Construction transitive explétive; Bez' préverbal

De Arbres

Cette fiche documente les occurrences de Bez', l'infinitif du verbe 'être' (ou de sa forme abrégée) devant un verbe fléchi.


(1) Bez’ e vo pesked da goan.
bez R sera poissons pour1 souper
'Il y aura du poisson à souper.' Cornouaillais, Trépos (2001:§440)


Dans quel contexte cette particule induit-elle un effet sémantique particulier?
Y-a-t-il des dialectes où cette particule produit obligatoirement un effet de verum focus du type 'Le fait est que...'?
Peut-elle être sémantiquement vide?
Est-elle restreinte à certaines configurations de discours?
Est-elle restreinte à certains environnements syntaxiques (présence du verbe 'être' en verbe lexical, présence de la particule aspectuelle 'bet', etc...)


Morphologie et variation dialectale

infinitif du verbe bezañ

La réalisation morphologique de la particule préverbale varie de dialecte en dialecte, avec la réalisation de l'infinitif du verbe 'être': bezañ.

La carte 028 de Le Dû (2001), traduction du français Il y a, montre un bez' préverbal sur toute l'ère brittophone (la présence de réponses utilisant l'auxiliaire ober ('faire') suggère que le protocole demandait la traduction d'une tournure telle que il y a de la pluie). Les formes observées sont [bø], [be(z)], [bɛ], [bə], [bid], ou [bu(d/t)].


(2) Beu zo 'n glér'nn ar 'zeillad dour. Haut-cornouaillais (Bannalec)
Bout zo ur glerenn àr ar sailhad dour. Équivalent standard
être est un 1couche.de.glace sur1 le seau.ée eau
'L'eau du seau est recouverte de glace.' Bouzeg & al. (2017:62)


(3) Bea vez d'ober war an douar patatez-mañ.
être R est à'faire sur le terre patates-ci
'Il y en a à faire, sur cette terre à pommes de terre!'
> 'Il y a beaucoup de travail.' Le Berre & Le Dû (1999:44)


A noter que différentes formes peuvent manifestement être vivantes au même lieu géographique. Pour Riec sur Belon, Le Dû (2001:§028; pt 134) donne [bə zo] alors que Mona Bouzeg y donne Boût oa.


(4) Boût 'oa avel gouez.
être y.avait vent fou
'Il y avait un vent fou.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)

forme bed

A Plougerneau, on relève une forme avec un D final plutôt qu'un Z.


(1) Bed e veho maread a draoù.
R sera beaucoup de1 choses
'Il y aura bcp de choses.' Léon (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)


(2) (Bed) emaon er ger.
suis dans.le foyer
'Je suis à la maison.' Léon (Plougerneau), M-L. B. (01/2016)

Distribution

Bez est toujours directement devant l'élément tensé, et plus précisément devant le rannig. Il apparaît le plus souvent comme le seul élément dans la zone pré-tensée, mais certains éléments peuvent l'y précéder.


compatibilité avec le nom pivot d'une construction du faux sujet

En (2), on voit le nom pivot d'une construction du faux sujet précéder bez' dans la zone pré-tensée. Le nom pivot est repris anaphoriquement par le pronom résomptif incorporé dans enno.


(2) Politikerezh ha broadelouriezh, bez' e pege Frañsez Kervella a-drovriad enno (...)
politique et nationalisme, BEZ R collait F.K. à-bras.le.corps dans.eux
'Frañsez Kervella empoignait à bras-le-corps politique et nationalisme.'
Standard, Denez (1993:13)


sites d'apparition

Bez ne se trouve jamais en infinitives. Bez se trouve en matrices comme en enchâssées, après le complémenteur ha (10, 11, 12). Bez se trouve encore après ha en interrogatives (13).


