Construction du faux sujet

De Arbres

La structure du faux sujet est une structure qui débute par un groupe nominal qui ressemble au sujet mais n'est pas le sujet de la phrase.

Cette structure est caractérisée formellement par un syntagme nominal 'pivot' en zone préverbale qui co-réfère avec un élément pronominal dans le reste de la phrase.


(1) Hamon a oa sant Alar gant war ar c'hleuz en noz (...)
Hamon R était saint Alar avec.lui sur le talus dans.le nuit
'Hamon était sur le talus la nuit avec Saint Eloi à ses côtés.' Léon (Laneviec), Mellouet & Pennec (2004:57).


(2) Te a zo bet re hir da fri, dalc’hmat.
toi R est été trop long ton nez toujours
'Tu as toujours été trop curieux.' Standard, Drezen (1990:75)


Propriétés syntaxiques

La construction dite du faux sujet supporte aisément la mise au passif.


(2) Honnez n'eo ket roet he zeod dezi da lipad mogeriou.
celle.ci ne'est pas donné son langue à.elle pour lécher murs
'Sa langue ne lui a pas été donnée pour lécher les murs (mais bien pour bavarder).' Trégorrois, Gros, (1984:152)


le syntagme pivot

Le syntagme pivot est toujours au cas direct. Il peut être modifié.


(3) Al labourer douar, a-benn ma vez hanter-kant vloaz, a vez friket e gorf gand al labour.
le travailleur terre, quand que est moitié-cent année R est brisé son corps avec le travail
'Le cultivateur, quand il arrive à cinquante ans, a le corps brisé par le travail.'
Trégorrois, Gros (1984:53).


Le 'pivot' peut être un quantifieur (4a,b).


(4)a. da Sadorn, poent lein maread zo echu o sizhun ganto
à samedi temps déjeuner beaucoup (R) est fini leur semaine avec.eux
'Le samedi, à midi, beaucoup ont fini leur semaine.' Léon, Mellouet & Pennec (2004:182).


(4)b. Holl e oa buket o daoulagad ouzh Yann [...].
tous R était pointé leur yeux sur Yann
'Le regard de tous était pointé sur Yann [...].' Standard, Dupuy (2007:32).


Le 'pivot' peut être relativement haut dans la zone préverbale. En (10), le pivot est séparé du rannig par une proposition circonstancielle.


(10) Me, [ evel m'am bez evet un dakenn win ], e lamm ar gwad dioustu em fenn.
Moi, comme C R.1SG ai bu un goutte vin, R saute le sang tout.de.suite dans.mon tête
'Moi, dès que je bois une goutte de vin, le sang me saute tout de suite à la tête.'
Trégorrois, Gros (1984:55).


Le pivot est souvent préverbal, mais peut aussi être postverbal.


(5) Mar deus tud hag a zo inouus, [...], ez eus lod all
si y.a gens que R est ennuyeux R y.a partie autre
eur blijadur tremen ganto eun eur pe ziou.
un plaisir passer avec.eux un heure ou deux
'S'il y a des gens qui sont ennuyeux, il y en a d'autres avec qui c'est un plaisir que de passer une heure ou deux.'
Abeozen (1943:110).

le pronom co-référent

nature

Le pronom co-référent peut être un déterminant possessif, un pronom objet ou le pronom objet incorporé d'une préposition.


(5) Honnezh a zo vif an dro anezhi.
celle.là R est vif le tour P.elle
'Elle a la riposte prompte.'
Trégorrois, Gros (Gros (1970:'tro'.6)


(6) Ar roué a deue mall d’ezan da sklerijenna e letern ha da ziskouez e c’hoant.
le roi R venait impatience à.lui de éclairer son lanterne et de montrer son envie
'Le roi piaffait d'éclairer sa lanterne et d'exprimer son désir.'
Krog (1924), cité dans Ar C’hog (1983:10)


Le pronom co-référent peut être un pronom vide exactement dans les mêmes restrictions qu'ailleurs dans la langue. Dans le cas des prépositions de type e-barzh, 'dedans', le pronom anaphorique peut ne pas être prononcé (7).


