Différences entre les versions de « Kaout, 'avoir' »

De Arbres
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=== Breton central, Poher ===
=== Breton central, Poher ===


Le breton central marque un système en pleine évolution.
Le breton central marque un système en pleine évolution, avec une régularisation du paradigme du verbe 'avoir', qui est illustré à Carhaix par [[Timm (1987a)|Timm (1987a]]:275) et pour le breton central par [[Wmffre (1998:37,40)]].


Le paradigme de cette variété est illustré à Carhaix par [[Timm (1987a)|Timm (1987a]]:275) et pour le breton central par [[Wmffre (1998:37,40)]].
Morphologiquement, l'accord en personne est marqué par le préfixe, comme dans les variétés plus anciennes, mais l'accord en nombre bascule vers les suffixes. A la deuxième personne le nombre est marqué sur le préfixe, mais il apparaît en suffixe pour la première personne. Il n'y a pas d'accord en [[genre]].
Morphologiquement, l'accord en personne est marqué par le préfixe, comme dans les variétés plus anciennes, mais l'accord en nombre bascule vers les suffixes. A la deuxième personne le nombre est marqué sur le préfixe, mais il apparaît en suffixe pour la première personne. Il n'y a pas d'accord en [[genre]].


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C'est un trait de régularisation du verbe 'avoir' vers le système de tous les autres verbes de la langue.
C'est un trait de régularisation du verbe 'avoir' vers le système de tous les autres verbes de la langue.
{| class="prettytable"
| (2) ||<font color=green> /'tud'tReo ||<font color=green>ne' ||<font color=green>ɛm ||<font color=green>ontambin ||<font color=green>RepəRa''siɛn/ </font color=green>||||||''Poher (Carhaix)'', [[Timm (1987a)|Timm (1987a]]:276)
|-
| || Tout an traoù || ne(vez)|| ezhomm ||un tamm bihan ||reparasion.
|-
| ||[[tout]] [[art|le]] [[traoù|choses]] || a.(HAB) || [[ezhomm|besoin]]|| [[art|un]] [[tamm|morceau]] [[bihan|petit]] ||réparation
|-
|||colspan="4" | 'Tout a besoin d'être un peu réparé.'
|}
{| class="prettytable"
| (3) ||<font color=green> /owə'||<font color=green> nɛŋk </font color=green>||||||''Poher (Carhaix)'', [[Timm (1987a)|Timm (1987a]]:276)
|-
| || Aon || neuint.
|-
| ||[[aon|peur]] || ont
|-
|||colspan="4" | 'Ils ont peur.'
|}


Selon [[Wmffre (1998)|Wmffre (1998]]:42), en breton central, le verbe ''kaout'' n'a pas d'[[impératif]]. Ce paradigme est cependant vivant dans les autres dialectes.
Selon [[Wmffre (1998)|Wmffre (1998]]:42), en breton central, le verbe ''kaout'' n'a pas d'[[impératif]]. Ce paradigme est cependant vivant dans les autres dialectes.

Version du 1 mars 2019 à 16:37

Le verbe kaout ou endevout 'avoir', est un auxiliaire et un verbe lexical transitif exprimant la possession. C'est un verbe exceptionnel en breton à plus d'un égard.


(1) An dud o doa ur sell stard, du.
le 1gens 3PL avait un regard dur noir
'Les gens avaient un regard dur, noir.' Plouyé 2002, Spered Ar Yezh 29-155-04


Traits exceptionnels du verbe kaout

Le fait même d'avoir développé un verbe 'avoir' est unique à travers les langues celtiques. Ce verbe a aussi, de façon interne au breton, de multiples comportements morphosyntaxiques originaux.


mutations

Humphreys (1995:337) remarque avec justesse que ce verbe ne subit pas de mutations consonnantiques à son initiale. L'initiale du verbe ne varie pas selon le rannig, et donc le contexte syntaxique précédant ce rannig comme les autres verbes. Fait exceptionnel en breton, l'initiale du verbe kaout peut varier selon la personne du sujet.


(2) [ p,ǝs kǝ hw'ent / m,a pǝs hw'ent]
p-eus ket c'hoant ma p-eus c'hoant
(ne) 2SG-a pas envie si4 2SG-a envie
'Tu ne veux pas.' / 'Si tu veux.' Breton central, Humphreys (1995:337)


morphologie

infinitif

L'infinitif du verbe 'avoir' est différent de dialecte en dialecte. Hemon (2000:§140,(10),br.) note qu'en KLT moderne comme en moyen breton, il n'existe pas de morphologie infinitive propre au verbe 'avoir', qui emprunte celui du verbe trouver (caffout, ka(v)out), ou du verbe bezañ/bout 'être'. La formation de l'infinitif du verbe 'avoir' sur une base empruntant au verbe 'être', ou à différents verbes lexicaux exprimant l'idée de possession n'est pas original à travers les langues du monde.


(2) Red eo beza greet anezhi evit her gouzoud.
obligé est être fait P.elle pour le.IN savoir
'Il faut l'avoir fait pour le savoir.' Léonard (Cléder), Seite (1998:41)


(3) Kas a rae ar jao 'vit bout houarnoù nevez.
envoyer R1 faisait le cheval pour avoir fers neuf
'Il amenait son cheval pour qu'il ait des fers neufs.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:15)


On trouve cependant kaout dans le sens de 'posséder'. En (4), Yvon Crocq oppose en contexte kaout et reiñ 'donner', action qu'il dit que le gouvernement n'aime pas faire. Le sens de kavout 'trouver' ici ne coïncide pas avec 'avoir, posséder', car Crocq insiste justement sur une intentionalité du gouvernement dans le fait de posséder (de 'prendre') ou de 'donner'.


(4) Pa vez da gaout, oh! neuze eo doun ha ledan e c'hodelloù Cornouaillais / Léon, Croq (1908:1)
quand1 est à1 avoir oh alors est profond et large son1 poches
'Quand il s'agit de posséder, oh, alors ses poches sont larges et profondes.'


Rostrenen (1738:68) relève des formes telles que endevout dans le vannetais. Selon Hemon (2000:§140,(10),br.), cette forme endevout n'existe pas ailleurs dans les dialectes.

Le breton a par ailleurs un autre verbe lexical de sens 'posséder', qui est surtout, lui, répandu sous sa forme infinitive: piaouiñ. Cet infinitif n'a cependant pas été adopté comme infinitif du verbe servant à la fois de dénotation de la possession et d'auxiliaire.

racine

La racine verbale du verbe kaout 'avoir' est visiblement le verbe bezañ 'être'. La forme d'habitude du verbe bezañ (bez/vez) émerge d'ailleurs parfois visiblement dans la morphologie:


(5) An hini a chomo amañ a lakay dour da virviñ er gaoter evit poazhañ ar pesked [...] hor bezo paket.
le N R restera ici R mettra eau à1 bouillir dans.le 1chaudron pour cuire le poissons 1PL aura attrapé
'Celui qui restera ici mettra de l'eau à bouillir pour cuire les poissons que nous aurons attrappés.'
Basse-cornouaille (Pleyben), ar Gow (1999:33)


 Trépos (2001:§598):
 "Les formes [...] peuvent être "allongées":
 e-neveus, he-deveus, o-deveus, e-nevoa, he-devoa...


