Expressions idéophoniques

De Arbres

Les idéophones, phono-esthèmes ou expressions idéophoniques sont des mots expressifs qui attachent une sorte de proto-sémantique à un son particulier de la langue, ou à un mouvement articulatoire qui produit ce son.

L'élément de sens de l'idéophone peut être associé à une syllabe fixe, une consonne ou une voyelle, ou juste par un trait phonologico-acoustique les réalisant, comme le voisement ou un lieu d'articulation. L'élément de sens peut aussi être associé à un template (voyelles apophoniques) ou à un processus morphologique ou une quantité (reduplication, longueur de voyelle). Ces sons peuvent être signifiants, ou l'être uniquement dans un jeu d'opposition.

La liste ci-dessous n'est pas celle des idéophones du breton, mais précisément celle des idéophones imaginables. Il n'y a pas de test définitoire de ces éléments, plutôt des faisceaux d'indices dont certains sont juste intuitifs. Il est parfois difficile de savoir si nous listons ici des phénomènes réels ou les limites de notre propre imagination. Il s'agit ici de se donner une vision de ce qui est considéré comme des idéophones dans la littérature descriptive et scientifique, et d'en offrir un classement compréhensible, informé des recherches formelles sur le symbolisme sonore.


Tentative de définition

morphologie

Les phono-estèmes, comme les morphèmes, sont des formants car ils passent le test de la dépendance structurale. Contrairement aux morphèmes, ils ne forment pas des unités phonotactiquement bien formées, et ils ont "un potentiel de signification" (Fradin 2003).

Les consonnes et les voyelles semblent pouvoir fonctionner indépendamment dans les morphologies de type idéophonique. On trouve des idéophones construits sur les consonnes uniquement, à la manière d'un mot lexical de l'arabe (tufat 'cracher', sur t-f-t-). Les alternances apophoniques na bu, na ba jouent uniquement sur des contrastes entre voyelles, les consonnes étant là pour les disposer dans un schéma rythmique de parallélisme.

La quantité du signe peut iconiquement amener un proto-sens sur la quantité du sens. Les reduplications sont souvent discutées en terme idéophoniques lorsqu'elles servent la formation des pluriels ou l'itérativité. Le breton a aussi des oppositions de quantité sur les voyelles longues et courtes, et d'accent de mot.


sémantique

Dingemanse (2011a:25): "les idéophones sont des mots marqués qui dépeignent une image sensorielle".

test sémantique de l'iconicité

Une première stratégie est de tester l'iconicité d'un mot en le soumettant à des locuteurs étrangers. Lockwood, Hagoort & Dingemanse (2016) ont soumis le mot japonais hisohiso 'murmure' à des locuteurs du néerlandais, leur demandant d'associer à ce mot japonais la signification de 'murmure' ou de 'cri'. Les locuteurs ont fait le bon choix dans 97% des cas.

Une autre stratégie ressort de la linguistique comparative. Pour le sens de 'murmurer', les langues utilisent très souvent des fricatives non-voisées, comme le breton chuchumuchu, ou le français chuchoter. Des corrélations typologiques statistiques peuvent appuyer que telle ou telle forme est idéophonique.

L'iconicité n'implique pas l'universalité. "Il faut s'attendre à ce que les différentes langues mettent en place des stratégies en partie différentes dans leurs représentations iconiques du réel" (Nobile 2014b).


particularité bretonne, les mutations

neutralisation de l'opposition voisée/non-voisée

L'opposition voisée/non-voisée pourrait être neutralisée en initiale de mot par le nombre de mutations consonantiques qui impliquent cette opposition de trait (kador 'chaise' > ar gador 'la chaise', penn 'tête' > da benn 'ta tête', tud 'gens' an dud 'les gens').

Coïncidences articulatoires

Certains idéophones sont construits sur une coïncidence entre les gestes articulatoires nécessaires à leur production et un acte physique impliquant des organes de l'appareil phonatoire, ainsi que, par extension et analogie, des émotions associées.

Ce paradigme lexical est potentiellement composé de tous les élements qui dénotent:

  • une partie physique de l'appareil phonatoire:
cordes vocales, gorge, trachée, luette, langue, palais, dent, alvéole, lèvres...
  • une action ou un handicap impliquant un lieux d'articulation particulier de l'appareil phonatoire:
toux, quinte, expectoration, toussotement, crachotement, glaviot, mollard, éternuer, siffler, cracher, sucer...
enroué, pendre


/attaques en consonnes d'arrière/, 'volume de voix haut'

Les verbes déclaratifs dont la dénotation implique une puissance de voix utilisent typiquement des attaques en consonnes et glides d'arrière /k, g, h, X, j/.


 Matasović (2009):
 PCelt: * glaxsmă 'cry, shout' [Noun]
 GOlD: Mlr. glám [ă f] 'outcry, clamour, satire'
 PIE: * gla-ǵh 'cry, shout' (IEW: 350f.)
 COGN: Skt. garh-, OHG klaga, Germ. klagen
 ETYM: The comparison with OHG klaga allows the reconstruction of the PIE root as above; a different vocalization (Schwebeablaut?) must be assumed for Sanskrit. This is quite clearly an onomatopoetic root, so the correspondences in Germ. and Skt. could be accidental.
 REF: Mayrhofer I: 475f.


