La nominalisation

De Arbres

La nominalisation est un processus qui obtient un nom par dérivation morphologique, à partir d'un item d'une autre catégorie.



Base verbale

suffixation

Certains suffixes comme -edigezh, -idigezh, ont un effet nominalisant.


(1) kemeridigezh ur c'hreñvlec'h
prendre.N un fort.place
'la prise d'un fort' Vallée (1980:XIX)


Le suffixe -ach, -aj, emprunt d'origine romane, obtient un nom massique à partir d'une racine adjectivale, verbale ou nominale.

La base est parfois un radical verbal. Le suffixe -amant, -emant, emprunt d'origine romane, obtient un nom abstrait. Le suffixe -ailh obtient des noms de nuance péjorative.


suffixe optionel ou morphème zéro

En (2), le suffixe -ians a un effet nominalisant, mais il est cependant optionnel, de qui revient à l'hypothèse d'une alternance libre avec un morphème zéro.


(2) Ar gloaneier a zo ker, hag an ober(ïans) anezo a zo ive.
le laines R est cher et le faire.(sfx) P.eux R est aussi
'Les laines sont chères, et leur façon (fabrication, travail, ici: leur tricotage) l'est aussi.' Gros (1970b:§'ober-20')


Un morphème zéro différent est utilisé en (3), puisque celui-ci s'affixe sur le radical du verbe kaozeal nominalisé.


(3) Aze, 'vat, a zo kaoze.
ici cependant R est cause
'Que de barvardage il y a là!' Gros (1989:'kaozé')

par ajout de l'article

La nominalisation déverbale est un processus morphologique très productif en breton (Jouitteau 2005/2010:chap 4).

 Hingant (1868:§39)
 
 AL LABOURAT.
 39. On n'a qu'à mettre l'article avant l'infinitif pour en faire un substantif [...].
 
 Exemples : 
 Labourât, travailler; al labourat, l'action de travailler
 (mot à mot, le travailler); 
 
 diskuiza, se reposer ou se défatiguer; ann diskuiza, l'action de 
 se défatiguer (mot à mot, le se défatiguer); 
 
 sével, monter; 
 ar zével graiou a zô diez d'ar ré a zô berr ho halan, 
 il est difficile à ceux qui ont la courte haleine de monter des côtes (mot à mot, le monter des côtes est difficile à ceux qui ont la courte haleine), etc.


Une racine verbale peut subir, une fois nominalisée, tous les processus dérivationnels des noms. Ci-dessous, la racine /lip/ du verbe lipaat, 'lécher' a reçu un suffixe nominalisant vide (ø).


(2) Al lip 'zo mad, med n'eo ket enorabl.
le léch.ønominalisant R est bon mais ne'est pas honorable
'Le léchage est bon, mais il n'est pas honorable.'
(Il n'est pas convenable de lécher les plats.) Gros (1970b:§'lip')


morphologie

genre masculin

Les substantivisations étaient de genre neutre en proto-brittonique. Les langues brittoniques, en perdant ce genre neutre, ont reclassé les substantivisations de verbes en masculin (Irslinger 2014:84).


non-mutation de l'objet des déverbaux

Il n'y a pas de mutation sur l'objet des déverbaux (Gourmelon 2014:33, 34), pas plus que sur l'objet des verbes tensés. La mutation douce (lénition) qui s'applique sur les adjectifs après les noms ne concerne pas l'argument interne d'un nom déverbal.


(2) dastumerien gwerzhioù /* werzhioù , un nezerez gloan /* c'hloan , ar werzherien petrol /* betrol
collect.eurs * 1chansons , un fil.euse * 1laine , le1 vend.eurs * 1pétrole
'les collecteurs de chansons, une fileuse de laine, les vendeurs de pétrole.'
Gourmelon (2014:33)


Si la mutation est faite, l'interprétation du second nom est celle de matière.

Base adjectivale

suffixation

Une base adjectivale peut devenir un nom par dérivation morphologique, comme l'ajout d'un suffixe en -ach, -adenn, ou -ig.


(1) dister, 'insignifiant' => disterach, 'babiole, chose futile', Merser (2009)

(2) brav, 'beau' => bravadenn, 'embellie, amélioration passagère', Merser (2009)

(3) berv, 'bouillant' => bervig, 'bouillonnement, éclair dans les yeux', Merser (2009)


ajout de l'article

Comme en français, l'ajout de l'article est un processus morphologique visible pour la substantivisation des adjectifs Certains induisent une sémantique de prototype ('le beau') et d'autres non ('le vieux').


(1) ar paour kêz koz, ar paour kêz kêz.
le pauvre-cher vieux le pauvre cher cher
'le pauvre vieux', 'le pauvre homme' Trégorrois, Gros (1989:'Kêz')


La nominalisation désadjectivale est lexicalement restreinte (Hingant 1868:§39).

 Hingant (1868:§39)
 
 AL LABOURAT.
 39. [...] les adjectifs bretons, comme les adjectifs français, deviennent aussi des substantifs, quand ils sont précédés de l'article; mais il n'est pas permis de mettre l'article avant tous les adjectifs bretons, et d'en faire ainsi des substantifs: il faut consulter l'usage, quand on veut faire un substantif d'un adjectif.


En (1), on voit que l'adjectif nevez, 'nouveau' n'est pas nominalisé et on utilise la tête nominale hini. Les adjectifs paour, 'pauvre' et pinvidik, 'riche', le sont, avec une sémantique de prototype.


(1) Ne ree an hini nevez diforh ebed etre ar paour hag ar pinvidig.
ne faisait le N nouveau différence aucun entre le pauvre et le riche
'Le nouveau ne faisait aucune différence entre le pauvre et le riche.' Léon, Lagadeg (2006:113)


Vallée (1980:XX) donne an eeun, 'le juste' et ar bihan, 'la petitesse'.


adjectifs de noms de couleurs

Goyat (2012:195) note que tous les adjectifs de couleur peuvent être substantivés. Il ajoute:


(5) beo, ar beo / paour, ar beorien / izel, an izel / uhel, an uhel
vif, le vif pauvre, le pauvres bas, le bas haut, le haut
'vif, le vif; pauvre, les pauvres; bas, le bas; haut, le haut.', Plozévet, Goyat (2012:195)

emprunts au français

Les adjectifs formés avec des suffixes empruntés au français, comme -an et -ard, peuvent se substantiver par l'ajout d'un article. Les pluriels en -ed visibles en (2) n'apparaîssent que sur les noms.


(2) Feson droukoh e-nevez an dukarded (duarded) evit ar meleganed.
air méchant.plus 3SG-a le noir.sfx.s que le jaune.sfx.sfx.s
'Les hommes bruns ont l'air plus méchants que les blonds.' Trégorrois, Gros (1984:356)

Base adverbiale

(1) War an abred

'au début (de la saison)', Gros (1989: 'abréd')

Terminologie

Le terme dérivation des noms peut aussi référer aux dérivations morphologiques qui prennent les noms comme base, ce qui peut porter à confusion. Le terme breton équivalent est deveradur an anv.


Bibliographie

  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Roy, Isabelle et Elena Soare (dir.) 2011. Nominalizations, Recherches Linguistiques de Vincennes 40, résumés en ligne