Différences entre les versions de « Duel »

De Arbres
Ligne 327 : Ligne 327 :
Le cardinal peut intensifier le [[prédicat]]:
Le cardinal peut intensifier le [[prédicat]]:
: '''''daou'''lamm'', 'saut qui compte double', [[An Here (2001)|An Here (2001]]:§'daou-')
: '''''daou'''lamm'', 'saut qui compte double', [[An Here (2001)|An Here (2001]]:§'daou-')
: '''''Daou'''iliniñ ne c'hell ket.'', 'S'agenouiller (des deux genoux), il ne peut pas.', ''Vannetais'',  [[Herrieu (1994)|Herrieu (1994]]:105)




Le statut de duel des prédicats doit être relativisé au vu de (4).  
Le statut de duel des prédicats doit être relativisé au vu de (4), qui montre que d'autres [[numéraux cardinaux]] peuvent s'[[incorporer]] dans les verbes.  





Version du 20 novembre 2013 à 21:34

Le breton, au moins depuis le vieux breton, a un nombre duel (fr., ang.), qui s'oppose au singulier et au pluriel. Le phénomène du duel en breton est traité dans de nombreuses grammaires (Hingant 1868:§22, Hemon 1995:§49, Favereau 1997:§ 88-99)


Ce duel est lexicalement restreint.


(1) Biken n'em-bije eiz breh, na peder diouvreh.
jamais ne R.1SG-aurait 8 bras ni 4 21.bras
'Je n'aurai jamais 8 bras ni quatre paires de bras.' Standard, Bodenes (2009:7)


Le duel peut former des composés avec une racine nominale ou un prédicat. L'effet sémantique est différent dans les deux cas.


Morphologie

Le duel est intégré à une racine sous deux formes mutuellement exclusives: l'une masculine (daou-, daw-), l'autre féminine (div-, diou-, diw-). Ce choix dépend des spécifications morphologiques de genre de la racine. Le préfixe du duel, comme les cardinaux correspondants, fonctionne comme un préfixe selon les règles de l'accentuation (Hemon 1995:§280).

La prononciation des morphèmes masculins et féminins sont documentés de dialecte en dialecte dans les cartes de l'ALBB (cf. cartes 228 et 217).

Devant les monosyllabiques, le duel prend l'accent (Favereau 1997:§89). Il est donc intégré au mot, au moins au niveau prosodique.

Autre signe d'intégration, le duel peut entrainer une mutation consonantique (lénition) sur la racine sur laquelle il s'affixe.


dérivation

Un nom duel peut à son tour être sélectionné par un suffixe morphologique. On obtient ainsi des dérivés verbaux ou adjectivaux.

(1) article NOM [[2.NOM]-Adjectif]Adjectif

ul loen daoudroadek
'un animal bipède', c.a.d. qualifié par le fait d'avoir deux pieds.


Le genre du morphème duel est déterminé par le genre de la racine, et non pas par le genre du nom tête du groupe nominal:

(2) ar c'helenn divyezhek

article NOM.M [[2F.NOM.F]-Adjectif]Adjectif
'l'enseignement bilingue', Standard, Ménard (2012:§ 'bilingue')

mutation de l'adjectif

La mutation provoquée à l'intérieur du composé nominal par le duel peut se répercuter sur l'adjectif post-nominal.


(3) daoulagad c'hlas, daou lagad glas

2.œil bleu, deux œil bleu
'yeux bleus', Favereau (1997:§99)

variation dialectale

Favereau (1997:§92) signale qu'en Poher, on distingue morphologiquement le cardinal morphème libre féminin div et le morphème dépendant di-.

he diskouarn, 'ses oreilles', vs. he diwskouarn ou he diw skouarn, ses deux oreilles

Les noms prenant le duel

inventaire

paires corporelles

Les cas de duel prototypiques concernent les paires inséparables, car corporelles.


