Ebet

De Arbres


Ebet, item de polarité négative en évolution

'Ebet' a une distribution fixe à l'intérieur du syntagme nominal: il apparaît après le nom nu qu'il modifie: [ N ebet ].

C'est un item de polarité négative, c'est à dire qu'il est restreint aux contextes négatifs.


(x) ar merc'hed n' o doa lodenn ebet en aod evit ar bezhin troc'h
DET femmes NEG 3PL avait lot P.DET grève pour DET goemon coupe
'Les femmes n'avaient pas de lot pour le goemon de coupe.' Leon, Blaz an douar, p.87


Cependant, ces propriétés sont partagées par deux items de ebet bien distincts.

Le premier (variété A) est un item de polarité négative marqueur d'emphase par extension de domaine (type 'au monde').
Le second (variété B) est un quantifieur négatif (type 'aucun' en français).

Ebet variété A

Dans une variété A (probablement la plus archaïque), 'ebet' n'est pas à proprement parler un mot négatif.

Dans cette variété A, la structure N'eus den amañ, (/neg E personne ici/ 'Il n'y personne ici') utilise une négation préverbale et un nom nu, den, et obtient le calcul sémantique de l'absence d'entité correspondant au prédicat. Sémantiquement, cette phrase est vraie si, dans le domaine défini par le contexte du locuteur (amañ, 'ici'), il n'existe aucune entité répondant aux caractéristiques d'une 'personne'. Ebet est alors utilisé pour produire un effet d'emphase: en effet, comme l'absence d'une entité ne connait pas de gradation, la seule façon de construire une emphase est d'étendre le contexte. C'est sémantiquement ce que fait le postnominal ebet. La signification littérale de ebet est 'dans le monde' (Hemon 2000§102, Schapansky 1996). Il est similaire en cela au français 'du tout' dans rien du tout, ou à l'anglais at all dans nothing at all (netra ebet).

C'est ce 'ebet' qui est utilisé dans O! n'eus ket pemp bloaz ebet c'hoaz (/exclamatif neg E 5 année ebet déja/, 'Il n'y a pas du tout cinq ans depuis', > 'ca ne fait pas cinq ans'), signalé clairement par Gros (TBPIII:94) comme un effet d'emphase. Dans cette variété de breton A, Ebet n'est ni un quantifieur ni un mot négatif. Son emploi est restreint à des contextes négatifs (un item de polarité négative), mais il ne contribue pas activement à la construction de la négation. Dans l'exemple ci-dessus, on voit qu'il n'est pas restreint à la modification des noms nus (cf. "pemp bloazh ebet").


Littéralement cet élément signifie 'au monde' et il était initialement utilisé pour un effet d'emphase.

Horizons comparatifs

Il existe d'autres langues qui emploient des éléments qui signifient 'au monde', 'en éternité', 'dans ma vie' (comme l'espagnol en mi vida) pour un effet emphatique dans des contextes négatifs, surtout par rapport à une notion de temps. Néanmoins, il semble qu'il soit extrêmement rare que des expressions qui dénotent des unités maximales sur une échelle deviennent des déterminants. Le seul cas recensé dans la littérature est ar bith en irlandais qui signifie 'au monde' et qui s'est stabilisé en item de polarité négative :

(a) Nior labhair focal ar bith
NEG dit il mot au monde
'Il n'a dit aucun mot.' irlandais Haspelmath (1997 : 229)

Intérêt théorique en diachonie

Le syntagme prépositionnel 'er-bet' a évolué en modifieur postnominal et (du moins dans une certaine variété) fonctionne actuellement comme un déterminant négatif. Ce type d'évolution est rarement attestée à travers les langues.

A travers les langues, les mots négatifs tendent à provenir d'éléments qui dénotent des unités minimales sur une échelle ou bien une seule entité. C'est notamment le cas en français avec pas ou personne.

La grammaticalisation d'un déterminant négatif à partir d'un syntagme prépositionnel offre une configuration rare en synchronie.

Ebet variété B

Dans une variété B de breton, (la plus récente), 'ebet' est un quantifieur négatif du type de 'aucun' en français. Trépos (2001:248) témoigne de cette évolution: il traduit 'ebet' par 'du tout', 'au monde', mais signale qu'il "a pris le sens de aucun'.

Dans cette variété de breton B, ebet est un mot négatif qui contribue à la construction de la négation. Ebet de variété B peut apporter seul la négation sémantique dans la phrase (Kudenn ebet! /problème aucun/, 'Pas de problème!').

Ce ebet contraste clairement avec celui du breton A (cf. ca ne fait pas (*aucun) cinq ans). Il n'est pas restreint à un effet d'emphase particulier.


Il est possible que les variétés A et B soient en concurrence à l'intérieur du système d'une seule langue en évolution (rapide), mais il est aussi possible que les variétés A et B soient des marqueurs de dialectes/idiolectes différents (breton A et breton B). Dans ce dernier cas, on doit envisager la possibilité que des locuteurs donnés puissent être bilingues dans ces deux variétés de breton...

La variété B est très logiquement favorisée par les francophones pour qui le breton est une langue seconde, et qui importent directement les paradigmes de 'aucun' en français.

optionalité

Dans certains contextes, 'ebet' est obligatoire, alors que dans d'autres il est optionnel. En (y), la négation 'ket' est optionnelle, mais il semble que 'ebet' soit obligatoire (*N'eus mestr.)

(y) N'eus (ket) mestr *(ebet).
NEG y a pas maitre au.monde
'Il n'y a pas de maitre.' ?? Mélanie Jouitteau, à vérifier