Emañ

De Arbres

La forme verbale emañ est la troisième personne du singulier du verbe bezañ, 'être'. Cette forme alterne avec les formes zo, eo, ez eus, et vez du même verbe.

Prototypiquement, en standard, le verbe emañ est le verbe de situation spatiale et temporelle (progressif).


(1) Emaint diouig eno o-unanou.
sont deux.hyp y leur2.un.hyp
'Elles sont deux pauvres filles là-bas toutes seules.' Trégorrois, Gros (1984:175)


Morphologie

paradigme du verbe

La forme emañ a un paradigme au présent, représenté par la forme 3SG ema(ñ). Le paradigme du passé est représenté par la forme edo, vivante en dialecte du Léon. Il existe aussi des variantes dialectales en emedo et evedo.


(2) présent passé passé (forme complète) passé (forme complète mutée)
Léon Léon et proche Cornouaille Léon et proche Cornouaille
1SG emaon (ez) edon emedon evedon
2SG emaout (ez) edos emedos evedos
3SG emañ (ez) edo emedo evedo
1PL emaomp (ez) edomp emedom, emedomp evedom
2PL emaoc'h (ez) edoc'h emedoc'h evedoc'h
3PL emaint (ez) edont emedont evedont
IMP emeur, emaer (ez) edod emedod evedod
sources des formes: Standard, Kervella (1995:§206, §229), Merser (2011:93)


La forme standard 3PL est emaint. En vallée du Scorff, on trouve la forme emaont. En vannetais, on trouve la forme emant (Merser 2011:93,fn3).


(2) Emaont doc'h en em lipaat.
sont à se1 lécher
'Ils sont en train de se bécoter.' Le Scorff, Ar Borgn (2011:56)


nasalisation de emañ

La forme du paradigme au présent est uniformément la forme ema- suivie d'un affixe porte-manteau de nombre et de personne. La nasalisation écrite standard de emañ à la troisième personne du singulier y est morphologiquement étonnante. Aucun autre verbe ne forme sa troisième personne avec une nasale.

Favereau (1997:§416) et Deshayes (2003:'ema') proposent de dériver emañ de ema-eñv (est-3SGM), stratégie de désambiguïsation du genre dans les parlers de l'Ouest. Dans ces variétés, le verbe 3SG est ema avec un sujet lexical (ema Mari...), mais obligatoirement suivi d'un pronom maruqant le genre lorsque le sujet est vide, obtenant emañ pour un sujet (vide) masculin et emei pour un sujet (vide) féminin (Merser 2011:93,fn2).


(3) [ ma hi 'lhenn o 'lheoə]
Ema hi ‘h lenn hoh leor Saint-Yvi, German (2007:164)
est elle à4 lire votre3 livre
'Elle est en train de lire ton/votre livre.'


(4) n hɥitʁik ma ɔ̃ La Forêt Fouesnant, Avezard-Roger (2004a:139)
un (patronyme) est lui
'C'est un Huitric.'


On ne note pas de telle grammaticalisation sur les autres verbes, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que seul le verbe ema requiert que son sujet le suive directement. Les possibilités d'insertion d'adverbes ou autres avec les autres verbes auraient pu empêcher sa réanalyse en morphème d'accord. Merser (2011:93,fn2) considère que le vannetais emploie ema comme forme non-genrée, et que la forme nasalisée emañ n'est pas genrée en Trégor ou en Haute-Cornouaille. La langue standard s'aligne ici sur le Trégor et la Haute-Cornouaille.


emeur

(1) Er gêr emeur oc'h da c'hortoz... Léon (Bodilis), Ar Floc'h (1985:92)
dans.le foyer est.IMP à4 te1 attendre
'On t'attend à la maison...'


La forme impersonnelle emeur est parfois remplacée par e oar, ce que Kervella (1995:§206) réprouve mais utilise lui-même (§ 231a: E oar oc'h hadañ an ed., 'On plante du blé').

forme edo

(1) O chom edont e Kerber. Plouzane, Briant-Cadiou (1998:189)
à1 rester étaient dans Kerber
'Ils habitaient à Kerber.'


Glanndour (1981:11) considère que la forme léonarde edon, edos, edo, edomp, edoc'h, edont provient de formes plus anciennes en ed-oan, ed-oas, etc.

edi, emedi (présent)

Il existe aussi une forme vieillie en edon, edout, edi, ou bien emedon, emedout, emedi, qui est utilisée au présent.

Cette forme est largement rapportée (Hemon 2000:246, Kervella 1995:§206, Favereau 1997:§416, Kedez 2015a), mais dans la carte 63 de l'ALBB ('Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger'), les formes edon, edomp traduisant un temps présent ne sont relevées qu'à Sein. Ces formes existent cependant en corpus.

Hemon (2000) pensait cette forme restreinte au Léon. Cependant, Kedez (2015a) en relève des exemples en trégorrois dans Iannik Konan, une chanson que Jules Gros tient de sa grand-mère: Emedi ar ber a-us d'an tan, suivi plus loin de l'équivalent Eman ar ber a-us d'an tan. La phrase en (1) d'une chanson en trégorrois pré-moderne a manifestement une interprétation au présent, puisqu'il s'agit d'inciter des femmes à s'embarquer pour le Canada.


