Déterminants possessifs
Ce qu'on appelle communément des pronoms possessifs en breton n'en sont pas, car ils ne remplacent jamais le nom.
Ce sont en fait des déterminants possessifs, que l'on trouve devant le nom comme les articles.
Les déterminants possessifs apparaissent en breton devant le nom, ou le pronom anaphorique hini / re
- ma hini vras, 'ma grande'
- ma hini, 'la mienne'
- ma merc'h, 'ma fille'
Morphologie
Les déterminants possessifs ne portent pas l'accent et Le Gléau (1973:17) les appelle les 'pronoms simples atones'.
Précédés de la préposition da, les pronoms possessifs s'élident (d'am X, d'az X). Cependant, on trouve aussi des exemples non élidés (cf. ALBB, carte 573: traduction de 'à mon père').
(x) | ur breur da va zad. | ||||||||
un frère à mon2 père | |||||||||
'un frère de mon père.' | Léon, Mellouet & Pennec (2004:79). |
Syntaxe
distribution
Le déterminant possessif est toujours situé directement devant le nom de l'entité possédée.
traits de genre et de nombre
Le déterminant possessif breton s'accorde en genre et en nombre avec les traits du possesseur (contra Hingant 1995:§60).
(1) he bolenn, 'son bol à elle (* à lui)', vs. e volenn, 'son bol à lui (* à elle)'.
horizons comparatifs
C'est le même système que ce que l'on peut observer dans la langue anglaise.
(2) her mug, 'son mug à elle (* à lui)', vs. his mug, 'son mug à lui (* à elle)'.
En contraste, dans le système français, le déterminant possessif s'accorde avec les traits du possédé (3).
(3) sa tasse (elle est à lui ou à elle), son chapeau (il est à lui ou à elle)
inanimé
Il n'y a pas dans le paradigme des déterminants possessifs de pronom marquant l'inanimé. Les inanimés ont les mêmes possesseurs que les animés.
impersonel
Il n'y a pas dans le paradigme des déterminants possessifs de marque de l'impersonnel. Pour co-référer avec un impersonnel, c'est la marque 3SGM ou 2PL qui est choisie (Kervella 1995:§431).
Dans la construction réfléchie en unan, lorsque le pronom est impersonnel, à, l'endroit où apparaît normalement le déterminant possessif, c'est un article défini qui apparaît.
(2) | Goulenn a reer | ouzor an-unan | ha n'eo ket an anv-ze | eun distresadur [...] | ||
demander R fait.IMP | à.IMP le-1 | C ne est pas le nom-ci | un transformation | |||
‘On se demande si ce nom n'est pas une transformation.’ | ||||||
Léonard (Cléder), Seite (1998:88) |
Leclerc (1986:135) souligne quelques tournures qui utilisent un pronom possessif en français mais pas en breton (an nesan pour 'son prochain'). C'est encore l'article défini qui apparaît.
possessif vs. article défini
Contrairement aux structures similaires en français, un déterminant est possessif même lorsque le sujet de la phrase ou l'expérienceur co-réfèrent avec le possesseur.
(1) Droug am eus d'am gar.
- 'J'ai mal à la jambe', Tréguier, Leclerc (1986:135)
(2) Torret ez-peus da har.
- 'Tu t'es cassé la jambe.', Léon, Seite (1975:75)
(3) | Serri a eure | d'ei | he daoulagad. | |||
fermer R fit | à.elle | son 2.oeil | ||||
'Elle lui ferma les yeux.' | Bas-Trégor, Al Lay (1925:13) |
Rarement, le français permet un possessif comme en breton.
(4) Pêr a ra e zod.
- 'Pierre fait le fou.', Tréguier, Leclerc (1986:135)
- 'Pierre fait son fou.'
focalisation
La focalisation d'un déterminant possessif est marquée par la présence d'un pronom écho, ou d'une formule redondante d'attribution avec la préposition da.
(1) | da | di | bras-te | |
2SG1 | maison | grande-2SG | , Standard, Kervella (1995:§432) |
(2) | [ˈʁo mo | me ˈʁasɛl dɪɲ, | ˈneːb dɪɲ]. | |||
Roet em boa | ma rastell din, | enep din. | ||||
donné R.1SG avait | mon rateau à.moi | contre à.moi | ||||
'J’avais donné mon râteau à moi, malgré moi.' | ||||||
Laz, Cheveau & Kersulec (2012-évolutif:Laz,'enep din') |
en composé
dans le réfléchi
Le déterminant possessif apparaît à l'intérieur du composé formant le réflexif.
