Différences entre les versions de « Ebet »

De Arbres
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=== horizons comparatifs ===
=== diachronie et horizons comparatifs ===


Il existe d'autres langues qui emploient des éléments qui signifient 'au monde', 'en éternité', 'dans ma vie' (comme l'espagnol ''en mi vida'') pour un effet emphatique dans des contextes négatifs, surtout par rapport à une notion de temps. Néanmoins, il semble qu'il soit extrêmement rare que des expressions qui dénotent des unités maximales sur une échelle deviennent des déterminants. Le seul cas recensé dans la littérature est ''ar bith'' en irlandais qui signifie 'au monde' et qui s'est stabilisé en [[item de polarité négative]] :  
Il existe d'autres langues qui emploient des éléments qui signifient 'au monde', 'en éternité', 'dans ma vie' (comme l'espagnol ''en mi vida'') pour un effet emphatique dans des contextes négatifs, surtout par rapport à une notion de temps.  
 
Néanmoins, il semble qu'il soit typologiquement extrêmement rare que des expressions qui dénotent des unités maximales sur une échelle deviennent des [[déterminants]]. Le seul cas recensé dans la littérature est ''ar bith'' en irlandais qui signifie 'au monde' et qui s'est stabilisé en [[item de polarité négative]] :  




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Selon [[Willis (2013)|Willis (2013]]:287), toutes les langues celtiques ont un usage du nom pour 'monde' qui renforce ainsi les pronoms indéfinis et des quantifieurs négatifs. Leur [[grammaticalisation]] semble cependant s'être opérée indépendamment d'une langue à l'autre, comme si le matériel commun en vieux celtique avait une tendance induite à grammaticaliser ainsi.


=== intérêt théorique en diachronie ===
=== intérêt théorique en diachronie ===

Version du 6 septembre 2014 à 15:09

Ebet, 'aucun', 'du tout', est un item de polarité négative en passe de devenir dans la langue un quantifieur négatif.


Morphologie

accentuation

Ebet est accentué sur la dernière syllabe (Kervella 1947:48.I,II). Dans certains dialectes, seule cette syllabe reste:

  • vêl dén bét
evel den ebet, 'comme personne', Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:40)

variation dialectale

On trouve en vannetais la forme erbet.


(1) Bremañ ne glever trouz erbet...
maintenant ne1 entend.IMP bruit aucun
'Maintenant on n'entend aucun bruit...' Vannetais, Herrieu (1994:90)


(2) Holl an dud a labour ha ne weler den paour erbet er vourc’h.

'Tout le monde travaille et on ne voit aucun pauvre dans le bourg'
Vannetais, Herrieu (1994:111)


La carte 322 de l'ALBB documente la variation dialectale de la traduction du français 'Je n'en ai vu aucun de mes amis'. On y voit ebet apparaître sur une vaste aire centrale, délaissant le bas-léon, La basse-cornouaille et le haut-vannetais. Les stratégies alternatives utilisent les noms nus sans ebet, ou le mot négatif nikun.

Distribution

à l'intérieur du DP

Ebet a une distribution fixe à l'intérieur du syntagme nominal: il apparaît après le nom nu qu'il modifie: [ N ebet ].

noms comptables

Ebet ne peut modifier que les noms comptables. Par exemple, frouezh, 'fruits', n'est pas un nom comptable. Ce mot ne peut être modifié par ebet que si une opération lexicale ou morphologique le transforme en nom comptable.


(1) N'eus (tamm)* frouezh ebet ken.
ne y.a morceau fruits aucun plus
'Il n'y a plus de fruits.' Standard, Kervella (1947:48.I,II)


(2) hep dibri frouezen ebet ken ar rest eus e vue.
sans manger fruit.SG aucun plus le reste de son vie
'... sans manger de fruits (pour) le reste de sa vie.' Léon, Perrot (1912:845)

modification

Le nom nu peut être modifié (1).


