Différences entre les versions de « Kaout, 'avoir' »
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Version du 5 octobre 2013 à 13:03
Traits exceptionnels du verbe 'kaout'
Mutations
Humphreys (1995:337) remarque avec justesse que ce verbe ne subit pas de mutations consonnantiques à son initiale. L'initiale du verbe ne varie pas selon le rannig, et donc le contexte syntaxique précédant ce rannig comme les autres verbes. Fait exceptionnel en Breton, l'initiale du verbe kaout varie selon la personne du sujet.
(1) | [ | p,ǝs | kǝ hw'ent | / | m,a pǝs | hw'ent] | |||
p-eus | ket c'hoant | ma p-eus | c'hoant | ||||||
(ne) | 2SG-a | pas envie | si 2SG-a | envie | |||||
'Tu ne veux pas.' / 'Si tu veux.' | Breton central, | Humphreys (1995:337) |
Morphologie
infinitif
L'infinitif du verbe 'avoir' est différent de dialectes en dialectes.
Hemon (2000:§140,(10),br.) note qu'en KLT moderne comme en moyen breton, il n'existe pas de morphologie infinitive propre au verbe 'avoir', qui emprunte celui du verbe trouver (caffout, ka(v)out), ou le verbe bezañ, 'être'.
(1) | Red eo | beza greet anezhi | evit her | gouzoud. | |||
obligé est | être fait P.elle | pour le.IN | savoir | ||||
'Il faut l'avoir fait pour le savoir.' | Léonard (Cléder), Seite (1998:41) |
(2) | Kas a rae | ar jao | 'vit bout | houarnoù nevez. | |||
envoyer R faisait | le cheval | pour avoir | fers neuf | ||||
'Il amenait son cheval pour qu'il ait des fers neufs.' | Le Scorff, Ar Borgn (2011:15) |
Rostrenen (1738:68) relève des formes telles que endevout dans le vannetais. Pour Hemon (2000:§140,(10),br.), cette forme endevout n'existe pas ailleurs dans les dialectes.
racine
La racine verbale du verbe kaout, 'avoir' est visiblement le verbe bezañ, 'être'.
La forme d'habitude du verbe bezañ (bez/vez) émerge d'ailleurs parfois visiblement dans la morphologie:
(z) | An hini a chomo amañ | a lakay dour da virviñ | er gaoter evit poazhañ | ar pesked [...] hor bezo paket. | ||
le N R restera ici | R mettra eau P bouillir | dans.le plat pour cuire | le poissons 1PL aura attrappé | |||
'Celui qui restera ici mettra de l'eau à bouillir pour cuire les poissons que nous aurons attrappés.' | ||||||
Kerne (Pleyben), ar Gow (1999:33) |
Trépos (2001:§598): "Les formes [...] peuvent être "allongées": e-neveus, he-deveus, o-deveus, e-nevoa, he-devoa...
conjugaison
La variation de la morphologie de l'accord du verbe kaout, 'avoir', est documentée dans l'ALBB: - au présent: j'ai, nous avons, tu as, vous avez, il a, elle a, ils ont - au futur : j'aurai, tu avais, j'avais - au conditionnel passé et présent: (si) j'avais eu, (si) j'avais - au passé et présent d'habitude (quand) j'avais, (quand) j'ai, (quand) tu as
Un trait exceptionnel du verbe kaout est le marquage des traits du sujet sur la gauche du composé dans les variétés anciennes et standard.
Cette exceptionnelle flexion verbale marquée sur la gauche du composé est déjà remarquée par Le Gonidec (1838:87). Cependant, en le lisant, on peut deviner que Le Gonidec considère en fait le préfixe non comme un morphème d'accord sur la gauche, mais comme un pronom sujet. Il ne le note pas directement, mais considère que les phrases qui commencent avec le verbe 'avoir' suivent la règle de placement du verbe fléchi en seconde place (c'est donc que pour lui, un pronom occupe la première place).
