Explétif

De Arbres

Les éléments dits explétifs sont tous ceux qui sont entièrement ignorés dans le calcul sémantique de la phrase.

Les explétifs peuvent être de toute sorte de catégories, tant qu'ils n'ont pas d'impact sémantique direct.

Certains explétifs, comme l'explétif vide, ne sont pas prononcés, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas d'impact direct sur la forme phonologique non plus. Ils ne sont donc signalés ni en sémantique ni en phonologie, et seule la syntaxe les signale (par l'accord, la sélection de l'auxiliaire...).


La négation explétive

La négation peut être entièrement invisible pour le calcul sémantique de la phrase, comme na en (1). Il s'agit d'une négation explétive. La traduction en français montre la même invisibilité sémantique du marqueur de la négation.


(1) N'oa ket droed da douch ken na vehe-heñv marv.
ne'avait pas droit de1 toucher jusqu.à que serait-lui mort
'Il n'avait pas le droit de toucher avant qu'il ne meure.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:71)


(2) N 'eus nemedout, Fanchik-fall? Cornouaillais / Léon, Croq (1908:16)
ne1'est que.toi Fanch.DIM-mauvais
'Il n'y a que toi, Fanchig-fall?'


En (3), aucun des deux morphèmes de la négation, ne et ket, ne sont calculés.


(3) Pegen glac'haret, evel ouzout, na oa ket mamm hennezh!
combien affligée, comme sais, ne1 était pas mère celui.ci
'Quelle n'était (pas) l'affliction de sa mère!' Trégorrois, Gros (1984:95)


Bezañ prétensé

En (4), la présence de bout, forme du verbe 'être' à l'infinitif, n'est pas calculée sémantiquement. C'est une construction transitive explétive car l'explétif est compatible avec un verbe transitif dont les deux autres arguments sont réalisés.


(4) Tostennoù Kistinid ha glannoù ar Blaouezh ha bout am bo ar joa d'ho kwelet c'hoazh ur wezh?
buttes Kistinid et rives le Blavet Q être R.1SG aurai le joie de vous3 voir encore un fois
'Buttes de Kistinid et rives du Blavet, est-ce que j'aurai encore une fois la joie de vous voir?'
Vannetais, Herrieu (1994:215)

Pronoms explétifs

pronom météorologique

Le pronom météorologique est une sorte d'explétif en ce qu'il ne réfère pas à une entité en particulier (cf. 'Il pleut'). Ce pronom est souvent féminin en breton. Le pronom peut aussi être masculin, au moins en vannetais. Ce pronom peut être un pronom incorporé ou un pronom fort indépendant, et s'étend aux usages temporels (emañ-hi teir eur).


(1) Ma'z eus glao ganti, n'eo két yén tamm e-bét. Léon, Seite (1975:59)
si y.a pluie avec.elle ne1 est pas froid morceau aucun
'S'il pleut, il ne fait pas froid du tout.'


(2) Skornet en deus.
glac 3SGM a
'Il a gelé.' Vannetais, Herrieu (1994:51)


(3) /šə-ma xi xẃex øyr /
voilà-est elle six heure
'Voilà qu'il est six heures.' Groix, Ternes (1970:227)


autres expressions type bec'h dezhi

La structure verbale stagañ ganti signifie 'commencer (à faire quelque chose)'.


(4) Kement e oa, ma ne ouien dre be tu staga ganti. Léon, Seite & Stéphan (1957:145), citant Drezen
tant R était que4 ne1 savais par1 quel côté commencer avec.explétif
'Il y en avait tellement que je ne savais par quel bout commencer.'

pronom vide explétif

Le pronom vide explétif existe, au moins dans certaines variétés, dans une version de pronom indéfini qui déclenche la forme ez eus du verbe. C'est le cas pour l'explétif de la tournure existentielle, ou pour le pronom sujet explétif des tournures des passifs impersonnels.


tournure existencielle

En (1), l'auxiliaire ez eus signale un sujet indéfini sur sa droite, car un sujet à gauche déclencherait zo, et un sujet défini délencherait eo. Ce sujet est un explétif vide indéfini.


