Bris de concordance négative

De Arbres

La règle qui régit la négation en breton est la concordance négative. Plusieurs marques de négation postverbales ne se calculent pas compositionnellement, mais 'comptent' sémantiquement pour une seule et même négation sémantique.

Il semble exister des exceptions à cette règle, mais elles sont sous-documentées, et cette fiche les rassemble. A ce stade de l'analyse, il n'est même pas sûr qu'elles ne soient pas dues uniquement à un import direct du système français.


ket + nemet

Chalm (2008) note, à la suite de Kervella (1947:§234.III.), qu'avec nemet, on emploie la négation sans ket, 'pas' comme en (1). Les deux auteurs mentionnent explicitement que l'utilisation de ket entrainerait une phrase de sens contraire comme en (2). L'usage de ken est indifférent.


(1) Ne ra (ken) nemet debriñ ha kousket.
ne fait manger et dormir
'Il/Elle ne fait que manger et dormir.' Standard, Chalm (2008)


(2) Ne ra ket nemet debriñ ha kousket.
ne fait pas manger et dormir
'Il/Elle ne fait pas que manger et dormir.' Standard, Chalm (2008)


Cette interprétation de [Ne V ket nemet] est contraire aux autres sources qui donneraient (2) comme équivalente à (1).


refus de double négation à Plougerneau

Un tel phénomène est documenté avec des locuteurs natifs traditionnels, avec une variation nette. Pour la traduction de 'On ne vit qu'une fois', M-L. B. à Plougerneau produit une forme sans ket et refuse explicitement la forme ket nemet.


(1) N'eus (*ket) nemet ur vuhez!
ne1'est pas seulement un 1</supvie
'On ne vit qu'une fois!' Plougerneau, M-L. B. (04/2016)


(2) Ne vevomp (*ket) nemet ur vuhez!
ne1 vivons pas seulement un 1vie
'On ne vit qu'une fois!' Plougerneau, M-L. B. (04/2016)


A Lesneven, Y. M. produit facilement ket nemet.


(3) Deomp da bourmen. E vez ket bevet nemet ur wech!
allons pour1 promener R est pas vécu seulement un 1fois
'Allons nous promener. On ne vit qu'une fois.' Lesneven/Kerlouan, Y. M. (04/2016)


la question de l'influence du français

S'agit-il d'un paradigme réellement émergent sous l'influence du français?

On trouve le même usage dans une chanson d'Alan Stivell (non natif). En (3), il semble que l'interprétation voulue de n'eo ket nemet ur c'hiz soit '... qui ne sont pas seulement une mode', et non pas '... qui sont seulement une mode'.


(3) Sikolojek eo bet an dra-se 'wid lakaad 'yaouankiz laosk ar balioù 'wid 'fest-nos ha n'eo ket nemed ur c'hiz...
... to teach the Breton youth to dance, I did it for a reason, instead of dancing foreign steps and not just for a season.
'eil lodenn an ugentwed kantwed', Stivell (Before landing)


Ne V ket nemet ou ne V ken nemet en concordance négative

Les exemples de corpus de /Ne V ket nemet/ et /Ne V ken nemet/ chez les locuteurs natifs montrent sans ambiguïté un fonctionnement de concordance négative.


(4) Al laboused-mor [...] n'en em vagont ken nemet diwar pesked.
le oiseaux-mer ne se1 nourrissent pas seulement de poissons
'Les oiseaux de mer se nourrissent exclusivement de poisson.'
Cornouaille (Bigouden), Bijer (2007:134)


En (5), il ne ferait aucun sens de traduire "Mais il n'y a pas seulement l'âme qui va au paradis! et celle-ci, cette âme, parce qu'elle a mérité d'aller au paradis, ne monte, monte pas seulement, elle ne descendra plus jamais tellement elle est légère".


(5) Mez n'ez eus ket nemed an ene hag a ya d'ar Baradoz !

hag hennez, an ene-ze, peogwir e-neus meritet mond d'ar Baradoz, ne ra ket nemed pignad, pignad,
ne ziskenno ket jamez en-dro, ken skańv ha ma'z eo !
Riou (1995) Envoriou eur beizantez e Bro Leon


Focalisation prosodique 'à la française' et négation

Influence des effets de focus sur le calcul de la négation

En français, la focalisation contrastive impacte le calcul de la négation. La double négation ou la concordance négative sont distinguées prosodiquement, ce qui est montrable en conditions expérimentales (Déprez & Yeaton 2018).

Personne n'a vu personne (Il n'y a eu aucun contact visuel de part et d'autre)
Personne n'a vu PERSONNE. (Ce n'est pas le cas qu'il n'y a eu aucun contact visuel de part et d'autre).

La focalisation contrastive pourrait influer sur le calcul de la négation en néo-breton (à documenter: créole franco-breton? dialecte breton particulier? seulement en cas de faute due à une structure importée du français?). L'existence de telles structures n'est pas documentée en breton. Cela donnerait quelque chose comme (16)b., où deux éléments négatifs pourraient s'annuler dans le champ postverbal dans le cas d'un focus postverbal sur un mot négatif.


(16)a. Ne ra ket netra vs. / b.?? Ne ra ket NETRA...
ne fait pas NEG.chose ne fait pas NEG.chose
'Ça fait rien.', vs. 'Ça fait pas RIEN (> ça fait quelque chose).'
MJ. (à vérifier/documenter)


Si cela se vérifiait, ce serait un second cas de bris de concordance négative.

Bibliographie

horizons comparatifs

  • Déprez, Viviane & Jeremy Yeaton. 2018. 'French negative concord and discord: An experimental investigation of contextual and prosodic disambiguation', Lori Repetti & Francisco Ordóñez (éds.), Romance Languages and Linguistic Theory 14, ?-?, John Benjamins.