La négation

De Arbres
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La négation est un processus ou une construction par laquelle une proposition est dite fausse.


Négation propositionnelle

Le breton a une négation propositionnelle discontinue ou bipartite car les éléments ne et ket entourent le verbe tensé: [ne VERB ket]. La négation bipartite est assez rare typologiquement. Elle est représentée en français avec [ne VERBE pas], mais aussi dans des langues autres comme l'ewegbe.


Les deux éléments ne et ket ne sont pas systématiquement associés: Ne peut fonctionner avec d'autres mots négatifs tels que: des adverbes négatifs (ken, mui, 'plus'), certains noms nus pouvant eux-mêmes être accompagnés de ebet, l'item de polarité négative Nep X, ou sa version intégrée morphologiquement nep-X, nemet, etc..


  • An hini e-neus c'hoant da vezañ brevet 'n-eus ken dond er-mêz ganin-me!
'Celui qui veut être broyé n'a qu'à venir dehors avec moi!' (Gros 1984:29)


  • N'eus ken arne!
ne y.a plus orage
'Il n'y a plus d'orage!' Kerrien (2000:18)

En infinitives

La forme de la négation dans les infinitives est nompas.


(1) abalamour da Yann nompas ankouaad...
à.cause.de de Yann NEG oublier
‘Pour que Yann n'oublie pas.’ Tallerman (1997:219)

(i) Négation propositionnelle

La négation bipartite correspond à ce qu'on appelle le stade II du cycle de la négation (également connu sous le nom de cycle de Jespersen). Plus précisément, l'évolution des marqueurs négatifs à travers les langues suit généralement les étapes suivantes:

 (I) Marqueur négatif préverbal (soit morphème libre, soit clitique) 
   comme par exemple en italien actuel Gianni non è venuto. ('Jean n'est pas venu')
 
 (II) Marqueur négatif + Verbe + Marqueur négatif emphatique. 
 La négation préverbale est perçue comme insuffisante et 
 un deuxième élément est de plus en plus souvent utilisé. 
 Il s'agit le plus fréquemment d'un morphème libre, de nature adverbiale.   
 
 (III) Verbe + marqueur négatif. 
 Le marqueur négatif postverbal est grammaticalisé, 
   comme en allemand Maria spricht nicht viel.('Maria ne parle pas beaucoup')

Le stade II est peu stable diachroniquement, au sens que c'est celui où il y a le plus de fluctuation. Il est très fréquent que l'un ou l'autre des deux marqueurs soit optionnel avant que l'usage stabilise leur distribution et leur rôle sémantique. Parmi les langues qui semblent être actuellement à ce stade il y a le français, le piemontais, le gallois ou l'afrikaans (de Swart 2006).

Dans un article récent, Breitbarth & Haegeman (2008) discutent l'évolution du système négatif dans plusieurs langues et dialectes germaniques et font l'hypothèse que les deux éléments d'une négation bipartite ne remplissent pas le même rôle. Plus précisément, l'élément préverbal n'est pas une négation, mais un marqueur de polarité (notion qui intègre non seulement la négation, mais également certains types de subordonnées, questions ou phrases impératives). Leur analyse prédit également qu'une langue ne garde l'élément préverbal que s'il acquiert d'autres fonctions dans la langue, le plus souvent un usage emphatique (flamand, portugais,dialectes italiens).

L'étude détaillée de la situation du breton doit permettre de vérifier les généralisations et les hypothèses avancées pour d'autres langues qui ont une négation bipartite.


Calcul sémantique de la négation

Lorsque plusieurs éléments négatifs sont présents dans une même phrase, le breton suit pour le calcul de la négation le système de la concordance négative.


a redistribuer

Distribution

La négation est incompatible avec le pronom objet postverbal d'un impératif (Le Gléau 1973:19). C'est alors le proclitique objet qui est utilisé.


(1) hasǝ cǝt.
na ma c'hasit ket
ne 1SG envoyez pas
‘Ne m'emmenez pas.’ Bas-vannetais, Cheveau (2007:207)

La négation explétive

La négation explétive existe en breton.