(1) Drouk-hirnez ez eus ennon hiziv d'am bro c'hleborek ha glas. Standard, Drezen (1932:11)
mal-.longu.eur R est dans.moi à'mon2 pays 1humid.ess.é et vert
'Je me languis aujourd'hui de mon pays humide et vert.'


L'exemple en (2) réplique cet argument avec une structure prédicative équative.


(2) Pelloc'h ez eus goaz anezhañ.
finalement R est homme P.lui
'Enfin, le voila homme!' Léon, Moal (1890:238)


En (3), le sujet peut être soit l'indéfini buhez ebet, soit un pronom vide explétif indéfini. Les deux hypothèses ne sont pas ici distingables avec cette seule phrase.


(3) N' eus buhez ebet er paludoù-holen.
ne est vie aucun dans.le marais-sel
'Il n'y a pas de vie dans les marais salants.' Standard, Bremañ (223:14), 'Ar paludou-holen'

passif impersonnel

Dans l'usage d'auxiliaire, la forme (a) zo de la copule marque la présence d'un sujet devant elle. Ce sujet est ici explétif et non-réalisé.


(4) [bɛn ˈvelɔ᷉ deˈpeta zo ɛt, nɛj, mɛ᷉ zo tʁɪst] Cornouaille (Briec), Noyer (2019:246)
Benn (e) welan da petra zo aet, anezhi, me (a) zo trist.
quand (R)1 vois de1 quoi est allé P.elle moi (R)1 est triste
'Quand je vois ce qu'il est advenu d'elle, je suis triste.'


La forme ez eus de la copule marque la présence d'un sujet indéfini posverbal. Ce sujet est ici explétif et non-réalisé.


(5) Diskouezet ez eus bet gant x [CP e vez muioc'h...
montré R est été par x R est plus
'Il a été montré par X qu'il y avait plus de...' Léon, Fave (1998:142)


(6) Kavet ez eus bet korv daou med unan all n'eus ket bet kavet. Ouessant, Gouedig (1982)
trouvé R est été corps deux mais un autre ne'est pas été trouvé
'Deux corps ont été retrouvés, mais un autre ne l'a pas été.'


La forme eo de la copule marque la présence d'un sujet défini posverbal. Ce sujet est ici explétif et non-réalisé.


(7) Lavaret eo bet uheloc'h eus peseurt mare e oa kont, ha perak. Cornouaille (Plogonnec), Kergoat (1976:6)
dit est été haut.plus de quel période R était question et pourquoi
'Il a été dit plus haut quelle période est concernée, et pourquoi.'


En (8), la tête de la relative ar re n'est pas le sujet car on verrait la forme a zo de la copule. Il s'agit d'une relativisation de construction du faux sujet; ar re coréfère avec l'objet de la préposition ouzh. L'infinitive deskiñ... est l'objet du verbe nac'hañ 'refuser'. L'agent de nac'hañ n'est pas interprété car il s'agit d'une tournure passive. Son sujet est un explétif vide défini.


Cornouaille (Plogonnec), Kergoat (1976:8)
(8) d'ar re eo bet nac'het outo deskiñ er skol ar yezh a veze ganto bemdez-doue.
à'le ceux est été défendu à.eux apprendre dans.le école le langue R était avec.eux chaque.jour-Dieu
'à ceux à qui il a été défendu d'apprendre à l'école la langue qu'ils parlaient quotidiennement.'


verbes dont c'est l'unique sujet

Les traits syntaxiques de l'explétif vide en breton sont 3SG. Les verbes qui ne peuvent prendre que lui comme sujet sont donc bloqués à ces traits. C'est le cas de faotañ 'falloir, vouloir', qui n'est licite qu'à l'infinitif ou conjugué à la personne 3.


(1) pətra fota dox  ?
quoi faut.3SG à.vous
'Qu'est-ce que vous voulez?' Groix, Ternes (1970:301)


Les pronoms explétifs ne peuvent pas recevoir de rôle thématique. On les trouve donc comme sujets des verbes à montée, ou comme sujets des passifs.

Ce sont aussi les sujets des verbes détransitifs. En (2), le sujet de la phrase n'est pas l'expérienceur impersonnel un den introduit par la préposition da, mais un pronom explétif non-réalisé.


