Différences entre les versions de « Forzh »

De Arbres
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|||colspan="15" | 'Quand la marée montait, à force de monter, elle noyait le gué entre les deux îles.'  
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Version du 27 janvier 2023 à 01:49

Forzh a grammaticalisé dans différents usages grammaticaux. Sémantiquement, il semble toujours attaché à un 'haut degré'. En (1), c'est un nom.


(1) Dre forzh labourat, e tay da benn.
par force travailler R4 viendra à1 tête
'À force de travailler, il réussira.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:65)


Nom

Le nom forzh est un emprunt au roman force. Il n'apparaît que dans des groupes prépositionnels parallèles au français morderne à force de, avec différentes prépositions.

a-forzh da…

(2) Pa deu ar mor war-laez, a-forzh da bignat, e veze truiet an div enez.
quand1 vient le mer sur-haut à-force de1 monter R était cerné le deux île
'Quand la marée montait, à force de monter, elle noyait le gué entre les deux îles.'
Léonard (Plougerneau), Elégoët (1982:14)

dre forzh…

Le léonard a-forzh da n'est pas grammatical dans toutes les variétés (* Hag a forz da chom da sellet ouzh an aval..., Bodiou-Stephens 12/2021).


(3) Hag dre forz chom da sellet ouzh an awal-se...
et par force rester à1 regarder à le pomme-
'Et à force de regarder cette pomme...'
Trégorrois (Bulien), Bodiou-Stephens (12/2021)


(4) Dre forz sacha war ar gordenn, o-devoa torret anezi.
par force tirer sur le 1corde 3PL avait cassé P.elle
'À force de tirer sur la corde, ils l'avaient cassée.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


(5) Ma bizier zo uz't dre forz gob'r pikurio dè.
mon2 doigts est usé par force faire piqure.s à.eux
'Mes doigts sont usés à force d'être piqués.'
Cornouaillais de l'Est (Moëlan), Bouzec & al. (2017:386)


La forme variante de dre à Groix est dar. À noter que le complément est ici nominal (en contraste avec dre forzh labourat).


(6) /dar-forz məla:bu:r /
par-force mon2.travail
'à force de mon travail'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:320)

gant forzh…

À Groix, la préposition dar est utilisée, mais aussi la préposition get.


(7) / ̌jə-forX nweiẃ /
avec-force nager
'à force de nager'
Vannetais (Groix), Ternes (1970:321)


Adverbe

L'adverbe forzh sélectionne un verbe infinitif. Il équivaut au français 'à force de'.


(8) deut… forzh bale
ven.u force marcher
'venu, à force de marcher.'
Favereau (1997:§703)

Quantifieur 'beaucoup'

Forzh signifie 'beaucoup (de)' lorsqu'il modifie un nom, et 'beaucoup' 'pas mal' lorsqu'il modifie un verbe.


(1) Ha forzh boued n'o dez ket...
et beaucoup nourriture ne 3PL 3.a pas
'Et ils n'ont pas beaucoup de nourriture… '
Vannetais, Herrieu (1994:90)


(2) Eno oa forz tud...
était beaucoup gens
'Il y avait là beaucoup de monde.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


(3) [ aze [...] e viʒɛ tremenɛt fɔʁs kɔnwenu ]
Aze [...] e vije tremenet forzh kanaouennoù.
ici R4 serait pass.é beaucoup chant.s.SG.s
'Ici [...], on passait pas mal de chansons.'
Breton central (Duault), Avezard-Roger (2004a:452)


dérivation

Le quantifieur forzh peut apparaître avec un diminutif, auquel cas il dénote une plus petite quantité. À Cléguérec en vannetais pré-moderne, au moment de la collecte de l'ALBB, Thibault (1914:433) donne aussi, avec le suffixe nominal -aj, forch, forhaj 'quantité de'.


(4) forzhig otoioù / Komz a ra forzhig
beaucoup.DIM voiture.s parler R fa.it beaucoup.DIM
'pas mal de voitures / Il parle pas mal (beaucoup).'
Favereau (1997:§309)


(5) Don' a rae forzhig, ya; hehi n'ae ket.
venir R1 faisait beaucoup.DIM oui elle ne1 allait pas
'Ça venait pas mal, mais elle, elle n'y allait pas.' (en consultation)
Breton central, Favereau (1984:376)

quantifieur de degré 'très'

Forzh est aussi un quantifieur de degré. Il signifie 'beaucoup' 'très' lorsqu'il modifie le degré d'un adjectif. C'est donc un intensifieur.


(1) N'eo ket forzh fin anezhoñ.
ne est pas très fin P.lui
'Il n'est pas très fin.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:52)


(2) Atav nend eo ket forzh blot ar gwele: peder flankenn diblaen, hep tamm plouz.
toujours ne1 est pas très douillet le lit quatre2 planche non1.plat sans morceau paille
'Le lit n'est toujours pas très douillet : quatre planches grossières, sans paille.'
Vannetais, Herrieu (1994:92)

Particule de discours intensificatrice

Forzh sert aussi à former une structure exclamative (avec ellipse).