(1) Ne vezo nepred a-walc'h a-zivrec'h evit troc'hañ ha dastum an eost.
ne sera jamais assez de.duel1.bras pour couper et récolter le moisson
'Jamais il n'y aura assez de bras pour faire la moisson.'
Trégorrois, Berthou (1985:78)


Plourin (1982:550) relève quelques exemples de duels à Langonnet et Saint Servais:

diwaskell, 'les (deux) ailes'; diwchod, 'les (deux) joues'; diwskouarn, 'les oreilles';
diwskoaz, 'les épaules'; diwvrec'h, 'les bras'; daouzorn, 'les mains';
diwc'har/diwesker, 'les jambes'; daoulagad, 'les yeux'; diweuz, 'les lèvres';
diwvorzhed, 'les cuisses'

Favereau (1997:§88, 90, 92):

di(w)vronn, 'les seins'; diwjod, diwchot, 'les joues'
daouilin, 'les coudes'; diwfroen, 'les narines'; diwgazel, 'les aisselles'
daoulin, 'les genoux'; penn-daoulin, 'les sommets des genoux'...

'dico An Here (2001:§'daou-'):

daouilinañ, 's'agenouiller'


Ces cas de duel sont très courants et présents dans tous les dialectes, comme illustré par de nombreuses cartes de l'ALBB:

'genoux', carte 228; 'jambes', carte 217; 'mains', carte 175


On peut aussi exprimer des paires d'éléments corporels qui ne vont pas prototypiquement par paires:

daoubennek, 'bicéphale' (Kervella 1995:§879)


Le marquage des paires par le duel laisse au pluriel simple une possibilité d'être emprunté pour un autre usage lexical (Plourin 1982:550):

daouzorn, 'les mains' mais dornioù, 'anses de panier'
diwvrec'h, 'les bras' mais brec'hioù, 'les brancards
daoulagad, 'les yeux' mais lagad, 'les yeux dans la soupe'
diwskouarn, 'les oreilles' mais skouarn, 'versoirs de charrue'

Favereau (1997:§98):

diwvorzhed, 'les cuisses' mais morzhedoù hoc'h, 'cuisseaux de porc'
diwskoaz, 'les épaules' mais skoazioù, 'les épaules (de mouton)'

paires inanimées

Le dictionnaire de An Here (2001:§'daou-'/§'div') donne quelques paires d'inanimés:

daoubik, 'double point' (' : ')
divyezh, 'deux langues'; divyezhegezh, 'bilinguisme'
gerioù divsyllabennek, 'mots bisyllabiques'

Favereau (1997:§95) signale aussi quelques duels d'objets:

daouwenneg, 'deux sous'
divac'h, 'double croc'


Comme pour les parties du corps, il existe des objets qui vont prototypiquement par paires, comme les chaussures, mais qui ne prennent pas de duel (cf. carte 'chaussures', n°98 de l'ALBB).

productivité

Le duel, s'il est très usité en breton, n'est plus productif. Le Gléau (1973:48) considère que le duel est "rarement obligatoire".

Certaines 'paires naturelles' comme des morceaux du corps perdent leur duel dans la langue, sous la concurrence d'un pluriel régulier (cf. Hemon 2000:§26, Favereau 1997:§91, ou en anglais Hemon 1995:§49).


On dit aujourd'hui plutôt pens que daoubeñs ('les fesses'), fronell plutôt que diwfronell ('narines'), muzell plutôt que diwvuzell ('les lèvres'), ilin plutôt que daouilin (les coudes')...


Un pluriel simple est utilisé dans le cas de loeroù, 'bas'; botou, 'sabots'; treid, 'pieds' (Trépos 2001:93).

syntaxe du nom duel

accord

Pour l'accord verbal, le nom duel est un pluriel régulier. Ce ne serait pas le cas si le duel était un classifieur signifiant littéralement 'paire de X'.


(1) Ho taouarn n'int ket net.
votre 2.main ne sont pas net
'Vos mains ne sont pas propres.' Favereau (1997:§96)

reprise anaphorique

Les reprises anaphoriques d'un nom duel sont marquées au pluriel.


