Différences entre les versions de « La(r) »

De Arbres
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| (1) || /bEn santeEx '''la''' têhwe/ || ''Lanijen''||
| (1) || /bEn santeEx ||'''la''' têhwe/ || ''Lanijen''||
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|  || A-benn e santec'h ma tevae... || ''standard''||
|  || A-benn e santec'h|| ma tevae... || ''standard''||
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|  || [[a-benn|quand]] [[R]] sentiez [[ma|que]] épaississait
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| (2) || ''me wa<sup>ɤ</sup> '''(laɤ)''' mɔħ tõn<sup>d</sup>'' ||  
| (2) || ''me wa<sup>ɤ</sup> ||'''(laɤ)''' mɔħ ||tõn<sup>d</sup>'' ||  
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|  || [[pfi|1SG]] sais.3SG C êtes.2PL [[particule o|P]] venir]||  
|  || [[pfi|1SG]] sais.3SG || que êtes.2PL ||[[particule o|à]] venir]||  
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|  || [Je sais que vous venez]||  
|  || [Je sais que vous venez]||  

Version du 20 mai 2011 à 09:33

Le complémenteur la(r) introduit des subordonnées complétives.


(1) C’hwi n’ouiec’h ket [CP lâr emaon pounner ].
2PL ne savez pas que suis.1SG lourd(e)
'Vous ne savez pas que je suis lourde.'
Kore, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Mona Bouzeg


Morphologie

Le complémenteur la ou lar est une grammaticalisation du verbe lavar ('dire'). Dans certains dialectes, le verbe et le complémenteur se prononcent encore de la même façon, quand dans d'autres, la morphologie du complémenteur est maintenant opaquement différenciée du verbe lavar, 'dire'.

Favereau (1997:§597) rapporte pour le Poher les deux prononciations [la] et [læ.r].

La morphologie du complémenteur peut être fluctuante avec un même locuteur. Dans Skragn (2002), qui utilise régulièrement ce complémenteur, on trouve surtout la forme lar, mais aussi parfois la forme la.

Un locuteur comme Skragn qui utilise régulièrement le complémenteur la(r) peut aussi utiliser des complémenteurs phonologiquement nuls.


  • Lod a lare _ e oa ablame e-noa displuñvet re a bolizi.
Uhelgoat, Skragn (2002:105)

variation dialectale

Selon Favereau (1997:§597), l’apparition de la(r) est à mettre en relation avec l’amuïssement du rannig e dans les parlers de Cornouaille (« de Plogoff au Poher, à l’exclusion de l’extrême-Est – Pelem »).

Ce complémenteur la(r) est utilisé en Haute-Cornouaille (à Lanijen, Evenou 1987:580), en breton central (Favereau 1997:§597, Wmffre 1998:57), et jusqu'à Uhelgoat (Skragn 2002:89).


(1) /bEn santeEx la têhwe/ Lanijen
A-benn e santec'h ma tevae... standard
quand R sentiez que épaississait
'Quand vous sentiez qu'il levait/s'épaississait.' Lanijen, Evenou (1987:580)


(2) me waɤ (laɤ) mɔħ tõnd
1SG sais.3SG que êtes.2PL à venir]
[Je sais que vous venez]
'I know (that) you are coming' breton central, Wmffre (1998:57)


(3) Goud a ouien eur mare zo lar e oa teo ar vamm!
savoir R savais un temps (R) y.a C R était grosse le mère
'Je savais depuis un moment que la mère était grosse!' Uhelgoat, Skragn (2002:89)


Le complémenteur la(r) est inconnu dans les autres dialectes, et il est très peu reporté dans les grammaires et dictionnaires. Il est par exemple absent de la grammaire de Chalm (2008), ou du dictionnaire unilingue An Here (2001).

Distribution

verbes psychologiques, d'expression ou de perception

Le complémenteur la(r) est sélectionné par les verbes psychologiques, d'expression ou de perception tels que:

 laret lar, 'dire que'; soñjal lar, 'penser que'; gwelet lar, 'voir que'
 gouzout lar, 'savoir que'; kredin lar, 'croire que'; bezan sur lar, 'être surs que'
 en em chalin lar, 's'inquiéter de ce que' ...


nominalisations

Les nominalisations de ces verbes psychologiques, d'expression ou de perception peuvent aussi sélectionner la(r) en tête de complétive.

