Français de Basse-Bretagne

De Arbres

Le français de Basse-Bretagne est marqué par le bilinguisme avec la langue bretonne, que les locuteurs connaissent eux-mêmes le breton... ou pas. L'accent martelé à la bretonne (et le volume sonore!) sont évidemment des traits remarquables du français de Basse-Bretagne, et on repère aussi très vite dans le français de Basse-Bretagne des mots directement empruntés au lexique breton. Cependant, l'influence linguistique du breton sur cette variété de français ne s'arrête pas là, elle est aussi décelable dans la structure même de la langue.


Les habitants actuels de Basse-Bretagne sont généralement bilingues au moins en français standard et en français de Basse-Bretagne. En (1), Gros (1984:176) traduit un exemple breton et précise automatiquement la traduction dans les deux variétés, le franco-breton reprenant plus littéralement la structure bretonne.


(1) Me am-eus c'hoant da lavared penaoz ema ar wirionez gant ar skolaer! Breton trégorrois
moi R.1SG a envie de1 dire que est le vérité avec le instituteur
'Moi, j'ai envie de dire que la vérité est avec l'instituteur. Français du Trégor
'Moi, je prétends que l'instituteur a raison.' Français standard


Cet article illustre, point grammatical par point grammatical, comment la structure du breton se donne à voir dans les différentes variétés de français de Basse-Bretagne. Des liens actifs permettent, en parallèle, de lier les exemples en français à l'étude détaillée du phénomène similaire en breton.

Différentes sources ont été utilisées. Parmi les plus connues, on peut citer le 'franco-breton' de Douarnenez, délicieusement illustré par les œuvres de René Pichavant. Pierre Gallen a aussi fourni une importante description du français de Belle-Ile-en-Mer. Les chroniques de Pierre Peron fournissent également un joli corpus de parler brestois. Différents bretonnismes sont recensés avec humour dans l'ouvrage de Lossec (2010), et dans différents articles universitaires. A noter qu'aucune des ressources précitées ne provient de l'étude systématique de corpus spontanés. Il s'agit plus précisément de compilations de structures remarquées par les auteurs, où d'écritures 'à la manière de'. Certaines bribes de corpus spontanés sont utilisées ici, comme la matière des interviews des sardinières Douarnenistes dans Martin (1994), ou un corpus d'une heure d'interview filmée de H. Postec (Jouitteau 2011).


Un français d'école?

Le français de Basse Bretagne est le résultat historique de la co-présence de principalement deux langues: le breton (sous ses différentes formes dialectales) et le français standardisé tel qu'appris dans les écoles en Basse Bretagne. Le français est souvent la seule langue écrite par des brittophones, mais l'accès réel à cette langue écrite est à mesurer selon l'époque.

  Ar Floc'h (1985:157):
 "War ar maez, e Goueled Leon, e kavan kalz tud hag a oar lenn mat ar galleg, met ne intentont ket petra 'lennont, ha dre-se, al levrioù gallek uhel a zo diaes da skignañ war-dro eno."
 "[en 1911], en Bas-Léon, dans la campagne, je trouve plein de gens qui savent bien lire le français, mais ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent et les livres français de haut niveau de langue [comme le Manuel Vétérinaire] y sont donc difficiles à écouler."   

Le français de Basse-Bretagne est semble relativement exempt de l'influence de tournures présentes dans les parlers romans familiers qui ont une histoire propre de dérivation du latin qui n'a pas transité par l'école. Ainsi, par exemple, le datif éthique est très peu employé, et jamais avec plusieurs datifs éthiques de suite (Je m'en vais te me nous lui remonter les bretelles que ça va pas êt' long!).

La connaissance de structures d'autres variétés de français qui ne transitent pas par l'école va évidemment s'élargissant suivant l'époque et le degré de contact du locuteur avec d'autres parlers français (mobilité professionnelle, service militaire, mariage, accès aux médias, etc.).

Le français de Basse-Bretagne est marqué entre autres par des structures similaires à celles du breton, mais aussi similaires à des variantes non-standard documentées dans d'autres parlers romans. Il est malaisé de déterminer si ces variantes qui émergent ci et là des français populaires tiennent à une inter-influence ou tout simplement au fait qu'une structure de langue est susceptible d'évoluer similairement dans des contextes séparés.

Structures syntaxiques similaires au breton

Certaines données sont sans équivoque importées directement du breton. Le trégorrois Jules Gros fournit par exemple en (1) une traduction de sa phrase bretonne dans un français non-standard calqué directement sur la structure de la première.