(1) deut eo an eurs da bartian emedi ar lest en oriant
deuet eo an urzh da bartiañ emedi al lestr en Oriant Transcription standard
venu est le ordre de1 partir se.trouve le navire dans Lorient
'L'ordre du départ est arrivé, le navire se trouve (déjà) à Lorient.' Trégorrois pré-moderne, fin XVII°, Kernaudour (2017:5, 12)


Pour le vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:40) donnent les formes mei, meint, meidi et meidint. Châtelier (2016:247) relève aussi en vannetais pré-moderne les formes de troisième personne mei et meint réalisant un temps présent chez Marion (Breton de 1838, EOVD.). Il considère que ces formes sont déjà des archaïsmes à cette date et note que leur usage déborde l'usage purement locatif. Kedez (2015a) rapporte pour le Bas-cornouaillais l'usage des formes en emed- pour les paradigme d'état, de lieu ou de temps, comme illustré par des relevés dans ar Gow (1955).

Glanndour (1981:12) considère que ces formes edon, edout, edi sont accentuées sur la syllabe finale.

Selon Kedez (2015a), la forme ema, emaint est la forme nouvelle, apparue en moyen breton, et qui a progressivement supplanté le forme originale edi, edint, que l'on retrouve dans de nombreux dialectes. Le Roux (1957:120) pensait au contraire que la forme emed- était une création dialectale procédant d'une régularisation de emañ sur le modèle de l'imparfait -e des verbes réguliers, entrainant en retour [sic] la création de la forme présent emedi. Cette forme se retrouve dans trop de dialectes pour que ce soit vrai.

emedon, emedomp (passé)

Les formes en emedon, emedomp apparaissent dans la carte 66 de l'ALBB au point 31 (Rumengol à Daoulas) et au point 38 (Lennon) pour la traduction de 'J'étais/Nous étions en train de manger'. Kervella (1995:§229), influencé par le dialecte de Dirinon, dit en effet préférer ces formes "complètes" en emedo pour le paradigme du passé.

Glanndour (1981:12) signale les écrits de Ar Gow comme prototypiques de ces formes, et donne pour l'imparfait les formes emeden, emedes, emede. Favereau (1997:§416) localise ces formes en Léon et "jusqu'à la limite de la Cornouaille, vers Crozon, Hanvec, Pleyben (comme dans l’œuvre de Yeun ar Gow)."

Ar Gall (2013) relève effectivement des formes en emede, emedent chez Yeun ar Gow dans ses écrits édités chez Brud, formes "corrigées" parfois par d'autres éditeurs en edo.

  • Hag e voent techet da grediñ emede ar wirionez gant an Dich.
'Et ils étaient portés à croire que le Dich avait raison.', Pleyben, Ar Gow (1958:91)
  • Mignoned e oant d'an Dich ha gantañ emedent, war ar pont nevez, pa oa aet an aotrou kure e-biou.
'Ils étaient amis avec le Dich et étaient avec lui sur le nouveau pont quand était passé le nouveau curé.'
Pleyben, Ar Gow (1958:96)


On en trouve en 1958 jusqu'à l'Hôpital-Camfrout.


(5) En devez-se emedo he oll mohigou er gêr. L'Hôpital-Camfrout, Le Gall (1958:'mohigou')
dans.le jour-ci était son tous porc.elets dans.le foyer
'Ce jour-là, elle était de très bonne humeur.' (jeu de mots imor, he moc'h)


evedo (passé)

Les formes en evedo apparaissent dans la carte 66 de l'ALBB au point 30 (Plougastell-Daoulas à Daoulas). Favereau (1997:§416) signale une forme evedo à Landivisiau. Merser (2011:95) associe tout le paradigme au Léon et proche Cornouaille. On en relève à Plougerneau au XXI°. Ce paradigme semble illustrer l'interprétation de l'initiale e en rannig e provoquant une mutation mixte M>V, ou l'insertion d'une consonne V.


(6) Un' bennak zo bet o klask war da lerc'h, mes n'evedos ket er gêr. Gourmelon (2014:132)
un quelconque est été à chercher sur1 ton1 suite mais ne1 étais pas dans.le1 foyer
'Quelqu'un t'a cherché, mais tu n'étais pas chez toi/à la maison.'


(7) Ken presset evedo d'hon kuit, e(n) deus lesket tout e draoù.
tant pressé était à1'aller parti R.3SGM a laissé tout son1 choses
'Il était tellement pressé de partir qu'il a laissé toutes ses affaires.'
Léon (Plougerneau), M-L. B. (05/2016)


(8) Pa vedoun bihan, me soñje va gwaz em beche e veche brasoc’h ‘it ma’z eo.
quand1 étais petit moi pensais mon2 mari R aurais R4 serait grand.plus que que+C est
'Quand j’étais petite, je pensais que mon futur mari serait plus grand qu’il n’est.' Plougerneau, M-L. B. (05/2018)

A Sein, edo au présent, yade au passé

La forme edo pour le présent est relevée à Sein dans la carte 63 de l'ALBB où les formes edon, edomp traduisent un temps présent ('Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger'). Cette forme est toujours vivante sur l'île.


(1) Bea 'di atô e Paris?
être est toujours dans Paris
'Il est toujours à Paris?' Sein, Fagon & Riou (2015:44)


Le paradigme du passé dans la carte 66 de l'ALBB y donne les formes yaden, yademp. Ces formes sont toujours productives à Sein.


(2) Eoñ daoa lavaret yade (é) vont da vilout e gekenn...
lui avait dit était (à4) aller pour1 voir son1 fiancée
'Il avait dit qu'il allait voir sa fiancée.' Sein, Kersulec (2016:7)


(3) A:- Ne yade ket er gear? B:- Neo, er gear e yade.
ne était pas dans.le maison Si, dans.le maison R était
'A: Il n'était pas à la maison? / B: Si, il était à la maison.' Sein, Fagon & Riou (2015:44)


Les formes présent comme passé peuvent, comme souligné par Kedez (2015a) et Kersulec (2016:7), être précédées d'un rannig, et ce depuis au moins le moyen breton.