(7) Plad Sant Alar, e poent ma veze bouchoù bihan hennezh, a veze traoù e-barzh _
plat Saint Eloi P moment que était poulains petit celui.ci, R était choses dedans
'A l'époque des poulains, le plat de saint Eloi, il était bien garni.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:58).


Les pronoms objets peuvent aussi n'être pas prononcés. Urien (1989:211) propose (8) comme un exemple d'objet vide en construction du faux sujet. Cependant, cet exemple pourrait aussi être un cas de mouvement de l'objet.


(8) Evit ar re-mañ a rankomp da gas d'ar bed all.
pour le ceux-ci R devons de1 envoyer ø à le monde autre
'Puisque nous devons envoyer ceux-ci dans l'autre monde.'
breton du Léon, Inizan (1977:205) EMG., cité dans Urien (1989:211)


Le pronom co-référent peut aussi être le pronom vide PRO sujet d'une infinitive, comme dans la causative en (9).


(9) Eur brezoneg hag a vije dipituz [ lezel [ _ da vond [ da hesk ]]].
un bretonx que R serait dommage laisser PROx à aller à tari
'Un breton qu’il serait dommage de laisser tarir.' Naig Rozmor, introduction de Ar Vastardez, par Lagadec


Pour Urien (1989:211), le pronom co-référent peut aussi être un pronom sujet incorporé à l'accord verbal. Cependant, cette hypothèse est fragilisée par le fait qu'il faille alors que le pivot soit très éloigné du pronom co-référent. S'il s'agit ici, comme c'est probable, d'un fait de résomption, alors la construction du faux sujet ne peut pas utiliser de pronom sujet comme pronom co-référent.


(10) Toud ar rehier ... a lavarfed ez int bet savet gwechall...
tous le rochers ... R dirait.IMP R sont été dressés autrefois
'Tous les rochers ... on dirait qu'il sont été dressés autrefois.'
breton Leon, Miossec (1978:55), cité dans Urien (1989:211)


L'élément co-référent doit absolument être de type pronominal. Comme le note Urien (1989:211), l'élément coréférent ne peut jamais être ni un déterminant, ni un démonstratif (ar plac'h-se, houmañ).

distribution

Un seul syntagme nominal 'faux sujet' peut coréférer avec plusieurs pronoms.


(1) Youenn, ma ne oa ket pounner samm ar bloavezhiou war e chouk,
Youenn C ne était pas lourd poids le années sur son cou/dos
na pounner bec’h ar rebechou war e goustians,
ni lourd charge le reproches sur son conscience
ne oa ket kennebeut kalz pounneroc’h pouez an aour en e yalc’h louedet.
ne était pas non.plus beaucoup plus.lourd poids le or dans son bourse grise
'Le dos de Youenn n'était pas écrasé sous le poids des années, ni sa conscience sous le poids des reproches, ni non plus beaucoup sa bourse grise sous le poids de l'or.'
Crocq (1924), cité dans Ar C’hog (1983:10)


Le pronom anaphorique peut être situé au loin, enfoncé dans deux niveaux d'enchâssement comme en (2).


(2) Emaoc'h o tanzen sammañ war ho chouk ur bec'h [ CP a c'hallfe bezañ [ CP ne vefec'h ket evit]].
êtes.vous P préparer charger sur votre cou un charge R pourrait être ne seriez pas P.lui
'Vous vous préparez à vous mettre sur le dos une charge qu'il se peut que vous ne puissiez pas assumer.'
Standard, Dupuy (2007:23).


La construction du faux-sujet est compatible avec la dislocation à gauche.