(1) N'eus forz da di biou ez in, e vin degemeret mad.
ne'y.a à1 maison 1qui R irai R serai accueilli bien
'N'importe chez qui j'irai, je serai bien reçu.'
Trégorrois, Gros (1989:'forz')


ordre des mots

focalisation par mouvement préverbal

Le français de Basse-Bretagne est marqué, comme le breton, par des stratégies focalisantes par mouvement. Contrairement au français standard, mais comme en breton, les éléments focalisés doivent être prononcés en début de phrase:


(1) Tout le voyage ar galioù c'était _! Mes doigts sont encore bao!

'Tout le voyage c'était la GALERE! Mes doigts sont encore gourds!' (le pêcheur rentrant de mer), Pichavant (1996:105)


(2) Baouté, je suis _! Je boirai plus bikenn!.

'Je suis ENFLE(E) (mais alors..! à un point!)! Je ne boirai plus jamais.', Pichavant (1996:36)

(3) Larguée qu'ils m'ont _ , ces deux miséraps!, Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:20)


(3) C'est une gao(u)or finie. Toujours il faut _ qu'elle lambe partout comme son frère!

'C'est une chèvre (un garçon manqué). Il faut TOUJOURS (sans cesse) qu'elle saute partout comme son frère!' Pichavant (1996:105)


(4) Deux heures il faut _ pour gorner quand y a pas trop de dalrr'.

'Il faut DEUX HEURES pour relever les palangres, quand il n'y a pas trop d'hameçons accrochés à la roche', Pichavant (1996:109)

(5) Une peignée que tu as reçue _? Une tosse? , (Brest, Péron 2001:38)

C'est palpitant, voui, la "p'tite mort dans le dos" que ton histoire me donne _., (Brest, Péron 2001:127)


(6) Je me rappelle bien d'elle mainant. mais celle-là n'était pas de not' monde. [VP Fréquenter des officiers et leurs dames ] qu'elle faisait _VP_ . (Brest, Péron 2001:11)


Il existe peut-être même des conjugaisons analytiques (antéposition de tête verbale), comme le suggèrent les phrases suivantes:

(7) [V Glissé(e!) ] que j'ai fait sur les marches., (Brest, Péron 2001:63)

(8) [V Riské ] j'ai fait!,

'J'ai glissé, dérapé!', Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:21)


topiques

Au tout début de phrase, on peut trouver en français de Basse-Bretagne des topiques définis repris plus loin par une anaphore, comme parfois en français standard oral (Le titre, il retient mon attention). En franco-breton cependant, ces topiques sont parfois des indéfinis.


(1) mais un ott évènement sportif, il retient nott attention, en ce week-end chargé., Stéphan (1986:4)

(2) Ma... ça c'est triste aussi que des incidents draules, ils aient contraint à l'abandon le grand favori., Stéphan (1986:4)

(3) Gant homañ, personne il pourra me reconnaîtt!.., Stéphan (1986:34)

auxiliaires

'faire'

L'antéposition de syntagme verbal déteint évidemment aussi sur le franco-breton, avec l'usage d'un auxiliaire anaphorique 'faire': Noter l'apparition du complémenteur que, qui peut, soit réaliser l'équivalent d'un rannig, soit révéler une clivée avec une copule phonologiquement nulle (type eo).


(1) Causer il fait _VP_, mais travailler, il fait pas _VP_ !, Lossec (2010:90)

(2) Vous travaillez dans le civil? Ben frapper à une autre porte qu'il faudra faire _VP_ ., (Brest, Péron 2001:33)

(3) Pigner tout le temps qu'il faisait _VP_ ., (Brest, Péron 2001:37)

(4) Ruser tout son pantalon qu'il a fait _VP_ ., (Brest, Péron 2001:46)

(5) Attrapé leur accent que tu as fait _VP_, voui ., (Brest, Péron 2001:57)

(6) Faire la tambouille que tu devrais faire _VP_, voui, et vous, plucher les patates ., (Brest, Péron 2001:63)

(7) Larguer son amarre qu'il a fait _VP_! Ben! On est jolis., (Brest, Péron 2001:89)

(8) Tiens, la voila qui vient, en courant. "Esprès" bouder que je vais faire _VP_ ., (Brest, Péron 2001:118)

'être' et 'avoir'

Les équivalents bretons des verbes 'être' et 'avoir' viennent de la même racine (bezañ/eus).