  • Un merch hag a edoa guerches, Moyen breton 1650, Nl. n.409, p.274.
  • Sant Ephren ha Sant Ian Chrisostom a yedo ivez er memes santimant., Breton (1718), RP. p.274.


accentuation

Kervella (1995:§206,fn2) note que l'accentuation de mot de emañ tombe sur /a/ (orthographié en standard) ou sur /ər/, eur, marque de l'impersonnel.

Dans le Sud-Ouest (Merser 2011:93,fn1), les formes sont contractées (/(e)mɔ̃n, (e)mut, (e)mɔ̃m, (e)mɔX/ ).


un verbe défectif

Le verbe emañ est un verbe défectif, ce qui veut dire que ses paradigmes ne sont complets dans aucun dialecte.


temps

Il n'a de paradigme du futur dans aucun dialecte, et c'est, le cas échéant, la forme eo de la copule qui le remplace.


(4) Ne vin ket me mui amañ é kennig dour deoc'h.
ne1 serai pas moi plus ici à4 proposer eau à.vous
'Moi, je ne serai plus là à vous offrir de l'eau.' Vannetais, Ar Meliner (2009:107)


personne

Ce verbe est aussi défectif au temps présent dans l'Est du territoire parlant. Ce verbe est restreint à la troisième personne dans certains dialectes, comme en trégorrois, en Pélem et en vannetais (Favereau 1997:§416). Dans la carte 63 de l'ALBB qui traduit 'Je suis en train de manger', 'Nous sommes en train de manger', on voit le verbe emañ émerger dans la partie Ouest à la première personne. La partie Est, du Trégor au vannetais, utilise la forme 1SG de la copule eo.

La restriction à la personne 3 n'existe pas en Cornouaille, en Léon, en Poher. Elle n'est pas représentée en standard.

La restriction à la personne 3 existe aussi en gallois (Favereau (1997:§416) et en moyen breton (Hemon 2000:§139.4.fn1).


négation

Dans certains dialectes, comme en vannetais (Hewitt 1988a) ou en Pélem (Favereau 1997:§416), la forme emañ n'est pas compatible avec la négation.


(5) Ema ar bara àr an daol. vs N-ê ket ar bara àr an daol.
est le pain sur1 le table ne-est pas le pain sur le 1table
'Le pain (n') est (pas) sur la table.' Vannetais, Hewitt (1988a)


(6) N' e' ket é chom amen.
ne'est pas à4 rester ici
'Il n'habite pas ici.' Haut-vannetais, Favereau (1997:§416)


A l'inverse, en cornouaillais de l'Est maritime, la négation favorise emañ par rapport à eo.


(7) Braz ow. / 'ma ket braz noñ. cornouaillais de l'Est
grand est (ne1)'est pas grand P.lui
'Il est grand/ Il n'est pas grand.' Bouzec & al. (2017:22)

composition avec ou sans rannig

Tous les paradigmes commencent par la voyelle /e/, homophone du rannig e. Kervella (1995:§229) considère que les formes du présent type emañ et les formes du passé type emedo ont un rannig e intégré à la morphologie. La forme edo du passé serait, elle, dépourvue de rannig intégré, ce qui prédit que le rannig e peut (parfois) le précéder (D'ar mare-se ez edon dirazañ, 'J'étais alors devant lui.').

Cette hypothèse pose plusieurs problèmes.

  • Au niveau des mutations, un rannig e devrait provoquer une mutation mixte - il devrait ne jamais précéder de consonne /m/ (qui devrait muter en /v/). C'est le cas des formes en evedo du Léon et proche Cornouaille, mais pas des autres formes.
  • Syntaxiquement, si le rannig était intégré à la forme verbale, on devrait pouvoir observer une alternance a/e lorsque l'on fait précéder le verbe d'un nom, comme par exemple dans les constructions du faux sujet (1), ou dans une antéposition de l'objet (2). Or, ce n'est jamais le cas.


(1) An den emaon o komz outañ.
le personne1 suis à4 parler à.lui1 Standard, Kervella (1995:§230)
'La personne à qui je parle/ Je suis en train de parler à la personne.'


(2) Petra ema en e zoñj ober _ ?
quoi2 est dans son1 pensée faire <quoi>2
'Que pense-t-il faire?' Léon, Fave (1998:141)


Il est plus probable que la voyelle /e/ réalise une particule liée à la possibilité pour le verbe d'apparaître en position initiale de phrase, avec une hésitation dans le cas de la forme edo, qui peut apparaître avec un rannig e.


composition avec ou sans accord sujet

Les morphèmes de personne, de nombre et de genre à la fin du verbe sont-ils des morphèmes d'accord?

Ce ne sont pas des pronoms forts indépendants: il serait exceptionnel de voir ceux-ci apparaître en situation postverbale. Le breton de St Ivy, Bannalec et Riec a des pronoms forts indépendants post-verbaux 3PL (et peut-être 3SG). Le pronom 3SG haoñ en (5) pourrait y être un pronom fort indépendant, mais c'est moins plausiblement le cas dans les autres dialectes.


(3) Ema haoñ riboter., 'C'est un pistard.'

Ema haoñ eun den mad., 'C'est un homme bon.'
Ema haoñ an hañi brasoñ., 'C'est le plus grand.'; Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


Les pronoms eñv et hi de la spécification genrée ne sont pas des pronoms écho. Que la forme ema soit ou non un verbe conjugué, eñv et hi ajoutent de l'information genrée.