En breton moderne, on peut citer youc'hal 'exclamer, crier', yudal, huchal, krial, skrijal 'crier (des cris stridents)', garmat, garmiñ, gwial 'pleurer (avec des cris)', hopal, gervel 'appeler', c'hoarzin rire', kunudal 'gémir'. Le verbe kanañ 'chanter' montre une attaque de consonne d'arrière. Il est aussi à signaler que la voyelle /a/ y est longue, en opposition avec le verbe de morphologie arbitraire kannañ 'battre, laver'.

L'utilisation d'attaques en consonnes d'arrière n'est évidemment pas monopolistique sur ce proto-sens, cf. c'hoari 'jouer', kerc'hat 'chercher', kousk 'dormir', gwiskañ 'vêtir'. Ce sens est aussi exprimable sans l'idéophone, cf. blejal 'gueuler, hurler'. Une sémantique implicant une action d'ouverture de la gorge sans son impliqué comme bazailhat 'bailler' ne montre pas l'idéophone, mais il apparaît dans kuzmuzat 'chuchoter'.

/X/, 'râcler la gorge'

/v-X/, 'crachat de fond de gorge, dégout'

La consonne /X/ finale est probablement un idéophone construit sur la coïncidence articulatoire de l'acte de cracher en se raclant la gorge. Favereau (1993) donne 'se râcler la gorge' teuc'hal, toc'hal.

On la retrouve dans Ec'h ! 'beurk'.

 Henry (1900)
 Ac'h (interjection), 'fi !' Onomatopée de l'action de cracher.

/r-X/, 'ronfler'

On a aussi le verbe 'ronfler' 'roc'hañ ou diroc'hal.

/h-g/, 'haut-le-coeur, roter, luette'

La coïncidence articulatoire est mobilisée par l'association d'une voyelle centrale et de la consonne d'arrière /g/.

On trouve le nom heug 'écoeurement, nausée' et l'adjectif heugus 'répugnant, écoeurant'. Cette racine remonte au moins au brittonique car Henry (1900) donnait heûg, s. m., 'répugnance, aversion' en relation avec le moyen breton heugui et heugal' 'roter', et le gallois cyf-ogi 'vomir'.

On trouve dans Favereau (1993) heg 'contrariété', dre heg 'par contrainte', heg 'acerbe, contrariant, vexant', kemer heg 'prendre en grippe'.


(1) An dud kozh a vez traoù hég. Trégorrois parlé (Trédrez), Gros (1966:105)
le 1gens vieil R1 est choses agaçant
'Les vieilles gens sont des grincheux.'


Le nom 'renvoi, rot' attaque avec une plosive, mais a ensuite une harmonie de voyelles centrales, et parfois le -g-: beurleugeusenn, breugeus, breugeusenn.

Les articulations d'arrière gorge sont aussi mobilisées par la production du nom hueg, huged, hog, hogaouenn 'luette, amygdale'.


/garg-/, 'horreur, éprouvant'

Matasović (2009) propose une racine proto-celtique en * gargo- dont le vocalisme -a lui semble suspect.

 Matasović (2009):
 "PCelt: * gargo- 'rough' [Adj]
 GOID: MIr. garg [o]
 GAUL: Gargenus Nom propre
 PIE: * gargo- (?) 'horror' (IEW:353)
 COGN: OCS groza 'horror', Arm. karcr 'hard'
 ETYM: This is presumably an onomatopoetic, or expressive word, which may explain the a-vocalism in the root. The parallels in other IE languages may be accidental similarities.
 REF: EIEC 568, de Bernardo Stempel 1999: 501, Delamarre 175


/grag-/ 'enroué '

La consonne d'arrière /g/ est mobilisée deux fois dans gragaouet 'enroué' (Martin 1929:177).


/gwask-/ 'gorge serrée, tousser'

Pour 'tousser', Ernault (1879-1880) récolte en gwaskat à Plouaret et gwaskenn à Perros. Troude (1886) donne, comme périphrase pour 'tousser', kaout ar waskenn (oaskenn).

/t-f/, 'cracher en avant de la bouche'

L'action de cracher comprend aussi les mouvements de l'avant de la bouche, et on a le verbe tufañ 'cracher'.

On a aussi cependant le verbe tufiñ 'moisir'.

klouk, gouk

La racine klouk, comme le français glou-glou, évoque le bruit produit par un liquide coulant dans une gorge par à coups (et glou, et glou, et glou...). La coïncidence articulatoire est réalisée par la consonne d'arrière /k/ suivie de la liquide /l/ qui implique le mouvement de la langue, comme pour faire passer un liquide, pour avaler sans mâcher. La voyelle /u/ est d'arrière, et la finale /k/ aussi. Par extension sémantique, la racine klouk dénote toute action de bouger itérativement les machoires en faisant une action trop ardamment.

Cette racine est productive en breton moderne, et donne les noms klouker 'goinfre', kloukad 'gorgée', kloukerezh 'goinfrerie' et le verbe kloukañ 'goinfrer', ainsi que le nom kloukerez 'bavarde'.

Mais quelle langue a créé cet idéophone? Il y a une étymologie celtique; Nodier (1806) donne le sens de 'glouton' au "celtique" glwth, au breton glout et gloict. Il y a aussi une étymologie remontant au latin, qui a donné l'italien ghiottone, et aboutit au français par le bas-latin glout, le vieux français glous puis le français moderne glouton. L'anglais gluttonous est aussi nettement associé.