(3) Mex, [ max daoulagad ] y am-eus poan enno y.
moi mon 2-œil R.1SG a mal dans.eux
'Moi, j'ai mal aux yeux.' Trégorrois, (Gros 1984:137)


(4) An dostenn-zex, honnezx a zo peg hex hrohenn ouz hex hein.
le avare- celle.là R est collé son peau à son dos
'Cette avare-là, celle-là a la peau collée au dos.' Trégorrois, (Gros 1984:137)

Structure informationnelle

Selon Ar Merser (2009:546), le sujet préverbal est, dans ces constructions, "mis en relief".

Les constructions du faux sujet peuvent cependant se trouver dans des phrases à la structure informationnelle plate: en (3), toute l'information est nouvelle.


(3) [CONTEXTE: A: - "Amañ er vro e oa sañset unan hag a lakae muioc'h a ludu evit ar re all..."
Ici, dans le coin, il y avait un gars, je crois, qui mettait plus d'engrais que les autres...]
B: - Un tiegezh a oa cheñchet tud e-barzh _ ...
un maisonnée R était changé gens dedans
'Une ferme avait changé de locataire.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:92).


expressions idiomatiques

La construction du faux sujet est communément utilisée dans les expressions idiomatiques:


(4) Honnez a zo peg ar hrohen ouz he hein.
celle.ci R est collé le peau P son dos
litt. 'Elle a la peau collée au dos.' > 'Elle est avare.'
Le Berre & Le Dû (1999:55)


(5) Homañ a zo dir war he bizaj.
celle.là R est acier sur son2 visage
litt. 'Elle a de l'acier sur le visage.' > 'Elle est effrontée, elle a toute les audaces.'
Le Berre & Le Dû (1999:56)

Variation dialectale

La construction du faux sujet est représentée dans tous les dialectes. Voir, entre autres, Guillevic & Le Goff (1986:138) en vannetais, Leclerc (1986:63,fn1) en trégorrois, Fave (1998:48-52) en Léonard.

  • Ma zud a zo noz a pa zegouezhont.
'Il fait nuit quand mes hommes arrivent.', Vannetais, Herrieu (1974:112)


Cependant, les dialectes (et les auteurs!) varient dans leur utilisation de cette structure, ainsi que dans le rannig qui y est utilisé.


rannig utilisé

Selon Fave (1998:51), le rannig a1 est toujours utilisé dans la construction du faux sujet en Léon, sauf pour les deux premières personnes des verbes beza, 'être', et mont, 'aller'.

En bas-vannetais, c'est le rannig a1 qui est utilisé (sous sa forme /ǝ/1).


(1) [ ənani zi fɛrm jəst etaldaɲ ]
an hini zo e ferm just etaldin
le celui R est son ferme juste à.face.à.moi
'Celui dont la ferme est juste à côté de moi.'
Bas-vannetais (Kistinid), Nicolas (2005:106)


Fave (1998) signale des constructions du faux sujet avec eo, donc plausiblement le rannig e4 en Trégor. Pour le trégorrois Le Roux (1957), il y a alternance:


 «SO est la forme est la forme relative employée quand le sujet précède… 
 Parfois par une sorte d’attraction cette forme est employée dans les cas 
 où on attendrait EZ EO, comme si le mot qui précède était sujet». 


On trouve aussi des constructions du faux sujet avec eo ou ez eus dans Drezen (langue standard).


(1) Te a zo re domm da vro.
toi est trop chaud ton pays
'Ton pays est trop chaud.'
Standard, Drezen (1932:6)

Mais:

(2) Va bro-me eo ho Kastilha Gozh ur gouelec’h krin ha kras en he c’heñver.
mon pays-moi est votre Castille Vieille un désert aride et desséché à son encontre
'Mon pays à moi, votre Vieille Castille est un désert aride et desséché à côté.'
Standard, Drezen (1990:30)


(3) E c’hourlanchenn ez eus ur vouilhenn enni.
son gosier R y.a un bourbier dans.elle
'Il a un bourbier dans le gosier.' Standard, Drezen (1990:68)


Le cornouaillais Trépos note une alternance des rannigs dans la construction du faux sujet.