(10) Lavar din ha bez’ e teui.
dis à.moi si bez R4 viendras
'Dis-moi si tu viendras.' Cornouaillais, Trépos (2001:§592)


(11) N'ouzon ket ha bez’ e vo kreñv a-walh ar jadenn.
ne1 sais pas si bez R sera fort assez le 1chaîne
'Je ne sais pas si la chaîne sera assez forte.'
Cornouaillais, Trépos (2001:§592)


(12) Me va-unan ne ouien ket ha bez’ e oa ac’hanon.
moi reflex ne savais pas si bez R était P.moi
'Moi-même je ne savais pas si c'était moi.'
Hemon (1962:64), cité par René Le Gléau (1973:75)


(13) Daoust ha bez’ e c'hallfec'h [...] kas ac'hanon davet an aotrou K?
Q bez R pourriez envoyer P.moi à le monsieur K
'Pourriez-vous me mener à monsieur K?'
Standard, Dupuy (2007:39)


Voir aussi, pour d'autres exemples toujours après ha:

en léonard, Kerrien (2000:8)
en breton central par le traducteur de Cosey, Hag ar menez a gano evidoc'h, Jonathan 2, p.29.

incompatibilité avec la négation

Les phrases qui contiennent la particule bez' ne sont pas compatibles avec la négation (Press 1986:193).


(1) * beza n’en deus ket lennet Tom al levr. Standard, Anderson (2000)
EXPL ne'3SGM a pas lu Tom le livre
'Tom n'a pas lu le livre.'

Motivation d'insertion

Le breton est une langue 'à verbe second', aussi appelée V2. Cela signifie que la position canonique du verbe tensé est la seconde position de phrase. Parfois, l'item bez/bout semble entièrement ad-hoc, justifié uniquement par la préservation de l'ordre à verbe second. Il est cependant difficile de prouver que cette particule (?) est insérée uniquement pour obtenir un ordre V2, car cela demanderait de prouver que la structure informationnelle de la phrase n'en est pas impactée.


distribution hors des contextes de dernier recours pour V2

Bez ne peut pas être uniquement et dans tous les cas un item de dernier recours permettant de satisfaire V2, car devant le verbe emañ, 'être' qui est un des rares verbes à pouvoir être placé en initiale de phrase, on peut tout de même le trouver.


(1) Bez ema Perig o klask e vreur er hoad.
bez est Perig à4 chercher son1 frère dans.le 5bois
'En ce moment, Perig est occupé à chercher son frère dans le bois.' Cornouaillais, Trépos (2001:350)


De même, on peut trouver la forme bout après un complémenteur satisfaisant indépendamment à l'ordre V2 (à moins que parskan soit restreint aux ordres V3).


(2) /parskan bud əwaj e-rgaer bijənoX ẃidon... ag əjaleče raportiɲ /
parce.que expl R.y.avait dans.le foyer petit.plus que.moi que R.pouvait.pas rapporter
'Parce qu'à la maison il y a avait des plus petits que moi qui ne pouvaient pas rapporter (de l'argent).'
Groix, Ternes (1970:248)

Impact sémantique

Leclerc (1986), suivi par Press (1986:193), signale un effet emphatique "qui attire l'attention sur le verbe".

 Leclerc (1986:69)
 93. - Dans les temps simples, toutes les formes ordinaires et même les formes d'habitude [du verbe 'être'] peuvent être précédées 
 de l'infinitif bean toutes les fois que, pour attirer l'attention sur le verbe plutôt que sur le sujet ou sur l'attribut, 
 on veut le mettre en tête de la proposition: on a ainsi une sorte de conjugaison que l'on appelle 'emphatique'.
 
 bean e vin fur, /être je serai sage/, 'je serai sage'
 au lieu de:
 me a vo fur ou fur e vin.
 
 Leclerc (1986:75)
 Toutes les formes des temps simples de am eus, comme celles du verbe bean, peuvent être précédées de l'infinitif bean, 
 chaque fois que l'attention doit être attirée sur le verbe et non sur le pronom:
 
 bean am oa, /être à moi était/, 'j'avais'
 au lieu de:
 me am oa
 

verum focus

Le Gléau (1973:45), Trépos (2001:§440), Gros (1984:110), Bouzeg (1986:35), Favereau (1997:§443) et Chalm (2008:212) notent tous ce qui semble un 'verum focus' sur le verbe lorsqu'il est précédé de bez.

 Le Gléau (1973:45): 
 "Originellement l'indicatif radical bez (ou l'infinitif apocope bez') signifie: 'effectivement, réellement'."