Le /-k/ final du klouk breton pourrait résulter du recul de la consonne finale non-voisée d'un de ces emprunts. La sémantique itérative suggère que le -k final de klouk pourrait aussi être la trace d'une reduplication * klouklou, emprunt possible de glouglou, qui aurait été dévoisé à la bretonne, puis tronqué. Ce -k pourrait aussi venir d'une association sémantique avec le breton gouzoug /guzuk/, /guk/ 'cou'.

Le nom gouzoug 'cou' implique les mêmes éléments articulatoires, sauf qu'il n'y a pas de liquide mais la fricative d'avant /z/.


lonk-

Le verbe lonkañ 'avaler' semble être à rapprocher.

kroug, 'arrêt sur la gorge'

La même coïncidence articulatoire de consonnes et voyelles d'arrière se trouve dans diverses dénotations de coup sur la gorge: krougañ 'pendre', kroug, ar groug 'potence', krougerezh 'pendaison', krougadeg 'pendaison collective', krouglec'h 'gibet'.


/fricatives et dévoisées/, 'produire un souffle d'air'

c'hwezhañ 'souffler, respirer'

La racine /X,h-e-s,z-/, qui dénote une action qui implique le passage ininterrompu de l'air. Les consonnes fricatives sont aussi ininterrompues. On la trouve dans le verbe infinitif c'hwezhañ 'souffler, respirer' et dans le nom c'hwezh 'odeur'.

La variation dialectale de cette racine est documentée dans la carte 334 de l'ALBB pour 'souffler' et dans la carte 337 de l'ALBB pour tout le KLT pour 'odeur'.


 Matasović (2009):
 PCelt:   * swizd-o- ‘blow’ [Vb]
 GOID: OIr. do-infet ‘blows, inspires’; do-r-infid [3s Pret. Relative]; do-r-infess [Pret. Pass. Relative]
 W: MW chwythu ‘blow, breathe’
 BRET: MBret. huezaff, MoBret. c'hwezhañ ‘breathe’
 CO: Co. hwytha
 PIE: * sweys-d- ‘hiss’ (IEW:104Of.)
 COGN: Gr. sízō, Russ. svistátʹ
 ETYM: OIr. do-infet < * to-eni-swisdo- (the simplex verb is unattested in Goidelic). These words are of onomatopoetic origin, so indepentent creations in different branches of IE cannot be excluded.
 REF: GPC I: 865, LIV 611ff., LP 395, LEIA S-100, Deshayes 2003: 164.


c'hwitellat, 'siffler'

Le verbe c'hwitellat 'siffler' se compose de la racine c'hwitell- /Xwitɛl-/, et de la finale verbale -ellat qui marque l'itérativité.

La prononciation de la racine mimétise pour sa production l'acte de produire un sifflement court, interrompu par une dentale, comme l'équivalent anglais whistle, ou le français siffloter. En contraste, le verbe français siffler mimétise un sifflement que n'interrompt aucune plosive.


/p/, /m/, /b/, 'rondeur'

Les consonnes labiales sont plutôt associées à une forme ronde qu'à une forme à angles. Les pychologues Gestalt comme Köhler ont montré que des non-mots comme maluma et takete sont liées respectivement à des formes rondes vs. avec des angles. Cependant, l'hypothèse d'une coïcidence articulatoire ne peut être écartée pour l'exemple seul des labiales, car elles ont en commun d'être formées avec le resserrement des lèvres.

/syn-/, /ʃyt/ 'sucer'

On retrouve les mêmes lieux d'articulation avant avec sunañ, sutellat 'sucer'.

Ernault (1890b:355) note la dimension onomatopéique du moyen breton czutell 'sifflet', le petit trégorrois chutel 'donner le sein, bout de linge qu'on donne à sucer aux enfants', chutelat 'têter, sucer'. Il renvoie à Ernault (1879-1880:150) qui citait les formes trégorroises chut, chuteik, chutel et chutelad 'acte de têter'. Ernault compare ces formes au chut! français, à l'italien zitto et au verbe chotai, choterlai 'siffler' à Montbéliard.

/suite de labiales/, 'parler, langage'

Il semble y avoir une régularité typologique pour grammaticaliser des verbes ou des noms dénotant des actes de langage en faisant usage des consonnes dont la prononciation est visible pour l'interlocuteur, donc les consonnes d'avant comme les labiales.

Matasović (2009) propose une racine proto-celtique en * lab(a)ro-, menant à la racine bretonne lavar, lavarout dire', al lavar 'le langage', lavarenn 'proposition', ou les verbes prech, prezeg 'parler'. On pense aussi à flappiñ, flappañ 'parler, causer'. Le même idéophone pourrait obtenir le français blabla, blablabla, blablater, parler.


 Matasović (2009):
 "PCelt: *lab(a)ro- ‘eloquent, talkative’ [Adj]
 GOID: OIr. labar [o]
 W: MW llafar ‘loud, resonant, talkative’
 BRET: OBret. labar ‘talking’, MBret. lauaret ‘talk’, MoBret. lavar [m] ‘language, speech’
 CO: OCo. lauar glosed sermo
 GAUL: Labarus, Labrios [PN]
 ETYM: In OIr., there is also the denominative deponent verb labraithir, -labrathar ‘talks’. Cf. the parallel formation of the antonyms W aflafar ‘mute’ and OIr. amlabar ‘mute’. These Celtic words may have been onomatopoetic in origin; the connection with ME flappen ‘hit’ suggested by IEW (831) is a mere possibility (if this is correct, the PCelt. form of the root was * flab- ), cf. also Germ. labern ‘babble’.
 REF: DGVB  236, Delamarre 194f., Deshayes 2003: 453, Zimmer 2000: 486, Meid 2005: 56."