La sélection de l'un ou l'autre auxiliaire est en breton sensiblement différente de celle du français, d'où de nombreux bretonnismes:

Sa voiture a la couleur blanche,
J'ai tombé dans l'escalier,
Il a été à Brest ce matin,
Elle était à préparer son dîner.
Il était à parler breton tout le temps., (Lossec 2010:76)
Je parie que Jojo il a passé par là., (Brest, Péron 2001:22)
Elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer, Déguignet (2001:69), cité dans Grandterrier.net.

pronoms

Jean-Marie ici est rigolo, (Trégorrois (Plougrescant), Le Dû 2012:46)

Ils sont utilisés à la place de pronoms sujets anaphoriques.

C'est pas trop tôt, depuis le temps que ceux-là sont mariés., (Brest, Péron 2001:73)
Oh! Celle-là est restée commérer probab'!, (Brest, Péron 2001:62)
Regarde Fine, celle-là qui a essayé son tailleur sur un poteau télégraphique., (Brest, Péron 2001:86)


  • Le pronom hini et son pluriel re, précédés d'un article, n'ont pas d'équivalent direct en français standard. Ce sont sans doute eux qui apparaissent en franco-breton sous la forme les ceusses que/qui, comme le suggère la présence de l'article défini.
...sans compter les ceusses accrochés sur les marchepieds., (Brest, Péron 2001:70)
Pour sûr, Marie, les ceusses de "Bouguen-Nord" de "Bouguen-Potern" ou les ceusses de "Polygone-Butte" auront moins de mal pour faire leur marché., (Brest, Péron 2001:26)


  • reprise anaphorique en 'une' (unan)

Parfois, l'objet n'apparaît pas comme en français standard, mais il n'est pas élidé pour autant: en (1), la reprise anaphorique s'effectue par une, qui n'est pas un déterminant mais un emprunt de unan, tête nominale anaphorique similaire à l'anglais one.

(1) J'ai même pas une carte d'identité avec moa!

Sah! Peut-êtt cell-ci, elle a une ?, Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:5)

(2) Celle qui n'en avait pas allait louer une ou bien elle la prêtait avec une amie.

Douarnenez, Martin (1994:79)


  • L'omission du pronom partitif:

Si le franco-breton peut utiliser le pronom français partitif en, cela semble cependant optionnel.

(2) Combien avez-vous de livres? - J'ai deux (livres/ j'en ai deux)

(3) De toutes les couleurs qui vous _ font ouar ., (Brest, Péron 2001:62)

(4) Voui, mais i _ a plus beaucoup dans la bouteille., (Brest, Péron 2001:101)


Ceci découle probablement des possibilités plus générales d'ellipse de l'objet.


  • usage d'un pronom datif pour un objet direct.

(5) J'hésitais à lui changer d'école., Brest, A. Guyomarc'h [03/2014], parlant de sa fille.

complémenteurs

Le complémenteur français 'que' (ou 'qui') apparaît dans de multiples endroits non-canoniques du français standard. Puisqu'il apparaît juste après un élément focalisé, on peut penser à un équivalent du rannig, cependant, il est à noter qu'un rannig, particule préverbale monosyllabique en breton, apparaît systématiquement devant tous les verbes tensés, qu'ils soient précédés ou non par un focus.

Regarde Fine, celle-là qui a essayé son tailleur sur un poteau télégraphique., (Brest, Péron 2001:86)
Je suis t'allée dans une salle où c'est qu'une jeune fille elle tapait sur un machin noir où c'est qu'il y avait plein de boules de loto tout blanc.
(Brest, Péron 2001:14)
Les quoi que tu dis?, (Brest, Péron 2001:28)
Jusqu'à quand que tu auras de la barbe., (Brest, Péron 2001:113)
A jeun qu'il faut que tu sois _'., (Brest, Péron 2001:40)
Dans une marche de la scalier du pont Gueydon que mon pied a croché et que mon soulier est tombé dans l'arsenal., (Brest, Péron 2001:63)
Le sergent monlitron que je suis!, Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:10)


'Adj que tu es!'

Une structure prédicative du breton permet de focaliser un prédicat adjectival en le faisant suivre du complémenteur ma ('que') et de la copule eo. Cette structure est commune en français de Basse-Bretagne.

Jalouse un peu que je suis., (Brest, Péron 2001:80)
Je parie que Jojo il a passé par là, qu'il est déguisé avec les hardes de son père. Crottou qu'il est., (Brest, Péron 2001:22)
Non Jojo, c'est défendu, lichou que tu es., (Brest, Péron 2001:40)
Voila un aut' bouton, Théodore, impatient que tu es., (Brest, Péron 2001:41)
Toujours à "groumer" celles-là! Jamais contentes que vous êtes!, (Brest, Péron 2001:92)


Cette même structure existe avec les prédicats nominaux.