Les morphèmes du reste du paradigme ne peuvent pas être des pronoms écho car il serait exceptionnel qu'ils ne doublent pas un affixe déjà présent.

Syntaxe

sujet défini

La généralisation standard est que le sujet du verbe emañ est obligatoirement défini, la forme du verbe bezañ, 'être', dédiée aux sujets postverbaux indéfinis étant la forme ez eus, ou, hors Léon, zo.


(1) War an olifant ez eus (ur c’hazh / tri c'hazh). Léon, Kerrain (2001)
War an olifant zo (ur c’hazh / tri c'hazh). Standard hors Léon, Kerrain (2001)
* War an olifant emañ (ur c’hazh / tri c'hazh)
sur le éléphant est un chat / trois chat
'Il y a (un chat/trois chats) sur l'éléphant.'


Dans les tournures météorologiques comme Edo o nosaat (Menard & Kadored 2001:'emañ'), 'La nuit tombait', cette généralisation de la définitude du sujet associé à emañ/edo demande de considérer que le pronom météorologique vide est ici un pronom défini.


On peut trouver quelques rares contre-exemples, à l'actif comme au passif. Il ne s'agit pas de formes sémantiquement locatives ou progressives.

  • e pe seurt stad ema unan ac'hanoc'h., Breton (1879), BMN. 289
'Dans quel état est l'un d'entre vous.'
  • Met va c’halon c’houllo zo chomet pell toc’hor.
Ha remed ebet n’edo kavet evit va fareañ., Duval 'En koun eus va zad'


V1

Le verbe emañ est le seul verbe de la langue bretonne à pouvoir apparaître tensé en initiale de phrase dans tous les dialectes.

Le placement en initiale peut occasionnellement déteindre sur les stratégies de dernier ressort palliant à la défectivité du paradigme de emañ. En (2), le verbe est au passé. La forme edo du passé n'apparaît pas dans Le Bayon (1878), mais on peut noter un ordre à verbe tensé en initiale de phrase qui rappelle emañ.


(2) É oen é choñjal get-n-eign me unañ.
R étais à4 penser avec.moi mon2 un
'Je songeais en moi-même.' Vannetais, Le Bayon (1878)


Lorsqu'il n'est pas à l'initiale, emañ peut être précédé par n'importe quel constituant sauf son sujet.


(3) Klañv 'ma, gwall-glañv, ziken.
malade est très1-malade même
'Il est malade, très malade, même.' Cornouaillais de l'Est (Riec), Bouzeg (1986:III)


pas de sujet antéposé

Lorsque le sujet de la phrase apparaît devant l'élément tensé, la forme emañ n'est plus licite, et c'est la forme zo qui apparaît.

D'autres syntagmes nominaux peuvent être antéposés: la forme emañ apparaît en effet dans les constructions du faux sujet (Rezac 2008:26).


Rezac note qu'en dialecte du Léon, si un groupe nominal antéposé au temps par mouvement déclenche automatiquement la forme zo lorsqu'il est sujet (63b), c'est la forme emañ qui apparaît si le groupe nominal antéposé (Per) est un objet local (63a) ou résultant d'une extraction longue distance (63c).


 Rezac (2008:26):
 
 Les DPs préverbaux autres que le sujet sont différenciés par la copule selon qu'ils lient une lacune ou un résomptif, et la clef de leur différence n'est pas dans la particule, qui les neutralise.
 
 (63)a. Per EMAÑ / *A ZO Mona o klask __ er c'hoad.
 Per is R is Mona PRG seek in.the wood
 'Mona is looking for Per in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)b. Per A ZO o klask Mona er c'hoad.
 Per R is PRG seek Mona in.the wood
 'Per is looking for Mona in the woods.'    (Hendrick 1988: 105-6 note 2)
 
 (63)c. Petra EMA en e zoñj [ober __]?
 what is in his thought do.INF
 'What is he thinking of doing?'            (Fave 1998:141 [Léon])


place du sujet postposé

Hewitt (1988) note que la forme emañ de situation a ceci de particulier que son sujet la suit directement.

 Hewitt (1988a):
 "La structure double D ne peut pas être considérée comme auxiliaire d'un point de vue syntaxique puisque le sujet vient ordinairement rompre le constituant putatif auxiliaire-auxilié. Il vaut mieux alors parler d'une structure double avec un verbe syntaxique plein, suivi de son sujet et un prédicat lexical indépendant:
 
 Emañ an dud o labourat / e-kreis ar park/ du-hont.


Cette propriété s'étend aux structures locatives (Emañ (Marijo) el levraoueg (*Marijo)) et progressives (Emañ (Marijo) o lenn (*Marijo)). Ce n'est cependant pas le cas dans les structures prédicatives (Emañ (*Marijo) brav (Marijo)) et lorsque emañ peut être utilisé comme un auxiliaire (Emañ (*Marijo) degouezhet (Marijo)).

Les structures où emañ ne peut pas être séparé de son sujet postposé rappellent les ordres mots typiques des autres langues celtiques que le breton. En breton cependant, les autres verbes que emañ peuvent voir différents éléments intervenir entre la forme emañ et son sujet postposé.

auxiliaire

En vannetais, en cornouaillais et en Léon jusqu'à Ouessant, le verbe emañ se trouve aussi comme auxiliaire 'être'.