Il existe à travers les langues des contextes où un élément négatif explétif est possible, voire syntaxiquement obligatoire, sans que cela n'affecte l'interprétation. La négation est alors dite 'explétive' puisqu'elle n'a pas d'impact sur l'interface sémantique. C'est notamment le cas en français dans:

- les subordonnées introduites par avant (Elle m’a appelé avant qu’elle ne parte)
- les compléments de verbes comme craindre (Je crains qu’il ne soit en retard)
- certains types de comparatives (Il a mangé plus que je ne le pensais.)


En breton, puisqu'il y a concordance négative, les marques de négation peuvent être sémantiquement vides dès qu'une autre marque de négation est réalisée dans la phrase. Les cas de négation explétive peuvent donc être observés dans les contextes où aucune autre marque de négation n'est réalisée.


(4) Met al labour n'eo eno heñvel ouzh netra.
mais le travail ne est y pareil à NEG.chose
'Mais là, le travail (ne) ressemble à rien.', standard, Ar Barzhig (1976:32)


(1) an dour na vo nemet tommoc'h a ze.
le eau ne.R sera seulement chaude.plus de ça
'L'eau n'en sera que plus chaude' Tréguier, Leclerc (1986:130)


comparatives

Ne est explétif dans certaines structures comparatives comme en (5).


(5) Goest omp d'ober muioc'h a vad eget ne zonjomp.
capable sommes de faire plus de1 bien que ne pensons
'Nous sommes capables de faire plus de bien que nous (ne) le pensons.' Buhez ar Zent, p.236

exclamatives

La négation bipartite bretonne ne... ket est aussi entièrement explétive dans les exclamatives comme en (6).


(6) Pegen glac'haret, evel ouzout, na oa ket mamm hennezh!
combien affligée, comme sais, ne était pas mère celui.ci
'Quelle n'était (pas) l'affliction de sa mère!' trégorrois, Gros (1984:95)


La négation bipartite ne... pas n'est pas non plus calculée en français dans les exclamatives telles que "quelle ne fut pas sa joie!" (Stendahl, La chartreuse de Parme p.302).

pas de 'ket' explétif

Il est rare à travers les langues d'avoir deux éléments de la négation qui aient une version explétive. Hors les cas des exclamatives, où ket apparaît avec ne, il n'y a pas de cas de phrases avec ket' qui n'aient pas de sens négatif. Ket semble pouvoir n'être pas calculé sémantiquement uniquement dans les cas où d'autres marqueurs de la négation portent cette interprétation - ces cas sont donc réductibles à la concordance négative et il ne semble pas qu'il y ait de ket explétif à proprement parler.

Bibliographie

Description générale

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  • Hemon, R. 2000. Yezhadur Istorel ar Brezhoneg (traduction Hemon 1975 par A. Dipode), Hor Yezh.
  • Press, I. 1986. A Grammar of Modern Breton, Mouton, Berlin (p.110-114).

Ouvrages théoriques

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  • De Zwart, Henriette. 2006. Expression and interpretation of negation. Book manuscript (submitted)
  • Haspelmath, Martin. 1997. Indefinite Pronouns. Oxford: Clarendon Press.
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  • Schafer, R. 1995, ‘Negation and Verb Second in Breton.’, Natural Language and Linguistic Theory 13, 135-172.
  • Schafer, R. 1992. Negation and Verb Second in Breton. Santa Cruz, UCSC unpublished manuscript.
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Description de la variation dialectale

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  • Zeijlstra, Hedde. 2005. 'What the Dutch Jespersen Cycle may reveal about negative concord', In Proceedings of the 38th meeting of the Chicago Linguistics Society, ed. Mary Andronis, Erin Debenport, Anna Pycha and Keiko Yoshimura, ii. 143–58. Chicago: Chicago Linguistics Society.

Spécialistes référents pour cette fiche de collectage

  • Anamaria Falaus, University of the Basque country