Ne crie pas comme ça, paquet d'orties que tu es., (Brest, Péron 2001:22)

ellipses

ellipse de la copule

En breton, la copule (bezañ sous la forme eo) peut être élidée, c.a.d ne pas être prononcée au présent (brav _ an amzer). En français de Basse Bretagne, il est possible de ne pas prononcer la copule et son sujet.

(c'est) pas courir qui fait pas. > 'Il court bien.'
(c'est) pas joli c'est pas > 'C'est très joli.' (Kervarec 1910:620)


ellipse de l'objet direct

L'objet direct d'un verbe peut ne pas être prononcé tant que le contexte fournit de quoi l'interpréter. L'antécédent peut être assez éloigné.

(1) C'est sur la moisson qu'on a jeté de l'engrais en premier. Il y avait la moisson. Le blé, c'était toujours le plus important. Donc les gens ont commencé à mettre _ sur le blé pour avoir du grain et de la paille.

Français du Léon, traduction d'un entretien en breton (Mellouet & Pennec 2004:92)

(2) Quand "la planche" est à ma porte, sur le "carré" je sais que c'est mon tour de laver.

Mais quand c'est pas _ , je monte sur mes grands chevaux: je suis à cheval sur les principes, moi.
Brest, Péron (2001:65)

(3) Alcibiade fut mis en accusation, quand il ne (le) pensait pas.

Quimper, (Kervarec 1910:619)

(4) Et si elles mentaient, on savait _ après, et l'enfant n'avait pas droit aux cloches pour son baptême.

Douarnenez, Martin (1994:79)

(5) Elles allaient voir _ à la sortie de l'église...

Douarnenez, Martin (1994:79)


L'ellipse de l'objet direct est assez fréquente en corpus oral (par exemple dans Postec 2012 à Quimperlé).

ellipse de l'objet des prépositions

Les prépositions qui peuvent avoir un objet vide sont utilisées en franco-breton pour reproduire les structures résomptives bretonnes.

Le rocher que j'étais assis dessus _ .
Le torchon que j'essuyais la vaisselle avec _., Lossec (2010:89)

temps

Il lui demanda son aide et de lui donner des conseils. (Kervarec 1910:619)
Toc. Je cours. Juste une auto qui s'arrête, prêt à me tosser.
L'agent qui siffle. Moi qui rouspète. Le chauffeur qui crie,
pour pas dire aut'chose. Tout le monde à regarder. 50 voitures
à faire un boucan terrib' avec leurs klaxons. Pendant ce temps
là, le jaune qui venait, le rouge, le vert, trente-six couleurs.
(Brest, Péron 2001:62)
  • usage du futur pour le futur proche:
Il ne dira pas. > 'Il ne veut pas le dire', Lossec (2010:92)
Qu'est-ce que tu feras! > 'Que veux-tu?', Lossec (2010:93)
Quand tu voudras. > 'Quand tu veux', Lossec (2010:93)


 Lossec (2010:93):
 "En français, pour exprimer le futur après un verbe au passé, 
 on emploie le conditionnel présent tandis qu'en breton on 
 emploie le conditionnel passé."
Je croyais qu'il parlerait. > 'Je croyais qu'il aurait parlé.', Lossec (2010:93)
Nous pensions que vous viendriez. > '... que vous seriez venu.', Lossec (2010:93)


Hier, j'avais écrit une lettre, Lossec (2010:94)
J'avais été malade toute la semaine dernière, Lossec (2010:94)


Le passé surcomposé en franco-breton est à mettre en relation avec la particule aspectuelle bet en breton.

Vous en avez déjà eu pris?, pharmacien à Plogonnec, [09/2016]
Quand elle a eu fini de taper sur son machin, elle m'a regardée avec des yeux à faire tourner toutes les têtes de marins.,
(Brest, Péron 2001:14)
Je l'ai eu connu., Lossec (2010:94)
J'ai eu travaillé avec des chevaux autrefois., Lossec (2010:94)
J'ai eu connu un Fañch Lagadec à l'armée., Lossec (2010:94)

aspect

Le progressif, 'être en train de...', est exprimé en breton par le verbe 'être' suivi de la particule aspectuelle o introduisant un syntagme verbal. Cette structure est mimée en franco-breton par être à.

Elle est à repasser chez les gens., Lossec (2010:92)
Elle était à préparer son dîner.
Il était à parler breton tout le temps., (Lossec 2010:76)
Une heure que je suis à regarder les carreaux "ouar" si Marie revient., (Brest, Péron 2001:118)

modes

En breton, le complément d'agent d'un passif peut être amené par la préposition gant, qui dénote aussi l'accompagnement. La préposition française d'accompagnement, 'avec', apparaît souvent en franco-breton dans les passifs.