(1) Ale emañ aet!
allez est allé
'Allez, elle est partie!' Léon, Kervella (2009:24)


(2) Bremañ emaint ambarket er vapeur adarre o tond da Eusa.
maintenant sont ambarqués dans.le vapeur encore à4 venir à1 Ouessant
'Ils sont embarqués encore dans le vapeur qui vient à Ouessant.' Ouessant, Gouedig (1982)


(3) Kit da wel ma 'ma digouet ho preur.
allez pour1 voir si4 est arrivé votre3 frère
'Allez voir si votre frère est venu (aujourd'hui).' Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016b)


(4) al lec’h m’ema tolpet ar gompagnunezh. Vannetais, Herrieu (1915-19:[07-07-1915])
le lieu que1'est rassemblé le 1 compagnie
'l'endroit où est groupée la compagnie'


Dans ces emplois en tant qu'auxiliaire, le verbe emañ peut être séparé de son sujet par le participe dans le champ postverbal. C'est un contraste fort avec emañ en dehors de cet emploi auxilié.


(5) Ema deuet Yann d'ar gêr. vs. Deuet eo Yann d'ar gêr.
est venu Yann à le 1maison venu est Yann à le 1maison
'Yann est venu à la maison.'
Cornouaillais de l'Est (Lanvénégen), Evenou (1987:626-38), cité par Hewitt (1988a)


Dans le cas d'un participe passif, le complément d'agent peut aussi intervenir entre emañ et son sujet.


(6) "Emañ lipet ganti he loa!" eme Brimel neuze.
est avalé avec.elle son2 cuillière dit Brimel alors
'Brimel dit alors "Elle est morte!"' Pleyben, Ar Gow (1958:124)


Le participe passé ne peut pas apparaître avant l'auxiliaire emañ (en tout cas pas à Moëlan selon Bouzec & al. 2017:23), mais un participe passif le peut.


(7) Deb't 'moñ bet ga'n hwenn pa'n noz. Cornouaillais de l'Est
Debret on bet gant ar c'hwenn e-pad an noz. Equivalent standardisé
mangé suis été par le puces pendant le nuit
'J'ai été dévoré par les puces pendant la nuit.' Bouzec & al. (2017:283)


Dans les dialectes qui n'utilisent jamais emañ comme auxiliaire, même la dimension spatiale ne force pas la présence de emañ.


(8) Daoust peleh eo abuzet ar falz-se ?
à.savoir est occupé le faucille-
'Je me demande où est retenue (restée) cette faucille-là ? ' Trégorrois, Gros (1989: 'abuzi')


diachronie

Burel utilise emañ comme auxiliaire en 1905 en Léon. Yvon Crocq, natif du Cap mais usant de tournures léonardes, en fait aussi usage en 1908.


(1) héman anter lazet Yvon ganéoc'h
est moitié tué Yvon avec.vous
'Vous avez à moitié tué Yvon!' Breton 1905 (Plouider), Burel (2012:192)


(2) Ah! lizer benniget! emout deut! Cornouaillais / Léon, Croq (1908:3)
ah lettre bénite es venu
'Ah! Lettre bénie! Te voila enfin!'

en périphérie droite

C'est la forme emañ qui apparaît dans les tournures complexes de discours en eus + verbe qui apparaissent en périphérie droite de la phrase comme en (5).


(11) Ar bleizi 'zo er goadeg, eus emaint.
le loups R1 est dans.le 1bois.sfx P sont Menard & Kadored (2001):§'eus')
'(Le fait est que) les loups sont dans le bois (bien sur)'


Sémantique

La forme emañ a des sémantiques diverses.


verbe de situation

Prototypiquement, la sélection de la forme emañ au détriment de la forme eo est causée par la présence d'une dimension sémantique de location dans le temps ou dans l'espace.

On a ainsi emañ dans une tournure progressive en (1), ou dans une tournure prospective comme en (2).


(1) Emaint o tont d’ar gêr.
sont à4 venir à'le 1foyer
'Ils sont en train de rentrer.'


(2) Emaint dindan donet d’ar gêr.
sont sous venir à'le 1foyer
'Ils sont sur le point de rentrer.' Vannetais, Herrieu (1994:283)


Selon Hewitt (1988), l'utilisation de la forme emañ a pour effet de borner le cadre spacio-temporel.


 Hewitt (1988a):
 Quand on veut limiter le cadre spacio-temporel, un prédicat attributif peut devenir situatif avec un changement structurel concomitant,
 
 ewn ê, ewn emañ;
 klañv ê, klañv emañ;
 tèir blac'h int, tèir blac'h emaint."


La généralisation qui propose qu'à chaque fois qu'on a sémantiquement un prédicat situatif, c'est le verbe emañ qui est utilisé semble solide, avec une seule exception régulièrement massive: lorsque le sujet est antéposé, il déclenche la forme (R) zo de la copule.


à ne pas confondre

En (3), on pourrait être troublé par l'hypothèse que eo aurait remplacé emañ dans un sens situatif, en obtenant le sens: 'Les lunettes de Cupidon ne se trouvent pas sur mon nez.' Cependant, il s'agit uniquement ici d'une ellipse de a zo, et la copule eo y a bien un sens contrastif: 'C'est pas les lunettes de Cupidon qui se trouvent sur mon nez!'.


(3) Gwir eo nend eo ket lunedoù Cupidon àr ma fri...
vrai est ne est pas lunettes Cupidon (qui est) sur1 mon2 nez
'C'est vrai que je n'ai pas les lunettes de Cupidon sur le nez.' Vannetais, Herrieu (1994:225)
(Je suis plus lucide qu'un amoureux)


copule prédicative

La forme emañ peut être utilisée comme copule prédicative. La carte 61 de l'ALBB montre des réponses en ima en vannetais pour la traduction de '(Souvent) il est malade', '(Souvent) ils sont malades').

Pour un même locuteur, la forme emañ semble pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme zo de la copule.


