages (Los Angeles, CA: University of California).
  • Rakhilina, E., A. Vyrenkova, & M. Polinsky. 2016. 'Linguistic Creativity in Heritage Speakers', Glossa: a journal of general linguistics 1(1), 43.
  • Scontras, Gregory, Maria Polinsky, & Zuzanna Fuchs. 2018. 'In support of representational economy: Agreement in heritage Spanish', Glossa 3(1), 1.
  • Scontras, Gregory, Zuzanna Fuchs, Maria Polinsky. 2015a. 'Heritage language and linguistic theory', Frontiers in Psychology: Language Sciences, 6(1545):1-20. pdf
  • Scontras, G., Badecker, W., Shank, L., Lim, E., and Fedorenko, E. 2015b. 'Syntactic complexity effects in sentence production', Cognitive Science 39, 559–583.
  • Seals, C.A. & Shah, S. (éds.). 2017. Heritage Language Policies around the World, London: Routledge.
  • Sherkina-Lieber, M. 2011. 'Comprehension of Labrador Inuttitut functional morphology by receptive bilinguals, manuscrit de thèse, Université de Toronto. pdf.
  • Sherkina-Lieber, M., Pérez-Leroux, A. T., & Johns, A. 2011. 'Grammar without speech production: the case of Labrador Inuttitut heritage receptive bilinguals', Bilingualism: Language and Cognition, 14(3), 301-317. pdf.
  • Smits, Caroline. 1996. Disintegration of inflexion, the case of Iowa Dutch, thèse, HIL.