(1)a. heb lavared [ ger gaou ebet]
sans dire mot mensonge
'sans mentir' Trégorrois, Gros (1984:14)


(1)b. N'eus [ tra all ebet ] da ober.
ne' y.a chose autre à faire
'Il n'y a rien d'autre à faire.' Sud Cornouaille, An Orignal, p.30.


(1)c. N'eus [DP kanenn e gwenedeg moulet war follenn-distag ebet ] e listenn Ollivier.
ne y.a chanson en vannetais imprimé sur feuille-détachée aucune sur liste Ollivier
'Il n'y a aucune chanson en vannetais imprimée sur feuille volante dans la liste d'Ollivier.'
Vannetais standardisé, Guillevic (1998)

dans la phrase

avec ou sans ket ?

Selon Chalm (2008:86), familier de Cap-Sizun mais prescriptif en standard, il ne faut pas utiliser ket, 'pas' avec ebet.

(2) Ar merc'hed n' o doa lodenn ebet en aod evit ar bezhin troc'h.
le femmes ne 3PL avait lot en.le grève pour le goémon coupe
'Les femmes n'avaient pas de lot pour le goémon de coupe.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:87)


Cependant, on trouve facilement ket avec ebet dans d'autres variétés. Kervella (1947:§234) note que lorsqu'un mot négatif (dont ebet) est utilisé, on se passe "la plupart du temps" de mettre ket. Ebet apparaît avec une ou des marques multiples de la négation (cf. concordance négative), dans les domaines tensés comme non-tensés.


(3) Ha den ebet all ne wele ket anezhi.
et homme aucun autre ne1 voyait pas P.elle
'Et personne d'autre ne la voyait.'
Coray, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Mona Bouzeg


(4) alians ebet ne gavé ket.
alliance aucun ne1 trouvait pas
'Il ne trouvait aucune alliance.' Vannetais, An Diberder (2000:95)

fonctions

Ebet peut apparaître dans des groupes à fonction sujet ou objet. Il apparaît aussi communément dans des adjoints.


(4) Ne fellas ket gantan, evit priz ebet, kemer ar garg-ze.
ne plut pas à.lui pour prix 'ebet' prendre le charge-ci
'Il ne voulut à aucun prix prendre cette charge.' Léon, Perrot (1912:659)

indéfini

Lorsque le groupe nominal en ebet est en position sujet, il force l'auxiliaire eus, ce qui est la marque d'un indéfini.


(1) Amañ n’eus ket kap den ebet da gaoud mann.
ici ne’est pas capable personne aucun de avoir zéro
'Ici personne ne peut rien avoir.' Trégorrois, Gros (1989:'abil')

auxiliaire eus

Les groupes nominauxs contenant ebet sont indéfinis. En conséquence, comme tout sujet indéfini, ils s'utilisent avec la forme eus du verbe beza, 'être'


(4) N’eus buhez ebet er paludoù-holen.
ne'y.a vie 'ebet' dans.le marais-sel
'Il n'y a pas de vie dans les marais salants.' Standard, Bremañ (223:14), ‘ar paludou-holen’

Sémantique

concordance négative

Le breton est une langue à concordance négative. La marque de négation qui accompagne ebet ne crée donc pas de lecture sémantique de double négation.


(3) Pab ebet, abaoue amzer an Ebestel, ne c'houzanvas ar pez a c'houzanvas.
pape aucun, depuis temps le apôtres ne endura le ce.que R1 endura
'Aucun pape depuis les apôtres n'a enduré ce qu'il a enduré.'
('Il n'y a pas de pape tel qu'il a enduré...', vs. * 'Il n'y a pas de pape tel qu'il n'a pas enduré...') Perrot (1912:388)


lecture positive

Ebet n'est pas restreint aux contextes négatifs direct (contra Hendrick 2011:99–101, cité dans Willis 2013:277). Il existe des contextes positifs où ebet est autorisé et sa lecture est alors positive (de type 'quiconque, la moindre personne, quelqu'un').

