La(r)

De Arbres
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Le complémenteur la(r) introduit des subordonnées complétives.


(1) C’hwi n’ouiec’h ket [CP lâr emaon pounner ].
vous ne savez pas que suis lourd(e)
'Vous ne savez pas que je suis lourde.'
Coray, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Bouzeg (1986:III)


Le complémenteur la ou lar est une grammaticalisation du verbe lavar, 'dire' qui peut effectivement introduire une enchâssée.


(2) ...hag ar vamm-gozh lar oa komañs da ve skuizh.
et le mère-vieux dire était commencé à être fatigué
'Et la grand-mère dit qu'elle commençait à fatiguer.' Plouyé, [07/09/2012], Per Kouk sur brezhoneg digor


Morphologie

Dans certains dialectes, le verbe et le complémenteur se prononcent encore de la même façon, quand dans d'autres, la morphologie du complémenteur est maintenant opaquement différenciée du verbe lavar, 'dire'.

Favereau (1997:§597) rapporte pour le Poher les deux prononciations [la] et [læ.r].


variation dialectale

Selon Favereau (1997:§597), la(r) est répandu « de Plogoff au Poher, à l’exclusion de l’extrême-Est – Pelem »).

Ce complémenteur la(r) est utilisé en Haute-cornouaille (à Lanijen, Evenou 1987:580, à Moëlan, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Moëlan,'tud'), en breton central (Favereau 1997:§597, Wmffre 1998:57, à Plonévez-du-Faou, à Plouyé), et jusqu'à Uhelgoat (Skragn 2002:89).


(1) Mè en dud 'n im glemmè 'tao, lar 'vankezè dour...
Mes an dud en em glemme atav, lar e vankje dour...
mais le gens se plaignait toujours que manquait eau
'Mais les gens se plaignaient sans cesse, qu'il aurait manqué de l'eau...' Moëlan, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Moëlan,'tud')


(2) [ bEn santeEx la têhwe ] Lanijen
A-benn e santec'h ma tevae... Standard
quand R sentiez que épaississait
'Quand vous sentiez qu'il levait/s'épaississait.' Lanijen, Evenou (1987:580)


(3) me waɤ (laɤ) mɔħ tõnd
moi sait que êtes à venir
[Je sais que vous venez]
'I know (that) you are coming' Breton central, Wmffre (1998:57)


(4) Goud a ouien eur mare zo lar e oa teo ar vamm!
savoir]] R savais un temps (R) y.a que R était grosse le[1]] mère
'Je savais depuis un moment que la mère était grosse!' Uhelgoat, Skragn (2002:89)


(5) An otro-person lar din lar' me meus ket kalz spered kin !
le recteur dit à.moi C moi ai pas baucoup esprit plus
'Le recteur me dit que je n'ai plus beaucoup de jugeote!' Plonévez-du-Faou, Kazetenn ar Menez 1981, Per Kouk sur brezhoneg digor


(6) Me mije touet a-walc'h lar ..., Scrignac, Per Kouk sur brezhoneg digor


Le complémenteur la(r) est inconnu dans les autres dialectes, et il est très peu reporté dans les grammaires et dictionnaires. Il est par exemple absent de la grammaire de Chalm (2008). Ni la ni lar ne sont des entrées dans Menard & Kadored (2001). Favereau le mentionne dans son dictionnaire, puis sa grammaire, avec de nombreux exemples.

variation idiolectale

La morphologie du complémenteur peut être fluctuante avec un même locuteur. Dans Skragn (2002), qui utilise régulièrement ce complémenteur, on trouve surtout la forme lar, mais aussi parfois la forme la.

Un locuteur comme Skragn qui utilise régulièrement le complémenteur la(r) peut aussi utiliser des complémenteurs phonologiquement nuls.


  • Lod a lare _ e oa ablame e-noa displuñvet re a bolizi.
Uhelgoat, Skragn (2002:105)

Distribution

verbes psychologiques, d'expression ou de perception

Le complémenteur la(r) est sélectionné par les verbes psychologiques, d'expression ou de perception tels que:

 laret lar, 'dire que'; soñjal lar, 'penser que'; gwelet lar, 'voir que'
 gouzout lar, 'savoir que'; krediñ lar, 'croire que'; bezañ sur lar, 'être surs que'
 en em chaliñ lar, 's'inquiéter de ce que', en em glemm lar, 'se plaindre que' ...