J’ai été mordu avec le chien. < '..par le chien.' (Amzer 10)
La souris a été mangée avec le chat., Lossec (2010:91)


Comme en breton, le mode subjonctif peut être remplacé par un temps au mode indicatif. Cependant, le breton utilise un temps morphologique futur ou conditionnel, mais pas présent comme ci-dessous.

Je préfère que tu vas et que tu me donnes.
'Je préfère que tu y ailles (au distributeur) et que tu me donnes (l'argent)', Lorient [01/2017]

Kervarec (1910:620) signale pour Quimper l'absence de subjonctif après 'bien que, quoique' dans les propositions concessives, mais ce trait est aussi présent en français de Haute-Bretagne (Dottin & Langouet 1901).

prépositions

usage de la préposition 'avec' (miroir de gant)

préposition agentive:
En breton, le passif est très utilisé, auquel cas l'agent est optionnellement présent dans la phrase, amené par la préposition agentive gant. Cette même préposition est aussi utilisée en breton pour exprimer l'accompagnement (gant ar maer > 'avec le maire').
Cette préposition gant est traduite en français par 'avec'. Le français de Basse-Bretagne importe la préposition agentive bretonne et utilise 'avec' comme préposition agentive dans les passifs.
Vous devriez être étouffé avec la honte! > = 'Vous devriez avoir honte!' (Gallen 2006:7)
cause:
La préposition agentive déborde largement les structures passives et marque couramment la cause d'une action ou d'un état:
Elle est au lit avec le docteur depuis 15 jours et il lui a encore rien fait. (classique)
Il a reçu un coup de bâton avec lui (de lui). (Kervarec 1910:621)
J'ai eu des misères avec mes dents. > = 'Mes dents m’ont fait souffrir.' (Amzer 10)
Elle avait eu des misères avec ses dents du fait qu'elle avait eu des bonbons avec sa marraine., Lossec (2010:91)
Il a reçu son pedjemène avec moi. > = 'Je lui ai réglé son compte.' (Gallen 2006:13)
J'ai été chez l'oculiste avec mes yeux. > = 'Je suis allé consulter l'oculiste pour mes yeux.' (Gallen 2006:15)
moyen
Il est allé avec le train. > = 'Il est parti par le train.' (Gallen 2006:7)
accompagnement (au sens large)
Du café vous aurez ? Du pain, du beurre et un couteau pour manger avec_ ? (Amzer 10)
- Ben, j'ai envoyé le journal avec moi .
- Lis-moi vite alors., (Brest, Péron 2001:29)
provenance/source:
Il a acheté des bonbons avec lui (à lui). (Kervarec 1910:621)
Il a pris du chocolat avec lui. > = 'Il lui a volé du chocolat.' (Kervarec 1910:621)
Il a eu du goût avec lui. > = 'Il a tiré du plaisir de lui.' (Kervarec 1910:621)
Il a reçu une lettre avec lui (de lui)... (Kervarec 1910:621)
certaines occurrences de avec n'ont pas d'import sémantique propre et viennent de traductions mot-à-mot d'expressions en langue bretonne, ou de grammaticalisation d'implications pragmatiques:
J'ai pensé en allant avec ma route. = 'J'ai réfléchi en marchant.' (Gallen 2006:7)
Je prends mon temps avec moi. > = 'Je prends le temps de faire mon travail.' (Gallen 2006:7)
Il y a du nouveau avec elle. > = 'Elle attend un enfant.' (Gallen 2006:14)


création de prépositions complexes

  • dessus réinterprété en 'de' + 'sur'.
près du robinet, dessur la dalle, un bouchon d'écuelle. (Brest, Péron 2001:31)
assise dessur une chaise que j'étais, mon dos bien appuyé de contre mon dossier. (Brest, Péron 2001:14)
  • de contre est parallèle à la préposition complexe bretonne a-enep
Théo rouspétait de contre Nana, et même qu'il lui faisait la morale.,(Brest, Péron 2001:25)

sur

br. war

Il a pris des plumes sur Korentine. > '...à Korentine' (Kervarec 1910:621)

br. bezan war

Jampi a pourtant été sur une de Plouider pendant cinq ans! (Lossec 2010:44)
> 'Il a pourtant eu des visées sur une fille de Plouider pendant cinq ans.'


ellipse de préposition 'de'

'De', comme son parallèle breton da, est une préposition-outil qui peut disparaître:

Tu ferais mieux _ mettre le couvert., (Brest, Péron 2001:119)


faire autour

br. ober war-dro, litt. 'faire autour', 's'occuper de'