Dans la zone centrale de la Bretagne, la morphologie verbale glisse vers la droite du composé (type neusomp), dans un mouvement de régularisation sur le modèle des autres verbes de la langue.
Le basculement vers un marquage de suffixation est déjà remarqué par Leclerc (1986:75) comme un trait qui contraste le trégorrois de Tréguier avec la langue littéraire:
"Remarques sur les formes irrégulières de am eus, II. Parfois, dans le parler populaire de Tréguier, on trouve des formes propres à la conjugaison personnelle, comme am eump', 'nous avons', o deint, 'ils ont', o doaint, 'ils auront' kollet am eump, 'nous avons perdu' - Mais ces formes doivent être soigneusement évitées dans la langue littéraire.
Dans les parlers où ce glissement n'est pas entièrement achevé, on peut voir les marques de personnes sur la gauche du composé, alors que les marques de nombre y sont à droite du composé (Ploneis 1983:162-3 pour Berrien, Le Roux 1957:202 pour le Poher).
- voir aussi Ernault (1888:258-65), (1890:472-4), RC 9 et 11.
Syntaxe
- Une base sur bezañ, 'être'
- Le verbe 'avoir' en breton est formé sur la base du verbe bezañ, 'être'.
- Il lui emprunte son infinitif dans certains dialectes, et son participe passé dans tous.
- La forme eus du verbe bezañ apparaît dans le composé verbal, et les formes d'habitude du verbe 'être' émergent parfois.
- Le verbe kaout n'a pas d'impératif (Wmffre 1998:42).
- Le verbe 'avoir', comme le verbe 'être', ne peut pas être conjugué avec l'auxiliaire 'faire'
- (*kaout a ran, *bezan a ran).
- Comme noté par Leclerc (1986:75), le verbe 'avoir' ne possède pas de forme impersonnelle.
- Fave (1998:59) restreint l'usage de kaout lexical aux sujets indéfinis. Il note cependant que cette restriction disparaît dans les phrases négatives (Fave 1998:60).
- le verbe kaout est le seul à avoir un paradigme d'objets directs postverbaux restreints à la personne 3.
Sémantique
Le verbe kaout lexical semble signifier la possession au sens strict, ou la relation partie-tout (1).
(1) | Eur feunteun, a gredan, | a zo ive | evel m'he deus | péb chapel | e Breizh-Izel. | |
un fontaine, R crois, | R est aussi | comme C 3SGF a | chaque chapelle | en Bretagne-Basse | ||
'Il y a aussi, je crois, une fontaine comme chaque chapelle en a en Basse-Bretagne.' | ||||||
Léon, (Cléder), Seite (1998:23) |
En contraste, l'attribution est exprimée avec la préposition da, et l'accompagnement avec la préposition gant.
(2) | an arhant-se | n'int ket deoh; | bez ez int? | Daoust m'emaint ganeoh. | |||
le argent-là | ne sont pas à.vous | être R sont | malgré que sont avec.vous | ||||
'Cet argent ne vous appartient pas, n'est-ce pas? Bien que vous l'ayez (sur vous).' | |||||||
Cornouaillais (bigouden), Bijer (2003:17). |
Selon Fave (1998:60), les formules telles que avoir bon goût, avoir une maladie, avoir mal, avoir dix ans, avoir hâte, avoir peur, etc. sont importées du français et ne se traduisent pas en breton par l'usage du verbe kaout.
(3) | * | ar ruzell e-neus | vs. | √ | ar ruzell 'zo gantañ. | ||||||
le rougeole 3SGM-a | le rougeole R est avec.3SGM | ||||||||||
'Il a la rougeole.' | Léon, (Cléder), | Fave (1998:60) |
(4) | Blaz vat 'zo gant ar zoubenn. | ||||||||||
goût bon est avec le soupe | |||||||||||
'La soupe a bon goût.' | Léon, (Cléder), | Fave (1998:60) |
Cependant, Favereau (1997:§434) donne Blaz mat he deus ar soubenn, et An Here (1995:§'aon') donne kaout aon, arabat deoc'h kaout aon.
