Créoles et pidgins

De Arbres

Un pidgin est une forme langagière, mélange de plusieurs langues en contact sous une forme très appauvrie.

Un créole est une langue naturelle, avec une grammaire complexe comme toutes les langues humaines (naturelles, ce qui exclut les langues informatiques). La spécificité d'une langue créole tient dans le fait qu'une part importante de son lexique a été importé d'une ou plusieurs langues. Comme elle nait historiquement d'un pidgin, sa grammaire est aussi spécifique.


Les pidgins naissent lorsque des populations adultes sont en situation sociale d'échanges prolongés sans avoir accès à une langue commune, sans qu'une des deux populations acquière le système linguistique de l'autre. C'est le cas dans les situations de mise en esclavage d'une population, mais aussi de commerce prolongé. De même, lorsqu'un enfant sourd est isolé dans une famille entendante non-signante, un ensemble de signes conventionnalisés émerge (home signs) qui montrent les propriétés d'un pidgin. Ces systèmes n'ont pas la complexité d'une langue humaine naturelle, et sur-utilisent certaines formes comme l'impératif. Typiquement, on n'y trouve pas d'enchâssement (la table dont j'avais réparé le pied), la morphologie dérivationnelle y est réduite ou inexistante, et il n'existe pas de terme spécifiques qui n'apparaîtraient que sous la portée de la négation (cf. les items de polarité négative comme le moindre, an disterrañ). La structure de la syllabe est aussi simplifiée à la coda, et l'inventaire des voyelles réduit.


Les créoles naissent historiquement des pidgins. Dès qu'une génération d'enfants est en contact avec le système appauvri d'un pidgin, elle crée de la complexité linguistique et une langue montrant les propriétés des langues humaines naturelles apparaît. Socialement, c'est le cas dans les lieux où des populations ont été maintenues en esclavage pendant plusieurs générations, ou quand des enfants sourds sont regroupés par scolarisation précoce et créent entre eux des langues signées. C'est la plasticité linguistique des enfants humains qui est responsable de l'apparition de langues humaines (on peut penser aux langues qui émergent entre jumeaux). Les adultes n'ont qu'exceptionnellement un plein accès à cette créativité linguistique. Un créole partage, au départ de son histoire, certaines des propriétés de son pidgin d'origine, comme l'évitement de la morphologie dérivationnelle (verbes conjugués sur le verbe, pluriels internes sur les noms, etc.). Le temps et l'aspect verbal tendent ainsi à apparaître sur un morphème dédié (TAM; Tense & Aspect marker), et non sur la racine verbale. Cependant, comme toute langue humaine, ce créole peut voir ensuite ses formes changer au fil de son histoire.


Se demander si le français de Basse-Bretagne est un créole entre le français et le breton revient donc à se demander s'il a, à sa genèse, un pidgin. Il ne fait pas de doute que des pidgins locaux ont émergé partout en Basse-Bretagne lors des premiers contacts entre non-brittophones et non-francophones, et chaque été entre enfants lorsque des "petits parisiens" non-brittophones venaient chez les grands-parents. Mais ce fait doit être compris dans son contexte qui est une longue histoire bilingue du pays, qui montre certains noms de lieux francisés depuis le XII°, et un système scolaire des plus volontaristes pour que le français soit la langue d'échange exclusive. L'histoire du français de Basse-Bretagne le fait plus ressembler à des langues comme le français ou l'anglais, qui sont le fruit d'influences linguistiques diverses et massives, du domaine germanique par le franconien, roman par le latin vulgaire, et celtique par le gaulois pour le français.

 Denez (1972:142):
 "Le parler de Douarnenez  diffère […] des parlers avoisinants. Il y a surtout quelque chose qui lui est particulier :  alors que le breton des campagnes a été fort peu influencé par le français avant 1914, alors que les gens qui parlaient breton dans les campagnes avaient eu fort peu de contact avec le français avant 1914 (pratiquement le service militaire obligatoire  n'existe que depuis le début du siècle), il n'en était pas de même pour les marins qui depuis Colbert sont inscrits maritimes  et astreints au service. Les pêcheurs de Douarnenez ont eu un contact extrêmement long avec le français et, qui plus est, un contact portant sur le vocabulaire même de leur profession. 
 C'est d'ailleurs peut-être à cela soit dit en passant que l'on doit l'existence à Douarnenez d'un parler curieux qui devrait  être l'objet d'une étude : ce que l'on appelle le français douarneniste. Ce n'est pas du tout cette forme évanescente qui dure une génération ou deux, et qui existe toujours lorsque l'on passe d'une langue à une autre. [en 1972,] Le français douarneniste est parfaitement établi."


Bibliographie

  • Michaelis, Susanne Maria & Maurer, Philippe & Haspelmath, Martin & Huber, Magnus (éds.) 2013. Atlas of Pidgin and Creole Language Structures Online, Leipzig: Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology.,(consultable en ligne à http://apics-online.info [accédé le 2013-11-13])