Toute la nuit j'ai eu à faire autour de lui! > = 'J'ai pris soin de lui toute la nuit.' (Gallen 2006:16)
Il ne vient pas autour de ses vaches. > = 'Il ne s'occupe pas de ses vaches' (Gallen 2006:30)

'beaucoup des'

  • Oh! Aujourd'hui y a pas beaucoup des avis de convois, deux seulement et une messe d'anniversaire., (Brest, Péron 2001:17)


br. mont kuit! litt. /partir kuit/, 's'en aller'

Le français de Basse-Bretagne peut utiliser partir comme verbe lexical et s'en aller comme postposition complétant le sens du verbe.

Il est parti s'en aller. (Kervarec 1910:620)
Elle est partie s'en aller ensemble que son frère. (Kervarec 1910:621)

adverbes

'donc'

Le placement de donc en français de Basse-Bretagne est influencé par le placement de son équivalent breton eta qui se place, lui, en bord droit de constituant. En français standard, donc est un adverbe indépendant (Finis donc ton verre, Saig!).


(1) Sao war da vanne 'ta Saig!
montée sur1 mon2 verre donc Saig
'Finis ton verre donc, Saig!' Léon, Kervella (2009:215)

'tout'

L'adverbe tout modifie les verbes et signifie 'complètement'. cet usage parallèle l'adverbe breton -tout:

Jean, chez nous, a koagué tout sa voiture ('Notre Jean a entièrement cabossé sa voiture'), (Lossec 2010:44)


L'expression française 'tout le monde' déclenche l'accord au singulier. Son équivalent breton, tout an dud, littéralement 'tous les gens' déclenche un accord pluriel. En parler brestois reporté par Peron, on retrouve cet accord pluriel importé en français.

Tout le monde sont servis?, (Brest, Péron 2001:70)
Comme ça, tout le monde seront contents., (Brest, Péron 2001:95)
en attendant que tout le mond' sont..., (Brest, Péron 2001:45)


On retrouve l'adverbe 'tout' dans l'expression figée au milieu de tout, traduction littérale du breton 'a-greiz-tout'.


'aussi vite'

J'irai avec toi, aussi vite, (Lossec 2010:45)
> 'sans doute, tout aussi bien, pour un peu, il s'en faudrait de peu'


'de retour'

Inspiré du breton endro, l'adverbe de retour signifie 'à nouveau'

Hag en dro dar! Un mirage, de retour!, Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:10)
recommencer de retour (Kervarec 1910:620)
Il fait froid de retour., (Lossec 2010:85)
Le bonhomme s'arr'tait un moment et puis il démarrait de r'tour., (Brest, Péron 2001:74)

(de)venir

Le verbe 'venir' est usité là où le français standard mettrait 'devenir'

Les olives, elles viennent pas plus gros que ça!, H. Postec, janv. 2011.


rendu

En brujunou que le marc'h trouz il est rendu!,
'La moto est EN MIETTES!', Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:13)

venir pour

En concurrence à l'expression standard venir de, l'usage aspectuel de venir dans venir pour est ingressif.

  • Et là alors, je vois auprès de chez Plouhinec les chevaux qui viennent, avec les casques, la garde nationale! Qui viennent alors pour sortir, pour renverser le monde quoi, pour les faire partir.
Douarnenez, Martin (1994:147)

Règles de grammaire similaires au breton

doubles négations

Le système de calcul de la négation en breton, dite de concordance négative, est très marquante quand appliquée à des parlers français, car le sens de la phrase peut occasionnellement s'en trouver totalement inversé.

J'ai pas vu aucun chat = 'Aucun chat n'est tel que je l'ai vu'. (et non pas : 'Ce n'est pas le cas que aucun chat n'est tel que je l'ai vu')

Il en existe de multiples exemples dans le français de Basse-Bretagne.

Car il n'y a pas au monde aucune société de bipèdes., , Déguignet (2001:330), cité dans Grandterrier.net.
Pas un d'eux n'a vu, ni connu absolument rien de cette affaire Dreyfus. , Déguignet (2001:775), cité dans Grandterrier.net.

clivées

En breton, les structures clivées sont très usitées. On retrouve cette tendance marquante dans les parlers français de Basse-Bretagne. Ainsi des phrases finissant par que c'est ou que c'était après un élément focalisé.