(3) Papa vie aet da zornañ forzh vie, ken evit kaout ur banne lambig.
papa serait all.é pour1 battre tant serait juste pour avoir un verre lambig
'Papa aurait fait le battage tant et tant, juste pour un verre de lambig.'
Cornouaillais (Le Juch), Bernard, Hor Yezh (1983:9)


n'eus forzh 'malgré, bien que'

(1) [ɛˑdeɔ᷉ də ˈbuamən gɐˈti fwæs no ke χwɑ᷉ n]
Aet eñ da bourmen ganti (neus) forzh n'e deus ket c'hoant.
all.é lui pour1 promener avec.elle malgré ne1 R.3SGM a pas envie
'Il est allé se promener avec elle bien qu'il n'en aie pas envie.'
Cornouaillais (Briec), Noyer (2019:186)

Item de polarité négative

Lorsque forzh est l'argument de ober, 'faire' ou de la copule existentielle eus, c'est un item de polarité négative.


ne ra forzh

Dans cette expression, le mot forzh est un item de polarité négative car sa version positive est agrammaticale (*ober a ra forzh), comme le français cas (*faire cas, n'en fas faire cas). L'expression semble productive dans tous les dialectes, et à toutes les personnes.


(1) Ne ran (ket) forzh .
ne1 fais (pas) cas
'Peu m'importe.' (Je n'en fais pas cas)
Sizun, Chalm (2008::87)


(2) Ne ret forzh goude bet pilet ganti.
ne1 faites attention après suis été rétamé avec.elle
'Vous n'en faites pas cas bien que qu'elle m'aie rétamé.'
Bas-Cornouaillais (Saint-Coulitz), Kedez (2015b:10)


(3) Ne 'ran forz ' bed gand ar gisti.
ne1 fais aucun avec le prostitué.s
'Peu m'importent les prostituées.'
Cornouaillais de l'Est, Derrien (1980:10)


(4) Me na ran ket a forz, gand ma teuio dioustu.
moi ne.R fais pas de1 importance pourvu.que4 viendra tout.de.suite
'Cela m'est égal, pourvu qu'il vienne tout de suite.'
Trégorrois, Gros (1970:30)


Lorsque l'argument de forzh est une proposition, elle peut apparaître sans préposition.


(5) Tud diroudet, na reont forz petra d'ober.
gens dévoyé ne.R font importance quoi de1 faire
'Des gens dévoyés, à qui il est égal de faire n'importe quoi.'
Trégorrois, Gros (1989:'diroudet')


Le contexte de polarité de cet item "de polarité négative" doit être entendu au sens large car l'expression apparaît chez Gros ou à Ouessant chez Malgorn (1909) dans une question oui/non positive (A fors a zo ? 'Est-ce important ?', Ouessant).


(6) Me a ra forz petra a vo greet ?
moi R fa.it cas quoi R sera fa.it
'Est-ce que je me soucie de ce qu'on fera ?' ('Peu m'importe ce qu'on fera.')
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


La distribution de forzh est à rapprocher du français faire cas de quelque chose, qui est illicite dans les affirmatives épisodiques (*/#Elle fait cas de ce dossier), et autorisé dans les négatives (Elle ne fait pas cas de ce dossier) et les questions (Fait-elle cas de ce dossier ?).

En breton, la distribution de forzh est concurrencée par celle de foutre, dans les même environnements (Ne ra foutre kaer 'Il s'en balance).

n'eus forzh

Dans cette expression, le mot forzh est un item de polarité négative car sa version positive est agrammaticale (*forzh a zo).


(1) -N'eus forzh ! eme an ozac'h; gwelet a rankan hag ez eo gwir.
ne y.a cas dit le mari voir R dois si R+C est vrai
'Qu'importe ! dit l'homme; Je dois voir si c'est vrai.'
Léonard, Milin (1924)


Lorsque n'eus forzh prend portée sur un pronom interrogatif, on obtient sémantiquement un indéfini de choix libre.


(2) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne y.a cas à1 maison 1qui R+C irai R serai accueill.i bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')

Indéfinis de choix libre

n'eus forzh pe

Forzh se trouve aussi dans la structure complexe n'eus forzh pe X, qui obtient un constituant nominal. A l'intérieur de ce syntagme nominal, forzh co-réalise un indéfini de choix libre avec un pronom interrogatif: N'eus forzh pe X.


(1) N'eus forz pegoulz ez i di...
ne y.a importance quand R iras y
'Quand que tu y ailles… '
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


N'eus forzh pe X est composé de façon similaire à l'indéfini de choix libre français n'importe qui, n'importe quoi.

forzh petra, forzh pegen…

Des indéfinis de choix libre apparaissent avec forzh sans la présence de la négation. Ici, c'est le conditionnel qui sert d'autorisateur. Cet autorisateur peut être prononcé après l'élément autorisé.