(1) Bez’ez eus tud hag a zo mat da stagañ.
bez R y.a gens C R est bon à1 lier
'Il y a (vraiment) des gens qui sont fous à lier.' Trégorrois, Gros (1984:110)


(2) - Ha gwir eo klañv ? - Ya, bez ez eo !
Q vrai est malade Oui, bez R+C est
'- Est-il vrai qu’il soit malade ?' '- Oui, il l’est réellement.' Trégorrois, Gros (1984:110)


(3) Boût 'zo goulou.
être y.a lumière
'Il y a bien de la lumière.' Haut-cornouaillais (Riec), Bouzeg (1986:35)


(4) Ha bez e c’helle ne zeuje ket ?

'Se pouvait-il (vraiment) qu’elle ne vînt pas ?', Standard, Drezen (1990:82)


Cette hypothèse est renforcée par l'occurrence de bez en initiale de réponse positive à une question négative.


(5) A:- Ne yade ket er gear? B:- Neo, bea e yade.
ne était pas dans.le maison Si, être R était
'A: Il n'était pas à la maison? / B: Si, il était chez lui.' Sein, Fagon & Riou (2015:44)


(6)a. Tad Jeremie: Gwall-huñvreal 'peus graet ... N'emañ ket amañ!
mauvais-rêver as.2 fait ne est pas ici
'Tu as fait un cauchemar. Il n'est pas ici.'
(6)b. Jeremie: Met yao! bez' 'mañ a'h!
mais si est
'Mais si! il est là!' Sud Cornouaille, An Orignal, p.30.


variation

Cependant, il est des cas où le 'verum focus' est difficilement postulable, par exemple où bez apparait dans la question même.


(7) An arhant-se n'int ket deoh; bez ez int? Daoust m'emaint ganeoh.
le argent- ne sont pas à.vous bez R sont malgré que sont avec.vous
'Cet argent ne vous appartient pas, n'est-ce pas? Bien que vous l'ayez (sur vous).'
Cornouaillais (bigouden), Bijer (2003:17).


(8) Bez’ zo ur wenodenn all?
bez y.a un1 sentier autre
'Il y a un autre sentier?' Kavell ar Bodhisattva, Jonathan 4, p.33.


Il y a aussi clairement de la variation dialectale. Dans une variété de breton de Lesneven/Kerlouan, A. M. (04/2016) dit explicitement ue bed ou bez ne signifient pas 'le fait est que...' ni 'puisque je te dis que...'. Les différentes possibilités d'ordres de mots sont dites sémantiquement équivalentes.


(1) (Bed’) emaoun er ger. / Er ger emaoun.
bez suis dans.le foyer dans.le foyer suis
'Je suis à la maison.' Lesneven/Kerlouan, A. M. (04/2016)

marqueur de conflit avec l'interlocuteur ?

Les cas de verum focus ainsi que ceux où bez apparaît dans la question même pourraient être accommodés dans la description proposée par Bottineau.


 Bottineau (200X:4) :
 "L’effet de sens le plus courant est une prise en charge assertive renforcée, centrée sur le locuteur et potentiellement en conflit avec l’interprétant, avec valeurs pragmatiques proches de celles de l’interrogation et de do dit emphatique en anglais actuel."


Si cette hypothèse est juste, en (6), bea marque d'abord le doute de A quant à une réponse positive à sa question, ce à quoi B répond par une marque d'opposition à ce doute exprimé.


(6) A:- Bea 'di er gear? B:- O, bea tre bea.
être est dans.le maison O, être doit être
'A: Il est à la maison? / B: Oh, il doit y être.' Sein, Fagon & Riou (2015:44)


grammaticalisation en particule Q à Sein

Cette sémantique particulière a favorisé la grammaticalisation en particule Q à Sein.


(7) Sounta da zellad be(a) zo dour
sonder pour1 regarder si y.a eau
'sonder pour voir s'il y a de l'eau' Sein, Fagon & Riou (2015:44)


focalisation verbale

Trépos précise qu'en (1), la présence de bez met l'accent non seulement sur l'actualité de la recherche, mais "sur la présence de Perig dans le bois". On pourrait donc penser à une particule de focus sémantiquement vide, dont la fonction serait de transmettre l'effet de focus à son verbe associé.