On le trouve aussi dans différents composés, tel qu'en (2) et (3), ou dans des prépositions fléchies complexes.
(2) | o-unan-penn | e oant | chomet eno. | |
leur-1-tête | R étaient | resté y | Standard, Kervella (1995:§436) | |
'Ils/elles y étaient resté.e.s seul.e.s.' |
(3) | hag int o-daou | d'en herzel | ag er Baradoez. | |||
et eux leur-deux | de le chasser | de le paradis | ||||
'... et ils le chassent (Mathurin) hors du paradis.' | ||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:175) |
expressions
Des expressions où le possessif n'apparaît pas en français ont usage d'un possessif en breton (voir Le Dû 2012:49 pour des exemples en trégorrois de Plougrescant).
- bezañ en e sav, 'être debout'; bezañ en e gourvez, 'être couché'; bezañ en e gluch, 'être accroupi'; etc.
Dans ces expressions, le possessif coréfère obligatoirement avec le sujet de la phrase.
analyse
Selon Hendrick (1990:124), le possessif est un morphème d'accord avec le pronom possesseur vide, sur le modèle de l'état construit.
(1) | ti | Yann | ||||
e | di | <pronom videYann> | ||||
son1 | maison | <pronom videYann> | ||||
'la maison de Yann, sa maison', | Standard |
Sémantique
Le déterminant possessif de première et seconde personne est un déictique. Il peut référer au locuteur ou à l'interlocuteur, auquel cas il trouve son référent directement dans le contexte d'énonciation.
Dans le cas des possessifs de troisième personne, le déterminant possessif est une anaphore qui co-réfère avec un antécédent.
En (1), le déterminant possessif est lié par un quantifieur. Sa référence est donc une variable (ci-dessous, pour chaque valeur de pep hini, le déterminant possessif prend cette même valeur).
(1) | Pep | hini | e-neus | e | si. | ||||||
chaque | N | 3SGM a | son | défaut | trégorrois, (Gros 1984:219) | ||||||
'à chacun son défaut.' |
possession inaliénable
Le déterminant possessif apparaît dans les cas de possession inaliénable, là où le français utiliserait un article défini (Yann lave la tête à Pierre).
(1) | Yann | a walc’h | e benn | da Bier. | |||
Yann | R1 lave | son1 tête | à1 Pierre | ||||
littéralement 'Yann lave sa tête à Pierre.' | Haut-vannetais, Louis (2015:50) |
possessif sans possession
La sémantique de la possession n'est pas en jeu dans les tournures suivantes, parallèles au français faire son malin, jouer sa princesse:
(1) | Ne ra ket biskoaz | e vestr-kelenner | dirag an dud... | |||
ne fait pas jamais | son1 maitre-enseignant | devant le gens | ||||
'Il ne fait jamais son professeur devant les gens.' | Léon, Miossec (1980:69) |
(2) breman eh-in... da hoary ma serpand, (XVIII°,EN.:1401)
(3) ha me araok da c'hoari ma faotr, (XIX°, SVE.:RC3:212)
(4) mar grit ho tanvad e viot touzet, (XIX°, SVE.:RC2:366)
Paradigme interdialectes
L'ALBB fournit de nombreuses indications de la variation de réalisation des déterminants possessifs selon les dialectes.
1SG: carte 172: 'ma main' carte 572: 'mon père' carte 573: 'à mon père' carte 41: 'mon frère' 2SG: carte 173: 'dans ta main' (avec des fluctuations de vouvoiements) carte 219: 'tes chèvres' (avec des fluctuations de vouvoiements) 3SG: carte 174: 'sa main (à lui, à elle)' carte 324: 'le sien (à lui)', 'le sien (à elle)' 1PL: carte 325: 'le nôtre' carte 584: 'notre maison' 2PL carte 325: 'le vôtre' (voir aussi les vouvoiements de 2SG) 3PL carte 325: 'le leur' carte 175: 'leurs mains'
Dans le tableau ci-dessous sont rassemblées indifféremment toutes les formes possibles à travers les dialectes.
Lorsque la mutation associée à un possessif a été vérifiée, elle apparaît en exposant. Lorsque la mutation déclenchée n'a pas encore été vérifiée, il n'apparaît pas d'exposant (cela ne signifie pas qu'il n'y a aucune mutation associée).