(2) Forz pegen uel e vehe ar vezenn atao 'z ea.
importe combien haut R4 serait le 1arbres.SG toujours R4 allait
'Quelle que soit la hauteur d'un arbre, il y montait toujours.'
Léonard (Plougerneau), Elegoet (1975:14)


(3) En noz em eus aon. Forzh petra en em gavfe.
en.le nuit 1SG a peur importe quoi se passerait
'J'ai peur la nuit. Tout peut arriver.'
Léonard, Kervella (2009:65)

en composé morphologique

Cette même lecture d'indéfini de choix libre peut être obtenue à l'intérieur d'un composé morphologique contenant un préfixe négatif.

Le préfixe privatif di- donne ainsi le composé adjectival diforzh, 'indifférent' (Favereau 1997:§230) ou 'quelconque' en vocabulaire mathématique ('point quelconque', poent diforzh, 'polygone quelconque', liestueg diforzh, Ménard 2012:'quelconque').


Expression

Forzh ma buhez !, 'Au secours !'

L'expression n'est pas connue partout. Elle est présente chez Le Pelletier. Malgorn (1909) à Ouessant dit ne connaitre dans ce sens qu'une comptine qui dit For ! For ! al laer ouz ma laza ! 'Au secours, au voleur !'.


(1) Forzh ma buhez ! Kenavo er bed all !...
force mon2 vie au.revoir en.le monde autre
'Au secours ! Adieu à jamais !'
Standard, Bannoù-Heol (2000:33)

Diachronie

Ci-dessous, je rassemble les différents candidats étymologiques pour les différentes (?) occurrences de /ˈfɔrs/ forzh en breton moderne.


(1) forzh m., 'force'

< ancien français force, 'force'
< latin fortis, 'fort'
< peut-être sur une racine indo-européenne *bhergh- apparentée au breton bre 'colline', comme les mots allemands Burg et Berg.

C'est clairement sur ce mot qu'est construit le breton dre forzh 'à force de'. Selon Delanoy (2010), la forme vannetaise de l'adverbe forh 'très, beaucoup' suppose un emprunt à une forme en -t final, comme le latin fortis, avant l'ancien français donc.


Le mot force en français a aussi donné un quantifieur qui est d'usage daté en français contemporain.

  • Le lion dit "J'ai dévoré force moutons.", Français, Grevisse (1969:§492)
  • ...terriens, bateliers, inscrits maritimes, retraités et "en congés" sablent force quarts de tafia.
Saint-Pol-Roux, poèmes roscanvélistes, Français du XIX° (Burel 2011).


Par la traduction de forzh en 'cas' en français dans la plupart des sources, il est induit que l'indéfini de choix libre n'eus forzh dérive du sens en (1) 'force' (Je n'en fais pas cas).


(2) Forzh est traduit 'vulve, vagin' en 1902 (Le Menn 1999, ref. VI 16 selon Menard 1995).

forzh m., pl. ferzhier (Favereau 1993), 'vagin'
/ autres pl.: forzier, 'vulve' (Merser 2009), ou forzhioù

Le pluriel irrégulier ferzhier n'existe pas pour le sens en (1), ce qui montre que (1) et (2) sont distincts.

L'origine de ce mot dénotant 'vagin' est disputée.

Selon Deshayes (2003:§'forz'), "forz, s. m., 'vagin, vulve' est un emprunt, par déviation sémantique [?], à l'ancien français force, grand ciseau, cisaille, issu du latin *forfices, 'cisailles'". Le latin forfices que Deshayes signale comme une reconstruction est attesté, ce qui donnerait:

(3) forz, m. 'vagin'

< ancien français force 'grand ciseaux'
< latin forfex, forfices, forficis, 'grand ciseau, cisaille, cisailles'
< peut-être apparenté au grec pertho 'saccager', cf. le surnom ptoliporthos 'destructeur de villes' dans l'Odyssée (de Vaan 2008).

La technique obstétricale de naissance par forceps consiste en l'introduction de deux cuillères dans l'utérus par le vagin afin de saisir la tête du bébé et de l'extraire par voie vaginale en aidant sa descente en appliquant une force de traction. Le liage des deux cuillères avant l'extraction forme une pince ressemblant une cisaille.


(4) Menard & Kadored (2001) donne forzh, f. pl. ferzhier, 'voie, chemin à une voie', dont 'vagin', et au pluriel, 'voies respiratoires'.

Wikeriadur en français 14/10/2013: rapproche aussi 'vagin' et 'voie', avec le cornouaillais forth, le gallois ffordd 'route, chemin', comme Menard (1995) proposait le lien avec le moyen breton fordd.

< ancien anglais/anglais ford 'gue'
< indo-européen *por- 'traverser', comme dans le latin porta 'door'

À noter que Wikeriadur et Menard & Kadored (2001) ont en commun de proposer que forzh 'voie, vagin' est un mot féminin. Dans Favereau (1993), Merser (2009) et Menard (1995), forzh pour 'vulve' ou 'vagin' est un nom masculin.