cas d'alternance avec 'être'
Le verbe kaout, contrairement au verbe 'avoir' en français, est compatible avec un verbe réfléchi:
(1) | Ar vandenn a-bez | he deus | en em | serret | en eun torkad. | |
le bande en-entier | 3SGF a | se | rangé | en un troupeau | , Le Bozec (1933:82) | |
'Tout le troupeau s'est rassemblé.' (*... s'a rassemblé) |
(2) | A pa oa predet, | holl an dud | o doa em stardet | muioc'h c'hoazh | trema an oaled... | ||
et quand était dîné | tout le gens | avaient se rapprocher | plus encore | vers le foyer | |||
'Après le repas, tout le monde se rapprocha encore plus du foyer...' (*... s'a rapproché) | vannetais, Ar Meliner (2009:135) |
Dans les cas d'alternance entre les verbes 'être' et 'avoir', 'avoir' contraste par la présence d'un agent dans la structure thématique du verbe. Cette alternance est notée en Breton central (Wmffre 1998:47) et en vannetais (Guillevic & Le Goff 1986:47). Selon ces derniers, la variation tient au fait que les verbes "expriment un état ou une action".
(2) | a. | [ za.əd õn ] | vs. | b. | [ za.əd | møs on ti ] | |||||
levé suis | élevé | ai une maison | |||||||||
'Je me suis levé(e).' vs. 'J'ai construit une maison.' | Breton central, | Wmffre (1998:47) |
(3) | a. | [ ʒɛɣəd e ] | vs. | b. | [ ʒɛɣəd nøs an n˜õ:ɣ ] | ||||||
fermé est | fermé a.3SG la porte | ||||||||||
'C'est fermé.' vs. 'Il a fermé la porte.' | Breton central, | Wmffre (1998:47) |
(4) | Je suis allé | : | oeit on | / | em es oeit | |||||||||
Je suis venu | : | deit on | / | em es deit | ||||||||||
Je suis arrivé | : | arriù on | / | em es arriùet | ||||||||||
Il est mort | : | marù é | / | en des marùet | ||||||||||
Ils sont restés | : | chomet ind | / | ou des chomet | ||||||||||
Je suis tombé | : | koéhet on | / | em es koéhet | Vannetais, | Guillevic & Le Goff (1986:47) |
Accord
En règle générale, le système d'accord du breton montre un "effet de complémentarité": les traits du sujet sont réalisés morphologiquement soit sur le sujet lui-même, soit sur l'accord verbal, mais pas sur les deux.
Or, le verbe 'avoir', en langue standard et dans ses variétés les plus anciennes, est bloqué à l'accord riche (cf. Le Gonidec 1838:92, Hendrick 1994:173). Ce verbe porte toujours une marque des traits du sujet (genre, personne, nombre).
Variation dialectale
Le trait le plus exceptionnel du verbe kaout/endevout, 'avoir, est qu'il il suit des règles de conjugaison différentes de dialecte en dialecte.
Breton standard
En breton standard, le verbe kaout / endevout, 'avoir', covarie avec les traits du sujet. Il est en cela unique dans la langue, puisqu'il échappe à l'effet de complémentarité. Ar Barzhig, originaire du Trégor (Kaouenneg, au sud de Lannion), utilise un breton très standard pour sa traduction La maison de Matriona de Soljenitsyn. Il marque régulièrement l'accord riche en nombre et en genre avec le sujet du verbe kaout, 'avoir'. La morphologie de l'accord apparaît sur la gauche du composé verbal.
(3) | An holl1 draoù | o doa | ur plas | en he fenn. | ||
le tout choses | 3PL avait | un place | dans sa tête | |||
'Chaque chose avait une place pour elle.', | Standard, Ar Barzhig (1976:29) |
(4) | Komzet puilh | o deus | _ | ar c'hazetennoù | eus Solzenitsyn. | |||||
parlé abondamment | 3PL a | le journaux | de Soljenisyn | |||||||
'Les journaux ont abondamment parlé de Soljenisyn.' | Trégorrois (Kaouenneg), ar Barzhig (1976:7) |
En standard, l'accord riche sur le verbe kaout est automatique, que le DP sujet soit devant (5) ou après (6) l'élément tensé.