(1) Bez' ema Perig o klask e vreur er hoad.
bez est Perig à chercher son1 frère dans.le bois
'En ce moment, Perig est occupé à chercher son frère dans le bois.'
Trépos (2001:§645)


Cependant, on connait des langues comme le nupe qui ont une telle particule de focus (Kandybowicz 2008:37), et elles sont sémantiquement compatibles avec la négation. Or, Bez n'est pas compatible avec la négation.


(2) * Bez' n' ema ket Perig o klask e vreur er hoad.
bez ne est pas Perig à chercher son1 frère dans.le bois
'En ce moment, Perig n'est pas occupé à chercher son frère dans le bois.' M.Jouitteau [05.2009]

Relevés

doublant le verbe 'être' et 'avoir'

Le Gléau (1973:45) dit de Bez qu'on "le trouve partout avec les formes verbales de l'indicatif et du conditionnel de bezañ [, être'] et endevout [,'avoir']." La surreprésentation statistique de l'infinitif (réduit) de 'être' devant les verbes dont 'être' est la racine ('être', 'avoir') pourrait découler (au moins en partie) de cas de redoublement verbal (bez 'e vez... sur le mode de Gouzout a ouzon).


(1) Bez ez eus ur c'hategori tud ha n'ouzon ket pe o deus nosion eus un dra bennak pe d'o deus ket.
Bez R y.a un catégorie gens C ne sais pas ou 3PL a notion P un chose quelconque ou NEG? 3PL a pas
'Il y a une catégorie de personnes, je (ne) sais pas si ils ont une notion de quoi que ce soit.'
Léon, Mellouet & Pennec (2004:18)


(2) Bez' omp digemeret en eur zal vraz spontuz.
Bez sommes accueillis dans un salle grande terrible
'Nous sommes accueillis dans une salle terriblement grande.'
Bez' he-deus da vihanna, tri-ugent metr hed ha tregont metr lehed.
Bez R.3SGF a P1 moins trois-vingt mètre long et trente mètre large
'(En effet) Elle fait au moins 60m de long et 30 de large.'
'Léon (Guiclan), Miossec (1981:7)


Dans certaines variétés, il semble que l'explétif soit entièrement réductible au doublement de la racine verbale. Dans kammdro an ankoù, du vannetais Loeiz Herrieu, la réduction de l'infinitif du verbe 'être' est bout et apparaît uniquement devant les verbes 'être' et 'avoir' . On trouve dans le texte de multiples occurrences de bout préverbal, devant 'être' au passé, présent et futur, ainsi que devant le verbe 'avoir', avec un sujet postverbal défini ou indéfini. Aucune occurrence de bout n'apparaît jamais devant un autre verbe. Dans le breton de Herrieu, la distribution de bout semble donc entièrement circonscrite aux cas de redoublement verbal.


(3) …un den kozh hag en deus graet e amzer soudard en Oriant, bout 'zo 50 vlez 'zo !
un homme vieux C R.3SGM a fait son temps soldat P Oriant être R.y.a 50 an R.y.a
'... un vieil homme qui a fait son service militaire à Lorient, il y a 50 ans!'
Vannetais, Herrieu (1994:70)


(3) Tostennoù Kistinid ha glannoù ar Blaouezh ha bout am bo ar joa d'ho kwelet c'hoazh ur wezh?
buttes Kistinid et rives [art|le]] Blavet Q être R.1SG aurai le joie de vous voir encore un fois
'Buttes de Kistinid et rives du Blavet, est-ce que j'aurai encore une fois la joie de vous voir?'
Vannetais, Herrieu (1994:215)

devant d'autres verbes

verbes semi-auxiliaires

(3) Bez’ e c'helle an anv-verb, evel an holl anvioù-kadarn, beza rener pe renadenn [...]
bez R4 pouvait le nom-verbe comme le tous noms-fort, être sujet ou complément
'Le nom verbal pouvait, comme tous les noms, être sujet ou complément.' Fleuriot (2001:20)


(4) Ha Bez’e ouie ma zad kontañ ivez doare ar brezelioù a save (...) etre ar broioù hag an dud.
et bez R savait mon père conter aussi manière le guerres R montait entre le pays et le 1gens
'Et mon père savait raconter aussi la façon dont les guerres naissaient entre les pays et les gens.'
Cornouaillais, Bijer (2007:137)


(5) Bez’ e rankan lavared da genta n'am-eus ket greet nemed se.
bez R4 dois dire pour1 premier ne1'R.1SG-ai pas fait seulement celà
'Je dois tout d'abord dire que je n'ai pas fait que cela.' F. Broudig, kenavo d'am labour, texte.