L'occasion rêvée que c'est, au contraire!, Cornouaille (bigouden), Stéphan (1986:44)
''une chimise qui disent, pas en nylon bien sûr, non, un cahier que c'est, comme Jojo il a pour aller à l'école.
(Brest, Péron 2001:15)
Biffin que c'est, qui a boulotté le fard., (Brest, Péron 2001:86)


Comme les mots interrogatifs sont par définition toujours focalisés, on les retrouve très naturellement suivis de ces clivées en que c'est.

 Lossec (2010:38):
 "Les pronoms interrogatifs sont souvent suivis de la conjonction que comme dans le français populaire, mais cette tournure est utilisée très fréquemment chez nous et par toute catégorie de locuteurs. On n'hésite même pas à doubler la mise, comme ici: 
 Quand que c'est qu'il part?
 Quand est-ce que c'est qu'il s'en va?
 Où est-ce que c'est qu'il va?
 quand ce n'est pas: Ousqu'il va!


En français de Basse-Bretagne, contrairement au français standard mais comme en breton, il est possible de cliver une phrase entière, imposant alors un focus sur son entier, ou un adjectif:


Vous êtes allée à votre voiture que c’est!
(Brest, infirmière hôpital Morvan, [10/01/2014])
Aujourd'hui, il passe par Brest, que c'est, et moi, je veux encourager mon favori.
(Brest, Péron 2001:84)
Joli que c'était, à ouar et à entend', qu'on aurait dit une vraie ritraite aux flambeaux.
(Brest, Péron 2001:62)


Parfois, le sens de la clivée est clairement déontique (il faut.. il ne faut pas...). Il s'agit sans doute d'une ellipse de modal. En (4), la traduction en français standard serait Il ne faut pas rester à bavarder (Ici littéralement Ce n'est pas rester à bavarder que c'est qu'il faudrait faire).


(4) N'eo ket chom amañ eo da ouroulat.
ne1'est pas rester ici est pour1 bavarder
'Ce n'est pas rester à bavarder.' Léon, Kervella (2009:207)

mouvement casuel dans les causatives

Dans les structures causatives, le verbe 'faire' prend une infinitive comme objet. Dans cette infinitive, en français de Basse-Bretagne, le DP sujet peut être placé avant son verbe infinitif. Cette possibilité n'existe pas en français standard, et mime le mouvement du sujet des causatives en breton (ober d'eur scolaer donet).


faire un élève venir, faire le commerce aller..
St Michel, pour faire le diable s'irriter... (Kervarec 1910:620)

les relatives

J'ai eu été que je travaillais, J'ai eu été qu'on me demandait, Gourmelon (2014:66)
'Fut un temps où...'
Il prit son aîné par la main, qui avait le cœur bien gros.
  • l'interrogatif/relatif 'où ça que'
Où çà que tu vas par là? > = 'Où vas-tu?' (Gallen 2006:8)
J'ai un boulot où ça que c'est que je peux avoir des vacances. [CM, Quimperlé 09.2009]
Comment que c'est?, bretonnisme usuel

Variation dialectale

La langue bretonne a des variations dialectales et influence différemment les parlers français de Basse-Bretagne. Ainsi, l'usage de la préposition gant 'avec' qui est plus répandue à Douarnenez qu'en Trégor se reflète dans les dialectes français respectifs.

Autres

  • 'aller ensemble que qq'
Elle est partie s'en aller ensemble que son frère. (Kervarec 1910:621)
Laissez-moi aller ensemble que vous. (Gallen 2006:11)
  • 'Jamais encore', traduction littérale de l'exclamation bretonne biskoazh c'hoazh!
C'est pas Dieu possible quand même. Jamais encore... (Brest, Péron 2001:17)
  • 'par rapport à'
Mais les patrons ne voulaient pas des syndicats, par rapport à donner trop aux femmes.
Douarnenez, Martin (1994:143)
  • Moi, je me rappelle, j'avais cinq ans, j'allais par la main avec mon père. [...]
J'allais avec mon père par la main aux meetings.
Douarnenez, Martin (1994:169)

Structures et expressions communes à d'autres parlers romans

Tout ce qui ressemble au breton n'est pas forcément un bretonnisme. Des bretonnismes peuvent aussi accidentellement ressembler à des structures indépendamment présentes dans des langues romanes.


Cet usage rappelle le fameux Si j'aurais su, j'aurais po v'nu de 'Petit Gibus' dans La guerre des boutons (film), et il est plausible que ce soit un trait récurrent des dialectes romans.
Si je fumerais, je serais malade. (Kervarec 1910:619)
Signalé à Quimper par Kervarec (1910:620), ce trait est aussi présent en français de Haute-Bretagne (Dottin & Langouet 1901).
  • L'expression 'donner la main' semble calquée sur le breton reiñ dorn. Cependant...
Lossec (2010):
"l'expression "donner la main" est comprise un peu partout en France dans le sens d'aider. A la différence près, et encore sous réserve, qu'elle est rarement suivie d'un complément ailleurs."
  • L'expression 'comme de juste' semble calquée sur le breton evel-just. Cependant, cette structure existe dans d'autres dialectes du français (Lossec 2010).


