Duel

De Arbres

Le breton, au moins depuis le vieux breton, a un nombre duel, qui s'oppose au singulier et au pluriel. Il est lexicalement restreint.

(1) Biken n'em-bije eiz breh, na peder diouvreh.
jamais NEG R.1SG-aurai 8 bras ni 4 2L.bras
'Je n'aurai jamais 8 bras ni quatre paires de bras.' standard, Bodenes (2009:7)

Réalisation

Le duel est intégré à une racine sous deux formes mutuellement exclusives: l'une masculine (daou-, daw-), l'autre féminine (div-, diou-, diw-). Son choix dépend des spécifications morphologiques de genre de la racine. Le duel peut entrainer une mutation consonnantique (lénition) sur cette racine.

Devant les monosyllabiques, le duel prend l'accent (Favereau 1997:§89).

Favereau (1997:§92) signale qu'en Poher, on distingue le cardinal morphème libre féminin diw et le morphème dépendent di-.

he diskouarn, 'ses oreilles', vs. he diwskouarn ou he diw skouarn, ses deux oreilles

Distribution

Le duel peut former des composés avec une racine nominale ou un prédicat. L'effet sémantique est différent.

noms

paires corporelles

Les cas de duel prototypiques concernent les paires inséparables, car corporelles.

Plourin (1982:550) relève quelques exemples de duels à Langonnet et Saint Servais:

diwaskell, 'les (deux) ailes'; diwchod, 'les (deux) joues'; diwskouarn, 'les oreilles';
diwskoaz, 'les épaules'; diwvrec'h, 'les bras'; daouzorn, 'les mains';
diwc'har/diwesker, 'les jambes'; daoulagad, 'les yeux'; diweuz, 'les lèvres';
diwvorzhed, 'les cuisses'

Favereau (1997:§88, 90, 92):

di(w)vronn, 'les seins'; diwjod, diwchot, 'les joues'
daouilin, 'les coudes'; diwfroen, 'les narines'; diwgazel, 'les aisselles'
daoulin, 'les genoux'; penn-daoulin, 'les sommets des genoux'...

'dico An Here (2001:§'daou-'):

daouilinañ, 's'agenouiller'


Ce marquage des paires par le duel laisse au pluriel simple une possibilité d'être emprunté pour un autre usage lexical (Plourin 1982:550):

daouzorn, 'les mains' mais dornioù, 'anses de panier'
diwvrec'h, 'les bras' mais brec'hioù, 'les brancards
daoulagad, 'les yeux' mais lagad, 'les yeux dans la soupe'
diwskouarn, 'les oreilles' mais skouarn, 'versoirs de charrue'

Favereau (1997:§98):

diwvorzhed, 'les cuisses' mais morzhedoù hoc'h, 'cuisseaux de porc'
diwskoaz, 'les épaules' mais skoazioù, 'les épaules (de mouton)'

paires inanimées

Le dictionnaire de An Here (20001:§'daou-'/§'div') donne quelques paires d'inanimés:

daoubik, 'double point' (' : ')
ul loen daoudroadek, 'un animal bipède'
divyezhegezh, 'bilinguisme'
gerioù divsyllabennek, 'mots bisyllabiques'

Favereau (1997:§95) signale aussi quelques duels d'objets:

daouwenneg, 'deux sous'
divac'h, 'double croc'

Syntaxe du nom duel

La syntaxe du nom composé d'un duel est régulière.

pluriel sur duels

Tous les noms contenant un duel peuvent être à leur tour mis au pluriel:

gedon gant diskouarnioù hir, /lièvre avec 2.oreilles long/, 'des lièvres aux longues oreilles'
Favereau (1997:§96)

mutation de l'adjectif

La mutation provoquée à l'intérieur du composé nominal par le duel peut se répercuter sur l'adjectif post-nominal. Se reporter à Favereau (1997:§99) et les références citées.

Productivité

Le duel, s'il est très usité en breton, n'est plus vraiment productif.

Certaines 'paires naturelles' comme des morceaux du corps perdent leur duel dans la langue, sous la concurrence d'un pluriel régulier (Hemon 2000:§26, Favereau 1997:§91).

On dit aujourd'hui plutôt pens que daoubeñs ('les fesses'), fronell plutôt que diwfronell ('narines'), muzell plutôt que diwvuzell ('les lèvres'), ilin plutôt que daouilin (les coudes')...

Accord

Pour la syntaxe, le nom duel est un pluriel régulier. Ce ne serait pas le cas si le duel était un classifieur signifiant 'paire de X'.

(3) Pe liv eo e zaoulagad? - Du int.
Quelle couleur est POSS.3SGM 2.oeil - noir sont
'De quelle couleur sont ses yeux? - Ils sont noirs.' Favereau (1997:§96)
(4) Ho taouarn n'int ket net.
vos 2.main NEG sont NEG net
'Vos mains ne sont pas propres.' Favereau (1997:§96)

Locutions

Certaines locutions utilisent aussi ce cardinal. Il est alors dur de savoir s'il s'agit de composés ou d'un cardinal morphème libre.

(Favereau 1997:§89):

an daou bried, 'les deux époux'
daou benn ar vazh, 'les deux bouts du bâton'
en daou du d'an hent, 'les bas-côtés de la route'


Prédicats et multiplication

Lorsque le duel modifie un prédicat désignant une action, (verbe ou adjectif), le résultat de l'opération sémantique n'est pas une paire d'entités, mais une action unique doublée en quantité/intensité.

(2) Daou-gementiñ a ran ar gopr.
2-[autant.V] R fais.1SG la paie
'Je double la paie.' standard, Al Lotuz Glas (2002:30)

Dico An Here (20001:§'daou-'):

daoulamm, 'saut qui compte double'
daoudortet, daougrommet, 'tellement tordu que plié en deux'

Kervella (1995:879):

daoublegañ, 'plier en deux'
daouhanteriñ

Bibliographie

  • Costaouec, D. XXXX. 'Affixe ou modalité ? Le cas du singulatif et du duel en breton', Actes du Colloque en hommage à B. Vardar, Université d’Istambul.
  • Hemon, R. 2000. Yezhadur istorel ar Brezhoneg/Dictionnaire historique du breton, Hor Yezh. [ ed. 1958 - 1978, Preder, La Baule].
  • Favereau, F. 1997. Grammaire du breton contemporain, Morlaix: Skol Vreizh.
  • Kentel, P. C. 1950. Thèse inédite sur le duel en Breton, Paris, Sorbonne.
  • Kervella, F. 1995 [1947]. Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 edition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 edition Al Liamm.
  • Plourin, J.Y. 1982. Description phonologique et morphologique comparée des parlers bretons de Langonnet (Morbihan) et de Saint-Servais (Côtes-du-Nord), thèse de doctorat, Université de Rennes II. (p.550-551)

corpus

  • Hergé. 1946. le Lotus Bleu, [traduction An Here 2002. Troioù-kaer Tintin: Al Lotuz Glas par Divi Kervella].
  • Bodenes, K. 'Doueez Shiva', Dispriz ouz ar merhed e bed ar brezoneg?, Brud Nevez 273.

horizons comparatifs

  • Blanc H. 1970. Dual and pseudo-dual in the Arabic dialects. Language 46-1, 42-57.
  • Fontinot C. 1969. Le duel dans les langues sémitiques, Bibliothèque de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, Paris.
  • Tobin Y. 2005. 'Le duel en hébreu : catégorie grammaticale et/ou lexicale?', Faits de langue 26, 129-146.