(6) Noñ, bez' e ranked kaoud eur serten oad. Ouessant, Gouedig (1982)
non bez R4 devait.IMP avoir un certain âge
'Non, il fallait avoir un certain âge.'

verbes lexicaux

Grégoire de Rostrenen (1738) présente cinq alternatives pour conjuguer un verbe en breton, l'une d'elles, la 'quatrième conjugaison', étant par insertion de Bez préverbal (Beza ez rañ un ty, [Bez-R-fais.1SG-un-maison], 'Je bâtis une maison' p.97). Il illustre un paradigme entier avec le verbe 'aimer' (Beza ez carañ, [Bez-R-aime.1SG], 'Je t'aime' p.179).


René Le Gléau, Pierre Trépos, Fañch Elies Abeozen, Visant Fave, Yann Bijer et Eugène Chalm citent tous des phrases avec Bez d'emphase devant des verbes lexicaux.


(6) Bez’ e kaver c’hoaz tier-soul e Breizh.
bez R4 trouve.IMP encore maisons-chaume en Bretagne
'On trouve encore des chaumières en Bretagne.'
Trépos (2001:§440)


(7) Politikerezh ha broadelouriezh, bez' e pege Frañsez Kervella a-drovriad enno (...)
politique et nationalisme, bez R4 collait F.K. à-bras.le.corps dans.eux
'Frañsez Kervella empoignait à bras-le-corps politique et nationalisme.'
Standard, Denez (1993:13)


(8) bez' ez eas Frañsez Kervella d'hen gwelout e 1938 (...)
bez R alla à le voir P 1938
'Frañsez Kervella alla le voir en 1938.'
Standard, Denez (1993:20)


(7) Bez’ e c'hounezas ur gaer a vrud ha karantez.
bez R4 gagna un 1belle de1 renommée et amour
'(le fait est qu') elle gagna affection et renommée.'
Fañch Elies Abeozen(1991:45)
(8) Bez’ e prenis eul leor d'am breur deh.
bez R4 achetai un livre à mon frère hier
'J'ai acheté un livre hier à mon frère.'
Fave (1998:51)
(9) Gwir e oa. Bez’e weled an ti gwenn.
vrai R était bez R4 voyait.IMP le maison blanche
'C'était vrai. On voyait la maison blanche.'
Hemon, An tri boulomig kalon aour:27, cité par Le Gléau (1973:45)


(10) a. Bez’ e lennan b. Lavar din ha bez' e teui.
bez R4 lis dis à.moi si bez R4 viendras
'Je lis (effectivement)'/ 'Dis-moi si (effectivement) tu viens.' Chalm (2008:212)


Favereau (1997:§443) donne comme licites à Plougastell (citant Y. Gerven comme source), et en Poher: Bez e welez, 'tu vois', et bez' e lennan an anoñsoù ivez [bez R lis.1SG le annonces aussi, 'je lis les annonces aussi']. Cependant, les données de Plougastell rapportées par Favereau semblent porter à discussion (cf. discussion sur forum kervarker).

Variation dialectale

dans la restriction à certains verbes

Les dialectes varient suivant les verbes avec lesquels on trouve Bez.

La littérature mentionne depuis longtemps que cette forme est très restreinte, voire "peu connue" en trégorrois (Ernault 1888b:246).