(6) Meur a hini em raok o deveus graet, hag emichañs, me a raio ivez. Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:112)
moulte de1 N dans.mon avant 3PL a fait et sans.doute moi R1 fera aussi
'Plus d'un avant moi l'a fait, et je le ferai aussi sans doute.'


conjugaison

 La variation de la morphologie de l'accord du verbe kaout, 'avoir', est documentée dans l'ALBB:
 
 - au présent : 'j'ai, nous avons', 'tu as, vous avez', 'il a, elle a, ils ont'
 - au futur: 'j'aurai' et à l'imparfait 'tu avais', 'j'avais'
 - au conditionnel passé : '(si) j'avais eu' et présent '(si) j'avais'
 - au passé et présent d'habitude: '(quand) j'avais', '(quand) j'ai', '(quand) tu as'
 

Un trait exceptionnel du verbe kaout est le marquage des traits du sujet sur la gauche du composé dans les variétés anciennes et standard.

Cette exceptionnelle flexion verbale marquée sur la gauche du composé est déjà remarquée par Le Gonidec (1838:87). Cependant, en le lisant, on peut deviner que Le Gonidec considère en fait le préfixe non comme un morphème d'accord sur la gauche, mais comme un pronom sujet. Il ne le note pas directement, mais considère que les phrases qui commencent avec le verbe 'avoir' suivent la règle de placement du verbe fléchi en seconde place (c'est donc que pour lui, un pronom occupe la première place).

Dans la zone centrale de l'aire brittophone, la morphologie verbale a glissé vers la droite du composé (type neusomp, neunt). Ce mouvement de régularisation sur le modèle des autres verbes de la langue irradie à partir de cette aire centrale.


(7) An heñchou neunt ket bet kleuñiou gwech ebet. Basse-cornouaille (Huelgoat), Skragn (2002:73)
le routes ont pas eu talus fois aucun
'Les routes n'ont jamais eu de talus.'


Le basculement vers un marquage de suffixation est déjà remarqué par Leclerc (1986:75) comme un trait qui contraste le trégorrois de Tréguier avec la langue littéraire:

 Leclerc (1986:75):
 "Remarques sur les formes irrégulières de am eus, II.
 Parfois, dans le parler populaire de Tréguier, on trouve des formes propres à la conjugaison personnelle, comme 
     
     am eump' 'nous avons', 
     o deint 'ils ont',  
     o doaint 'ils auront'
     kollet am eump 'nous avons perdu'
 
 - Mais ces formes doivent être soigneusement évitées dans la langue littéraire.
 

Dans les parlers où ce glissement n'est pas entièrement achevé, seule certaines personnes du paradigme ont un morphème d'accord à droite.

 Bouzec & al. (2017:507):
 "Ce verbe peut parfois, et cela contrairement à l'usage standard, se conjuguer comme un autre verbe et prendre une terminaison. Comme le ferait un verbe régulier. C'est le cas aux première et troisième personne du pluriel à Bannalec et Riec. A Moëlan, à la troisième personne du pluriel."

On peut observer une séparation des marques de personne et de nombre. Les marques de personnes apparaissent encore sur la gauche du composé (2 = peus, 3 = neus), alors que les marques de nombre apparaissent à droite (Ploneis 1983:162-3 pour Berrien, Le Roux 1957:202 pour le Poher).


voir aussi Ernault (1888:258-65), (1890:472-4), RC 9 et 11.

Syntaxe

base sur bezañ, 'être'

Le verbe 'avoir' en breton est formé sur la base du verbe bezañ, 'être'. Il lui emprunte son infinitif dans certains dialectes, et son participe passé dans tous. La forme eus du verbe bezañ apparaît dans le composé verbal, et les formes d'habitude du verbe 'être' émergent parfois dans la paradigle de kaout/endevout.


rares conjugaisons en ober

Le verbe kaout 'avoir', comme le verbe 'être', ne peut pas être conjugué avec l'auxiliaire 'faire' (* kaout a ran, * bezañ a ran).

La forme vannetaise endevout dite de l'"infinitif conjugué" tolère la conjugaison avec l'auxiliaire ober (en devezout a ra cals a spered, De Rostrenen 1738:68). On en trouve aussi une occurrence dans un manuel d'apprentissage des années cinquante en Léon.


(1) N'on ket souezet, rag kaout a ra ur spered lemm. Léon, Seite & Stéphan (1957:59)
ne1'suis pas surpris car avoir R fait un esprit aiguïsé
'Je ne suis pas surpris, car elle est vive d'esprit.'


On en trouve aussi quelques occurrences qui peuvent être assimilées au verbe kavout 'trouver'.

(2) kaout a reas kemend a blijadur o lenn al leor-ze, ma ne lennas ken epad ar c'horaiz., Breton de 1879, BMN.:24, cité dans Hemon (1975:§107)

'Il prit tant de plaisir à lire ce livre qu'il ne lut que celà durant le carême.'


pas de forme de l'impersonnel

Comme noté par Leclerc (1986:75), le verbe 'avoir' ne possède pas de forme impersonnelle (forme en -er traduisant On a).


pronoms objets postverbaux en vannetais

Le verbe kaout est le seul à avoir un paradigme de pronoms objets directs postverbaux. Ceux-ci sont restreints à la personne 3. Ils n'apparaissent qu'en vannetais.


ellipse de kaout

Le verbe kaout est aisément élidé.


(3) ['mɑhrï 'kwɛdɑm ]
Ema ret _[ø]_ koed dam. Guéméné-sur-Scorff, McKenna (1976-8:74)
Ema obligé avoir bois dame
'Dame, 'faut du bois.'


(4) Eur hard eur a zo réd din _[ø]_ evid mond d'ar skol... Léon, Seite & Stéphan (1957:51)
un 5quart heure R1 est obligé à.moi pour aller à1'le école
'Il me faut un quart d'heure pour aller à l'école...'


Sémantique

possession vs. attribution et accompagnement

Le verbe kaout lexical dénote la possession au sens strict. En contraste, l'attribution est exprimée avec le verbe bezañ 'être' et la préposition da, et l'accompagnement avec le verbe bezañ 'être' et la préposition gant, 'avec'.


(in)définitude du possédé

Kervella (1947:§611), Fave (1998:59), Gourmelon (2014:15) notent une restriction de l'usage de kaout lexical aux indéfinis. Lorsque l'argument possédé est un groupe nominal défini, l'opposition sémantique kaout/bezañ gant/bezañ da est neutralisée, et la langue a recours a des stratégies prépositionnelles. L'usage de bezañ gant apporte la notion sémantique de non-permanence. La possession stricte est alors réalisée avec bezañ da.