(2) Goût 'rit lar 'oa bet prenet he zi ganti dre gle?
savoir faites que était été acheté son maison avec.elle par dette
'Saviez-vous qu'elle avait acheté sa maison à crédit?' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:28)


nominalisations

Les nominalisations de ces verbes psychologiques, d'expression ou de perception peuvent aussi sélectionner la(r) en tête de complétive.

  • Komañset e oan da gaoud esperañs lar e oan barreg.
'J'avais commencé à nourrir l'espoir que j'en étais capable.', Uhelgoat, Skragn (2002:89)
  • Barz an toull-ze e oa ar vrud 'lar e vije eur wrah koz oh ober krampouezh 'barz eur girin.
'La rumeur courrait que dans ce trou, une vieille sorcière faisait des crêpes dans un pot de grès.'
Uhelgoat, Skragn (2002:93)
  • Peogwir ‘n’a tapet ar vrud la’ ouie ober.
‘Puisqu’il avait acquis la réputation qu’il savait le faire.’, Favereau (1997:§597)
  • Ur bariadenn la’ on trec’h dit !
'(Je fais) le pari que je te bats !', Favereau (1997:§597)


relatives de temps

(1) Chiou 'ma(ñ) n'deoz mod n'deoz la oa oet gaor Yann ga'r blei(z). Bannalec/Skaer
Hiziv emañ un devezh mod an devezh ma oa aet gavr Yann gant ar bleiz standard
aujourd'hui est un jour comme le jour que était allé chèvre Yann avec le loup
'litt: 'Aujourd'hui c'est un jour comme quand le loup avait pris la chèvre de Yann.'
(Se dit d'un jour gris, pluvieux ou brumeux, où le ciel semble écraser la terre)
collecté par Maï-Ewen auprès de sa mère (Bannalec/Skaer), 2011.


'la(r)' avec d'autres éléments fonctionnels

'evel la'

(1) [...] Ne oant nemed devezourien, 'n-oa c'hoantet en em lakaad war o hont o-unan
... ne étaient seulement journaliers avait envie.INF se mettre sur leur compte eux-mêmes
'vel la veve kalz a dud d'ar poen-se [...]
comme que vivait beaucoup de gens à'le point-
'C'était seulement des journaliers qui avaient voulu se mettre à leur propre compte, comme (que) vivaient alors beaucoup de gens.'
Uhelgoat, Skragn (2002:9)


avec un autre complémenteur

Skragn utilise la(r) avec un autre complémenteur: penaos.


(7) Gwelet e-meum abaoe lar penaoz ne oa ket gwir.
vu avons depuis que que ne était pas vrai
'Nous avons vu depuis que ce n'était pas vrai.' Uhelgoat, Skragn (2002:100)


Ordre des mots dans la proposition

Après le complémenteur la(r), l’ordre des mots dans la proposition peut être à verbe initial comme dans les subordonnées ou à verbe second comme dans les phrases matrices.


‘la’ –Verbe-Sujet-Objet

L'ordre canonique après le complémenteur la(r) est à verbe initial.


(1) Ne oa ket dav lârout lar’oa flaer.
ne était pas devoir dire.INF que était puant
'Fallait pas dire qu'il sentait mauvais.'
Coray, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Mona Bouzeg
(2) h~ɛmə la.ɤe (laɤ) vɛle kalz tXɔw
[ celui.ci disait.3SG que voyait beaucoup choses ]
['Il disait qu'il voyait beaucoup de choses']
'He said that he saw many things.' Breton central, Wmffre (1998:57)


(3) Me a wele a-walh lar e-noa mizer an hini ruz...
moi R voyais assez que R-avait misère le N rouge
'Je voyais bien que le rouge avait de la peine.'
Uhelgoat, Skragn (2002:129)


 Favereau (1997:§597). Complétives en la
 […] La complétive factuelle peut suivre […] le même ordre des mots, soit
 Proposition + la’ + V + S + O 
 
 Krediñ 'ran la’ ‘no soñj deus outoñ.
 ‘Je crois bien qu’il se souviendra de lui.’
 
 Gwir eo la’ oa kalz skoaselloù.
 ‘Il est vrai qu’il y avait beaucoup d’ornières.’
 