Cette corrélation n'a pas de pouvoir prédictif. Des verbes de non-communication peuvent être réalisés avec des labiales, cf. tevel '(se) taire'. Des verbes déclaratifs peuvent être réalisés sans, cf. komz, kaozeal 'parler'.

Sous l'extension de sens 'action impliquant de remuer les mâchoires', on aurait aussi debriñ 'manger'.

Phono-esthèmes

Les phono-esthèmes sont des phonèmes ou des traits articulatoires qui sont associés à un proto-sens sans que la coïncidence articulatoire ne les soutienne vraiment. C'est souvent le cas quand l'évolution phonologique d'une langue transforme un lexique qui était autrefois soutenu iconiquement par une coïncidence articulatoire. Quand ces hypothèses sont écartées, on peut s'interroger sur l'existence d'un symbolisme sonore qui ne passe pas par des coïncidences articulatoires.


coïncidence articulatoire perdue en diachronie

attaque en plosive d'avant, 'tousser' en /p-/

De son origine idéophonique en plosive d'arrière /kw/ en proto-celtique, les langues brittoniques n'ont conservé que le trait plosif avec une plosive d'avant /p/, comme dans le breton pasaat 'tousser'.

 Matasović (2009):
 PCelt: * kwaso- 'cough' [Noun]
 GOlD: MIr. casachtach [ā f] (DIL cosachtach) 'the act of coughing'
 W: W pas [m] 'whooping cough'
 BRET: OBret. pas glosed catarrus, MBret. pas, paz
 CO: Co. pas, MoCo. paz
 PIE: * kweh2s-t- 'cough' (IEW: 649)
 COGN: Skt. kā's- 'cough', OHG huosto, Lith. kósti, Russ. kášelj
 ETYM: The Celtic forms are from the zero-grade *kwh2st- of this originally onomatopoetic root. The laryngeal is assured by the acute in Lithuanian and Slavic.
 REF: LEIA C-215, GPC III: 2696f., DGVB 281, Hamp 1980.

Cette plosive d'avant /p/ se décline sur plusieurs items. Favereau (1993) donne les sens proches peudal 'tousser d'une toux sèche', peukal 'tousser d'une grosse toux', peusat 'tousser d'une toux persistante', poulzañ, poursal, poursellat 'tousser d'une toux chronique, poussive', ainsi que les noms associés paz 'toux', peud 'toux sèche', peuk 'grosse toux, crève', peus 'toux de pneumonie', peusadur 'toux persistante'.


(1) Pa visen é peukad, ma mamm lake ur palastr war ma feultrin.
quand1 étais à4 tousser mon2 mère (R1) mettait un emplâtre sur mon2 poitrine
'Quand je toussais, ma mère m'appliquait un emplâtre sur le torse.'
Cornouaillais (Plouye), Lozac'h (2014:'palastr')


> peudal 'tousser', peudek 'qui tousse', Cornillet (2020)

On peut ajouter une autre consonne d'avant avec /t/, non labiale mais dentale. Favereau (1993) donne teuc'heugnal 'tousser d'une toux sèche', teuc'heugn 'toux sèche, toussotement'. Cette dentale /t/ pourrait être soutenue par le français en contact tousser, toux, toussotement. Ce phonoesthème est le seul élément qui amène le second sens de tourloñkañ /travers-avaler/ 'avaler de travers', mais aussi 'tousser'.

symbolisme sonore

Le symbolisme sonore est une hypothèse qui ouvre une brèche dans l'arbitraire du signe linguistique. Ce sont des cas où la forme et le sens montrent un lien, même si le sens est souvent assez vague. Au contraire des onomatopées ou des coïncidences articulatoires, il s'agit d'un lien non-iconique entre forme et fond, de type synesthésique.

 Dingemanse (2012:658) associe les premières recherches à une tradition allemande du début du XX° (Westermann était un spécialiste du Ewe):
 "Westermann (1927, 1937) fut un des premiers à documenter quelques liens iconiques dans les systèmes d'idéophones qui se retrouvent entre les langues. Il a trouvé que les tons hauts, les voyelles légères et les consonnes non-voisées évoquaient la petitesse, la clarté, et la vitesse, et que les tons bas, les voyelles sombres et les consonnes voisées évoquaient les grandes tailles, la fadeur et la lenteur." 


La notion de synesthésie a été abordée plus récemment par Ramachandran & Hubbard (2001) et D’Onofrio (2014), qui dégagent ce qui s'appelle après eux un effet bouba-kiki: les figures visuelles rondes ont une association avec les voyelles d'arrière, les consonnes voisées et les consonnes labiales.

Ces effets sont aussi cumulatifs: plus ils sont présents dans un élément linguistique et plus leur sens associé est fort. Cette cumulativité est aussi un lien entre le sens et le signifiant, mais elle est iconique: comme dans le cas de la plupart des reduplications: plus de la même forme obtient plus du même sens. L'accumulation de segments de même type évoque des images symboliques plus fortes (Martin 1962 pour le coréen, McCarthy 1983, Thompson & Estes 2011 pour la gradabilité de l'effet). Kawahara (2020) étudie ainsi des noms inventés donnés à des Pokemons. Il montre des effets cumulatifs dans les sons associés au développement de l'évolution de la force des Pokemons.

Reduplications

gourgous, gourgouilh

Le nom gourgous 'gosier' implique les mêmes éléments articulatoires que klouk, gouk, avec une liquide différente /r/, et une reduplication plus évidente.