En (2), comme il est usuel des items de polarité négative à travers les langues, l'adverbe a-raok, 'avant' autorise la présence de den ebet.


(2) Met a-raok tamall den ebet da laerezh ho tañvez-amann....
mais avant accuser homme aucun de voler votre matière-beurre
'Mais avant d'accuser quiconque de voler votre crème...'
Cornouaille (Pleyben), Ar Gow (1999:19)

Effets de portée de 'ebet'

La position préverbale ou postverbale d'un groupe nominal en ebet n'est pas anodine.

pré-négation

Contrairement à ce qui est parfois noté, ebet ne doit pas absolument être c-commandé par la négation et peut apparaître en zone focale au-dessus d'elle (Jouitteau 2005:88).


(5)a. Ha den ebet n’en doa bet gouiet eus pelec’h ‘oa hi debarket.
et personne ebet ne R.3SGM avait eu su de R était elle débarquée
'Et personne ne sut (n'a eu su) d'où elle était venue.'
Coray, transcription de l'enregistrement de Pêr Bras en 1977 par Mona Bouzeg


(5)b. Dén erbet ne helle ket kleuet er hlehier.
homme aucun ne pouvait pas entendre le cloches
'No one could hear the bells.' Vannetais, Schapansky (1996:178)
'Personne ne pouvait entendre les cloches.'

présupposition

Schapansky (1996:179,180) remarque que les sujets en ebet sont distribués différemment suivant qu'ils sont présupposés ou non. Les sujets présupposés sont préverbaux (3) alors que les sujets non présupposés apparaissent dans le champ postverbal, sous la portée de la négation.

Item de polarité négative ou quantifieur négatif

Les propriétés syntaxiques de ebet sont partagées par deux items ebet bien distincts.

Le premier (variété A) est un item de polarité négative marqueur d'emphase par extension de domaine (type 'au monde'). Il est alors restreint aux contextes négatifs.
Le second (variété B) est un quantifieur négatif (type 'aucun' en français).

ebet variété A

Dans une variété A (probablement la plus archaïque), ebet n'est pas à proprement parler un mot négatif. La signification littérale de ebet est 'dans le monde' (Hemon 2000:§102, Schapansky 1996). Il est similaire en cela au français 'du tout' dans rien du tout, ou à l'anglais at all dans nothing at all (netra ebet). Il était initialement utilisé pour un effet d'emphase.

Dans cette variété A, la structure N'eus den amañ, (/ne y.a personne ici/ 'Il n'y personne ici') utilise une négation préverbale et un nom nu, den, et obtient le calcul sémantique de l'absence d'entité correspondant au prédicat. Sémantiquement, cette phrase est vraie si, dans le domaine défini par le contexte du locuteur (amañ, 'ici'), il n'existe aucune entité répondant aux caractéristiques d'une 'personne'. Ebet est alors utilisé pour produire un effet d'emphase: en effet, comme l'absence d'une entité ne connait pas de gradation, la seule façon de construire une emphase est d'étendre le contexte de cette absence. C'est sémantiquement ce que fait le postnominal ebet.

C'est ce ebet qui est utilisé dans (2) et est signalé clairement par Gros (1984:94) comme portant un effet d'emphase. On le retrouve en léonard en (3) dans un conte collecté par Gabriel Milin.


(2) O! n'eus ket pemp bloaz ebet c'hoaz.
exclamatif ne y.a pas 5 année ebet déjà
'Il n'y a pas du tout cinq ans depuis', > 'ca ne fait pas cinq ans' Trégorrois, Gros (1984:94)


(3) Ra vezo ama e-lec'h hon ti taouarc'h-ni eur maner eus ar re gaera, ha loened ha traou ennan...