(1) An 2cv gozh-se zo din, mes ur BMW 'm eus a-hend-all.
le 2cv 1vieux-ci est à.moi mais un BMW '1SG a à.chemin.autre
'Cette deux-chevaux est à moi, mais autrement j'ai une BMW.' Gourmelon (2014:15)


(2) Ar gontell-mañ zo din.
le 1couteau-ci est à.moi
'Ce couteau m'appartient.' Gourmelon (2014:15)


(3) An arhant-se n'int ket deoh; bez ez int? Daoust m'emaint ganeoh.
le argent- ne'sont pas à.vous être R sont malgré que sont avec.vous
'Cet argent ne vous appartient pas, n'est-ce pas? Bien que vous l'ayez (sur vous).'
Cornouaillais (bigouden), Bijer (2003:17)


Cela se vérifie pour les noms de maladie.


(4) Ar berranal a zo get Yann. / Yann en deus berranal.
le court-souffle R est avec Yann Yann 3SGM a court-souffle
'Yann est essouflé (d’avoir fait un effort physique important).'/
'Yann souffre d’un problème respiratoire.' Haut-vannetais, Louis (2015:113)


Cependant, on trouve des contre-exemples même parmi les noms concrets.


(5) Pad an dibenn zunn emefe oto Jean-Paul.
pendant le fin semaine R.1SG aurait voiture Jean-paul
'Pendant le week-end, j’ai (habituellement) la voiture de Jean-Paul.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)


(6) Be' meus be' Yann! Poullaouen, locuteur né vers 1910, Favereau (1984:441)
eu ai eu Yann
'J'ai eu Yann!'


au négatif

Fave (1998:59) note que la restriction sur la définitude des arguments possédés disparaît dans les phrases négatives (Fave 1998:60).


noms abstraits

Gourmelon (2014:16) note qu'un certain nombre de noms abstraits des champs sémantique du droit ou des sentiments font exception à la restriction à l'indéfinitude du sujet et peuvent être l'argument défini possédé du verbe kaout (ar gwir, an droed, ar goñje, ar blijadur, ar chañs, ar boan...). C'est le cas des entités abstraites en général.


(7) Glaskit tche mi be meus ar respont.
(ne1) cherchez pas plus expl ai le réponse
'Ne cherche plus, j’ai la réponse.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)


(8) Mat eo evit benn disadorn, be meus kod antre ar savadur.
bon est pour à samedi expl ai code entrée le bâtiment
'C'est bon pour samedi, j'ai le code d'entrée de l'immeuble.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)


partie-tout

Le verbe kaout dénote aussi la relation partie-tout.


(9) Eur feunteun, a gredan, a zo ive evel m'he deus péb chapel e Breizh-Izel.
un fontaine, R crois R est aussi comme C 3SGF a chaque chapelle en Bretagne-Basse
'Il y a aussi, je crois, une fontaine comme chaque chapelle en a en Basse-Bretagne.'
Léon, (Cléder), Seite (1998:23)


(10) Perzhioù gwanoc'h en deus ivez al levr.
parties faible.plus 3SG a aussi le livre
'Le livre a aussi des parties/traits plus faibles.' Gourmelon (2014:16)


mesure d'une entité

La mesure d'une entité comme le poids utilise le verbe kaout, là où le français utilise le verbe faire.


(1) Pésort pouez peus? Cornouaillais de l'Est (Riec)
Peseurt pouez ho peus? Equivalent standard
quel poids 3PL a
'Quel poids faites-vous?' Bouzec & al. (2017:91)


variation dialectale ?

Miossec utilise aussi le verbe kaout pour la mesure d'une entité (longueur, largeur).


(2) CONTEXTE: "Nous sommes accueilis dans une grande salle...
Bez' he-deus da vihanna, tri-ugent metr hed ha tregont metr lehed.
être 3SGF-a à1 moins trois-vingt mètre long et trente mètre largeur
'Elle fait au moins soixante mètres de long et trente de large.'
Léon (Guiclan), Miossec (1980:7)


Pour le même contexte, M-L. B. à Plougerneau refuse le verbe kaout, mais utilise la forme ez eus de la copule (Bez' zeus da vihannañ... / * Bez he-deus da vihannañ..., M-L. B. (01/2016)).


expressions utilisant avoir en français, mais pas en breton ?

Favereau (1993) donne bezañ ar voull g' ub 'avoir du bol'.


'avoir un sentiment'

Selon Fave (1998:60), les formules telles que avoir mal, avoir hâte, avoir peur, etc. sont importées du français et ne se traduisent pas en breton par l'usage du verbe kaout.

Favereau (1993) donne effectivement bezañ kar (-nes) da... 'avoir de l'affinité', bezañ sur 'avoir la certitude', bezañ abaf 'avoir des complexes', bout burluet 'avoir la berlue', bezañ fifil 'avoir la bougeotte', bezañ aog g' udb., & tremen skuizh, faezh 'en avoir ras le bol, en avoir sa claque', gouzout an doare 'en avoir le coeur net' ...

Cependant, Favereau (1993) donne aussi kaout euzh ouzh ub 'avoir en abomination', kaout gwalc'h e galon 'avoir son content'...


'avoir bon goût, etc.'

Selon Fave (1998:60), les formules telles que avoir bon goût, avoir une maladie, avoir dix ans, etc. sont importées du français et ne se traduisent pas en breton par l'usage du verbe kaout. Favereau (1993) donne 'kaout digoradur 'avoir du chien'.


(3) * ar ruzell e-neus vs. ar ruzell 'zo gantañ.
le rougeole 3SGM-a le rougeole R est avec.lui
'Il a la rougeole.' Léon, (Cléder), Fave (1998:60)


(4) Blaz vat 'zo gant ar zoubenn.
goût1 bonne est avec le 1soupe
'La soupe a bon goût.' Léon, (Cléder), Fave (1998:60)


Cependant, Favereau (1997:§434) donne Blaz mat he deus ar soubenn, et An Here (1995:§'aon') donne kaout aon, arabat deoc'h kaout aon, comme trouvé en corpus.

  • N'he deus ket aon rak an domder re vras.
'Elle n'a pas peur des grandes chaleurs.', Le Bozec (1933:52)


existentiel: 'avoir qqch devant soi'

Les existentielles favorisent en breton le verbe bezañ. Le verbe kaout se trouve aussi en corpus standard.


(5) (Ne) gallon tchet mont er-maez be zo daou gi glep dirak ma nor.
ne peux pas aller dehors expl y.a deux1 chien mauvais devant mon porte
'Je ne peux pas sortir, j’ai deux chiens inconnus devant ma porte.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)


(6) Un tasad kafe du en doa dirazañ.
un tasse.ée café noir 3SGM avait devant.lui
'Il avait devant lui une tasse de café.' Standard, Drezen (1932:6)


expérientiel: 'avoir les chaussettes qui tombent, etc.'