 Trépos (2001:§427)
 «Dans certaines phrases commençant par un nom ou un pronom auquel se rapporte 
 une préposition conjuguée, la particule verbale e est souvent remplacée par la 
 particule verbale a. Ce sont les phrases à double sujet».

restriction de personne en vannetais

En vannetais, la construction du faux sujet est restreinte à la troisième personne.

 Guillevic & Le Goff (1986:138) : "Dans le dialecte de Vannes, on évite de commencer 
 cette forme de phrase par un pronom personnel et de dire, par exemple: 
 
 me zou milén mem bléu /1SG est jaune mon chevelure/, 'J'ai les cheveux blonds'
 hui e zou mal d'oh monet, /2PL R est urgent à.vous aller/, 'Vous avez hâte d'y aller'
 
 Cette restriction est d'ailleurs difficile à justifier."

Terminologie

Cette structure est connue sous différents noms. Leclerc (1986:63,fn1) l'appelle un 'complément anticipé'. Urien (1989) l'appelle la 'relation médiate'. Pour Fave (1998:48-52), c'est un 'complément redoublé' (en breton, renadenn adveneget). Gros (1984:136) appelle ces structures anaphores.

Aucune de ces propositions ne distingue ces structures d'avec les dislocations à gauche.


Pour Favereau (1997:§587), ce sont des structures "intégrées".

Pour Trépos (2001:§427, §576, etc.) et pour Ar Merser (2009:546), ce sont des phrases 'à double sujet'.

Jouitteau (2005/2010) et Rezac (2009) appellent cette structure la 'construction du faux sujet' (en anglais, wrong subject construction).

Bibliographie

Description de la variation dialectale

  • German, G. 2007. 'Language Shift, Diglossia and Dialectal Variation in Western Brittany:the Case of Southern Cornouaille', The Celtic languages in contact : Papers from the workshop within the framework of the XIII International Congress of Celtic Studies, Bonn, July 2007, Hildegard L. C. Tristram (ed.), Postdam. pdf.
  • Leclerc, Louis. 1986 [1906, 1911], Grammaire Bretonne du dialecte de Tréguier, 3ième édition, Ar Skol Vrezhoneg, Emgleo Breiz (précédentes Saint-Brieuc: Prud'homme).

Ouvrages théoriques

  • Jouitteau, M. 2005/2010. La syntaxe comparée du Breton, , éditions universitaires européennes, ISBN 978-613-1-52800-2. manuscrit en pdf ici ou ici.
  • Rezac, M. 2013. 'The Breton double subject construction', Ali Tifrit (éd.), Phonologie, Morphologie, Syntaxe Mélanges offerts à Jean-Pierre Angoujard, PUR, 355-379. - version 2009 avant édition: pdf
  • Rezac, M. 2011. Rezac, M. 2011. ‘Building and interpreting a nonthematic A-position: A-resumption in English and Breton’, Alain Rouveret (ed.), Resumptive pronouns at the interfaces, Language faculty and beyond, Benjamins. 241-286. (pdf de la version 2008)
  • Urien, J-Y. 1989a. La trame d'une langue, le Breton: Présentation d'une théorie de la syntaxe et application, Lesneven: Mouladurioù Hor Yezh.
  • Urien, J-Y. 1989b. 'Le verbe "bezañ" et la relation médiate', Klask 1: 101-128.

corpus

  • Abeozen 1943. Hervelina Geraouell, éditions de Bretagne : Skridou Breiz - Brest, [édition 1988 Mouladuriou Hor yezh - Lesneven]
  • Miossec, Y. 1978. Eur veaj e Stadou-Unanet an Amerik, Studi 9, CRDP de Rennes & section de Celtique de l'UBO de Brest.

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