Troude signale gourgous au XIX° comme un mot suranné, mais Favereau (1993) le donne encore. Le nom gourgouzig 'goulet, goulot' est largement attesté (De Rostrenen 1732, Châlons 1723, Le Gonidec 1850...). Le nom gourgouilh 'glougloutement' existe toujours en breton moderne.


bourbouilh, boubouilh

Menard (2016) donne bourbouilh, boubouilh 'borgorygme, clapotement, bouillonnement', mais aussi, avec le Ernault (1927), le cornouaillais bourgouilh.


alternances apophoniques

Ce sont les effets obtenus par alternances de voyelles, souvent des voyelles primaires (/I, A, U/). Akita & Dingemanse (2019) donnent le basque plisti plasta, équivalent du splish-splash anglais.


chaflik, 'flic-floc, bourbier'

(1) Eno e veze eur chaflik abominabl pa ree glao.
y R4 était un ___ très.grand quand1 faisait pluie
'Là il y avait un flic-flac (bourbier) extraordinaire quand il pleuvait.' Trégorrois, Gros (1974:397)


(2) Sevel a ra ar chaflik dindan ar saout...
monter R1 fait le ___ sous le vaches
'Le purin forme un gâchis clapotant sous les vaches...' Trégorrois, Gros (1974:396)


structures minimales, na bu, na ba

Dans le domaine nominal, on peut aussi penser aux minimiseurs grammaticalisés à partir de mots minimalement courts, comme les syllabes /by/, /ba/.


(3) gouzout na bu na ba
savoir ni bu ni ba
'piger que dalle' Trégorrois, Konan (2017:105)
'être illettré' Le Berre & Le Dû (1999:103)


Il est possible cette expression vienne de la déformation d'une autre dont le sens s'est perdu. Cornillet (2020) donne, lui, na bu na bar qu'il traduit par par '(n’avoir) ni vie ni mouvement'. Si /by/ pourrait effectivement être une forme courte de buhez 'vie', le nom bar est plus flou (par(añ)?).

Idéophones perceptifs ?

Les idéophones perceptifs ne sont à-priori pas soutenus par une coïncidence articulatoire. Ils ont l'air de montrer une forme de symbolisme synesthésique. Pour comprendre leur dimension iconique, il faut les comprendre dans un système d'oppositions internes à la langue. Plus que des phonèmes, il s'agit de traits articulatoires réalisant les phonèmes.


 Anderson (1998:106)
 "the iconic potential of any given phoneme depends not on its inherent acoustic or kinesthetic features per se, but rather, on the extent to which these features lend themselves to contrasts within the phoneme system of the language".


/a/ vs. /i/, le cas des deux diminutifs bretons

Newman (1933), Johnson (1967), Klank & al. (1971), Thompson & Estes (2011) étudient la corrélation entre les positions d'articulation des voyelles et les signifiants dénotant des notions de grandeur 'grand' et 'petit'. Les voyelles d'arrière comme /a/ associées à une grande aperture seraient associées à la grandeur (comme dans grand, méga-), et les voyelles d'avant de petite aperture à la 'petitesse' (comme dans petit, mini, léger, minus, diminuer, ou le diminutif -ette). Armoskaite & Koskinen (2017) donnent comme exemple les référents petits, minces ou légers, dénotés par l'anglais teeny-weeny ou les suffixes diminutifs lithuaniens –yt- et –ėl-.


 # Universel 1926, Plank & Filimonova Universals Archive:
 "Il y a une tendance iconique apparemment universelle dans les diminutifs et augmentatifs: les diminutifs contiennent des voyelles d'avant hautes, alors que les augmentatifs tendent à contenir des voyelles hautes d'arrière."


Une tendance statistique n'a de valeur prédictive que statistique. Il existe évidemment des diminutifs non-expressifs, de morphologie arbitraire, comme dans les cas de grammaticalisations de sources lexicales. Dans la langue Kwa Akan, le morphème diminutif -wa/-ba est dérivé diachroniquement de /ɔba/ 'enfant' (Appah & Amfo 2011). Diffloth (1994) montre aussi que, face à cette régularité typologique consistante, il existe des exceptions qui utilisent une iconicité produisant des régularités inverses, des systèmes langagiers où /i/ dénote la 'grandeur' et /a/ la 'petitesse'.

Le breton moderne rentre aisément dans la tendance statistique de l'universel 1926 avec son suffixe diminutif -ig /-ik/ établi depuis le vieux breton.


(1) Me am eus vn amoric iolivic indan an del me.
moi R.1SG a un amour.DIM joli.DIM sous le feuilles moi
'J'ai une amourette gentille, sous les feuilles, moi.' Moyen breton (1350), gloses d'Ivonet Omnès


Le vieux breton présentait productivement un autre diminutif établi à l'autre bout du spectre des voyelles: le diminutif -an /ɑ̃n/. Les deux suffixes co-existaient avec a-priori la même productivité jusque vers la fin du XI°. Dans le Cartulaire de Redon, on a ainsi fosan 'petit fossé' et kaledan 'plutôt dur', 'un peu dur' (Hemon 1976). En moyen breton et en breton moderne, seul le diminutif -ig est resté productif - le suffixe -an n'est plus reconnu comme un diminutif, mais il colore toujours l'adjectif 'petit' bihan, et on le reconnait redoublé par le suffixe qui l'a supplanté dans les finales en -igan, -egan (korrigan, loenigan, polpegan 'lutin, animalcule, diablotin'). En (2), on liste trois suffixes étymologiquement diminutifs à la suite. Seuls le dernier, -ig, est interprété.