Le verbe kaout est licite et parfois préféré pour l'expérientiel, c'est-à-dire lorsque le groupe nominal du "possédé" inclut un pronom possessif co-référent avec le sujet.


(7) Be zo /meus ma loeroù a gouezh. (préférence déclarée pour meus)
expl y.a/ai mon chaussettes R1 tombe
'J’ai les chaussettes qui descendent.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)


(8) Benn diriaou 'tigoueho ma sraoù. (* ... meus ma sraoù o tont.)
à jeudi (R)4 arrivera mon2 choses
'Jeudi, j’ai la commande qui arrive.' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (03/2017)

alternance avec 'être' en auxiliation

Le verbe kaout, contrairement au verbe 'avoir' en français, est compatible avec un verbe réfléchi:


(1) Ar vandenn a-bez he deus en em serret en eun torkad.
le1 bande en-entier 3SGF a se rangé en un troupeau , Le Bozec (1933:82)
'Tout le troupeau s'est rassemblé.' (*... s'a rassemblé)


(2) A pa oa predet, holl an dud o doa em stardet muioc'h c'hoazh trema an oaled...
et quand était mangé tout le 1gens avaient se rapproché plus encore vers le foyer
'Après le repas, tout le monde se rapprocha encore plus du foyer...' (*... s'a rapproché) Vannetais, Ar Meliner (2009:135)


Dans les cas d'alternance entre les verbes 'être' et 'avoir', 'avoir' contraste par la présence d'un agent dans la structure thématique du verbe. Cette alternance est notée en Breton central (Wmffre 1998:47) et en vannetais (Guillevic & Le Goff 1986:47). Selon ces derniers, la variation tient au fait que les verbes "expriment un état ou une action".


(3) a. [ za.əd õn ] vs. b. [ za.əd møs on ti ]
levé suis élevé ai une maison
'Je me suis levé(e).' vs. 'J'ai construit une maison.' Breton central, Wmffre (1998:47)


(4) a. [ ʒɛɣəd e ] vs. b. [ ʒɛɣəd nøs an n˜õ:ɣ ]
fermé est fermé a.3SG le porte
'C'est fermé.' vs. 'Il a fermé la porte.' Breton central, Wmffre (1998:47)


(5) Je suis allé : oeit on / em es oeit
Je suis venu : deit on / em es deit
Je suis arrivé : arriù on / em es arriùet
Il est mort : marù é / en des marùet
Ils sont restés : chomet ind / ou des chomet
Je suis tombé : koéhet on / em es koéhet Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:47)


accord

En règle générale, le système d'accord du breton montre un effet de complémentarité, ce qui signifie que, à part dans certains contextes isolables, les traits du sujet sont réalisés morphologiquement ou bien sur le sujet lui-même, ou bien sur l'accord verbal, mais pas sur les deux.

Or, le verbe 'avoir', en langue standard et dans ses variétés les plus anciennes, est bloqué à l'accord riche (cf. Le Gonidec 1838:92, Hendrick 1994:173). Ce verbe porte toujours une marque des traits du sujet (genre, personne, nombre).


Variation dialectale

Le trait le plus exceptionnel du verbe kaout/endevout 'avoir, est qu'il suit des règles de conjugaison différentes de dialecte en dialecte.


Breton standard

En breton standard, le verbe kaout / endevout, 'avoir', covarie avec les traits du sujet. Il est en cela unique dans la langue, puisqu'il échappe à l'effet de complémentarité. Ar Barzhig, originaire du Trégor (Kaouenneg, au sud de Lannion), utilise un breton très standard pour sa traduction La maison de Matriona de Soljenitsyn. Il marque régulièrement l'accord riche en nombre et en genre avec le sujet du verbe kaout, 'avoir'. La morphologie de l'accord apparaît sur la gauche du composé verbal.


(6) An holl1 draoù o doa ur plas en he fenn.
le tout 1choses 3PL avait un place dans sa2 tête
'Chaque chose avait une place pour elle.', Standard, Ar Barzhig (1976:29)


(7) Komzet puilh o deus _ ar c'hazetennoù eus Solzenitsyn.
parlé abondamment 3PL a le journaux de Soljenisyn
'Les journaux ont abondamment parlé de Soljenisyn.' Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:7)


En standard, l'accord riche sur le verbe kaout est automatique, que le sujet lexical soit devant ou après l'élément tensé.


(8) Hor mistri o deus en em ziskouezet dreist (...)
nos maîtres 3PL a se1 montré super
'Nos maîtres se sont montrés très efficaces.'
Standard, Kervella (1933:76)


(9) Gwir eo o deus klasket renerien ar vro gwelaat tra pe dra.
vrai est 3PL a cherché dirigeants le 1pays amélior.er chose ou1 chose
'Il est vrai que les dirigeants du pays ont cherché à améliorer quelques choses.'
Standard, Kervella (1933:79)


Léonard

Le léonard est assez proche de la variété de breton standard, pour lequel il a servi de modèle pendant longtemps. On y voit le verbe kaout covarier avec les traits du sujet. Le premier morphème du standard peut avoir tendance à sauter (cf. standard ni hor beus, ar c'hezeg o doa).


(1) A ya, ni beus bet an hini gentañ hag a starde diouzhtu.
Ah oui nous a eu le N 1première C R pressait de.suite
'Ah oui, nous on a eu la première qui pressait tout de suite.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:43), (voir aussi p.186)


(2) Ar hezeg 'doa naon, edichent bet lonket toud an dra-ze ma vichent bet laosket.
le 5chevaux 'avait faim R auraient été avalé tout le 1chose-ci si4 seraient été laissé
'Les chevaux avaient faim.' Ouessant, Gouedig (1982)


On note occasionnellement la perte de distinction genrée.


(3) ( Ar sorserez / an avel) neus kaset Dorothée da Vro Oz.
le sorcièreF / le ventM 3SGM.a envoyé Dorothée à1 pays Oz
'La sorcière/le vent a envoyé Dorothée au pays d'Oz.' Léon (Landivisiau), Y. Simon (23/03/2013)


Le pronom objet n'apparaît pas au cas direct après le verbe kaout en Léon. Dans Seite (1998), le verbe kaout dans les temps composés n'autorise pas casuellement un pronom objet. En (4), on voit que le pronom objet n'est pas autorisé casuellement par le verbe kaout, car la mutation spirante sur le participe passé montre que le pronom lui est proclitique.