(5) | Hor mistri | o deus | en em | ziskouezet dreist (...) | ||
nos maîtres | 3PL a | se | montré super | |||
'Nos maîtres se sont montrés très efficaces.' | ||||||
Standard, Kervella (1933:76) |
(6) | Gwir eo | o deus | klasket | renerien ar vro | gwelaat | tra pe dra. |
vrai est | 3PL a | cherché | dirigeants le pays | améliorer | chose ou chose | |
'Il est vrai que les dirigeants du pays ont cherché à améliorer quelques choses.' | ||||||
Standard, Kervella (1933:79) |
Cependant, même des auteurs qui pensent suivre la règle du standard, comme le très normatif Le Bozec (1933), laissent transparaître des exceptions.
L'étude du verbe kaout, 'avoir' dans le paradigme de Le Bozec (1933) montre qu'il suit parfaitement la règle écrite du breton standard. Les occurrences fléchies du verbe 'avoir' marquent toujours les traits de genre, de nombre et de personne de leur sujet. Cependant, dans le cas des DPs sujet postverbaux, ils apparaissent avec la marque 3SG.
(x) | Pet ponsin | en deus | ar yar? | |||||
combien poussin | 3SG a | le poule | ||||||
'Combien de poussins a la poule?' | Le Bozec (1933:48) |
(y) | Pet vloaz | en deus | ho | chas? | ||||
combien année | 3SF a | votre | chiens | |||||
'Quel âge ont vos chiens?' | Le Bozec (1933:76) |
Léonard
Le léonard est assez proche de la variété de breton standard, pour lequel il a servi de modèle pendant longtemps. On y voit le verbe kaout covarier avec les traits du sujet. Le premier morphème du standard peut avoir tendance à sauter (cf. standard ni hor beus).
(1) | A ya, | ni beus | bet | an hini gentañ | hag | a starde diouzhtu. |
Ah oui | 1PL a | eu | le N première.F | C | R pressait de.suite | |
'Ah oui, nous on a eu la première qui pressait tout de suite.' | ||||||
Léon, Mellouet & Pennec (2004:43), (voir aussi p.186) |
On note occasionnellement la perte de distinction genrée.
(2) | ( Ar sorserez | / an avel) | neus kaset | Dorothée | da vro Oz. | |||
le sorcièreF | / le ventM | 3SGM.a envoyé | Dorothée | à1 pays Oz | ||||
'La sorcière/le vent a envoyé Dorothée au pays d'Oz.' | Léon (Landivisiau), Y. Simon (23/03/2013) |
Dans Seite (1998), le verbe kaout dans les temps composés n'autorise pas casuellement un pronom objet. En (1), on voit que le pronom objet n'est pas autorisé casuellement par le verbe kaout, car la mutation spirante sur le participe passé montre que le pronom lui est proclitique.
(3) | Me ive | am-eus | he | hanet | dindan eñvor ... | |||||
moi aussi | R-1SG-a | la2 | chanté | sous mémoire | ||||||
'Moi aussi, je l'ai chantée de mémoire...' | Léon, (Cléder) | Seite (1998:21) |
Breton central
Le breton central marque un système en pleine évolution.
Le paradigme de cette variété est illustré par Wmffre (1998:37,40). Morphologiquement, l'accord en personne est marqué par le préfixe, comme dans les variétés plus anciennes, mais l'accord en nombre bascule vers les suffixes. A la deuxième personne le nombre est marqué sur le préfixe, mais il apparaît en suffixe pour la première personne. Il n'y a pas d'accord en genre.
Le fonctionnement de l'accord est aussi en voie de régularisation.
A la première et seconde personne, le verbe s'accorde avec les traits du sujet, mais le système de complémentarité émerge à la 3PL.