(2) N'eo nag ur skoanard nag ur falleganig ar Charlez.
ne'est ni un gringalet ni un mauvais.DIM.DIM le Charlez
'Le Charlez n'est ni un gringalet ni un souffreteux.' Trégorrois (Perros-Guirrec), Konan (1954)


La voyelle est d'arrière, mais, la consonne /n/ du diminutif -an est alvéolaire, ce qui implique un lieu d'articulation très avancé vers l'avant. Dans l'inventaire typologique des morphologies epxressives des diminutifs, Körtvélyessy (2011) relève une régularité d'affixes contenant, non une voyelle d'avant, mais une consonne d'avant. Elle cite -ómma en Maale (Tchad Ethiopie), mu- et -tə en Bafut (aire Macro-Soudan), atu- en bemba (zone d'influence Bantoue), -ró en Khoekbe, -ana en Xhosa et en Zulu (bassin du Kalahari). Le vieux breton, quant à l'expressivité de son système morphologique de diminutifs est donc aux côtés de la langue Xhosa qui a deux diminutifs -cinci et -ana, chacun utilisant une voyelle ou consonne d'avant (ubawo 'père' > ubawoncinci 'papa'; isando 'marteau' < isandwana 'petit marteau').

Les autres langues celtiques montrent aussi un dinimutif avec /n/; Hemon (1976) relève -an en gallois et en cornique, -án en vieil irlandais. Le suffixe -an gallois est toujours productif (Heinz 2009). Les deux langues romanes en contact avec le breton montrent un suffixe -on /-õ/ de sens diminutif, venant du latin vulgaire -o, -onis, comme dans le latin infans 'enfant' > latin vulgaire * infantio, -onis 'petit enfant' > un enfançon. Cependant, le trait nasal n'y est plus réalisé que sur la nasalisation de la voyelle /õ/. On a en gallo jeniçon 'jeune génisse', ou sieton 'siège bas' (Auffray 2007:intro), et en français chaton 'petit chat', aiglon 'petit aigle' ou cabanon 'petite cabane'.


Le breton a aussi des préfixes minorants ne contenant aucun élément articulatoires d'avant-bouche. Ce sont les préfixes minoratifs :


/bu/

Le morphème /bu/ pourrait être un idéophone perceptif organisant un proto-sens de type 'bruit confus, confusion, dérorientation, perte de perception sonore'.

Un premier indice est la présence de /bu/ dans nombre de mots expressifs repérés de longue date. Henry (1900) signalait boud n. m., 'bourdonnement' comme une "onomatopée", terme ombrelle pour toute morphologie qui n'apparaît pas arbitraire. Gros en utilise une forme redupliquée qu'il considère féminine /bubu/, ur voubou. Cette base est dérivée morphologiquement; cf. boubouenn 'bruit sourd' Ernault (1927), et les verbes bouboual, boubouiñ 'faire un bruit confus' (Menard 2016).


(1) Jañn a veze eur voubou en he diouskouarn evel trouz ar mor.
Jeanne R1 était un /bubu/ dans son2 deux1.oreille comme bruit le mer
'Jeanne avait un bourdonnement dans les oreilles comme le bruit de la mer.'
Trégorrois,Gros (1974:397)


Il existe une variation conséquente sur /bu- + consonne(s)/ pour réaliser des noms de toutes sortes de bruits indistincts. On trouve dans Vallée (1931) bouc'h 'charivari donné au dernier cultivateur à finir son battage'. On trouve dans Menard (2016) bourbl 'brouhaha', boulorgn 'chahut, bruit de lutte, rire', bourouañ 'faire du bruit comme le vent'.

On trouve aussi /bu + consonne/ dans de nombreuses reduplications expressives itératives.

  • bourbouilh, boubouilh 'borgorygme, clapotement, bouillonnement', Menard (2016)
  • bourboulla 'fouiller la terre comme font les porcs', Troude (1876)
  • bourboutal 'murmurer, grogner, grommeler', bourboutenn 'bourdon', Menard (2016)
  • bourlik-ha-bourlok 'inconsidérément, avec irréflection', Menard (2016)

On retrouve bouc'h en reduplication, avec l'idée de confusion de deux éléments.

  • deliou haleg ha delioù derv, lakaet bouc'h-ha-bouc'h 'barzh an douar
'des feuilles de saule et de chêne mélangées dans la terre.', Treboull, Kemener (1979:68)


Enfin, des racines différentes comprenant /bu/ en initiale représentent des sens que l'on peut défendre comme proches.