(4) Me ive am-eus he hanet dindan eñvor ...
moi aussi R-1SG-a la2 chanté sous mémoire
'Moi aussi, je l'ai chantée de mémoire...' Léon, (Cléder) Seite (1998:21)


Même en Léon, la régularisation du verbe 'avoir' sur les autres verbes progresse, avec quelques effets de complémentarité. En (5), la locutrice à Plougerneau qui opère une tâche de traduction du français utilise automatiquement un accord pauvre, que le sujet pluriel soit devant ou après le verbe. Interrogée sur cet accord, elle corrige prestement en o deus, ce qui montre que deux systèmes peuvent être présents pour le même locuteur.


(5a.) Ar vugale neus gwelet ar vaouez deac’h.
le 1enfants 3SG.a vu le 1femme hier
'Les enfants ont vu la femme hier.' Plougerneau, M-L.B (10/2018)


(5b.) Gwelet e neus ar vugale ar vaouez deac’h.
vu R4 3SG.a le 1enfants le 1femme hier
'Les enfants ont vu la femme hier.' Plougerneau, M-L.B (10/2018)


Ceci est confirmé plus loin dans la même élicitation lorsque la locutrice donne comme synonymes les phrases en (6).


(6) Ar vugale o doa aer klañv. / Ar vugale noa an aer da veha klañv.
le 1enfants 3PL avait air malade le 1enfants avait le air de1 être malade
'Les enfants ont semblé malades.' Plougerneau, M-L.B (10/2018)


Breton central, Poher

Le breton central marque un système en pleine évolution, avec une régularisation du paradigme du verbe 'avoir', qui est illustré à Carhaix par Timm (1987a:275) et pour le breton central par Wmffre (1998:37,40).

Morphologiquement, l'accord en personne est marqué par le préfixe, comme dans les variétés plus anciennes, mais l'accord en nombre bascule vers les suffixes. A la deuxième personne le nombre est marqué sur le préfixe, mais il apparaît en suffixe pour la première personne. Il n'y a pas d'accord en genre.

Le fonctionnement de l'accord est aussi en voie de régularisation. Timm (1987a:275) remarque que la forme neus est employée après un sujet pluriel à Carhaix, ce qui est agrammatical avec les pronoms (* me neus, * te neus). A la première et seconde personne, le verbe doit s'accorder avec les traits du sujet, mais l'effet de complémentarité émerge à la 3PL. Ce n'est pas décelable au singulier puisque l'accord riche et l'accord pauvre y sont réalisés de la même manière, mais au pluriel, on voit que les sujets réalisés, pronominaux ou nominaux, déclenchent l'accord pauvre (1).


(1) [hiɲ nøs] / [an dyd nøs] vs. forme avec sujet vide: [nœ̃ɲ]
int neus an dud neus neugn
eux a.3SG le 1gens a.3SG a.3PL (=ont)
'Ils ont, les gens ont...'
Breton central, Wmffre (1998:37,40)


C'est un trait de régularisation du verbe 'avoir' vers le système de tous les autres verbes de la langue.


(2) /'tud'tReo ne' ɛm ontambin RepəRasiɛn/ Poher (Carhaix), Timm (1987a:276)
Tout an traoù ne(vez) ezhomm un tamm bihan reparasion.
tout le choses a.(HAB) besoin un morceau petit réparation
'Tout a besoin d'être un peu réparé.'


(3) /owə' nɛŋk Poher (Carhaix), Timm (1987a:276)
Aon neuint.
peur ont
'Ils ont peur.'


Selon Wmffre (1998:42), en breton central, le verbe kaout n'a pas d'impératif. Ce paradigme est cependant vivant dans les autres dialectes.

Le Bayon (1878:29) : Ha péès, En déèt, Hi déèt, Hur béemb, Hou péet, Ou déent
Kervella (1995:§206) : bez / az pez, en devefet, he devefet, bezomp / hor bezet, bezit / ho pezet, o devefet
Trépos (2009:307) : bez / az-pe, en-devefe, he-devefet, bezom / or-bezet, bezit / ho-pezet, o-devefent
Favereau (1997:§417) : 'z pez !, hor bezet !, ho pe(ze)t !
Chalm (2008:59), Ménard (2012:1435) : am bezet, az pezet / az pez, en devezet, he devezet, hor bezet, ho pezet / ho pet, o devezet
Menard & Kadored (2001:XLIV) : am bezet, az pezet, en devezet, he devezet, hor bezet, ho pezet, o devezet
Ar Merser (2009:568): bez / az-pez, en-defet / en-devefet, he-defet / he-devefet / bezom / or-bezet, bezit / ho-pezet / ho-pet, o-defent / o-devefent

Trégorrois

Bas-trégor (Locquirec)

Al Lay (1925) utilise des formes régularisées de kaout pour le style oral, mais aussi la forme archaïque ou typiquement vannetaise de l'objet postverbal pour le corps du texte:

am eump, p.23. / n'am eump ket kollet evelkent hon nozvez., p.113
kement a dôliou-treid o deus roet d'ei, ken m'o deus hi torret., p.29


Tréguier

La variété de breton documentée à Tréguier par Leclerc en 1906 correspond parfaitement à la caractérisation du breton central ci-dessus. Le manque d'accord en genre (1) et la régularisation du système d'accord vers le système de complémentarité (2) s'y vérifient.


(1) Setu petra an neus laret hoc'h mamm.
voici quoi R.3SG a dit votre+C3 mère
'Voici ce qu'a dit votre mère.' Tréguier, Leclerc (1986:76)


(2) Ar re-man an neus gwelet ar re-ze n'o deus ket.
le ceux-ci R.3SG a vu le ceux- ne 3PL 3.a pas
'Ceux-ci ont vu, ceux-là n'ont pas vu.' Tréguier, Leclerc (1986:76)


La variété de Plougrescant tombe sous cette généralisation trégorroise. Le Dû (2012:104-5) considère qu'en breton de Plougrescant, l'accord du verbe kaout est sensible à la position pré ou post-verbale du sujet lexical. Cependant, les exemples donnés sont avec une négation, ce qui force indépendamment l'accord riche avec un sujet prénégation.


(1) E ré góós sé dijéņ-ķe kalles tra de lare tahh.
le ceux vieux ci (ne) auraient-pas beaucoup chose à1 dire à.vous
'Ces vieux-là, ils n'auraient pas grand chose à vous dire.'
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:105)


(2) [Ne] nijé-ked e ré góós sé kalles tra de lare tahh.
ne aurait.3SG-pas le ceux vieux ci beaucoup chose à1 dire à.vous
'Ces vieux n'auraient pas grand chose à vous dire.'
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:104)


Le Dû (2012:104-5) considère aussi qu'en breton de Plougrescant, l'accord du verbe kaout est sensible au genre du sujet. Même des auteurs qui pensent suivre la règle du standard, comme le très normatif Le Bozec (1933), laissent transparaître des exceptions de ce type qui marquent une influence trégorroise. L'étude du verbe kaout, 'avoir' dans le paradigme de Le Bozec (1933) montre qu'il suit parfaitement la règle écrite du breton standard. Les occurrences fléchies du verbe 'avoir' marquent toujours les traits de nombre, de personne et même de genre de leur sujet. Cependant, dans le cas des sujets postverbaux, kaout apparaît avec la marque 3SG.