(4) ... da lennerion a zo ar brezhoneg o lavar pemdeziek, èl m'ema hon hani-ni.
à1 lect.eurs R y.a le breton leur2 langue quotidien comme que est notre celui-nous
'... aux lecteurs dont la langue quotidienne est le breton comme c'est le cas chez nous.'
Vannetais, ar Meliner (2009:11)


La forme emañ semble aussi pouvoir être utilisée optionnellement de façon équivalente à la forme eo de la copule, ce qui a un impact sur l'ordre des mots car contrairement à la forme eo, emañ peut apparaître en initiale de phrase (V1).


(5) 'ma daw gortoz Cornouaillais de l'Est
est attendre
'Il faut attendre.' Bouzec & al. (2017:23)


(6) / pehed e / / ma ma:T /
Pec'hed eo. Ema mat.
péché est proi Est bien/bon proi
'C'est (un) péché.', 'C'est bien/bon.' Cornouaillais de l'Est (Lanvenegen), Evenou (1987:571)


(7) C'hoazh un hanter dousenn mouded hag emañ echu.

'Encore une demi-douzaine de mottes et c'est fini, Léon, Abeozen (1986:55)


L'usage en copule prédicative est répandu dans tous les dialectes et accepté en standard.


(8) N'emañ ket evit he zeod,

E-keñver studiañ emañ deskiñ,
Emañ an daou bried-se an eil diouzh egile., Standard, Menard & Kadored (2001:'emañ')


bornage temporel

L'usage de emañ en copule prédicative est bornée temporellement en KLT, mais pas en vannetais.


en KLT

Emañ peut induire en KLT un prédicat plus délimité dans le temps que la forme eo de la copule. Davalan (1999), repris dans Avezard-Roger (2007:38), oppose ainsi Klañv eo, 'Il est malade' avec Klañv emañ, 'Il se trouve malade (alors qu’il ne l’était pas il y a peu)'. C'est nettement la lecture dans un ensemble d'emplois. Des effets de contraste similaires sont signalés à Plozévet par Goyat (2012:297), et par Gourmelon (2014:32).


(1) /'ma:d ma ar ˌba:ra/ - /'ma:d ɛ ar ˌba:ra/
Mad ema ar bara. Mad eo ar bara.
bon est le pain bon est le pain
'Le pain en est à un bon degré de cuisson – Le pain est bon.' Plozévet, Goyat (2012:297)


(2) Warc'hoazh ema ar zul. Cornouaillais / Léon, Croq (1908:29)
demain est le dimanche
'C'est demain dimanche.'


(3) [ aɥɛdaɲ ima ]
Evidin ema.
pour.moi est Vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:34)
'C'est pour moi.'


(4) Bremaik emañ yen da batatez.
maintenant est froid ton1 patates
'Maintenant tes patates sont froides.' Léon, Abeozen (1986:56)


(5) Emañ klouar da gafe, ev anezhañ buan 'ta!
est tiède ton1 café bois P.lui vite donc
'Ton café est tiède, bois le donc vite.' Gourmelon (2014:31)


(6) Etre veui ha neui ema.
entre1 noyer et nager est
litt. 'Il est entre noyer et nager.' > 'Il est entre la vie et la mort.'
proverbe, Le Berre & Le Dû (1999:80)


(7) 'Maout kontant dond da Uhelgoad d'ober eur honkour kostumou ? Ouessant, Gouedig (1982)
es content venir à1' Uhelgoat à1'faire un 5concours costumes
'Tu veux bien venir à Uhelgoat faire un concours de costumes?'


Dans les dialectes qui autorisent l'usage de emañ en auxiliaire, cet effet de bornage temporel additionné au perfectif du participe obtient un passé proche.


(8) Emañ degouezhet, an hini e oamp o c'hortoz!
est arrivé le celui R4 étions à4 attendre
'Il est arrivé, celui qu'on attendait!' Gourmelon (2014:31)


La phrase en (9) montre que le bornage temporel n'agit que sur l'usage en copule prédicative. Le proverbe induit une lecture générique sur la copule, qui n'est pas plausiblement bornée dans le temps. C'est l'usage locatif de emañ.


(9) E-barzh an evezh, emañ an devezh.
dans le soin est le jour.née
'Travail bien fait, bonne journée.' Proverbe, Abalain (2001:33)


pas en vannetais

L'effet de bornage temporel semble absent de l'aire vannetaise. On trouve en effet dans l'aire vannetaise des emplois de la forme emañ de la copule où les propriété prédiquées ne sont pas bornées dans le temps. Il s'agit alors dans les phrases positives de la même distribution que celle de la copule eo (cf. Herrieu Karnedoù brezel a zeiz da zeiz, [31-07-1916]: Tomm eo atav ken ema tomm a-walc'h.).


(1) /xazo xi:rox ẃi-m-mand ledãn/
eux.est long.plus que que4 sont larges
'Ils sont plus longs qu'ils ne sont larges.' Groix, Ternes (1970:222)


(2) Evite, a-wael, ema achu ar brezel.
pour.eux au.moins est fini le guerre
'pour eux, au moins, la guerre est finie.' Vannetais, Herrieu (1994:9)


(3) Brâs ê an ti vs. Neuse ema brâs an ti.
grand COP le maison alors est grand le maison
'La maison est grande (alors).' Vannetais, Hewitt (1988a)


Cette absence de bornage sémantique déborde sur le cornouaillais de l'Est maritime.