Ce n'est pas décelable au singulier puisque l'accord riche et l'accord pauvre y sont réalisés de la même manière, mais au pluriel, on voit que les sujets réalisés, pronominaux ou nominaux, déclenchent l'accord pauvre (j).
(j) | [hiɲ nøs] | / | [an dyd nøs] | vs. | forme avec sujet vide: | [nœ̃ɲ] |
int neus | an dud neus | neugn | ||||
eux a.3SG | le gens a.3SG | a.3PL (=ont) | ||||
'Ils ont, les gens ont...' | ||||||
Breton central, Wmffre (1998:37,40) |
C'est un trait de régularisation du verbe 'avoir' vers le système de tous les autres verbes de la langue.
Trégorrois
Tréguier
La variété de breton documentée à Tréguier par Leclerc en 1906 correspond parfaitement à la caractérisation du breton central ci-dessus. Le manque d'accord en genre (x) et la régularisation du système d'accord vers le système de complémentarité (y) s'y vérifient.
(x) | Setu petra | an neus laret | hoc'h mamm. | ||
voici quoi | R.3SG a dit | votre+V mère | |||
'Voici ce qu'a dit votre mère.' | Tréguier, Leclerc (1986:76) |
(y) | Ar re-man | an neus gwelet | ar re-ze n'o deus ket. | ||
le ceux-ci | R.3SG a vu | le ceux-là ne 3PL 3.a pas | |||
‘Ceux-ci ont vu, ceux-là n'ont pas vu.’ | Tréguier, Leclerc (1986:76) |
Plougrescant
La variété de Plougrescant, tout au nord, semble aussi plus éloignée des innovations du breton central. Selon Le Dû (2012:104-5), en breton de Plougrescant, l'accord du verbe kaout est sensible au genre du sujet, et à la position pré ou post-verbale du sujet lexical. La morphologie d'accord riche apparaît avec les pronoms incorporés, et avec les sujets lexicaux situés devant le verbe. Un sujet lexical postverbal déclenche l'accord 3SG.
(1) | E ré góós sé | dijéņ-ķe | kalles tra | de lare tahh. | ||
le ceux vieux ci | (ne) auraient-pas | beaucoup chose | à dire à.vous | |||
'Ces vieux-là, ils n'auraient pas grand chose à vous dire.' | ||||||
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:105) |
(2) | [Ne] nijé-ked | e ré góós sé | kalles tra | de lare tahh. | ||
ne aurait.3SG-pas | le ceux vieux ci | beaucoup chose | à dire à.vous | |||
'Ces vieux n'auraient pas grand chose à vous dire.' | ||||||
Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:104) |
Cornouaillais
Le breton de Haute-Cornouaille illustre bien l'évolution du breton central. Dans la thèse de Erwan Evenou portant sur le breton parlé à Lanvenegen, un sujet lexical ou pronominal pluriel déclenchent l'accord pauvre sur le verbe 'avoir'.
(y) | [ tyd mə mam | -- pwan e tizowlo famij -- | na diw vjOx ] | |
Tud ma mamm | p'oan o t-dizoleañ ar familh, | en doa (sik) div vuoc'h. | ||
parents ma mère | quand étais.1SG à découvrir le famille | avait.3SG deux vaches | ||
'Les parents de ma mère, quand je découvris la famille, avaient deux vaches.' | ||||
Haut-cornouaillais (Lanvenegen), Evenou (1987:576) |
(y) | [ hje | nize be | marsən | tenəd a:nun ] | ||
Int | o dije bet | marse | tennet warnon. | |||
3PL | aurait.3SG eu | peut-être | tiré sur.moi | |||
'Eux, m'auraient peut-être (eu) tiré dessus.' | Haut-cornouaillais (Lanvenegen), Evenou (1987:575) |
Ce système d'accord irradie jusqu'à la Basse-Cornouaille.
Dans la retranscription de conversation de Bernadette Troadec, du Juch, on peut reconstituer un paradigme entier où on voit qu'un sujet DP ou pronominal pluriel déclenche l'accord pauvre sur le verbe 'avoir'.