(x) Pet ponsin en deus ar yar?
combien poussin 3SG a le poule
'Combien de poussins a la poule?' Le Bozec (1933:48)


(y) Pet vloaz en deus ho chas ?
combien1 an 3SF a votre3 chiens
'Quel âge ont vos chiens?' Le Bozec (1933:76)


Cornouaillais

Cornouaillais de l'Est

Le breton de l'Est de la Cornouaille est consistant avec l'évolution du breton central. Dans la thèse de Erwan Evenou portant sur le breton parlé à Lanvenegen, un sujet lexical ou pronominal pluriel déclenchent l'accord pauvre sur le verbe 'avoir', comme ils le feraient avec n'importe quel autre verbe de la langue.


(1) [ tyd mə mam -- pwan e tizowlo famij -- na diw vjOx ]
Tud ma mamm p'oan o t-dizoleañ ar familh, en doa div vuoc'h.
parents ma2 mère quand étais à4 découvrir le famille avait.3SG deux1 vaches
'Les parents de ma mère, quand je découvris la famille, avaient deux vaches.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:576)


(2) [ hje nize be marsən tenəd a:nun ]
Int o dije bet marse tennet warnon.
eux aurait.3SG eu peut-être tiré sur.moi
'Eux, m'auraient peut-être (eu) tiré dessus.' Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:575)


Le pronom sujet postverbal 3PL documenté à Riec, Bannalec (Bouzec & al. 2017:25) ou Saint-Yvi (German 1984, German 2007:174) déclenche le même accord pauvre.


(3) Rost't neus yiè hi dorn ga laez tomm-béro. Cornouaillais de l'Est (Riec)
Rostet he deus he dorn gant laezh tomm-berv. Équivalent standardisé
rôti (3SGF) a (3PL) son2 main avec lait chaud-bouillant
'Elle s'est brûlé la main avec du lait bouillant.' Bouzec & al. (2017:391)


(4) Beñ un dra menneket neushè (e)vid pass kaoud bigwale petrame n'eint ket (a-)walc'h (e)vid kaoud.

'Ben ils ont quelque chose pour ne pas avoir d'enfants ou bien ils ne peuvent pas en avoir.'
Cornouaillais de l'Est (Saint-Hernin), Lozac'h (2014:'(a-)walc'h')


Bas-cornouaillais

Ce système d'accord irradie globalement jusqu'à la Basse-Cornouaille. Dans la retranscription de conversation de Bernadette Troadec, du Juch, on peut reconstituer un paradigme entier où on voit qu'un sujet lexical ou pronominal pluriel déclenche l'accord pauvre sur le verbe 'avoir'.


(1) Met peogwir an dud neus otoioù, an dud c'hall dont.
mais puisque le 1gens a voitures, le 1gens peut venir
'Mais puisque les gens ont des voitures, ils peuvent venir.' Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:76)


(2) Hag i neus tier, tier nevez dezho tout!
et eux a maison.s, maison.s neuf à.eux tout
'Et eux ont des maisons, ils ont tous des nouvelles maisons!' Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:83)


On peut vérifier la consistance de cette généralisation en observant un contexte de négation, où les autres verbes de la langue sont forcés à l'accord riche. Le verbe kaout y donne tout de même une marque appauvrie en traits. Goyat (2012:292) rapporte à Plozévet une optionalité de l'accord.


(3) Ar re-se neus ket labouret morse, labouront ket, ar re-se...
le ceux- a pas travaillé jamais travaillent pas le ceux-là
'Ceux-là n'ont jamais travaillé, ils ne travaillent pas, ceux-là.' Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:71)


(4) /ˌniɲ nøs ked 'ãmzɛr/ / /ˌniɲ nøsõm ked 'ãmzɛr/
Ni ’neus ket amzer / Ni ’neusom ket amzer.
nous a pas temps nous avons pas temps
'Nous n’avons pas le temps.' Plozévet, Goyat (2012:292)


La généralisation de l'effet de complémentarité en bas-cornouaillais se vérifie pour la troisième personne dans un autre corpus oral douarneniste transcrit par Herle Denez en 1984 (Griffon, verbe 'kaout'). On relève cependant des formes d'accord riche 1PL ni mamp dans un corpus à Plouie.


(5) ... ni mamp gwraet ur lor-zi siman.
nous avons fait un sol-maison ciment
'Nous avons fait un sol de ciment.' Plouie, brezhoneg digor


Vannetais

Guillevic & Le Goff (1986:90) pour le vannetais et Ternes (1970:293) pour Groix notent qu'avec un sujet non-pronominal, l'accord est uniformément gelé à [3SG]. Ils donnent des exemples sans marque du pluriel, et sans marque du féminin. Ceci se vérifie en corpus.


(1) /skri:ved əndes xupyga:laj ? / vs. /skri:ved undes ? /
écrit a votre3 enfants écrit ont
'Vos enfants ont-ils écrit?' vs. 'Ont-ils écrit?' Groix, Ternes (1970:295)


(2) Er ré-men en des guélet, er ré-zé n' ou des ket.
le ceux- 3SG a vu, le ceux-ci ne 3PL a pas
'Ceux-ci ont vu, ceux là n'ont pas vu.' Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:90)


On voit dans les exemples ci-dessous que le placement du sujet n'est pas un facteur pertinent pour l'accord.


(2) Stankaet en deus ar Jermaned da denniñ.
densifié 3SG a le allemands de1 tirer
'Les allemands ont densifié leurs tirs.' Vannetais, Herrieu (1994:93)


(3) ar Jermaned en deus lazhet dec'h [...] ur vaouez...
le allemands 3SG a tué hier [...] un1 femme
'Les allemands ont tué une femme [...] hier.' Vannetais, Herrieu (1994:86)


En (4), on voit que le verbe 'avoir' avec un sujet féminin singulier ne covarie pas non plus avec lui en trait de genre.


(4) Chetu petra en des (*he des) laret hou mam.
voici quoi 3SG.M a (*3SG.F a) dit votre3 mère
'Voici ce qu'a dit votre mère.' Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:90)


infinitif vannetais 'conjugué'

En vannetais existe une forme "conjuguée" de l'infinitif (Guillevic and Le Goff 1986:42). Ci-dessous, on voit que le pronom clitique antéposé à bout y est morphologiquement similaire au déterminant possessif.


(1) Goude hor bout predet e tiskouezer deomp hor gweleioù soudard.
après 1PL être mangé R montre.IMP à.nous notre lits soldat
'Après avoir mangé, on nous montre nos lits de soldats.' Vannetais, Herrieu (1994:307)


Le Roux (1957:413) relève dans la Revue Celtique ces occurrences du verbe 'avoir' analytique en vannetais conjugué avec l'auxiliaire ober. Voir aussi Hemon (2000:§140,(10)) pour quelques exemples et citations de la grammaire de Rostrenen, et le dictionnaire étymologique de Emile Ernault, p.230.


