Anaphores et cataphores

De Arbres
(Redirigé depuis Anaphora)

Les expressions anaphoriques n'ont pas de référent assigné directement dans le monde. Elle réfèrent à un autre élément linguistique qui, lui, a un référent dans le monde. On appelle ces expressions anaphoriques des anaphores, ou dans le cas où elles précèdent l'élément qui leur transmet son référent, des cataphores.


  • Une anaphore est une expression anaphorique qui n'a pas de référence indépendante. L'anaphore co-réfère donc avec un antécédent qui se trouve dans la même proposition, dans la même phrase ou même ailleurs dans le discours (Per, il danse tous les mardis).
  • Une cataphore est une anaphore qui précède son "antécédent" [!] (Bien qu'il le regrette, Per ne danse pas le jeudi.). En (1), Le nom propre Henriette réfère directement à une entité humaine animée dans le monde. Ce nom propre fournit son référent au possessif qui est ici une cataphore, dont la résolution référentielle est suspendue pour l'interlocuteur jusqu'à la fin de la phrase. L'effet de suspension est renforcé par un autre réseau cataphorique, car l'assignation du référent de Henriette permet de trouver celui de son frère, lui-même annoncé par une cataphore; le sujet non-prononcé de la temporelle.


(1) Tra ma oa er gêr, e oa deuet he breur da welet Henriette.
tant que4 était dans.le 1foyer R était ven.u son1 frère à1 voir Henriette
'Tant qu'il était à la maison, son frère était venu voir Henriette.'
Standard


Dans une phrase, il peut n'y avoir aucun élément qui réfère directement de façon autonome. Dans la phrase en (2), de même structure que (1), le pronom incorporé réfère à une entité saillante en contexte.


(2) Tra ma oa er gêr, e oa deuet e vreur da welet anezh.
tant que4 était dans.le 1foyer R était ven.u son1 frère à1 voir P.lui
'Tant qu'il était à la maison, son frère était venu le voir.'
Helias (1986), Merser (2009:'tra ma')


Les anaphores sont assujetties dans toutes les langues humaines aux conditions du liage (Condition A, Condition B, Condition C du liage).


Catégories et anaphores

On parle d' expression anaphorique de manière large car des catégories grammaticales très différentes peuvent montrer des propriétés anaphoriques. La plupart des anaphores sont des pronoms, mais des groupes nominaux peuvent avoir les mêmes propriétés (l'imbécile, la coquette...).


anaphores pronominales

Les pronoms réfléchis, les pronoms objets proclitiques ou les déterminants possessifs sont des anaphores pronominales.


groupes nominaux anaphoriques

Il existe aussi en breton des des syntagmes nominaux qui ont des propriétés anaphoriques. Un humain peut par exemple trouver une référence non-pronominale dans al loen 'l'animal', an abostol 'l'apôtre', etc.

Des syntagmes nominaux anaphoriques particuliers contiennent un pronom, comme dans laouen an tamm anezhañ.


adverbes anaphoriques

Une classe d'adverbes, les adverbes anaphoriques spatiaux, sont anaphoriques en ce qu'ils ont besoin d'un antécédent (spatial) pour référer.

Ces adverbes anaphoriques spatiaux se retrouvent dans des expressions anaphoriques qui débordent le domaine spatial (kement-se, mod-se, an-dra-se...).


temps anaphorique

Le temps, lui aussi, peut être anaphorique quand ce n'est pas la morphologie flexionnelle qui permet l'ancrage temporel, mais le calcul par rapport à un antécédent qui est lui temporellement ancré.

Un exemple prototypique en breton est celui des infinitives narratives.


Cataphore

une relation structurale

Une cataphore est un pronom anaphorique ou une expression anaphorique dont l'expression référentielle co-référente est située linéairement après elle, mais ce terme recouvre des relations structurales très différentes, qui rendent obligatoire ou possible une relation anaphorique.

En (1), la relation anaphorique se tient à l'intérieur d'une petite proposition (SC). L'objet contient un possessif qui coréfère obligatoirement avec l'expérienceur.


(1) Poent sevel i vwijou d'an orolaj.
temps est [SC monter son1 poid.s à1 le horloge ]
'Il est temps de remonter l'horloge.'
Cornouaillais (Plozévet), Trépos (1956:78)


En (2), le sujet de la matrice contient un possessif qui peut co-référer optionnellement avec l'objet de la petite proposition enchâssée.


(2)a. Diskouez a ra hex zad karout Monax.
montrer R1 fait son1 père aimer Mona
'Sonx père a l'air d'aimer Monax.'
Standard, Hendrick (1990:137)


(2)b. Hex zad a ziskouez karout Monax.
son1 père R1 montre aimer Mona
'Sonx père a l'air d'aimer Monax.'
Standard, Hendrick (1990:137)


condition C du liage

Les cataphores, comme toutes les anaphores, sont filtrées par la condition C du liage. Hendrick (1990:124) pointe par exemple que contrairement aux cas de cataphores autorisées, le pronom vide sujet en (3) est en relation structurale de c-commande du nom propre Mona. En conséquence, suivant la condition C du liage, ce pronom sujet ne peut pas être interprété comme coréférent à Mona, sous peine d'agrammaticalité de la phrase. La phrase ne peut pas exprimer le sens que 'Mona a dit qu'elle-même connaît la réponse'.


(3) * Lavaret he deus [e]x [ e oar Monax ar respont ].
d.it 3SGF a R4 sait Mona le réponse
'Elle a dit que Mona connaît la réponse.'
Standard, Hendrick (1990:124)


la restriction de Hendrick (1990)

Hendrick (1990:125) pointe une autre restriction sur les cataphores que la condition C. En (2) comme en (3), l'ordre des mots est VSO, verbe-sujet-objet. Le sujet pronominal ne peut pas précéder le nom propre objet Yann. Le sujet nom propre peut précéder l'objet pronominal. La condition C du liage ne filtre pas la donnée en (2).