(y) | Met peogwir | an dud | neus | otoioù, | an dud | c'hall dont. |
mais puisque | le gens | a | voitures, | le gens | peut venir | |
'Mais puisque les gens ont des voitures, ils peuvent venir.' | Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:76) |
(y) | Hag | i | neus | tier, | tier nevez | dezho tout! |
et | 3PL | a | maisons, | maisons neuf | à.3PL tout | |
'Et eux ont des maisons, ils ont tous des nouvelles maisons!' | Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:83) |
On peut vérifier la consistance de cette généralisation en observant un contexte de négation, où les autres verbes de la langue sont forcés à l'accord riche. Le verbe kaout y donne tout de même une marque appauvrie en traits.
(y) | Ar re-se | neus | ket | labouret morse, | labouront ket, | ar re-se... |
le ceux-là | a | pas | travaillé jamais | travaillent pas | le ceux-là | |
'Ceux-là n'ont jamais travillé, ils ne travaillent pas, ceux-là.' | Bas-Cornouaillais (Juch), Hor Yezh (1983:71) |
La généralisation de l'accord pauvre à la troisième personne en bas-Cornouaillais est aussi vérifiée dans un autre corpus oral douarneniste transcrit par Herle Denez en 1984 (Griffon (verbe 'kaout')).
Vannetais
Guillevic & Le Goff (1986:90) notent qu'avec un sujet non-pronominal, l'accord est uniformément gelé à [3SG]. Ils donnent des exemples sans marque du pluriel (y), et sans marque du féminin (z).
(y) | Er ré-men | en des guélet, | er ré-zé | n' | ou des ket. | |||||
le ceux-là | 3SG a vu, | le ceux-ci | ne | 3PL a pas | ||||||
'Ceux-ci ont vu, ceux là n'ont pas vu.' | vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:90) |
(z) | Chetu petra | en des | (*he des) | laret hou mam | ||||||
voici quoi | 3SG.M a | (*3SG.F a) | dit votre mère | |||||||
'Voici ce qu'a dit votre mère.' | vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:90) |
Infinitif vannetais 'conjugué'
En vannetais existe une forme "conjuguée" de l'infinitif (Guillevic and Le Goff 1986:42). Ci-dessous, on voit que le pronom clitique antéposé à bout y est morphologiquement similaire au déterminant possessif.
(3) | Goude hor bout predet | e tiskouezer deomp | hor | gweleioù soudard. | ||||||
après 1PL être mangé | R montre.IMP à.1PL | notre | lits soldat | |||||||
'Après avoir mangé, on nous montre nos lits de soldats.' | vannetais, Herrieu (1994:307) |
Le Roux (1957:413) relève dans la Revue Celtique des occurrences du verbe 'avoir' analytique en vannetais conjugué avec l'auxiliaire ober. Voir aussi Hemon (2000:§140,(10)) pour quelques exemples et citations de diverses références, et le dictionnaire étymologique de Emile Ernault, p.230.
(2) | hur bout a ramb | nous avons | |||
hé dout e ré | elle avait | ||||
hag en devout e rehè m'anemisèd? | est-ce que mes ennemis auraient...? | ||||
hou poud a ra | vous avez (impersonnel) | Le Roux (1957) citant la Revue Celtique VIII:43, IX:265, XI:473. |
Cette forme analytique de l'infinitif est aussi présente dans des petites propositions infinitives chez Le Bayon (1878), qui a vécu à Auray et à Groix (3). Elle est vivante au XXI° siècle.
(3) | Kӕ | e mes | [ | em bout | hou s-offañset | ] | ||
regret | R ai.1SG | R.1SG être | OBL.2PL offensé | |||||
'Je me repens de vous avoir offensé.' | Le Bayon (1878) |
Le Roux (1957:413) note que "cette construction est donnée par l'ALBB (carte 80) dans une zone assez profonde du Trégor et de Cornouaille, entourant le Vannetais (Saint-Fiacre, Peumerit-Quintin, Corlay, Mûr, Plélauff, Roudouallec, Scaër, Le Faouët, Clohars-Carnoët), ainsi qu'à Belle-Isle et au Bourg-de-Batz".