  • Hingant (1868:74) (du dialecte de Tréguier) semble considérer que l'option d'un Béz préverbal est restreint aux verbes bezañ, 'être', et kaoud, 'avoir'. (L'infinitif utilisé devant l'auxiliaire ober, 'faire' conjugué étant son propre infinitif).
  • Gros (1984:110) note que le Bez’ d’insistance est restreint en Trégorrois à trois verbes tensés: les verbes bezañ, 'être', kaoud, 'avoir' et gouzout, 'savoir'.


La question de la variation dialectale dans la possibilité d'avoir recours à bez est posée depuis longtemps par Steve Hewitt (1988, c.p. 2003) qui propose de tester la généralisation que bez préverbal est restreint dans tous les dialectes aux co-occurences avec 'être', 'avoir' et, "à l'Ouest du Trégor", aux auxiliaires modaux (rankoud, galloud, dleoud...).

Au vu des données ci-dessus, puisque Bez devant un verbe lexical semble solidement attesté, on peut aménager la généralisation en proposant un continuum allant du Trégor ('être', 'avoir' et peut-être 'savoir'), puis, allant vers l'Ouest, une acceptation des modaux pour finalement cerner les zones ou Bez peut être devant des verbes lexicaux.


pour étudier cette variation dialectale

Pour tester l'aire géographique de cette généralisation, se pose la question de ce qui est (et n'est pas) un auxiliaire modal:

gouzout, 'savoir', cité par Jules Gros en fait-il partie?
rankout, 'devoir', est cité par Hewitt comme n'étant pas licite en trégorrois avec Bez'. Ce verbe n'est-il pas un modal en trégorrois? Quelle évidence pourrions-nous trouver pour supporter cette hypothèse?
kavout, cité par Trépos, a-t-il une valeur modale en cornouaillais qu'il n'aurait pas éventuellement dans d'autres dialectes? Quelle évidence pourrions-nous trouver pour supporter cette hypothèse?

Finalement, quand un dialecte n'a pas la possibilité d'avoir recours à bez pour un 'verum focus', quelle stratégie alternative est employée?

Etant donné que le breton littéraire a Bez pré-lexical, il est aussi possible que la variation ne soit pas intrinsèquement géographique, mais la marque d'un niveau de langue. Les parlers traditionnels et le standard peuvent aussi varier dans la distribution de Bez. Kennard (2013:175) note que dans les alentours de Quimper, les enfants produisent des temps composés avec un sujet à l'initiale les deux tiers du temps, l'autre tiers des phrases commençant par Bez. Les adultes de la même région n'utilisent, eux, pas Bez au profit d'ordres à adverbes à l'initiale.

Il est possible que la structure informationnelle attachée à Bez' difffère selon les régions. Leclerc (1986:63, fn2) signale qu'en Léon, "l'infinitif beza, 'être', peut s'employer emphatiquement devant tous les verbes. : beza e karan, bez' e karan, /être j'aime/, 'j'aime'.

Il y a une ressemblance certaine entre les verbes qui tolèrent Bez, et ceux qui peuvent se dédoubler pour remplir la zone préverbale. De dialecte en dialecte, se pourrait-il que les verbes devant lesquels on trouve bez soient les mêmes que ceux qui peuvent se prendre eux-mêmes comme auxiliaires?


rannig et copule associée

Le rannig associé à Bez/Bout, et la copule qui le suit, varient selon les dialectes.

Pour le trégorrois Gros (1984:110), c'est le rannig e qui est associé à Bez, ainsi que la mutation mixte qu'il déclenche sur le verbe. Le Bozec (1933:6), un manuel scolaire de cours préparatoire, recommande "bez ez eus [qui] équivaut à beza 'zo, moins correct."


(4) Bez' oa anezhañ ur marvailher fentus. Trégor, Priel (1975:16), cité dans Timm (1995:8)
être était P.lui un conteur amusant
'Il était un conteur amusant.'


(4) Bez' ez eus anezhañ unan eus an amprevaned. Ar C'halan (1992:179), cité dans Timm (1995:8)
être était P.lui un de le insectes
'Il était l'un des insectes [sens figuré].'


Pour le cornouaillais Trépos (2001:§440), c'est le rannig e4 qui apparaît après Bez', alors que selon Goyat (2012:297), c'est la copule zo associée au rannig a1 (/be zo 'ty:d/, Bez’ zo tud, 'Il y a du monde.').