(2) * Dec'h e wele ex dad Yannx
hier R4 voyait son1 père Yann
'Sonx père voyait Yannx hier.'
Standard, Hendrick (1990:125)


(3) Dec'h e wele Yannx ex dad.
hier R4 voyait Yann son1 père
'Yannx voyait sonx1 père hier.'
Standard, Hendrick (1990:125)


De même, dans les temps composés:

(4) Gwelet he deus Mona x he x zad.

'Mona a vu son père.', Standard, Hendrick (1990:125)

(5) * Gwelet en deus he x zad Monax .

'Son père a vu Mona.'


Mais la présence du participe entre le sujet et l'objet change leur relation.


(6) Dec'h en deus hex zad gwelet Monax
hier 3SGM a son2 père v.u Mona
'Sonx père a vu Monax hier.'
Standard, Hendrick (1990:137)


(7) N'o deus ket hex c'hoarezed gwelet Monax
ne 3PL a pas son2 sœur.s v.u Mona
'Sesx sœurs n'ont pas vu Monax.'
Standard, Hendrick (1990:137)


Hendrick (1990:131) met en rapport ces faits avec la restriction sur la cataphore en anglais, pointée par Solan (1983):

  • * I spoke with him x about Johnx 's wife
  • I spoke with Johnx 's wife about himx .


la restriction de Louis (2015)

Louis (2015:220) note une asymmétrie dans les relations anaphoriques autorisées dans les expressions kaout droug et ober droug. Ces faits mêlent probablement structure informationnelle, expressions figées et relations anaphoriques.

Avec kaout droug, le sujet expérienceur peut être réalisé par un pronom ou un nom propre en matrices, mais pas par un nom propre en enchâssée.


(1) Eñ / Yann en deus droug d'e vrec'h.
il/Yann 3SGM 3.a mal à1 son1 bras
'Il / Yann a mal au bras.'
Haut-vannetais, Louis (2015:220)


(2) ? Mari a gav geti en deus Yann droug d'e vrec'h.
Marie R1 trouve avec.elle 3SGM a Yann mal à1 son1 bras
'Marie a l'impression que Yann a mal au bras.'
Haut-vannetais, Louis (2015:220)


A l'opposé, avec ober droug, l'expérienceur qui n'est pas le sujet ne peut pas être réalisé comme un nom propre en matrice, alors qu'il le peut en enchâssée. La cataphore semble donc interdite en (3), alors qu'elle est possible en enchâssée en (4).


(3) E vrec'h ' ra droug dezh / ?? da Yann.
son1 bras R fait mal à.lui / à1 Yann
'Son bras lui fait mal.'
Haut-vannetais, Louis (2015:220)


(4) Mari a gav geti e ra droug e vrec'h da Yann.
Marie R1 trouve avec.elle R fait mal son1 bras à1 Yann
'Marie a l'impression que Yann a mal au bras.'
Haut-vannetais, Louis (2015:220)


la restriction sur les SVO

Dans les ordres Sujet-Verbe-Objet, avec ou sans la négation, on observe une restriction supplémentaire sur les cataphores que la condition C.


(1) Hez,* x zad en deus gwelet Monax.
son2 père 3SGM a v.u Mona
'Sonz,* x père a vu Monax.'
Standard, Hendrick (1990:147)


(2) Hez,* x c'hoarezed ne welont ket Monax
son sœur.s ne1 voient pas Mona
'Sesz,* x sœurs ne voient pas Monax.'
Standard, Hendrick (1990:147)


Hendrick (1990:147) relève la proposition de Bresnan & Kanerva (1989:32-34) que les topiques présentationnels ne peuvent pas contenir de pronoms coréférentiels, et propose que les ordres SVO ci-dessus sont de tels topiques présentationnels. Cependant, selon la structure articulée de la périphérie gauche en breton, on devrait pouvoir aussi trouver en zone prétensée d'autres sortes de topiques et différents focus, surtout devant la négation, ce qui prédirait alors ces phrases grammaticales.


à ne pas confondre

Une anaphore peut aussi référer avec un élément présent en contexte, ou réalisé par un geste.


(3) Kement-se n'eo ket debriñ mes krignat an hani eo.
autant-ça ne1 est pas manger mais grignoter le celui est
'Cela n'est pas manger mais grignoter.'
Vannetais (Le Scorff), Ar Borgn (2011:57)


Il ne s'agit alors pas d'une cataphore, qui précède le syntagme nominal avec lequel elle co-réfère.


Bibliographie

  • Bresnan, J., & Kanerva, J. 1989. 'Locative inversion in Chichewa: A case study of factorization in grammar', Linguistic Inquiry 20, 1-50.
  • Fossard, Marion & Marie-José Béguelin (éds). 2014. Nouvelles perspectives sur l'anaphore, Points de vue linguistique, psycholinguistique et acquisitionnel, Sciences pour la communication. Vol. 111.
  • Heim, Irene. 1990. 'E-type pronouns and donkey anaphora', Linguistics and Philosophy 13 (2): 137-177.
  • Radford, A. 1997. Syntax, a Minimalist introduction, Cambridge University Press.
  • Solan, Larry. 1983. Pronominal Reference: Child Language and the Theory of Grammar, Dordrecht: Reidel Publishing Company.
  • Zribi-Hertz, Anne. 1996. L'anaphore et les pronoms. Une introduction à la syntaxe générative, coll. Sens et structures, Presses Universitaires du Septentrion, Lille.