Différences entre les versions de « Emprunt »

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Pennaod ou [[Vallérie (1989)]] utilisent pour 'emprunt' le terme breton ''amprest''.
Pennaod ou [[Vallérie (1989)]] utilisent pour 'emprunt' le terme breton ''amprest''.


On trouve en anglais les termes ''[[loanword]]'' et ''[[borrowing]]''.


== Bibliographie ==
== Bibliographie ==

Version du 23 mars 2017 à 14:48

Un emprunt, en linguistique, n'a pas à être rendu: un emprunt est importé d'une langue d'origine à une langue d'accueil où il devient un mot de cette langue d'accueil. Il est pleinement intégré au système de la langue cible. Cette propriété distingue l'emprunt du changement de code (code-switching).

Quand une langue emprunte à une autre, cet emprunt peut être d'ordre prosodique, accentuel, lexical ou syntaxique. L'exemple en (1) est un emprunt d'ordre lexical. La dimension de son accueil dans le système du breton est, elle, à la fois d'ordre phonologique, prosodique, accentuel, lexical et/ou syntaxique.


(1) Traoù kriz en deus gwelet durant ar brezel.
choses atroce R.3SGM a vu pendant le guerre
'Il a vu des choses atroces durant la guerre.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:13)


Adaptation au système linguistique nouveau

Un mot emprunté à une autre langue s'adapte au système nouveau dans lequel il est inséré. Il devient pleinement un mot de cette langue, ce que l'on peut voir dès que ce mot subit les règles de la langue d'accueil.


systèmes d'accueil des emprunts

Le breton a spécialisé certain outils morphologiques pour l'accueil d'emprunts au français.

On a par exemple le suffixe verbal de l'infinitif -al qui s'est spécialisé sur les verbes d'emprunt (chaseal, 'chasser' ou paseal, 'passer' Gros 1984:354).

Le suffixe singulatif -enn, apparaît sur les noms d'emprunt d'animaux (jirafenn), et le suffixe -ez apparaît sur les noms d'emprunt de légumes (bananez, Vallée 1980:XVI).


adaptation à la phono-esthétique de la langue cible

Un emprunt peut importer un élément grammatical d'une autre langue, tel quel, en l'utilisant pour la même fonction dans la langue d'origine que dans la langue d'accueil. Sa phonologie en est changée. En (2), surtout est prononcé /syrtu/ en français, mais /syrtut/ en breton.


(2) Hir eo an eternite, surtout ba'n achumant!
long est le éternité surtout dans'le fin
'L'éternité est longue surtout vers la fin!' Le Scorff, Ar Borgn (2011:47)


En (3), l'emprunt au français grave, /grav/ est dévoisé en /f/ sur la consonne finale pour respecter les règles phonologiques bretonnes.


(3) Ne ket graf !
ne.est pas grave
'C'est pas grave!' Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:5)


adaptation au système des mutations

En (3), l'adjectif emprunté au français modeste reçoit un préfixe breton privatif (di-) qui, conformément au système breton, déclenche une lénition (M>V) sur l'adjectif.


(3) Ne zeu ket sonjoù divodest da virout ouzhit da gousket, a-wechoù?
ne1 vient pas pensées im1.modeste à1 empêcher à.toi à1 dormir, parfois
'Ne te vient-il pas de pensées immodestes qui t'empêchent de dormir, parfois?' Standard, Drezen (1990:53)


L'emprunt se distingue ainsi du changement de code. Un emprunt, contrairement au changement de code, marque un point de non-retour. En (4), L'emprunt au français voisin se prononce [vwazin]. La dénasalisation de la voyelle finale marque le passage au système breton. C'est un point de non-retour, puisque le français a un mot lexical féminin, voisine, qui se prononce donc exactement pareil. L'interprétation reste cependant masculine. C'est une dérivation bretonne en -ez qui obtiendrait la variante féminine de ce nouveau mot.