(2) He diouskouarn n’int ket ken braz-se anezo.
son 2.oreille ne sont pas aussi grand-ci P.eux
'Elle n’a pas de si grandes oreilles que ça.' Plozévet, Goyat (2012:188)


(3) Pe liv eo e zaoulagad? - Du int.
Quel couleur est son 2.oeil - noir sont
'De quelle couleur sont ses yeux? - Ils sont noirs.' Favereau (1997:§96)

concordance plurielle dans le groupe nominal

Goyat (2012:188) note que l’adjectif prénominal mell (grand), qui prend des marques de concordance avec le nom qui le suit, apparaît au pluriel devant un duel. Il donne:

(4) Mellou daoulagad du dezañ.
grand.PL 2.œil noir à.lui
'(Il a) de grands yeux noirs.' Plozévet, Goyat (2012:188)

déterminant singulier

Kervella cite un exemple où un déterminant indéfini singulier précède le nom duel, laissant suggérer un usage au singulier. Kervella précise que la plupart du temps, le déterminant précède le nom duel si le pronom pluriel re, 'paire (de)' les sépare.


(5) Un daoulagad leun a zouster hag a garantez a skede en he fenn. (Kervella 1995:§346), citant Roc'halan.
un 2.œil plein de douceur et de amour R brillait dans son tête
'Son visage rayonnait d'un regard plein d'amour et douceur.'


On trouve la même donnée à Plozévet. La traduction laisse à penser que cette structure est attachée à une structure informationnelle particulière.

(6) eun daoulagad du dezañ.
un 2.œil noir à.lui
'(Il avait) un de ces regards noirs.' Plozévet, Goyat (2012:188)

sémantique du duel

le pluriel du duel

Avec une marque du pluriel, le duel est calculé sémantiquement (on obtient une multiplicité de paires).

Tous les noms contenant un duel peuvent être à leur tour mis au pluriel (ang., Hemon 1995:§49):

(1) gedon gant diskouarnioù hir,

lièvres avec 2.oreilles long
'des lièvres aux longues oreilles', Favereau (1997:§96)


Le pluriel n'est pas obligatoirement un suffixe.

(2) Peziou daoulagad dezo o selled ouzin-me.
morceaux 2.yeux à.eux à regarder à.moi-moi
'me regardant avec de grands yeux' Trégorrois, Gros (1970:154)

duel non-calculé

Cependant, on trouve des environnements où le duel n'est pas calculé sémantiquement. Dans l'expression 'une paire de' suivie d'un duel, la paire n'est calculée qu'une fois.


(3) Ur re zaoulagad / tri re zivskouarn. (Kervella 1995:§346)
un paire 2.oeil 3 paire 2.oreille
'Une paire d'yeux, trois paires d'oreilles.'
= 2 yeux, 6 oreilles, et non pas 4 yeux, 12 oreilles


Lors de la collecte de l'ALBB, Le Roux relève à Groix et à Quiberon la traduction du singulier 'aile' avec un duel (carte 15). Partout ailleurs, le singulier est traduit sans cette marque du duel.

structure informationnelle

Le duel peut recevoir l'accent de mot, mais il ne semble pas pouvoir recevoir l'accent de phrase de focus. La focalisation requiert l'usage du cardinal 2.


 Goyat (2012:187)
 Lorsque la volonté d’insister sur les deux éléments de la paire se manifeste, 
 on emploie le numéral suivi du nom et non le duel [...].
 
 Exemple :
 [ˌkroɡ a'barz ɡa u 'tow zorn]
 Krog e-barz gand ho taou zorn 
 'Prends-le à deux mains' ou 'Prenez-le à deux mains'


(Gros 1984:183) oppose ainsi:

Kerz da walhi da zaouarn, 'Va te laver les mains.'

et

Kraoñ am-oa bet digantañ leiz ma daou zorn, 'J'avais reçu de lui des noix plein les deux mains.'


locutions

Certaines locutions utilisent le cardinal 2. Il est alors difficile de savoir s'il s'agit de composés ou d'un cardinal morphème libre.

(Favereau 1997:§89):

an daou bried, 'les deux époux'
daou benn ar vazh, 'les deux bouts du bâton'
en daou du d'an hent, 'les bas-côtés de la route'

Les prédicats prenant le duel

Lorsque le duel modifie un prédicat désignant une action, (verbe ou adjectif), le résultat de l'opération sémantique n'est pas une paire d'entités (action actée deux fois), mais:

- une action unique doublée en quantité/intensité.

ou

- une action unique diminuée de moitié en quantité/intensité.


