Emprunt

De Arbres

Un emprunt, en linguistique, n'a pas à être rendu: un emprunt est importé d'une langue d'origine à une langue d'accueil où il devient un mot de cette langue d'accueil. Il est pleinement intégré au système de la langue cible. Cette propriété distingue l'emprunt du changement de code (code-switching).

Quand une langue emprunte à une autre, cet emprunt peut être d'ordre prosodique, accentuel, lexical ou syntaxique. L'exemple en (1) est un emprunt d'ordre lexical. La dimension de son accueil dans le système du breton est à la fois d'ordre prosodique, accentuel, lexical et syntaxique.


(1) Traoù kriz en deus gwelet durant ar brezel.
choses atroce R.3SGM a vu pendant le guerre
'Il a vu des choses atroces durant la guerre.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:13)


Adaptation au système linguistique nouveau

Un mot emprunté à une autre langue s'adapte au système nouveau dans lequel il est inséré. Il devient pleinement un mot de cette langue.

adaptation à la phono-esthétique de la langue cible

Un emprunt peut importer un élément grammatical d'une autre langue, tel quel, en l'utilisant pour la même fonction dans la langue d'origine que dans la langue d'accueil. Sa phonologie en est changée. En (2), surtout est prononcé /syrtu/ en français, mais /syrtut/ en breton.


(2) Hir eo an eternite, surtout ba'n achumant!
long est le éternité surtout dans le fin
'L'éternité est longue surtout vers la fin!' Le Scorff, Ar Borgn (2011:47)

adaptation au système des mutations

En (3), l'adjectif emprunté au français modeste reçoit un préfixe breton privatif (di-) qui, conformément au système breton, déclenche une lénition (M>V) sur l'adjectif.


(3) Ne zeu ket sonjoù divodest da virout ouzhit da gousket, a-wechoù?
ne vient pas pensées im-modeste à empêcher à.toi à dormir, parfois
'Ne te vient-il pas de pensées immodestes qui t'empêchent de dormir, parfois?' Standard, Drezen (1990:53)


L'emprunt se distingue ainsi du changement de code. Un emprunt, contrairement au changement de code, marque un point de non-retour. En (4), L'emprunt au français voisin se prononce [vwazin]. La dénasalisation de la voyelle finale marque le passage au système breton. C'est un point de non-retour, puisque le français a un mot lexical féminin, voisine, qui se prononce donc exactement pareil. L'interprétation reste cependant masculine. C'est une dérivation bretonne en -ez qui obtiendrait la variante féminine de ce nouveau mot.


(4) Frank a galon eo ma voazin.
grand de coeur est mon voisin
'Mon voisin est large de cœur, généreux.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:56)


Le même système s'applique aux mutations consonantiques. En (5), l'emprunt au français valise s'est intégré dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation M>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en malizenn, ur valizenn. En (3), le mot 'valise' est utilisé dans une construction génitive qui entraine l'absence d'article devant le nom. La forme est donc non-mutée.


(5) Pelec'h 'ta eo chomet malizenn an itron Alberto?
donc R est resté valise le madame Alberto
'Mais où est donc passé la valise de madame Alberto ?'
titre de livre jeunesse, M.D. Arros (2004), An Here (éd.)

Emprunt de matériel fonctionnel

Le matériel fonctionnel d'une langue peut aussi être emprunté, même lorsqu'il est complexe. C'est le cas de [Eskø] , particule Q en bas-vannetais, ou de la négation des infinitives nompas.


(1) [eskø so ta:w ʁe be:w ]
est-ce que y.a toujours ceux vivant
‘Est-ce qu'il y (en) a encore des vivants?’ Bas-vannetais, Cheveau (2007:213)


(2) Evitañ da nompas kouezhañ war e1 gostez
pour.lui de ne.pas tomber sur son côté
'Pour pour ne pas qu'il tombe sur le côté.' Cornouaillais (bigouden), Bijer (2007:225)

Changements de catégorie

Un emprunt lexical peut changer de catégorie d'une langue à l'autre, comme dans le cas en (4).


(4) Na bout 'oa arru kozh, e kerzhe c'hoazh pasapl.
même si était arrivé vieux R marchait encore pas.mal
'Bien qu'il fût devenu vieux, il marchait encore pas mal.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:19)


Les emprunts au français sont très répandus en breton dans la catégorie des adverbes, surtout à partir des adjectifs du français.


(5) Gouzout a reant magnifik, pétra â dlié erruout gant ô bugalé.
savoir R faisaient pertinemment quoi R devait arriver avec leur enfants
'Ils savaient pertinemment ce qui devait advenir de leurs enfants.' Léon (Lesneven), Burel (2012:38)

Manquements d'adaptation au système d'accueil

Les emprunts récents sont parfois repérables aux exceptions qu'ils créent dans le système de la langue d'accueil.

Les noms empruntés récemment au français créent des exceptions au système de mutation.

(1) [ar 'ɡa:r], ar gar, 'la gare', Plozévet, Goyat (2012:133)


En (2), le nom emprunté ne mute pas lui-même, mais la mutation B>V qu'il provoque sur l'adjectif est présente.

(2) e bijoutiri vraz, 'sa grande bijouterie', Plougrescant, Le Dû (2012a:38)

Bibliographie

  • Chauveau, Jean-Paul. 1985. 'Du breton au gallo: calques et emprunts sémantiques', Actes du XVII Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, (Aix en Provence 1983), Vol.7, 174-86.
  • Favereau, F. 1992. 'Emprunts français dans un parler breton de Haute-Cornouaille finistérienne (Poullaouen – 29246)', Études Celtiques, 29:171-181.