  • Komañset e oan da gaoud esperañs lar e oan barreg.
'J'avais commencé à nourrir l'espoir que j'en étais capable.', Uhelgoat, Skragn (2002:89)
  • Barz an toull-ze e oa ar vrud 'lar e vije eur wrah koz oh ober krampouezh 'barz eur girin.
'La rumeur courrait que dans ce trou, une vieille sorcière faisait des crêpes dans un pot de grès.'
Uhelgoat, Skragn (2002:93)
  • Peogwir ‘n’a tapet ar vrud la’ ouie ober.
‘Puisqu’il avait acquis la réputation qu’il savait le faire.’, Favereau (1997:§597)
  • Ur bariadenn la’ on trec’h dit !
'(Je fais) le pari que je te bats !', Favereau (1997:§597)

'la(r)' avec d'autres éléments fonctionnels

'evel la'

  • [...] Ne oant nemed devezourien, 'n-oa c'hoantet en em lakaad war o hont o-unan 'vel la veve kalz a dud d'ar poen-se [...]
Uhelgoat, Skragn (2002:9)


avec un autre complémenteur

Skragn utilise la(r) avec un autre complémenteur: penaos.

  • Gwelet e-meum abaoe lar penaoz ne oa ket gwir.
'Nous avons vu depuis que ce n'était pas vrai.'
Uhelgoat, Skragn (2002:100)

Ordre des mots dans la proposition

Après le complémenteur la(r), l’ordre des mots dans la proposition peut être à verbe initial ou à verbe second.


‘la’ –VSO

L'ordre canonique après le complémenteur la(r) est à verbe initial.


(1) Ne oa ket dav lârout lar’oa flaer
ne était pas dire.INF que était puant
'Fallait pas dire qu'il sentait mauvais.'
Kore, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Mona Bouzeg
(2) h~ɛmə la.ɤe (laɤ) vɛle kalz tXɔw
[ celui.ci disait.3SG que voyait beaucoup choses ]
['Il disait qu'il voyait beaucoup de choses']
'He said that he saw many things' breton central, Wmffre (1998:57)


(3) Me a wele a-walh lar e-noa mizer an hini ruz ...
1SG R voyais assez que R-avait misère le N rouge
'Je voyais bien que le rouge avait de la peine.'
Uhelgoat, Skragn (2002:129)


 Favereau (1997:§597). Complétives en la
 […] La complétive factuelle peut suivre […] le même ordre des mots, soit
 Proposition + la’ + V + S + O 
 
 Krediñ 'ran la’ ‘no soñj deus outoñ.
 ‘Je crois bien qu’il se souviendra de lui.’
 
 Gwir eo la’ oa kalz skoaselloù.
 ‘Il est vrai qu’il y avait beaucoup d’ornières.’
 
 Deut ‘oa paotred kêr da c’hoût la’ teue ur paotr yaouank deus pell.
 ‘Les gars du village avaient appris qu’un jeune homme venait de loin.’
 
 Soue’et bras ‘oa-eñ la’ roulemp war div rod.
 ‘Il était fort étonné que nous roulions sur deux roues.’
 
 Klevet ‘na-int ar gaoz la’ ‘h ae ar vugale gantoñ ba e dreid.
 ‘Ils avaient entendu raconter qu’il emportait les enfants dans ses serres.’
 
 Setu ‘veze gouiet la oa un eured ba kêr.
 ‘Ainsi savait-on qu’il y avait une noce au village.’
 
 Ankouaet ‘n’a la ‘h ae an dour dreist ar bontenn.
 ‘Il avait oublié que l’eau passait par dessus la passerelle.’
 
 Neu’n ‘vije bet ar chañs la’ chomeche muioc’h re yaouank ‘barzh ar vro.
 ‘Alors, il y aurait eu une chance que davantage de jeunes restent au pays.’
 
 Favereau (1997:§598) :
 (Ne) ‘m eus ket klevet laret la’ oa hi !
 ‘Je n’ai pas entendu dire que c’était elle !’
 
 Goût a rez da-hun’ la’ (ne) ‘m eus takenn ebet.
 ‘Tu sais bien toi-même que je n’en ai pas une goutte.’

'la' – ordre de matrices

Les propositions en la(r) peuvent aussi introduire des propositions dont l'ordre des mots n'est pas prototypique des enchâssées (complémenteur-Verbe-Sujet-Objet), mais des matrices (verbe second et même verbe en troisième position...).

Favereau (1997:§598) donne des exemples d'enchâssées en lar où un constituant a été antéposé au verbe fléchi (la+ XP + V...).

 Favereau (1997:§598). Structures alternatives des complétives en la.
 
 Deut ‘oa anaouedegezh da berc’henn an ti la’ ar chupenn oa aet.
 ‘Le propriétaire de la maison avait réalisé que la veste avait disparu.’
 