(2) hur bout a ramb nous avons
hé dout e ré elle avait
hag en devout e rehè m'anemisèd? est-ce que mes ennemis auraient...?
hou poud a ra vous avez (impersonnel) Le Roux (1957) citant la Revue Celtique VIII:43, IX:265, XI:473.


Châtelier (2016:147-166) relève ce système chez Pourchasse, Marion, Buleon, Sévéno, Oliero, mais pas chez les plus jeunes Héneu ou Herrieu. Dihunamb (1925, p.140) mentionne et réprouve cette forme. Marion comme Séveno utilisent des formes conjuguées comme la forme invariante endevout. L'infinitif "conjugué" est aussi présent dans des petites propositions infinitives chez Le Bayon (1878), qui a vécu à Auray et à Groix (3). La forme est reportée à Groix par Ternes, et est vivante au XXI° siècle.


(3) e mes [ em bout hou s-offañset ]
regret R ai.1SG R.1SG être OBL.2PL offensé
'Je me repens de vous avoir offensé.' Vannetais, Le Bayon (1878)


(4) /pəšed afaer d-upud ãn /
as pas devoir de-OBL.2PL être peur
'Vous ne devez pas avoir peur.' Groix, Ternes (1970:297)


Le Roux (1957:413) note que "cette construction est donnée par l'ALBB (carte 80) dans une zone assez profonde du Trégor et de Cornouaille, entourant le Vannetais (Saint-Fiacre, Peumerit-Quintin, Corlay, Mûr, Plélauff, Roudouallec, Scaër, Le Faouët, Clohars-Carnoët), ainsi qu'à Belle-Isle et au Bourg-de-Batz". Cependant, ladite carte 80 à laquelle il réfère aussi précisément ne concerne pas le verbe 'avoir', mais la traduction de 'il y a'. L'ALBB ne contient pas de carte de l'infinitif du verbe 'avoir'.

Châtelier (2016:163) n'a pas pas trouvé trace de l'infinitif "conjugué" dans les communes d'Arradon et d'Hoëdic au XXI°. Cependant, il atteste son existence ancienne en haut-vannetais maritime, ou du moins à Sarzeau dans un manuscrit d'Amédée de Francheville (1802-1889).


(1) Pegourss enta é ellamb ni ur boutt ur banic ahuel ?
quand donc R4 pourrons nous 1PL être un morceau.DIM vent
'Quand donc pourrons nous avoir un peu de vent? Sarzeau (XIX°), de Francheville


Pour Hemon (2000:§140,(10)), cette forme était absente du moyen breton. La forme donnée par Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B) est étrange car elle traduit sémantiquement le verbe 'être', bezañ.


(2) Rak hou pout pemp den, ne laro tra erbet.
car 2PL être 5 personne ne1 dira chose aucune
'Du fait que vous êtes cinq personnes, il ne dira rien du tout.' Vannetais, Falc'hun & Fleuriot (1978-79:7B)


objets directs postverbaux

En vannetais et en bas-vannetais, existe aussi un paradigme spécial de pronoms objets après le verbe 'avoir', restreint aux pronoms de troisième personne (Jouitteau & Rezac 2008, 2009).


(2) Me mès (ean) douget (me zad).
moi ai.1SG lui craint mon2 père
'Je l'ai craint/ j'ai craint mon père.' Vannetais, Guillome (1836:115)


Châtelier (2016:147-166) relève ce système chez Marion et Séveno, qui utilisent l’objet direct à la troisième personne, et le pronom objet proclitique aux autres personnes.


pas de rannig

Yann-Vadezour Ar Rouz (c.p.) note qu'il n'y a pas d'évidence en vannetais, au moins chez certains auteurs, pour un rannig en début du complexe morphologique de endevout. Le complexe commence toujours par em (correspondant au standard am) et jamais par ém, son pendant.


(1) Me garehé em bout bara, Vannetais, Le Bayon (1878:29, 73)

Me garehe 'm bout bara, Vannetais, Favereau (1997:§418)
'Je voudrais avoir du pain'

(2) Nag em béhé kañt tead, ne féhen ket larèt,

'Quand j'aurais cent langues, je ne saurais dire.', Vannetais, Le Bayon (1878:57)

(3) Mar em bé amzér,

'Si j'ai le temps', Vannetais, Le Bayon (1878:60)


ordres VOS

L'ordre des mots fournit un autre argument qu'en dialecte vannetais, le verbe kaout n'est pas grammaticalisé en verbe de type 'avoir' comme dans les autres dialectes, car si c'était le cas, l'ordre des mots en (3) serait un exemple unique d'ordre Verbe-Objet-Sujet en breton.


(3) Me 'gav genin he deus karantez Mari doc’hoc’h.
moi 1trouve avec.moi 3SGF a amour Marie à.vous
'Je crois bien que Marie a de l’amour pour vous.' Haut-vannetais, Louis (2015:34)

Paramètres de variation

Ci-dessous sont listés les paramètres de variation identifiés jusqu'à présent dans l'analyse de la variation du verbe kaout/endevout ('avoir'). Dans une collecte à large échelle sur le territoire brittophone, pour chaque variété de breton, afin de pouvoir établir la structure du verbe qui est utilisée dans cette variété, il nous faudra documenter:


 - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur phonologiquement nul
 
 - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur pronominal réalisé
 
 - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur DP préverbal
 
 - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur DP postverbal 
                    (cf. contraste post/préverbal dans Le Bozec 1933)
 
 - la présence/absence d'objets directs postverbaux 
 
 - la présence/absence de paradigme covariant avec le sujet / possesseur dans les infinitives
 
 Par prudence, on peut vérifier que kaout verbe lexical et auxiliaire se comportent toujours de la même manière.


Expressions

kas kaout

Naoned (1952:59) note à Scaër/Guiscriff la forme Me' zo o kas kaout X, 'J'ai envie de X'.


(1) Me 'zo o kas kaout madigoù.
moi est à envoyer avoir bonbons
'J'ai envie de bonbons.' Scaër, H. Gaudart (c.p.)


Diachronie et horizons comparatifs

moyen breton

En moyen breton, l'accord réalisé à gauche du composé est toujours un accord riche avec le sujet possesseur (Widmer 2017:233).


(1) Me am eus vn amoric iolivic indan an del me.
moi R.1SG a un amour.DIM joli.DIM sous le feuilles moi
'J'ai une amourette gentille, sous les feuilles, moi.' Moyen breton (1350), glose d'Ivonet Omnès


(2) Ha-n princ-et ho-deuezo carez. Moyen breton (1519), M. 1083, cité dans Widmer (2017:233)
et-le princes 3PL aura blâme
'Et le blâme sera mis sur les princes.' ('les princes seront blâmés.')