(4) Ma moc'h bien, mé zo 'weu! Cornouaillais de l'Est (Bannalec)
Ma emaoc'h bihan, me zo ivez! Équivalent standardisé
si4 êtes petit moi est aussi
'Si tu es petit, je le suis aussi!' Bouzec & al. (2017:305)


diachronie

L'usage de emañ en copule prédicative n'est pas récent.


(6) Hag e kri a-bouez penn "'Emaon pare"!
et R4 crie à-poids tête C.suis prêt
'Et il crie à tue-tête: "Je suis prêt"!' BSA. (1877:204), cité dans Le Gléau (1973:41)

copule existentielle

La forme emañ peut aussi être utilisée comme copule existentielle, lorsqu'elle ne sélectionne qu'un seul argument.


(7) An den a zo hirio; warc'hoazh n'ema mui!
le humain R1 y.a aujourd'hui demain ne y.a plus
'L'homme existe aujourd'hui, demain il ne sera plus!'
BSA. (1877:165), cité dans Le Gléau (1973:41)


copule équative

En Léon, la forme edo peut aussi être utilisée comme copule équative, là où le standard mettrait la copule oa. Le sujet reste cependant défini.


(8) An aotroù person edo an aotroù Doue
le monsieur recteur était le monsieur Dieu
'Le recteur était le bon Dieu.' Léon, Favereau (1997:§416)


(9) Ar rekor' edo 35000.
le record était 35000
'Le record était fixé à 35000.' Favereau (1997:§416)


(10) En amzer gos gueac'hal éguis ma eman ar guis da lavarèt...,

En amzer gozh gwechall e-giz m'emañ ar giz da lavaret
'Dans le vieux temps d'autrefois, comme on dit...', Léon [Lesneven], Burel (2012:34)


Puisqu'en Cornouaillais de l'Est les pronoms de troisème personne apparaissent facilement après emañ, la forme peut être favorisée par une focalisation du sujet.


(1) Ka kred start ' ra din 'brom emañ-eoñ a sell ouzh ma c'hoenn.
car croire ferme (R) fait à.moi maintenant est-lui R1 regarde à mon2 crème
'Car je crois fermement maintenant que c'est lui qui en a après ma crème.'
Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016b)

Récapitulation de la variation dialectale

Ci-dessous, je résume la variation dialectale dans ses dimensions syntaxiques et sémantiques.


léonard

Le dialecte léonard a un paradigme au passé, edo, plus la forme emedo qui irradie jusqu'en proche Cornouaille avec sa forme alternative mutée evedo. En Léon, la forme edo du passé est parfois utilisée en lieu et place de la copule eo au passé (oa) tant que le sujet reste défini (Merser 2011:95).


cornouaillais

En cornouaillais de l'Est intérieur, Naoned (1952:61) note que emañ n'est pas un verbe de situation en ce sens qu'il est la forme unilatérale du verbe 'être' à Scaër/Guiscriff (mais il oublie sans doute zo).

Gary German et Mona Bouzeg reportent pour St Ivy et Riec des formes emañ en usage de copule et d'auxiliaire, indépendamment de la présence de la négation.


(1) Ema ket riboter anaoñ. vs. N-e ket riboter anaoñ.
est pas pistard P.lui ne-est pas pistard P.lui
'C'est pas un pistard.' Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


L'usage de emañ avec un participe passé, en particulier, est remarquable. On le trouve aussi à Scaër.


(2) Re gozh emañ-hi degouezhet.
trop1 vieux est-elle arrivé
'elle est devenue trop vieille.'
Scaër, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Scaër,'amzer')


(3) 'Ma ket degouezhet.
est pas arrivé
'Il n'est pas arrivé' Cornouaillais de l'Est (Riec), Bouzeg (1986:35)


(4) Ema debet koan. vs. Debet e koan.
est mangé souper mangé est souper
'Le dîner est fini.' Cornouaillais de l'Est (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


(5) Pelec'h emaoc'h bet?
êtes allé
'Où êtes-vous allé?' Cornouaillais de l'Est (Riec), Bouzeg (1986:35)


Le sujet de emañ peut alors être séparé de son verbe par le participe passé.


(6) Ema aet an dud kuit. vs. Aet e an dud kuit.
est allé le gens parti Allé est le gens parti
'Les gens sont partis.'
Cornouaillais (St Ivy), cité par Hewitt (1988a)


Selon Bouzec & al. (2017:22), en cornouaillais de l'Est maritime la négation favorise emañ par rapport à eo. Hewitt (1988a) note que dans plusieurs cas, tout du moins à St-Yvi, l'alternance avec emañ/eo n'est pas possible. Ce qui permet ou pas l'alternance n'est pas clair.

(7) Aesoc'h e din.

Kouet e 'zailh ba'n puz.
Benn fin 'n dro e maro haoñ.

trégorrois

Ce verbe n'existe en Trégor qu'à la personne trois de l'indicatif présent (carte 65 de l'ALBB, Gros 1970:26). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace (carte 63, 64 de l'ALBB).


vannetais

Ce verbe n'existe en vannetais qu'à la personne trois de l'indicatif présent (carte 65 de l'ALBB). Aux autres personnes, et aux autres temps, c'est le paradigme de eo qui le remplace (carte 63, 64 de l'ALBB).

En vannetais, les formes emañ de location sont incompatibles avec la négation (Hewitt 1988a, Merser 2011:94).


(1) Ema ar bara àr an daol. vs N-ê ket ar bara àr an daol.
est le pain sur le table ne-est pas le pain sur le 1table
'Le pain (n') est (pas) sur la table.' Vannetais, Hewitt (1988a)


Tous les dialectes utilisent emañ comme copule prédicative, mais seul le vannetais semble l'utiliser pour des usages non-bornés dans le temps. Cet usage était possiblement plus répandu anciennement car on trouve des exemples de copule emañ dans les proverbes sous une lecture générique.