 Soñjal a ran la’ an ouvrierien a chomas da gousket.
 ‘Je pense que les ouvriers restèrent dormir.’
 
 Un teod ‘n’eus lavaret la’ dre an Ti-meur an dour ‘vise aet.
 'Un bavard a affirmé que l’eau passerait par le Tymeur.'
 
 Evel ar c’hefeleg, la’ ma ve yen an amzer en em blija…
 ‘Comme la bécasse, qui si le temsp est froid, se plaît à… (YFK)'


Comme dans les phrases matrices, il est aussi possible d'aller jusqu'à des ordres V3:


  • Evel-se am-eus soñjet abaoe lar [ keit ha 'vez bihan an dud ] [ ne ] welent nemed traou braz en-dro dezo.
'Comme ça j'ai pensé depuis que tant que les gens sont petits, ils ne voient autour d'eux que des choses grandes.'
Uhelgoat, Skragn (2002:23)


variation dialectale ou idiolectale

Favereau (1997:§598) associe cette structure aux plus jeunes locuteurs, ou à ceux de Basse-Cornouaille, « bigoudène ou autre ». Cependant, cette caractérisation est à relativiser, car on peut trouver les deux ordres concurrents chez le même auteur. On trouve ainsi les deux ordres de mots chez Skragn, qui, s'il utilise surtout les ordres à verbe initial après la(r), a aussi des ordres à verbe second.


(1) Ya, me oar a-walh lar [ eur vuoh wenn ] he-deus kalz a lêz.
oui, 1SG sait assez que un vache blanche 3SGF-a beaucoup de lait
'Oui, je sais bien qu'une vache blanche a beaucoup de lait.' Uhelgoat, Skragn (2002:130)


(2) Te a laro dezi lar [ me ] a baseo da baea da c'houde.
2SG R dira à.3SGF que 1SG R passera pour payer à après
'Tu lui diras que je passerai payer plus tard.' Uhelgoat, Skragn (2002:68)


  • Ya, emezi, o soñjal lared dezañ e oan lar [ma vije bet deuet da jikour ahanon da zorna warhoaz] am-mije roet an droad dezav da leuskel e zaout 'barz ma frad.
Uhelgoat, Skragn (2002:39)
  • Ar re-mañ a ouie a-walh lar [d'an devezh-se] e vije brokuz an dud.
Uhelgoat, Skragn (2002:81)


Favereau (1997:§598) voit dans les ordres de mots V2 après la(r) une influence de l’emploi du français "que". Il note cependant aussi un autre parallèle, interne, lui, au breton: le complémenteur ha(g) peut, lui aussi, introduire des ordres V2 en enchâssées.

Jouitteau (2005:199) suit cette dernière intuition, et considère que les ordres V2 qui sont possibles avec les complémenteurs ha(g) et la(r) découlent tous deux de leurs étymologies particulières respectives. Le verbe lavar, 'dire', peut en effet sélectionner dans le discours des enchâssées (V1) comme des matrices (V2):

 Jouitteau (2005:199,200):
 Le "verbe 'dire' peut sélectionner aussi bien une
 complétive comme en a., qu’une indépendante en discours rapporté comme en b.
 
 (x) a. J’ai entendu dire qu’il pleuvait
     b. J’ai entendu dire : ‘Il pleut’.
 
 Le complémenteur la créé en cornouaillais continental par un processus de grammaticalisation
 d’un verbe pouvant sélectionner une proposition indépendante (XP-VSO) a gardé cette
 propriété de sélectionner des propositions indépendantes. Quand au complémenteur ha(g)
 [...], il est homophone de la coordination. Un élément de coordination
 typiquement peut sélectionner deux matrices indépendantes, et donc sélectionner une
 proposition XP-VSO. Je considère donc que les enchâssées à verbe second en la et en ha(g)
 ne sont pas des contre-exemples à la généralisation que les enchâssées du breton sont 
 à verbe initial (C-VSO). 
 Au contraire, il est symptomatique que seuls les complémenteurs dont l’étymologie particulière 
 permette la sélection de propositions indépendantes permettent un
 ordre XP-VSO en enchâssées. J’en conclus qu’il n’y a pas d’évidence consistante pour
 l’hypothèse d’une zone topique sous C en breton."

Horizons comparatifs

Il n'est pas rare à travers les langues que des verbes comme 'dire' se grammaticalisent en complémenteurs. C'est par exemple le cas en Gungbe, langue Kwa parlée au Bénin.