(1) | 1SG | ma2 / va2 / vè2 / mè2 / mèn |
2SG | da1 / ha / te / ta | |
3SGM | e1 , hen, her, hel | |
3SGF | he2, hec'h+V | |
1PL | neu / hom / hon, hol, hor5, /oñm2 | |
2PL | ho3, hoc'h+V, hos | |
3PL | o2 |
homophonie?
Les possessifs 3SG sont marqués pour le genre, mais ils se prononcent parfois pareils. Cependant, la marque de genre est décelable dans :
- (i) la mutation particulière provoquée sur le mot qui suit
- la lénition notée '1', vs. la spirantisation notée '2'
La marque de nombre entre 2PL et 3PL est, elle, décelable avec le même sandhi, ou bien par la différence entre la mutation durcissante notée '3' et la spirantisation, notée '2'.
paradigmes dialectaux
hon / hol / hor , marqueur dialectal
Comme dans le système phonologique des articles, la consonne finale de hon, 'notre, nos' peut varier selon la consonne initiale du mot qui suit. L'Académie bretonne (1922:150) considère que l'alternance n, l, r n'est pas faite en trégorrois mais est obligatoire en Léon. Cette alternance est aussi documentée en vannetais. L'Académie bretonne (1922:150) considère que la forme hon sans alternance est la plus ancienne. On la trouve cependant de nos jours dans les dialectes centraux les plus novateurs.
Léon
(2) | 1SG | va |
2SG | da1 | |
3SGM | e1 | |
3SGF | he2 | |
1PL | hon, hol, hor5 | |
2PL | ho3 | |
3PL | o2 |
(1) An amzer eo ar mone a dalv da brenan hon c’hador hag hon c’hurunen er baradoz.
- 'Le temps est la monnaie qui permet de payer notre place et notre auréole a paradis.', Perrot (1912:855), texte
Goëlo
En Goëlo, les possessifs déclenchent des mutations sensiblement différentes du standard (Koadig (2010:43).
- La mutation spirante P>F déclenchée par le possessif 1SG est voisée (P>V).
- La mutation D>Z (lénition) ne se fait pas après un possessif 2SG.
- Le possessif 1PL oñm déclenche la mutation réduite K > C'H, comme en Léon ou en standard, mais aussi la mutation spirante.
(2) | më vènn, | dë dowlin, | i dowlin | Goëlo | ||
ma fènn, | da zaoulin, | e zaoulin | Standard | |||
POSS.1SG tête | POSS.2SG 2.genou | POSS.3SG 2.genou | ||||
'ma tête, tes genoux, ses genoux (à lui).' | Goëlo, Koadig (2010:43) |
(3) | oñm zadou, | oñm varkou, | oñm c'hadoar | Goëlo | ||
hon tadou, | hor parkou, | hor c'hador | Standard | |||
POSS.1PL2 pères | POSS.1PL2 champs | POSS.1PL2 chaise | ||||
'nos pères, nos champs, notre chaise.' | Goëlo, Koadig (2010:43) |
Trégor
En trégorrois, Le Dû (2012:47) signale pour le dialecte de Tréguier une mutation par spirantisation sur la 1PL ('notre, nos').
(1) | 1SG | me2 | |
2SG | de1 | ||
3SGM | i1 | ||
3SGF | i2 | ||
1PL | õm2 | ||
2PL | ó3 | ||
3PL | ó2 | Trégorrois (Plougrescant), Le Dû (2012:47) |
On relève aussi des formes en va au 1SG.
(3) | Ma ne vefe ket bet | va breur, | em befe faoutet | ho kokenn | deoc'h ho-taou. |
si ne serait pas été | mon frère | R.1SG aurait fendu | votre cafetière | à.vous votre-2 | |
'Si ce n'avait pas été mon frère, je vous aurais fendu la cafetière à tous deux.' | |||||
Trégorrois (Kaouenneg)/Standard, ar Barzhig (1976:48) |
(4) | Mar deus ul loen | ganin karet | me lavar eo sur | va c'hazeg | |
si y.a un animal | avec.moi aimé | moi dis est surement | mon2 cheval | ||
'S'il y a un animal que j'aime, c'est surement mon cheval' | |||||
Trégorrois, Duval (1982:51), cité dans Press (1986:258) |
Haut-cornouaillais
Le possessif hon n'est pas employé en haut-cornouaillais, qui utilise la forme analytique (Bouzeg 1986:30).