(2) Ne zonje ket da eun den e oa hennez er giz-se.
ne1 pensait pas à IMP R était celui.la dans.le guise-ci
'On ne pensait pas que celui-là était comme cela.' Trégorrois, Gros (1989:'den')


En (3), la cause de kemer labour 'prendre du travail' est l'infinitive ober foenn 'faire du foin'. On voit à la préposition da qui la précède que cette infinitive n'est pas le sujet grammatical de la phrase. Le sujet grammatical est un explétif vide correspondant au ça français.


(3) neuze e veze kemeret labour d'ober foenn, a-sur. Cornouaillais (Plogonnec), Kergoat (1976:93)
alors R était pris travail de1faire foin sûr
'* Il était pris du travail alors pour faire les foins, sur. '
'Ça prenait du travail alors, de faire les foins.'

Diachronie

un explétif masculin disparu

Hemon (1975:§70,a) relève des exemples d'un explétif pronominal masculin utilisé en moyen breton. Cette forme a disparu en breton moderne.


(1) ef so pell amser.
il est long temps
'C'était il y a longtemps.' J.:55 (Breton du XVI°), cité dans Hemon (1975:§70,a)


(2) enff a voe lauaret.
il R fut dit
'Il fut dit.' Nl.:n.238 (Breton, milieu du XVI°), cité dans Hemon (1975:§70,a)


(3) èn so estrainch hor be ny quen nebeut a bligeadur.
il est étrange 1PL avons nous tant peu de1 plaisir
'Il est étrange que nous devions avoir si peu de plaisir.' RS.:374 (Breton de 1710), cité dans Hemon (1975:§70,a)


(4) ê so mad dimme beza guenec'hu.
il est bon à.moi.moi être avec.vous.vous
'Il est bon pour moi d'être avec vous.' IN.:423 (Breton de 1709), cité dans Hemon (1975:§70,a)


vannetais

On trouve des exemples plus tardifs en vannetais.


(5) nag hen zo an den dall ha kalet he galoun! JKS.:83 (Vannetais 1862), cité dans Hemon (1975:§70,a)
que 3SG est le homme (IMP?) aveugle et dur son2 coeur
'Que l'homme est aveugle et dur de coeur!'


(6) duem hirif. P.-M. Monfort, Guérandais fin XIX°
eñ a domm hiriv Glose en KLT
lui (R)1 chaud.ffe aujourd'hui
'Il fait chaud aujourd'hui.' Mathelier (2017:32)


Structure informationnelle

Selon que l'on considère ou non que la structure informationnelle de la phrase entre dans le calcul sémantique, on aura plus ou moins d'éléments explétifs dans la langue. Un bon exemple en est le pronom vocatif, qui n'est calculé que dans la structure informationnelle de la phrase.


Terminologie

Denez (1983) traite des explétifs sous le titre (trompeur) d'impersonnels (dibersonel).

A ne pas confondre

Les pronoms impersonnels que sont an den, unan ou encore le sujet pronominal des verbes conjugués en -er ne sont pas des explétifs puisqu'ils réfèrent à une personne humaine ou à un ensemble de personnes. Les impersonnels entrent clairement dans le calcul sémantique de la phrase.


Bibliographie

breton

horizons comparatifs

  • Alexiadou, Artemis & Anagnostopoulou, Elena. 1998. 'Parametrizing AGR: Word-order, V-movement, EPP-checking', Natural Language and Linguistic Theory 16(3): 491–539.
  • Fischer, Susann. 2009. 'Expletives, definiteness and word-order', M.Teresa Espinal, ManuelLeonetti & LouiseMcNally(éds.), Definiteness and DP Structure in Romance Languages [Arbeitspapiere Nr. 124 Fachbereich Sprachwissenschaft], 45–62. Konstanz: Universität Konstanz.
  • Hartmann, J. M. 2008. Expletives in existentials: English there and German da, LOT dissertation series 181. Utrecht: LOT, 259-279.
  • Holmberg, Anders. 2000. Scandinavian Stylistic Fronting: How any category can become an expletive. Linguistic Inquiry31(3): 445–483.
  • Vikner, Sten. 1995. Verb Movement and Expletive Subjects in the Germanic Languages. Oxford: OUP.