(1) Daou-gementiñ a ran ar gopr.
2-[ autant.V] R fais.1SG le paie
'Je double la paie.' Standard, Kervella (2002:30)
(≠ 'je mesure deux fois la paie' )


(2) N'emañ ket ar hiz da zaoulammad d'ar gêr dioustu evel ma vezer arru.
ne est pas le coutume de 2-sauter à le maison de.suite comme que est arrivé
'Ce n'est pas l'habitude de retourner au galop à la maison aussitôt qu'on est arrivé.' Trégorrois, Gros (1984:52)
(≠ ... de retourner deux fois à la maison/ de faire un aller/retour)


Le cardinal peut avoir trait au résultat ('en deux'):

daoublegañ, 'plier en deux', daouhanteriñ, 'couper en deux', Kervella (1995:879)
daousouket edan hor samm …, 'pliés à demi sous notre charge', Vannetais, Herrieu (1994:78)
daoudortet, daougrommet, 'tellement tordu que plié en deux', An Here (2001:§'daou-')


Le cardinal peut intensifier le prédicat:

daoulamm, 'saut qui compte double', An Here (2001:§'daou-')
Daouiliniñ ne c'hell ket., 'S'agenouiller (des deux genoux), il ne peut pas.', Vannetais, Herrieu (1994:105)


Le statut de duel des prédicats doit être relativisé au vu de (4), qui montre que d'autres numéraux cardinaux peuvent s'incorporer dans les verbes.


(4) Pevarlammat a raen e-giz unan difelc’het.
4.sauter R faisais comme un dératé
'Je galopais comme un dératé.'
Standard, corrigé CAPES 2005. traduction de Hanotte, X. 2000. Derrière la colline, Belfond.

Horizons comparatifs

De nombreuses langues du monde ont, comme le breton, des morphèmes du duel. En français, à part le préfixe bi- qui est plus restreint, le duel est une notion dont on ne peut faire l'économie pour l'interprétation de réciproques singuliers comme l'un l'autre, ou l'une l'autre.

Bibliographie

  • Costaouec, D. XXXX. 'Affixe ou modalité ? Le cas du singulatif et du duel en breton', Actes du Colloque en hommage à B. Vardar, Université d’Istambul.
  • Hemon, R. 2000. Yezhadur istorel ar Brezhoneg/Dictionnaire historique du breton, Hor Yezh. [ ed. 1958 - 1978, Preder, La Baule].
  • Kentel, P. C. 1950. Thèse inédite sur le duel en Breton, Paris, Sorbonne.
  • Kervella, F. 1995 [1947]. Yezhadur bras ar brezhoneg, 1947 édition Skridoù Breizh, La Baule ; 1995 édition Al Liamm.
  • Plourin, J.Y. 1982. Description phonologique et morphologique comparée des parlers bretons de Langonnet (Morbihan) et de Saint-Servais (Côtes-du-Nord), thèse de doctorat, Université de Rennes II. (p.550-551)
  • Trépos, P. 2001 [1968, 1980, 1996], Grammaire bretonne, 1968 edition Simon, Rennes.- 1980 edition Ouest France, Rennes; 1996, 2001 edition Brud Nevez, Brest.

corpus

  • Bodenes, K. 2009. 'Doueez Shiva', Dispriz ouz ar merhed e bed ar brezoneg?, Brud Nevez 273.

horizons comparatifs

  • Blanc H. 1970. 'Dual and pseudo-dual in the Arabic dialects', Language 46-1, 42-57.
  • Fontinot C. 1969. Le duel dans les langues sémitiques, Bibliothèque de Philosophie et Lettres de l’Université de Liège, Paris.
  • Heinecke, J. 2001. 'Is there a category of Dual in Breton or Welsh', Journal of Celtic Linguistics 7:85-101.
  • Tobin Y. 2005. 'Le duel en hébreu : catégorie grammaticale et/ou lexicale?', Faits de langue 26, 129-146.