(1) an ti-ni
(2) | Chi cher-ni | 'n eus | taget | chi chemener bras | chiou. | |
chien village-nous | a | attaqué | chien tailleur grand | aujourd'hui | ||
'Le chien de notre village a étranglé le chien du grand tailleur aujourd'hui.' | ||||||
Bannalec, Haute-cornouaille intérieure, Martin (1929:182) |
(3) | Hag | e lar-eoñ | eo bet diaouled | ar vugale dom-ni. | ||
et | R4 dit-3SG | est été diables | le enfants à.nous.nous | |||
'Et il dit que nos enfants ont été des diables' | Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016b) |
(4) | war | ar c'hon | dom-ni | (war hor c'hont identifié comme breton standard) | |
sur | le compte | à.nous.nous | |||
'sur notre compte...' | Scaër/Bannalec, H. Gaudart (04/2016b) |
Le reste du paradigme est standard.
Bigouden
Le déterminant possessif 2PL est réalisé [u] à Plozévet.
(3) | /'tɛna divar u 'kọf | vi ˌlaka var u 'kɛjn/ | |||||
Tenna diwar ho kov | evid lakad war ho kein. | ||||||
prendre de votre3 ventre | pour mettre sur votre3 dos | ||||||
'Déshabiller Pierre pour habiller Paul.' | Plozévet, Goyat (2012:275) |
Vannetais
(1) | 1SG | ma2, man, mam, mem |
2SG | da1 / ha / te, ta | |
3SGM | e1 , hen, her, hel | |
3SGF | he2 | |
1PL | neu / hom / hon, hol, hor5 | |
2PL | ho3, hoc'hV, hou, hos | |
3PL | o2 |
(1) | mam | boufam ha me | |||||
mon | femme et moi | ||||||
'ma femme et moi.' | Vannetais, Ar Meliner (2009:178) |
(2) | 'Dait Marivonn, | dait du-mañ, | pandeogwir | n'am doug ket mui | man divhar | betagoc'h-c'hwi.' | ||
Venez Maryvonne, | venez P-ici, | puisque | ne me porte pas plus | mon 2.jambe | jusqu'à.vous-vous | |||
'Viens Maryvonne, viens ici puisque mes jambes ne me portent plus jusqu'à toi.' | ||||||||
Vannetais, Ar Meliner (2009:113) |
(3) | Me zo bet | ouezan ket 'ta marse... | marse | me | teir gwezh | ||
moi est été | sais pas donc peut-être | peut-être | moi | 3 fois | |||
ged man den | é weled er Point du jour ase... | ||||||
avec mon homme | ptc voir dans.le (nom de café) là | ||||||
'Moi, je suis peut-être allée trois fois avec mon mari les voir au "Point du jour" ici...' | |||||||
Vannetais (Arradon), Audic (2011:15) |
(4) | me zou | milén | mem bléu. | |||||
moi est | jaune | ma chevelure | ||||||
'J'ai les cheveux blonds'. | ||||||||
Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:138) |
(5) | Chetu petra | en des | laret hou mam. | |||||||
voici quoi | 3SG.M a | dit votre mère | ||||||||
'Voici ce qu'a dit votre mère.' | Vannetais, Guillevic & Le Goff (1986:90) |
Les formes ta et hos sont signalées dans Pennaod (1969:32).
Proclitiques objets?
Les déterminants possessifs et les pronoms objets proclitiques sont souvent dits semblables (cf. Le Roux 1957:44, Kervella 1995:§430).
Il existe en fait des différences syntaxiques entre les deux paradigmes.
Horizons comparatifs
Les déterminants possessifs bretons ressemblent beaucoup à ceux de l'anglais. Si on met de côté l'accord avec le possesseur, ils ressemblent aussi beaucoup à ceux du français.
D'autres stratégies existent à travers les langues du monde. Dans l'exemple de Dholuo en (1), le possessif est cliticisé sur la tête nominale.
(1) | Pamba | ohero | guoge | |||||||
Pamba | aime | chien.POSS.3SG | ||||||||
'Pamba aime son chien.' | Dholuo, Cable (2010:8) |
Terminologie
C'est sous le terme de 'pronoms possessifs' qu'ils sont référencés dans Trépos (2001:§220).
On les trouve sous le terme 'd'adjectifs possessifs' dans Hingant (1995:§60), Favereau (1997:§249) ou Chalm (2008) (anv-gwan perc'hennañ).
En breton, Kervella (1947) utilise le terme raganv perc'hennañ.
Bibliographie
- Cable Seth, 2010. 'The Optionality of EPP in Dholuo', lingBuzz/001091.