Broudic (1998)

De Arbres
  • Broudic, Fañch. 1998. 'Les femmes et la langue bretonne', Mémoires de la Société d'histoire et d'archéologie de Bretagne 76, 375-396.


point de vue diachronique sur la dimension genrée du passage sociétal du breton au français. L'auteur propose l'hypothèse que les femmes ont vu dans l'adoption exclusive de la langue française un potentiel de libération de la société traditionnelle.


évaluation critique

L'article montre de nombreuses confusions entre sexe et genre, des notions pourtant très largement discutées en sociologie à la fin des années 90. Tout au long du texte, l'ensemble social constitué par les femmes est appelé "le sexe féminin". Si le titre de l'article accorde aux femmes un pluriel, l'article contient des singuliers essentialisants (p.378 "la femme"). Les notes de témoins reportées par des historiens sont rapportées comme si leurs points de vue ne pouvaient être genrés, ou que cela ne pouvait avoir aucune pertinence sur l'analyse.

L'environnement social est pensé entièrement au masculin. Le point de vue genré masculin est présenté comme générique et non-spécifique (cf. p.393, à propos des femmes s'exprimant en français: "L'environnement n'apprécie que modérément, ou pas du tout: on considère qu'elles se donnent "du genre", leur comportement est jugé "maniéré" [par ?], elles sont "entichées de français"."). Cette phrase arrive à mettre à la suite une généralisation sociale excluant les femmes de la société (l'environnement ne peut pas être compris comme comprenant les femmes), un impersonnel (on) dont le référent coïncide avec cet environnement et encore exclut les femmes, le sujet d'un passif dont le référent coïncide avec l'impersonnel on et qui encore une fois exclut les femmes (est jugé par ?), pour enfin proposer au lecteur - qui manifestement n'est pas une lectrice - de se glisser lui-même dans ce point de vue des plus orientés (elles sont...). Penser l'environnement social entièrement au masculin est de plus particulièrement mal adapté à l'analyse de la période consécutive à la Première Guerre mondiale, car les femmes y constituaient de fait une majorité encore plus nette.

De manière générale, pour analyser les comportements linguistiques ou autres d'une catégorie sociale, il serait plutôt recommandable de pouvoir leur reconnaitre des états mentaux. L'auteur note en conclusion "auparavant, ce sont les femmes qui montraient un plus fort attachement au breton. L'analyse des procédures judiciaires tout comme les enquêtes scolaires effectuées au cours du XIX° siècle mettent en évidence la moindre connaissance du français par le sexe [sic] féminin". Pour prolonger l'analyse là où commence la théorie de l'esprit et la compréhension des états mentaux, on pourrait souligner qu'à une époque où les femmes sont brittophones monolingues, on ne peut pas les dire plus "attachées" au breton puisqu'elles y sont assignées.

La patrilocalité en contexte d'explosion démographique à la fin du XIX° devrait être soulignée comme un facteur linguistique favorisant l'usage du français chez les femmes.

L'auteur propose l'hypothèse que les femmes ont vu dans l'adoption exclusive de la langue française un potentiel de libération de la société traditionnelle. Cependant, cette hypothèse est surprenamment peu substantiée, comme si l'envie de libération qui est postulée ne pouvait pas être documentée. Il n'est pas non plus précisé en quoi cette société traditionnelle ne les traitait pas en personnes libres.