 Ernault (1888b:259):
 "Dans l'irlandais rotbîat âinige 'tu auras des honneurs', le verbe est au pluriel et le mot âinige au nominatif, ce qui montre que c'est bien le sujet; littéralement tibi erunt honores (Stokes, The neo-celtic verb substantive, p. 34). On peut voir dans cet intéressant travail, p. 34 et 39, d'autres formes irlandaises de ce genre, qui rappellent fortement le breton: par exemple manim-bê 'à moins que je n'aie', cf. bret. ma nam be. De même le gallois peduar mab ar hugeint am bu 'j'eus vingt-quatre fils', ms. de Herghest (H. de la Villemarqué, Les bardes bretons, p. 150) est analogue au breton pewar mab war-n-ugent am boe. Mais c'est seulement en breton et en cornique que ces locutions se sont développées de façon à donner lieu à un verbe nouveau, ayant une conjugaison à part."


typologie

Les langues qui ont une structure possessive analytique de type mihi est sont, entrz autres, le latin, l’irlandais, le gallois, le russe, le finnois, le japonais... Les langues qui ont un verbe 'avoir' synthétique sont, entre autres, l’anglais, l’allemand, le français, le chinois, le tchèque, le grec… (Bayda 2006).

La structure analytique peut aussi avoir un emploi équivalent à l'auxiliaire des temps composés au parfait.


(3) Tá madra ag X vs. Tá sé déanta ag X. Irlandais, Bayda (2006:133)
est chien à X est ça fait à X
'X a un chien' vs. 'X a fait ça.'


(4) Y X-a (ecmb) собака vs. Y X-a эmо сделанo. Russe, Bayda (2006:133)
à X-GEN est chien à X-GEN ça fait
'X a un chien' vs. 'X a fait ça.'

A ne pas confondre

Kervella (1995:§206, p. 137-138; §216, p. 156-157) et Favereau (1997:§427) notent que le verbe en devout, 'avoir' a une forme impersonnelle en ez eus. Cette généralisation n'est cependant pas basée sur ce verbe, mais sur la présence de sa traduction en français dans la tournure existentielle 'Il y a'.


Bibliographie

description générale

  • Ernault, Émile. 1888b. 'Études bretonnes. VI. La conjugaison personnelle et le verbe avoir', Revue Celtique IX,245-266, texte.
  • Fave, V. 1988. 'Ar verb am-eus', Brud Nevez 114 : 48-51.
  • Fleuriot, L. 19XX. 'Skouerioù emdroadurioù e morfologiezh hag ereadur ar brezhoneg', Hor Yezh 228 [2001].
  • Le Gonidec, Jean-François, 1807. Grammaire celto-bretonne, Paris réed. 1838. ed. H. Delloye.
  • Plerger, Y. [Olier Mordrel], 1961, 'Ar meizad "habere" e brezhoneg', Hor Yezh 14, 16-26.

description de la variation dialectale

  • Belz, J. 1974. '"En devout" e Plouharnel', Hor Yezh 96, 31-34.
  • Evenou, E. 1987. Description phonologique du breton de Lanvenegen (canton du Faouet, Cornouaille), thèse Rennes II.
  • Heusaff, A. 1959. 'Displagadur ar verb-skoazell e Sant Yvi', Hor Yezh 8 (&9).
  • Kerembelleg, Ani. 1974. 'Stummoù ar verb kaout e Trebrivan', Hor Yezh 94, 50-54.
  • Leclerc, L. 1986 [1906, 1911], Grammaire Bretonne du dialecte de Tréguier, 3ième édition, Ar Skol Vrezoneg, Emgleo Breiz (précédentes Saint-Brieuc: Prud'homme).
  • Le Bayon, A.-M. 1986 [1878]. Grammaire bretonne du dialecte de Vannes, 1878 édition Vannes: Imprimerie Lafolye, 1986 édition Hor Yezh.
  • Le Roux, P. 1924-1953. Atlas Linguistique de la Basse-Bretagne, 6 vol. grouping 100 maps each, Rennes - Paris, (réimpressions, Éditions Armoricaines, Brest, 1977; dernère édition Brud Nevez.)
http://sbahuaud.free.fr/ALBB/
  • Ploneis, J.M. 1983. Au carrefour des dialectes bretons – Le parler de Berrien: Essai de description phonématique et morphologique, Société d’études linguistiques et anthropologiques de France (SELAF), Paris. Preview
  • de Rostrenen, G. 1738. Grammaire Françoise-Celtique ou Françoise-Bretonne qui contient tout ce qui est nécessaire pour apprendre par les Règles la langue celtique ou bretonne, Roazhon : Vatar, 1738. In-12 : XVI-192 p. ([réédition Alain Le Fournier, Brest], [réédition 2008 embannadurioù Al Lanv])
  • Wmffre, I. 1998. Central Breton. [= Languages of the World Materials 152] Unterschleißheim: Lincom Europa.

horizons comparatifs

  • Bayda, Viktor. 2006. 'Perfect and possessive Structures in Irish and Russian', Séamus Mac Mathúna & Maxim Fomin (éds.), Parallels between Celtic and Slavic, Studia Celto-Slavica 1, 131-141.
  • Carlota Almade Benito Morenonna & Álvaro S. Octavio de Toledo y Huerta (éds.) 2016. En torno a 'haber', Studia Romanica et Linguistica, Peter Lang AG, Pieterlen.

ouvrages théoriques

  • Harves, Stéphanie & Richard Kayne. 2012. 'Having Need and Needing Have’, Linguistic Inquiry 43-1: 120-132.
  • Hendrick, R. 1994. 'The Brythonic copula and head raising', D. Lightfoot and Norbert Hornstein (éds.), Verb Movement, Cambridge: Cambridge University Press.
  • Jouitteau, M. et M. Rezac. 2008. ‘From mihi est to have across Breton dialects’, Paola Benincà, Federico Damonte and Nicoletta Penello (eds.), Proceedings of the 34th Incontro di Grammatica Generativa, Unipress, Padova, special issue of the Rivista di Grammatica Generativa, vol. 32., 161 - 178. texte
  • Jouitteau, M. & Rezac, M. 2006. ‘Deriving the Complementarity Effect: Relativized Minimality in Breton Agreement’. Lingua, numéro spécial sur les langues celtiques texte
  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Jung Hakyung 2011. The Syntax of the Be-Possessive; Parametric variation and surface diversities, Linguistik aktuell Linguistics Today, John Benjamins Publishing Company.
  • Schafer, Robin, 1994. 'On the Derivation of “Have” Predication and its Implication for the Syntax of the Perfective in Breton', The Morphology-Syntax Connection: Papers from the January 1994 MIT Workshop, MIT Working Papers in Linguistics No. 22.