...ha, war e dro, kement hag a zo e nep maner all ebet !...
et sur son tour autant C R y.a dans quelque manoir autre 'ebet'
'Que soit ici, à la place de notre maison de tourbe à nous, un manoir des plus beaux,
avec bêtes et choses, et autour, autant de choses qu'il y en a dans tout autre manoir.'
Léon, Milin (1924)


Dans cette variété de breton A, ebet n'est pas un mot négatif. Dans les exemples ci-dessus, on voit qu'il n'est pas restreint à la modification des noms nus (cf. pemp bloaz ebet, nep maner all ebet).

Son emploi négatif est restreint à la présence d'un autre élément négatif (un item de polarité négative), mais il ne contribue pas lui-même activement à la construction de la négation.

Dans cet emploi, il ressemble plus à ar béd dans l'interrogative suivante:


(4) Peleh ar béd e-neus klenket ma binviou?
le monde R.3SGM-a rangé mon outils
'Où diable a-t-il rangé mes outils?' Trégorrois, Gros (1984:49)

diachronie et horizons comparatifs

Il existe d'autres langues qui emploient des éléments qui signifient 'au monde', 'en éternité', 'dans ma vie' (comme l'espagnol en mi vida) pour un effet emphatique dans des contextes négatifs, surtout par rapport à une notion de temps.

Néanmoins, il semble qu'il soit typologiquement extrêmement rare que des expressions qui dénotent des unités maximales sur une échelle deviennent des déterminants. Le seul cas recensé dans la littérature est ar bith en irlandais qui signifie 'au monde' et qui s'est stabilisé en item de polarité négative :


(a) Nior labhair focal ar bith.
ne dit il mot au monde
'Il n'a dit aucun mot.' Irlandais Haspelmath (1997:229)


Selon Willis (2013:287), toutes les langues celtiques ont un usage du nom pour 'monde' qui renforce ainsi les pronoms indéfinis et des quantifieurs négatifs. Leur grammaticalisation semble cependant s'être opérée indépendamment d'une langue à l'autre, comme si le matériel commun en vieux celtique avait une tendance induite à grammaticaliser ainsi.

intérêt théorique en diachronie

Le PP 'er-bet' a évolué en modificateur postnominal et (du moins dans une certaine variété) fonctionne actuellement comme un déterminant négatif. Ce type d'évolution est rarement attesté à travers les langues.

A travers les langues, les mots négatifs tendent à provenir d'éléments qui dénotent des unités minimales sur une échelle, ou bien une seule entité. C'est notamment le cas en français avec pas ou personne.

La grammaticalisation d'un déterminant négatif à partir d'un syntagme prépositionnel offre une configuration rare en synchronie.

ebet variété B

Dans une variété B de breton, (la plus récente), ebet est un quantifieur existentiel négatif du type de 'aucun' en français. Trépos (2001:248) témoigne de cette évolution: il traduit ebet par 'du tout', 'au monde', mais signale qu'il "a pris le sens de aucun".

Dans cette variété de breton B, ebet est un mot négatif qui contribue à la construction de la négation. Ebet de variété B peut apporter seul la négation sémantique dans la phrase (Kudenn ebet! /problème aucun/, 'Pas de problème!').

Ce ebet contraste clairement avec celui du breton A (cf. ca ne fait pas (*aucun) cinq ans). Il n'est pas restreint à un effet d'emphase particulier.


Il est possible que les variétés A et B soient en concurrence à l'intérieur du système d'une seule langue en évolution (rapide), mais il est aussi possible que les variétés A et B soient des marqueurs de dialectes/idiolectes différents (breton A et breton B). Dans ce dernier cas, on doit envisager la possibilité que des locuteurs donnés puissent être bilingues dans ces deux variétés de breton...

La variété B est très logiquement favorisée par les francophones pour qui le breton est une langue seconde, et qui importent directement les paradigmes de 'aucun' en français.

Terminologie

Selon Trépos (2001:§315), il s'agit d'un 'adjectif indéfini'.