- chom bou(r)t, chom burdet 'rester muet, rester court', boudañ 'tomber en panne', bourdañ 'tromper, feinter', Menard (2016)
- boud, bouderezh 'bourdonnement, tinnitus, bruit sourd', boudienniñ 'boudonner', boudinell 'tintouin, acouphène, bourdonnement' et leurs dérivés, boudinellerezh 'bourdonnement' ou les verbes boudinellañ, boudinellat qui traduisent aussi 'assommer, étourdir'.
- bourdonat 'bourdonner', Menard (2016)
- boud! bezañ bout, au jeu, signifie que l'on passe son tour (l'Hôpital-Camfrout, Le Gall 1957), bezañ boudet (Gwiseni, Menard 2016)
  • /buf/: bouf 'bouffissure, gonfement', bouffañ enfler', boufad 'bouffée'
  • /buk/: bouk 'mou', bouktraezh 'sables mouvants'
  • /bul/: troad-boul 'pied bot', à mettre en relation avec l'ancien français boule 'fraude, tromperie'
  • /bul-/: boulsodet 'abruti, imbécile', boulzuañ 'blackbouler'
  • /buli-/: boulifardet ', 'fait à la six quatre deux, mal fagoté', boulinañ 'biaiser, faire de travers'
  • /bulj/: bouljant, bouljus 'instable', sur un emprunt de bouger
  • /bur/: bourr 'saoûl, indolent, (temps) lourd', bourr, bourboazh 'mal cuit', [[Ernault (1879-1880:149)]] et Menard (2016)
- bourouel adj. '(personne) qui fatigue et ennuie par ses redites' (Troude), bourouella 'criailler, ennuyer par du bruit et des propos bavards', bourouelled 'criards, criailleurs, casse-têtes, qui étourdissent et ennuient', Ernault (1903:192), bourr
- bourell, bourelladur 'rembourrage', bouret 'rembourré', Menard (2016)
  • /bur-/: bourgae 'petite haie', Menard (2016)
  • /bus-/: bouskenn 'bourbier', bousoc'hañ 'cochonner un travail', boustoc'h 'sournois', Menard (2016)
  • /but/: bouteg 'hotte, grand panier', boutin 'en commun, mélange de gains', boutinaat, boutinanñ 'participer tous, vivre en commun'.
  • /buz-, buk-/: bouzard 'sourd', ou en argot de la Roche-Derrien, boukin
  • /buX/: l'adjectif bouc'h 'objet émoussé, difficile à entamer, pénible, temps lourd, liquide trouble, problème difficile à résoudre' Menard (2016), 'mascaret, barre difficile à passer à l'embouchure d'une rivière', Gros (1970b:68), bouc'haat' 'devenir lourd (du temps)' Ernault (1927), bouc'hañ 'berner, tromper' Menard (2016).

- bezañ bouc'h 'être perdu, pris (aux cartes)', Ernault (1879-1880:149)

Avec /bu/ probablement préfixé, on a:

  • sur un emprunt de lie?: libouz 'sorte de mousse qui vient sur l'eau' à Lanrodec, liboust à Trévérec, avec aussi le sens 'espèce de croûte qui se forme dans le cidre quand il tire à sa fin'
  • stambouc'h 'gonflement, replétion', stambouc'hus 'bourratif' (Le second terme est boch joue', mais le premier est discuté entre stammioù 'mâchoires', staoñv palais' et stank 'à profusion', Ernault (1903:186).

Avec une nasalisation de la consonne, on a, probablement affiliable:

  • mougañ, mouget, mougus 'étouffer, étouffé, étouffant'
- moug: liou moug 'gris pommelé, noir et gris mélangé', Lanvollon, Ernault (1879-1880:163)
- Eur vouez moug 'une voix sourde, caverneuse', eur vougenn, ou mougenn zo enn amzer 'le temps est sombre, lourd', Trévérec.

Avec une articulation plus centrale de la voyelle, on a quelques signifiants supplémentaires:

  • boemus, boemañ, boemet

Les bilingues ont en résonnance bourdonnement, bourdon, bouché, bourré (saoûl), boue, bouillasse.

Certaines racines en /bu/ n'ont clairement rien à voir, comme ar bouch 'la barbe' ou 'le poulain', ar vouch 'la chèvre' ou bouchoù 'fleurs de trèfle'. L'argot boubou 'bovin' et boubouer 'boucher' à la Roche-Derrien vient plus probablement de la racine /by/ de la 'vache' buoc'h et son gardien bugel, de bouc'h 'hache' ou du français boucher. La reduplication enfantine boubousig 'oiseau' (Douarnenez, Denez (1977)) vient d'une troncation de 'oiseau' labous. L'interjection bou, bou! 'cri des enfants qui ont peur, ou mal', Ernault (1927), ainsi que les noms boubou 'bobo', boubouenn 'enfant' (Menard (2016)) sont aussi à distinguer. Ils sont appuyés par une coïncidence articulatoire: les lèvres tordues en pleurant, il est difficile de produire des consonnes d'arrière. Enfin, le rapport de /bu/ avec bougenn, bousell, boc'h 'joue' ne serait pas évident.

Il existe des racine impliquant le son /bu/ mais qui sont de sens contraire à l'idéophone proposé, comme la forme infinitive bout /but/ du verbe 'être' et son dérivé boudegezh 'qualité d'un être qui possède la raison (philosophie, théologie)'. De façon intéressante, on a aussi des doubmets dont l'un estexpressif et l'autre pas. On a /boul/ avec deux sens différents, l'un expressif: kouezhañ en e boull 'tomber en ruines', l'autre nettement indépendant boull 'clair, limpide'. De même, on a /bu(l)j-/ avec un sens expressif bouilh 'boue' et ses dérivés, et de l'autre bouilh 'pétillant, d'esprit vif, brillant', à rapprocher du français bouillir.


le référent est la forme non-mutée

Poukad signifie en vannetais 'somme, sieste' (Menard 2016) mais est un nom masculin qui ne sera pas muté en /bu/. La racine /pu/, à part pour le sens vague de lourdeur dans pounner 'lourd' et pouez 'poids', ne croise pas l'idéophone /bu/, malgré l'utilisation large de /pu/ dans les expressions idéophoniques (poudoudrom 'bruit de masse lourde tombant dans l'eau', pouaf 'pouf (bruit de tirer sur une pipe)', poufre 'flic-floc (dans la soupe)').