(4) Frank a galon eo ma voazin.
grand de1 coeur est mon2 voisin
'Mon voisin est large de cœur, généreux.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:56)


Le même système s'applique aux mutations consonantiques. En (5), l'emprunt au français valise s'est intégré dans le lexique breton comme si son V initial résultait d'une mutation M>V (lénition). Le mot breton est donc rétabli en malizenn, ur valizenn. En (5), le mot 'valise' est utilisé dans une construction génitive qui entraine l'absence d'article devant le nom. La forme est donc non-mutée.


(5) Pelec'h 'ta eo chomet malizenn an itron Alberto?
donc R [[[COP|est]] resté valise le madame Alberto
'Mais où est donc passée la valise de madame Alberto ?'
titre de livre jeunesse, M.D. Arros (2004), An Here (éd.)


De même, l'emprunt au français gazette donne kazetenn, ar gazetenn.


manquements d'adaptation au système d'accueil

Les emprunts récents sont parfois repérables aux exceptions qu'ils créent dans le système de la langue d'accueil.

Les noms empruntés récemment au français créent des exceptions au système de mutation.

(1) [ar 'ɡa:r], ar gar, 'la gare', Plozévet, Goyat (2012:133)


En (2), le nom emprunté ne mute pas lui-même, mais la mutation B>V qu'il provoque sur l'adjectif est présente.

(2) e bijoutiri vraz, 'sa grande bijouterie', Plougrescant, Le Dû (2012a:38)


Ce qui est emprunté

emprunt de morphème

La matière qui est empruntée à une langue peut être du matériel morphologique, comme un morphème lié.

Le breton a par exemple emprunté des préfixes à l'ancien français et au français (mal-, re-, Deshayes 2003:37). Ces préfixes évoluent ensuite comme des préfixes de la langue d'accueil, comme le français entre- emprunté et dénasalisé en breton en etre- (Deshayes 2003:37).


L'emprunt d'un morphème peut avoir un impact syntaxique sur le mot obtenu en entier. Le breton a emprunté au français nombre de suffixes pour la formation des adjectifs, comme -an et -ard. Les adjectifs dérivés de ces suffixes peuvent se nominaliser par simple ajout d'un article (ur moanard, 'un homme mince', Gros 1984:357, un amerikan). Les adjectifs bretons qui n'ont pas cette histoire d'emprunt au français n'ont pas cette possibilité syntaxique (*un plijus, *ur spontus).

emprunt de matériel fonctionnel

Le matériel fonctionnel d'une langue peut aussi être emprunté. La finale en -ing est prototypiquement empruntée à l'anglais dans les mots français footing, pressing et casting. On peut voir que l'emprunt a procédé du morphème ing et non des mots en entier car le sens obtenu n'est pas original dans la langue anglaise.

footing, 'foot position'/*jogging
pressing, 'act of pressing'/*dry-cleaning store
casting, 'act of casting'/*casting audition, casting session

Le matériel fonctionnel d'une langue peut être emprunté même lorsqu'il est complexe. C'est le cas de [Eskø] , particule Q en bas-vannetais, ou de nompas, la négation des infinitives.


(1) [eskø so ta:w ʁe be:w ]
est-ce que y.a toujours ceux vivant
‘Est-ce qu'il y (en) a encore des vivants?’ Bas-vannetais, Cheveau (2007:213)


(2) Evitañ da nompas kouezhañ war e gostez
pour.lui de ne.pas tomber sur1 son1 côté
'Pour ne pas qu'il tombe sur le côté.' Cornouaillais (bigouden), Bijer (2007:225)


emprunt de matériel lexical conjugué

Les gérondifs français comme durant ou suivant sont empruntés en breton pour créer des prépositions.


