Changement de code
Le changement de code, ou alternance codique ou encore en anglais code-switching, désigne le passage de la structure syntaxique d'une langue à une autre. Le changement de code peut s'opérer phrase à phrase dans le discours, ou bien au cœur même de la phrase.
(1) | Ah ! Ya vat... | Moa, je vais | kousked dous... | ||
ah oui donc | moi je vais | dormir bien | |||
'Ah ça pour sur... Moi je vais bien dormir...' | Bilingue cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:14) |
Un mot isolé portant les traits d'une autre langue en contact n'est pas forcément un élément de changement de code, car il peut s'agir d'un emprunt.
Importation de blocs syntaxiques
Un changement de code procède par importation de blocs syntaxiques entiers construits dans le module syntaxique une autre langue. A l'intérieur de ce bloc, ce sont les règles de la langue exogène qui jouent.
règles de la langue accueillie
verbe et sa morphologie
En (1), le verbe discuter n'est pas un emprunt, car il serait alors apparu avec un suffixe verbal de l'infinitif propre à la dérivation morphologique bretonne la terminaison en é montre que le verbe en entier a été importé du français.
(1) | [ me gaʁ | diskyte | gã odil ] | La Forêt-Fouesnant, Avezard-Roger (2004a:457) | ||
Me 'gar | discuter | gant Odile. | ||||
moi 1aime | avec Odile | |||||
'J'aime discuter avec Odile.' |
groupe nominal
En (2), les mots français qui apparaissent dans la phrase bretonne marquent plus qu'un emprunt lexical, car c'est tout un bloc syntaxique de groupe nominal du français (une pèlerine) qui a été importé tel quel dans la phrase d'une autre langue. En contraste, le nom mouchouer, emprunt manifeste au français mouchoir, est un mot de ce dialecte du breton. Il réfère à un châle.
(2) | Hag houmañ | c'hwi wel | a neus | "une pèlerine" met | ar re-mañ | neus | tout mouchouiroù. |
et celle.ci | vous voit | R a | "une pélerine" mais | le ceux-ci | a | tout mouchoirs | |
'Et celle-ci, vous voyez, porte la pèlerine mais toutes les autres portent des "mouchoirs" [châles].' | |||||||
Douarneneniste, Denez (1984:73) |
Un exemple similaire est donné en (2) en gallois, avec des imports de langue anglaise.
(2) | Gallan nhw ddod | in touch efo ni | yn yr Employment Office. | ||
can.PRES.3P PRON.3P come | in touch with PRON.2P | in DET Employment Office | |||
'They can get in touch with us in the Employment Office.' | Thomas (1982), cité dans Deuchar (2006:1990) | ||||
'Ils peuvent nous contacter au bureau pour l'emploi.' |
résistance aux règles de la langue d'accueil
En (3), si le mot coloniale était un emprunt lexical intégré dans la langue bretonne, son initiale /k/ aurait subi, après le déterminant, une mutation consonantique. L'absence de mutation est la marque du changement de code.
(3) | Setu arre | lamet genomp | ar re yaouankañ ac’hanomp | evit o lakaat | er coloniale. | ||
voici encore | enlevé avec.nous | le ceux jeune.le.plus de.nous | pour les mettre | dans.le coloniale | |||
'Voici qu'on nous enlève encore les plus jeunes d'entre nous pour les mettre dans la coloniale.' | Vannetais, Herrieu (1994:154) |
Source de déclenchement
La motivation pour le changement de code peut être d'ordre social ou linguistique, mais aussi émotionnel (Chen, Zhou & Kennedy 2012).
(1) | Klevet 'm-eus parlant | int deuet | tout-à-fait modern. | |||
entendu '1SG-ai parole | sont venus | tout-à-fait moderne | ||||
'J'ai entendu qu'ils sont devenus tout-à-fait modernes.' | Ouessant, Gouedic (1982) |
Acquisition
Les productions d'enfants bilingues sont prototypiques du code-switching. Stephens (2000:142) considère que le type de code-switching qu'elle relève en corpus spontané d'enfants de maternelle Diwan "apparaît comme une stratégie de compensation dont l'enfant use quand il est en difficulté plutôt que le code-switching socialement motivé des bilingues surs d'eux."
(1) | Ha | meus | trempet | dans | ma chokolad. | ||
et | ai | trempé | dans | mon2 chocolat | |||
'Et j'ai trempé dans mon chocolat.', | production enfantine (5 ans 4 mois), Stephens (2000:140) |
Terminologie
En anglais, le terme est code-switching. Ce terme est souvent importé tel quel en français, un usage qui illustre parfaitement le sens de ce mot... jusqu'à ce qu'il devienne un emprunt. En français, on trouve les termes d'alternance codique et de changement de code.
Bibliographie
- Timm, Lenora. 1994. 'The limits of code-switching constraints, with some evidence from Breton/French switching', Journal of Celtic Linguistics, 3:95-134.
- Stephens, J. 2000. 'The development of grammatical structures in the Breton of nursery school children', Ikastaria 12, 123-142, pdf.
théorie et horizons comparatifs
- Stephen Chen, Qing Zhou & Morgan Kennedy. 2012. 'Parents Expression and Discussion of Emotion in the Multilingual Family: Does Language Matter?', Perspectives on Psychological Science.
- Deuchar, Margaret. 2006. 'Welsh-English code-switching and the Matrix Language Frame model', Lingua 116:1986–2011.
- Jake, J., Myers-Scotton, C., Gross, S., 2002. 'Making a minimalist approach to codeswitching work: adding the matrix language', Bilingualism, Language and Cognition 5 (1), 69–91.
- Joshi, A., 1985. 'Processing of Sentences with Intrasentential Switching', Dowty, D.R., Kartunnen, L., Zwicky, A. (éds.), Natural Language Parsing. Cambridge University Press, Cambridge, 190–205.
- Mahootian, Shahrzad. 1993. A null theory of code-switching, PhD. thesis, Northwestern University.
- Muysken, P., 2000. Bilingual Speech: A Typology of Code-Mixing, Cambridge University Press, Cambridge.
- Myers-Scotton, C., 1993. Duelling Languages: Grammatical Structure in Code-Switching, Clarendon Press, Oxford.
- Poplack, S., Meechan, M., 1998. 'How languages fit together in codemixing', International Journal of Bilingualism 2:127–138.
- Thomas, C., 1982. 'Registers in Welsh', International Journal of the Sociology of Language 35, 87–115.