 Deut ‘oa paotred kêr da c’hoût la’ teue ur paotr yaouank deus pell.
 ‘Les gars du village avaient appris qu’un jeune homme venait de loin.’
 
 Soue’et bras ‘oa-eñ la’ roulemp war div rod.
 ‘Il était fort étonné que nous roulions sur deux roues.’, Poher, Favereau (1993:'la')
 
 Klevet ‘na-int ar gaoz la’ ‘h ae ar vugale gantoñ ba e dreid.
 ‘Ils avaient entendu raconter qu’il emportait les enfants dans ses serres.’
 
 Setu ‘veze gouiet la oa un eured ba kêr.
 ‘Ainsi savait-on qu’il y avait une noce au village.’
 
 Ankouaet ‘n’a la ‘h ae an dour dreist ar bontenn.
 ‘Il avait oublié que l’eau passait par dessus la passerelle.’
 
 Neu’n ‘vije bet ar chañs la’ chomeche muioc’h re yaouank ‘barzh ar vro.
 ‘Alors, il y aurait eu une chance que davantage de jeunes restent au pays.’
 
 Favereau (1997:§598) :
 (Ne) ‘m eus ket klevet laret la’ oa hi !
 ‘Je n’ai pas entendu dire que c’était elle !’
 
 Goût a rez da-hun’ la’ (ne) ‘m eus takenn ebet.
 ‘Tu sais bien toi-même que je n’en ai pas une goutte.’


'la' – ordre de matrices

Les propositions en la(r) peuvent aussi introduire des propositions dont l'ordre des mots n'est pas prototypique des enchâssées (complémenteur-Verbe-Sujet-Objet), mais des matrices (verbe second et même verbe en troisième position...).

Favereau (1997:§598) donne des exemples d'enchâssées en lar où un constituant a été antéposé au verbe fléchi (la+ XP + V...).

 Favereau (1997:§598). Structures alternatives des complétives en la.
 
 Deut ‘oa anaouedegezh da berc’henn an ti la’ ar chupenn oa aet.
 ‘Le propriétaire de la maison avait réalisé que la veste avait disparu.’
 
 Soñjal a ran la’ an ouvrierien a chomas da gousket.
 ‘Je pense que les ouvriers restèrent dormir.’
 
 Un teod ‘n’eus lavaret la’ dre an Ti-meur an dour ‘vise aet.
 'Un bavard a affirmé que l’eau passerait par le Tymeur.'
 
 Evel ar c’hefeleg, la’ ma ve yen an amzer en em blija…
 ‘Comme la bécasse, qui si le temsp est froid, se plaît à… (YFK)'


Comme dans les phrases matrices, il est aussi possible d'aller jusqu'à des ordres V3:


  • Evel-se am-eus soñjet abaoe lar [ keit ha 'vez bihan an dud ] [ ne ] welent nemed traou braz en-dro dezo.
'Comme ça j'ai pensé depuis que tant que les gens sont petits, ils ne voient autour d'eux que des choses grandes.'
Uhelgoat, Skragn (2002:23)


variation dialectale ou idiolectale

Favereau (1997:§598) associe cette structure aux plus jeunes locuteurs, ou à ceux de Basse-Cornouaille, « bigoudène ou autre ». Cependant, cette caractérisation est à relativiser, car on peut trouver les deux ordres concurrents chez le même auteur. On trouve ainsi les deux ordres de mots chez Skragn, qui, s'il utilise surtout les ordres à verbe initial après la(r), a aussi des ordres à verbe second.


(1) Ya, me oar a-walh lar eur vuoh wenn he-deus kalz a lêz.
oui, moi sait assez que un1 vache1 blanche 3SGF-a beaucoup de lait
'Oui, je sais bien qu'une vache blanche a beaucoup de lait.' Uhelgoat, Skragn (2002:130)


(2) Te a laro dezi lar me a baseo da baea da c'houde.
toi R dira à.elle que moi R passera pour payer pour après
'Tu lui diras que je passerai payer plus tard.' Uhelgoat, Skragn (2002:68)

Analyse

Selon Favereau (1997:§597), l’apparition de la(r) est à mettre en relation avec l’amuïssement du rannig e dans les parlers de Cornouaille.


Horizons comparatifs

Il n'est pas rare à travers les langues que des verbes comme 'dire' se grammaticalisent en complémenteurs. C'est par exemple le cas en Gungbe, langue Kwa parlée au Bénin.