Cependant, ladite carte 80 à laquelle il réfère aussi précisément ne concerne pas le verbe 'avoir', mais la traduction de 'il y a'. L'ALBB ne contient pas de carte de l'infinitif du verbe 'avoir'.
Pour Hemon (2000:§140,(10)), cette forme était absente du moyen breton.
objets directs postverbaux
En vannetais et en Bas-vannetais, existe aussi un paradigme spécial de pronoms objets après le verbe 'avoir', restreint aux pronoms de troisième personne (Jouitteau & Rezac 2008, 2009).
(2) | me | mès | (ean) | douget | (me zad). | ||
1SG | ai.1SG | 3SG | craint | mon père | |||
'Je l'ai craint/ j'ai craint mon père.' | vannetais, Guillome (1836:115) |
Paramètres de variation
Une étape préliminaire à la collecte sur le terrain est la vérification de la consistance des paramètres de variation. Une méthode consiste à documenter la variation à partir de corpus écrits par des locuteurs natifs qui ont un dialecte géographisé. Ces corpus sont référencés sur une carte en ligne.
Ci-dessous sont listés les paramètres de variation identifiés jusqu'à présent dans l'analyse de la variation du verbe kaout/endevout ('avoir').
Dans une collecte à large échelle sur le territoire brittophone, pour chaque variété de breton, afin de pouvoir établir la structure du verbe qui est utilisée dans cette variété, il nous faudra documenter:
- les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur phonologiquement nul - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur pronominal réalisé - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur DP préverbal - les paradigmes d'accord avec un sujet / possesseur DP postverbal (cf. contraste post/préverbal dans Le Bozec 1933) - la présence/absence d'objets directs postverbaux - la présence/absence de paradigme covariant avec le sujet / possesseur dans les infinitives Par prudence, on peut vérifier que le verbe lexical et le verbe auxiliaire se comportent toujours de la même manière.
Bibliographie
Description générale
- Ernault, E. 1888. 'Études bretonnes. VI. La conjugaison personnelle et le verbe avoir', Revue Celtique IX,245-26.
- Fave, V. 1988. 'Ar verb am-eus', Brud Nevez 114 : 48-51.
- Fleuriot, L. 19XX. 'Skouerioù emdroadurioù e morfologiezh hag ereadur ar brezhoneg', Hor Yezh 228 [2001].
- Le Gonidec, Jean-François, 1807. Grammaire celto-bretonne, Paris réed. 1838. ed. H. Delloye.
- Plerger, Y. [Olier Mordrel], 1961, 'Ar meizad "habere" e brezhoneg', Hor Yezh 14, 16-26.
Ouvrages théoriques
- Hendrick, R. 1994. 'The Brythonic copula and head raising', D. Lightfoot and Norbert Hornstein (eds.), Verb Movement, Cambridge: Cambridge University Press.
- Jouitteau, M. et M. Rezac, 2009. 'Le verbe 'avoir' à travers les dialectes du breton', La Bretagne Linguistique, CRBC, Brest. texte en ligne
- Jouitteau, M. et M. Rezac. 2008. ‘From mihi est to have across Breton dialects’, Paola Benincà, Federico Damonte and Nicoletta Penello (eds.), Proceedings of the 34th Incontro di Grammatica Generativa, Unipress, Padova, special issue of the Rivista di Grammatica Generativa, vol. 32., 161 - 178. texte en ligne
- Jouitteau, M. & Rezac, M. 2006. ‘Deriving the Complementarity Effect: Relativized Minimality in Breton Agreement’. Lingua, numéro spécial sur les langues celtiques texte en ligne
- Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
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Spécialistes référents pour cette fiche de collectage
Milan Rezac, CNRS, UMR 7023 Université Paris 8