(1) /sẃivãd-ənãb ə-dyt /
suivant-an namb a dud
suivant-le.nombre de-gens
'suivant le nombre des gens' Groix, Ternes (1970:320)


emprunt de stratégie de grammaticalisation

En anglais ou en breton, le cardinal 1 (one, unan) a grammaticalisé en une tête nominale qui peut servir à une reprise anaphorique. Cette grammaticalisation du cardinal est illicite en français standard. En français de Basse-Bretagne cependant, très plausiblement par phénomène de contact, cette grammaticalisation est courante.


(3) Celle qui n'en avait pas allait louer une ou bien elle la prêtait avec une amie.

Douarnenez, Martin (1994:79)


Changements de catégorie

Un emprunt lexical peut changer de catégorie d'une langue à l'autre.


(3) Fache vehai guet-ou plæguein é gorv de labourad.
fâcherie serait avec.lui plier son1 corps pour1 travailler
' Il serait fâché de contraindre son corps à travailler.'
IS.:328, Vannes, 1790, cité dans Audic (2013:103)


Les emprunts au français sont très répandus en breton dans la catégorie des adverbes, surtout à partir des adjectifs du français.


(4) Na bout 'oa arru kozh, e kerzhe c'hoazh pasapl.
même si était arrivé vieux R4 marchait encore pas.mal
'Bien qu'il fût devenu vieux, il marchait encore pas mal.'
Le Scorff, Ar Borgn (2011:19)


(5) Gouzout a reant magnifik, pétra â dlié erruout gant ô bugalé.
savoir R faisaient pertinemment quoi R1 devait arriver avec leur2 enfants
'Ils savaient pertinemment ce qui devait advenir de leurs enfants.' Léon (Lesneven), Burel (2012:38)


Emprunts, toponymie et datation

On a vu qu'un mot emprunté suit les règles de la langue d'accueil. Cela implique que lorsque les sons d'une langue changent, ce mot emprunté changera aussi de forme à partir de son entrée dans la langue d'accueil. Dès qu'on sait dater les évolutions d'une langue donnée, langue d'emprunt ou langue d'accueil, on peut regarder si un emprunt en a été affecté, et en déduire sa date d'emprunt.

Vallérie (1989:130) donne des exemples d'études de datation d'emprunt de mots français dans la langue bretonne. Ainsi, le terme goaranta a été emprunté au français avant que celui-ci ne transforme /gwa/ en /ga/. Le terme galoupat a été emprunté après cette évolution. Le nom français /fwer/, 'foire', a été emprunté en KLT avec d'abord une assimilation de /we/ en /oe/, puis une évolution de /oe/ en /oa/, donnant les formes actuelles /foar/, /fwar/ du KLT. Le nom mouchoir a été emprunté après l'évolution de /oe/ en /oa/, obtenant la forme actuelle /muʃuer/

Cette méthode est très utile pour cerner la date d'emprunt des noms de lieux, et comprendre donc les différentes formes qui existent pour un même nom de lieu. Le français a par exemple commencé au XI° siècle à vocaliser le /l/ devant consonne. C'est ce qui a créé entre autres les pluriels irréguliers en -aux, car /ʃɘvals/'chevals' a donné /ʃɘvo/'chevaux'. Quand on considère la forme française Auray et la forme bretonne correspondante Alre, on voit que la langue française avait emprunté la forme Alre avant le XI° siècle.


Terminologie

Pennaod ou Vallérie (1989) utilisent pour 'emprunt' le terme breton amprest.

On trouve en anglais les termes loanword et borrowing.

Bibliographie

  • Chauveau, Jean-Paul. 1985. 'Du breton au gallo: calques et emprunts sémantiques', Actes du XVII Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, (Aix en Provence 1983), Vol.7, 174-86.
  • Favereau, F. 1992. 'Emprunts français dans un parler breton de Haute-Cornouaille finistérienne (Poullaouen – 29246)', Études Celtiques, 29:171-181.
  • Vallerie, E. 1989. 'Lec'hanvadurezh, un hentenn nevez d'ar studioù', Lukian Kergoat (dir.), Klask 01, 129-135.