(1) An avel-mañ a ra eur voubou er chiminal ivez, 'vad!
le vent-ci R1 fait un 1/bubu/ dans.le cheminée aussi donc!
'Comme ce vent mugit dans la cheminée!' Trégorrois, Gros (1974:397)


/isti-glide/

 Henry (1900)
 Gristila, vb., variante de kristila, et cf. gourrisia. — Si ce type est le plus ancien, on y reconnaîtra une simple onomatopée ; cf. fr. le grésillement du feu et lat. gracillare 'glousser'.


gwigour 'grincer, grincement'

(1) Te, 'vad, a zo gwigour ez potou!
toi donc R1 est grincement dans.ton3 chaussures
'Toi, tes souliers grincent diablement!' Trégorrois, Gros (1974:397)


fricatives et liquides, mouvements sans à-coups

Consonnes fricatives et liquides forment un son ininterrompu pour la racine /flur/, obtenant l'adjectif flour 'doux', le nom flouradenn /fluradenn/ 'caresse' ou le verbe flourañ.


Fataklev, Badadav, Badadaou!

Fataklev, Badadav! Badadaou!, Boudoudoum! Boudadouf! Boudoudouf! 'Patatras! Badaboum!' sont des idéophones qui évoquent une chute désordonnées en plusieurs mouvements. Elles sont toutes construites, comme leur équivalent français, en tri-syllabiques favorisant les consonnes plosives. Les voyelles sont x-x-y+coda. Ce sont des interjections car elle constituent à elles seules un acte de langage, paraphrasable par Kouezhet out! 'Tu es tombée!'.

Le cas de Fataklev ! est à souligner car il utilise en plus des autres interjections des consonnes non-voisées entre les voyelles, qui sotn elles forcément voisées. Cette structure 0-1-0-1-0-1 de voisement construit un rythme différentiel rapide et répété. Nobile (2015) a montré que, au moins pour des locuteurs du français (que sont aussi les brittophone modernes), cet enchainement est associé à des structures visuelles de lignes droites à angles aigus avec des changements abrupts de direction, au contraire de formes visuelles arrondies et moins dangereuses en termes de mouvement.

En (1), le trisyllabique a grammaticalisé pour obtenir une préposition complexe.


(1) E oamp a-zevri o lampat, kouezhañ 'reamp a-fardaklav war ar foenn... Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:21)
R étions exprès à4 sauter tomber 'faisions à-? sur1 le foin
'Nous jouions à sauter et tomber dans le foin.'


C'est la même structure x-x-y+coda que l'on trouve dans deux formations dénotant la 'diarrhée', avec en sus une reduplication de monosyllabique (dipadapa et depechevit ont une structure expressive différente).


emprunts romans quadrisyllabiques

  • an depechevit 'la diarrhée'
  • palevirë m. 'une bonne giffle' à Trévérec, sur l'expression romane une paravirée (= pare à virer) relevé à Plédran en Haute-Bretagne, Ernault (1879-1880:164).

Horizons comparatifs

Les phono-esthèmes sont des entités minimalement signifiantes, des "submorphèmes non étymologiques dotés de traits sémantiques communs" (Firth 1930, Nobile 2014a). Ils n'ont pas de pouvoir prédictif. Tournier (1985) cite différents phono-esthèmes du lexique anglais. Fradin (2003:4.1.4), suivant Giraud (1967:chap 3), considère que les phono-esthèmes sont peu présents en français, à part quelques alternances apophoniques de type tic-tac, flic-floc.

 Firth (1930):
 /ash/: 'coup sec': bash, mash, smash, crash, dash, lash
 Tournier (1985):
 /kl/: 'son plat souvent métallique': clang, clank, clap, click, clash, clink
 /gl/: 'reflet, lumière, surface lisse': glisten, glimmer, glare, glow
 /Λmp/: 'masse molle ou arrondie': bump, hump, lump, rump, stump'


Une autre ligne d'analyse, plus récente, s'attache à l'étude des corrélations entre un sens minimal et les traits articulatoires distinctifs des phonèmes. Dans un cadre structuraliste, les rapports entre sens et traits articulatoires distinctifs des phonèmes sont étudiés au coeur de systèmes d'oppositions. Nobile (2015) explore de façon détaillée les oppositions de traits distinctifs de phonèmes du français dans leur association à des formes visuelles, comme par exemple la continuité du voisement du mot associé à sa continuité graphique. Son étude porte sur des mots inventés, donc sur les associations des locuteurs du français. Il ne se prononce pas sur la dimension comparée des idéophones dans cette langue.

Pour une analyse diachronique éclairée des courants de pensée sur l'analyse des expressions idéophoniques du français, se reporter à Nobile (2014b).


A ne pas confondre

Les expressions idéophoniques ressemblent aux onomatopées car elles ont une forme d'iconicité, mais elles n'imitent pas un son. Les phono-esthèmes forment une classe fermée.


Terminologie

Le terme d' idéophone a aussi une acceptation plus large, similaire aux termes un peu flous d' expressifs ou de mimétiques (Akita & Dingemanse 2019). Cette acception comprend alors les onomatopées et les huchements.

Le terme de phono-esthème apparaît dans des ouvrages de référence comme Diffloth (1976) ou Tournier (1985).

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