En vannetais, Guillevic et Le Goff (1986:56) notent une alternance entre Bout e zou avaleu et Bout es avaleu ('Il y a des pommes').

Châtelier (2016:44) relève chez Séveno, originaire de Moréac, la forme be zou 'il y a', et une seule occurrence de bout zou.

Horizons comparatifs

diachronie

SADED (2010:207) cite des exemples en moyen breton devant les verbes tensés kaout 'avoir', gouzout 'savoir', dleout 'devoir', kouezhañ 'tomber' et gwelout 'voir'.


typologie

La gradation dialectale que l'on constate dans la compatibilité de Bez' préverbal avec le verbe 'être', le verbe 'avoir', les modaux puis tous les verbes lexicaux, se retrouve à une échelle typologique plus large entre les langues pour la disponibilité d'un explétif préverbal (Kayne 2006:23).


En occitan du Couserans, il existe une particule dite d'"insistance" qui se trouve être homophone à Bez' . La présence de cette particule be d'insistance prévient l'apparition de la particule que autrement présente dans les déclaratives.

(1) Be parlarà, se vòu.

'Il parlera, s'il veut.', Occitan du Couserans, Ensergueix (2012:55)


Il existe en basque une particule ba, assez similaire au breton Bez: Elle apparaît uniquement dans les contextes de dernier ressort où le verbe tensé serait sans lui à l'initiale. Cette particule ba est aussi associée à une lecture de focus contrastif du verbe lexical, ou à une focalisation de la polarité de la phrase ('C'est le cas que, effectivement'). En (2a), la phrase est agrammaticale sans ba. En (2b), le topique suspendu Mikel place le verbe tensé en seconde position - ba n'est plus nécessaire et est interdit.


(2) a. (Ba)* dator Mikel / (2)b. Mikel, (* ba) dator?
ptc vient Mikel Mikel, ptc. vient
'Mikel VIENT.' 'Mikel, il vient?' Basque, Elordieta & Haddican (2016:233)


Seule une particule évidentielle intégrée à la morphologie verbale comme omen ou ei peut séparer ba du verbe tensé.


(3) Ba omen/ei dato-z gu-regana.
ptc évidentiel viennent nous-à
'Apparemment, ils viennent sur nous.' Basque, Elordieta & Haddican (2016:232)


Bibliographie

description du phénomène

  • Le Bozec, 1933. Le français par le breton, méthode bilingue, cours préparatoire, E. Thomas (ed.), Guingamp.
  • de Rostrenen, G. 1738. Grammaire Françoise-Celtique ou Françoise-Bretonne qui contient tout ce qui est nécessaire pour apprendre par les Règles la langue celtique ou bretonne, Roazhon : Vatar, 1738. In-12 : XVI-192 p. ([réédition Alain Le Fournier, Brest], [réédition 2008 embannadurioù Al Lanv])
  • Gros, J. 1974. (réédition 1984)Le trésor du breton parlé III. Le style populaire. Brest: Emgleo Breiz - Brud Nevez.
  • Hewitt, Steve, 1988. 'Ur framm ewid diskriva syntax ar verb brezoneg / Un cadre pour la description de la syntaxe verbale du breton', La Bretagne Linguistique, 4:203-11.
  • Leclerc, Louis. 1986 [1906, 1911], Grammaire Bretonne du dialecte de Tréguier, 3ième édition, Ar Skol Vrezoneg, Emgleo Breiz (précédentes Saint-Brieuc: Prud'homme).
  • Trépos, P. 2001 [1968, 1980, 1996], Grammaire bretonne, 1968 édition Simon, Rennes.- 1980 édition Ouest France, Rennes; 1996, 2001 édition Brud Nevez, Brest.
  • Wmffre, I. 1998. Central Breton. [= Languages of the World Materials 152] Unterschleißheim: Lincom Europa.

horizons comparatifs

  • Kandybowicz, J. 2008. The Grammar of Repetition, Nupe grammar at the syntax-phonology interface, John Benjamins Publishing Company.
  • Kayne, R. 2006. ‘Expletives, Datives, and the Tension between Morphology and Syntax’, ms. University of New York.

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