Horizons comparatifs

Selon Deshayes (2003:'ema'), ema correspond au cornique yma et au gallois y mae, avec une composition en une particule verbale (e, y) suivie du verbe ma(e), issu du celtique *mages-est. La graphie bretonne en emañ apparaît selon lui en contraction de ema-eñv, /est-lui/, 'il est'.


Diachronie

En 1499, le voyageur allemand Arnold von Harff récolte le verbe être de situation à Nantes sous la forme -ed.


(1) madin nent (d)a Renis.
où est route pour Rennes
'Où est la route pour Rennes?' Moyen breton vannetais, Gl.AvH, cité dans Guyonvarc'h (1984:42)


Selon Hemon (2000:§139.4.fn2), l'origine de ema n'est pas clairement établie. Hemon mentionne une explication de Morris Jones (1913) concernant y mae en moyen breton. Il ne l'explicite pas et dit n'en être pas convaincu. Deshayes (2003:'ema') donne la racine celtique * mages-est pour le verbe mae, précédé de la particule e, y qui a aussi donné le cornique yma et le gallois y mae.


nasale finale

La diachronie de ce phénomène est discutée.

L'étude de la diachronie de ce phénomène est compliquée, dans les sources écrites, par les différentes orthographes utilisées par les auteurs. Selon Deshayes (2003:'ema'), le marquage de la nasale n'a pas de base étymologique, et n'est que pure convention orthographique. Cette hypothèse pourrait être vraie pour différents codes orthographiques, mais ne date en tout cas pas de la codification du peurunvan car on trouve des formes orthographiées avec une nasale dès le breton pré-moderne. Hemon (2000:§139(4)) relève les formes écrites éman, Breton XVIII° siècle, FG.:72 et eman, Trégorrois du XVIII°, BD.:5004, mais il ne donne pas le contexte, en particulier si le sujet est lexical ou pronominal vide. En (2), le /n/ ne provient pas d'une désambiguïsation genrée de type emañ-eñ puisque le sujet lexical est réalisé. Cependant, il n'est pas clair si Burel prononçait la nasale, ou si ses lectures (d'un autre dialecte?) auraient induit une orthographe en /n/ sans base phonologique aucune dans son propre dialecte.


(2) héman anter lazet Yvon ganéoc'h.
est moitié tué Yvon avec.vous
'Vous avez à moitié tué Yvon!' Breton 1905 (Plouider), Burel (2012:192)


Whalley (2008-2015:'to be') propose que la finale nasale bretonne viendrait d'une association avec amañ, 'ici' ou -mañ, le clitique démonstratif. Il laisse ouverte la possibilité que cette association soit faite dès le proto-celtique, ou plus tard. En moyen gallois, l'adverbe locatif correspondant à emañ est yman.

 Whalley (2008-2015:'to be'): 
 One suggestion is Proto-Celtic *esmi est 'here is' > *emmijest > *ymoedd > ymae, but *emmijest ought to yield Welsh *ymydd as *dijen (Acc.) yields dydd. 
 Breton emañ points to a nasal ending and a possible connection with amañ 'there', -mañ 'this' (Welsh yma, Middle-Welsh yman, Cornique omma), which may be Proto-Celtic. *esmi anda (cf. Irish Gaelic ann 'there'). It is possible that more than one ending is at work here, or that Breton was altered by association with amañ. 
 Welsh could be from Proto-Celtic *esmi esV- (where esV- represents some form of the verb) > *ehmi ehV- > *emme ɛ̅ - > *ym-oe > ymae (cf. Proto-Celtic *swesūr > *hwehīr > *hwɛ̄īr > *hwɛ̄r > *hwoer > Welsh chwaer, Cornique hwor, Breton c'hoar, 'sister').


L'hypothèse de Favereau (1997:§416) et Deshayes (2003:'ema') est que la nasale provient d'un pronom post-verbal désambiguïsateur de genre masculin en eñv qui le suit directement dans les dialectes de l'Ouest, et qui aurait par la suite été adoptée en forme non-marquée pour le genre, comme dans les dialectes centraux actuels. Comme l'hypothèse orthographique, cette hypothèse peut être adaptée à différentes périodes.


rannig ?

Whalley (2008-2014:'to be') évoque la possibilité que la forme edo du passé dérive d'une forme de eo conjugué, précédé d'une particule *'ed (*ed oan, 'J'étais (là)' > edon). Si c'est le cas, cette forme a été ensuite réinterprétée comme ne contenant pas le rannig (cf. ez edo, emedo, evedo').


défectivité de personne

Selon Hemon (2000:§139.4.fn1), le verbe moyen breton ema est défectif en personne: les personnes 3SG et 3PL se rencontrent aisément, mais les autres personnes n'apparaissent qu'au XVII° et surtout en Léon. Hemon signale ne pas avoir trouvé ces formes établies dans des textes avant 1680 (Dnal.).

Le paradigme de emañ aurait donc été construit diachroniquement par généralisation à partir de la personne 3.

Terminologie

Kervella (1947) utilise le terme amzer lec'hiañ, ou stumm lec'hiañ, parfois même lorsque emañ est au progressif. Chalm (2008) traduit présent de situation par amzer vremañ lec'hiañ.

Press (1986:229) traduit amzer-lec'hiañ par 'locational tense'.

Press (1986:226) traduit amzer-dremenet-lec'hiañ par le terme anglais imperfect locational tense (à propos des formes en edo).


Bibliographie

breton

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horizons comparatifs