'toujours '

Lossec (2010:84) signale un usage non-standard de toujours, sous le sens de 'en tout cas', 'assurément'. Cet usage est cependant aussi connu à Nantes et en Vendée.

Il n'est pas venu par ici, toujours!
> 'en tout cas, assurément', (Lossec 2010:84)

Terminologie

Press (1986:232) traduit brezhonekadurioù par 'bretonisms'.


Bibliographie

  • Amzer 2007, 'Bretonnisme dans le français local', Le Passage de Vauban dans le Finistère, Amzer 10, 7.
  • Buleon, J. 1927. 'Sur le français de Basse-Bretagne', Les annales de Bretagne XXXVII bis, 315-321.
  • Dottin, G. & J. Langouet. 1901. Glossaire du parler de Pléchâtel (canton de Bain, Ille et Vilaine), précédé dune étude sur les parlers de la Haute-Bretagne, et suivi d'un relevé des usages et des traditions de Pléchâtel, réimpression Slatkine 1970.
  • Fichou, Michel. mémoire mentionné sans sa référence dans Lossec (2010).
  • Gallen, P. 2006. Anthologie des expressions de Belle-Île-en-Mer, cinquième édition.
  • Görlich, Ewald, 1886. Die Nordwestlichen Dialekte der langue d’oïl, Bretagne, Anjou, Maine, Touraine, Heilbronn.
  • Grandterrier.net [14/10/2013]. Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet, page du site, espace Déguignet.
review, par G. Dottin. 1909. Annales de Bretagnes 25-4, 723.
  • Kervarec, H. 1910. 'Le Parler français de Quimper', Les annales de Bretagne XXV, 4, 612-623.
  • Le Berre, Léon (= Abalor). 1913. Français de Quimpertin - Galleg Kemper. Comédie en 3 actes.
  • Le Berre, Annie. 1985. 'Problèmes d'étude d'un français urbain de Basse-Bretagne : le parler de Brest', La Bretagne Linguistique 1, CRBC.
  • Lecocq, J. -M. 1990. 'Les mots d’origine bretonne dans l’argot français', La Bretagne Linguistique 7, CRBC.
  • Le Dû, Jean 2002. Du café vous aurez ? : Petits mots du français de Basse-Bretagne, éditions Armeline.
  • Le Monze, S. 1998. 'Tutoiement, vouvoiement et autres formes d’adresse en français de Bretagne', La Bretagne Linguistique 11, CRBC.
  • Lossec, Herve 2009. 'Les bretonnismes ou l'influence du breton sur le français local', Le Lien, bulletin du Centre Généalogique du Finistère, n°112. 20-23.
  • Lossec, Herve. 2009. 'Les bretonnismes (III)' [grammaire et conjugaison], Ar Men 169: 16-19.
  • Lossec, Herve, 2008. 'Les bretonnismes (II)', Ar Men 166: 16-19.
  • Lossec, Herve, 2008. 'Les bretonnismes (I)', Ar Men 164: 14-17.
  • Nance, Claire. 2009. Breton influence on French in Lower Brittany. UBO.
  • Pichavant, R. 1996. Le Douarneniste comme on cause, étude des mots et des expressions populaires, quadri signe, éditions Alain Bargain, Quimper.
  • Picquenard, C. -A 1911. 'Le Parler populaire de Quimper', Les annales de Bretagne 26, 4, 758-769.
  • Raude, A.-J. 1989. 'La palatalisation des consonnes vélaires en breton et britto-roman', La Bretagne Linguistique 5, CRBC.
  • Ropars, Jean. 1986. 'Atlas linguistique des côtes françaises - littoral nord-ouest - analyse générale de l'enquête', La Bretagne Linguistique 2, CRBC.


corpus

  • Martin, Anne-Denes 1994. Les ouvrières de la mer, Histoire des sardinières du littoral breton, Chemins de la mémoire, l'Harmattan.
  • Pencalet, Jean 1985. La sardine d'argent, Contes et récits du pays de Douarnenez, Illustré par Marie-Suzanne Lucas, Editions du Port-Rhu, MJC de Douarnenez.
  • Pencalet, Jean 1995. Si tante Soaz m'était contée..., Nouvelles histoires Douarnenistes, éditions Bargain, Quadrisigne Quimper.