-où, -ioù, -aou-
Le suffixe -où, -ioù ou -aou- est une marque répandue de pluriel.
Morphologie
variation dialectale
L'ALBB documente les variations dialectales de ces pluriels dans plusieurs cartes:
On peut noter le -eu du vannetais.
(1) | I kreiz | en di | i oé tout | gouleu alumet. | ||
en-milieu | le jour | R était tout | lumière.s allumé | |||
'Toutes (les) lumières étaient allumées en plein jour.' | Vannetais, An Diberder (2000:104) |
(2) | Ma bizier | zo uz't | dre forz gob'r | pikurio dè. | Cornouaillais de l'est maritime (Riec) | ||
mon2 doigts | est usé | par force faire | piqures à.eux | ||||
'Mes doigts sont usés à force d'être piqués.' | Bouzec & al. (2017:386) |
Dans la carte 98 de l'ALBB, on voit la répartition dialectale des suffixes -eier et -où comme pluriel de botez 'chaussure'.
alternance -où/ioù
Selon Hingant (1868:9), l'alternance -où/ioù est purement phonologique. Les bases finissant en /a, e, i, p, b, k, g, t, d, j, ʃ, s, v/ prennent -où et les formes finissant en /o, y, X, z/ prennent -ioù.
Pour les mots finissant avec la consonne /n, f/ ou les liquides /l, r/, l'alternance semble découler de sa disponibilité comme consonne initiale de la syllabe (variation selon la longueur de la voyelle qui précède ou la présence d'une consonne avant la liquide).
- embann(où), 'ban(s)'; penn(où), 'tête(s)', mais koanioù, 'souper(s); espernioù, 'épargne(s)'
- barr(où), 'extrémité(s)'; koufr(où), 'coffre(s)'; gopr(où), 'salaire(s)', mais stêr(ioù), 'rivière(s)'; amzer(ioù), 'temps'; foar(ioù), 'foire(s)'
- poelloù, 'arrêt(s)'; gwalloù, 'faute(s)', mais brezelioù, 'guerre(s)', ibilioù, 'cheville(s)' et avec un l mouillé fuzuilhoù, 'fusil(s)'
- skilf(où), 'griffe(s)'; korf(où), 'corp(s)', mais stalafioù, 'volet(s)'; koefioù, 'coiffe(s)'
Les noms dérivés en -ach, -aj, -ad, -adeg, -adenn, -iri/-eri/-euri, prennent donc la forme -où du suffixe.
Les noms dérivés en -adur ou -egezh prennent donc la forme -ioù du suffixe.
On trouve cependant des contre-exemples: parrezioù, 'paroisses' (carte 512 de l'ALBB), matelaioù, 'matelas' (Le Juch, Hor Yezh 1983:25).
alternance -où/-aoù-
Lorsque le suffixe -où porte l'accent de mot, il est réalisé en -aoù- (typiquement en KLT lorsqu'un suffixe unique le suit, ce qui le place en situation pénultième, par exemple dans les finales en -aoua, -aouad, -aoueg, -aouenn, -aouer, -aouezh, -aouig, -aouiñ ou dans le double pluriel -aouioù.
- pilhoù 'chiffons' > pilhaouer 'chiffonnier'
On trouve cependant aussi le morphème -aou- hors accent. Ce phénomène est la trace de la dérivation morphologique, où l'accent de mot s'est déplacé à chaque étape.
- pilhaouerien 'chiffonn-ier-s', Le Juch, Hor Yezh (1983:25)
On trouve aussi des paires minimales où le choix de -où vs. -aoù, c'est-à-dire avec et sans accent de mot, n'est pas lié à une suffixation ultérieure mais à une lecture différente.
Goyat (2012:122) note à Plozevet :
- /a'dow/, hadaou, 'semences de différentes espèces'
- /'a:du/, hadou ou /'a:ʒu/, hajou, 'semences de la même espèce'
finale en -choù
Les mots finissant par /t/ au singulier peuvent, suivant les dialectes, subir une palatalisation créant une finale en -choù, ou tchoù.
(5) | evid dont | da bourmen | war an aotchoù. | |||
pour venir | pour1 promener | sur le côtes | ||||
'pour venir se promener sur les côtes' | Léon (Plouzane), Briant-Cadiou(1998:6) |
Syntaxe
doubles pluriels
Le pluriel -où peut être suffixé sur des noms collectifs qui sont déjà syntaxiquement pluriels. Ces suffixes obtiennent donc des doubles pluriels.
(1) | eur mell gwezenn | glas-kaol | he deliou. | |||
un grand arbres.1 | vert-choux | son2 feuilles.PL | ||||
'Un grand arbres aux feuilles vert-chou' | Léonard (Cléder), | Seite (1998:44) |
Sémantique
-où vs. -eier
Ternes (1970:199): "Alors que la forme /-uwi:r / [ = standard -eier] désigne la collectivité d'un grand nombre de choses sans les spécifier, la forme /-ew / souligne plutôt l'individualité dans la pluralité des choses."
Dans les cas des entités allant par deux (membres du corps humain) ou par quatre (pieds d'animaux ou pieds de table), le pluriel en /-ew / (standard -où) dénote l'ensemble prototypique unique comprenant ces unités (les quatre pieds d'une table, ou les trois pieds d'un tabouret). Le pluriel en /-uwi:r / ( standard -eier) obtient un jombre dépassant l'ensemble prototypique (cinq pieds de plusieurs meubles).
'résultat de'
Le suffixe pluriel ne dénote pas toujours une pluralité des entités dénotées par la base. En (1), la base gourlañv dénote l'étale de haute mer, et sa pluralisation en ioù dénote ici ce que l'étale de haute mer laisse sur la plage: le goémon d'épave ('laisse de mer').
(1) | evit ramañs | ar gourlañioù... | |||||
pour ramasser | le haut-1.flux.PL | ||||||
'pour ramasser le goémon d'épave...' | Léon (Plougerneau), Elégoët (1982:18) |
Diachronie
Le Berre (2009:17) considère que dans le Stabat Mater de Guéguen de 1622, les pluriels en –ou sont diphtongués puisque pechedau y rime avec gloasou, et taichaou avec dezraou.
Le Brigant (1779:27), à Tréguier, prononçait ce suffixe /o/.
Le Gonidec (1808:x): "Les pluriels terminés en ou en Léon et basse Cornouailles, comme dans les mots pokou 'baisers', tadou 'pères', se terminent en o en Tréguier, poko, tado ; en ó en haute Cornouailles, pokó, tadó, et en eu en Vannes, pokeu, tadeu."
Horizons comparatifs
Le pluriel en -où est sensiblement plus répandu en breton que ne l'est son cognat gallois.
Humphreys (1990:133) "Watkins (1961:154) estimated that -(i)au (NE, C, SW -(i)e, NW, SE -(i)a) accounts for 40-45% of Welsh plurals. Its Breton cognate -ou (with its variants, diphthongal still in the eastern and southeastern third of its territory) appears to be distinctly more dominant everywhere and accounts for 70% of Bothoa plurals, including /m a:bəw/ 'sons'."
A ne pas confondre
Il existe aussi un suffixe -où qui est un suffixe nominal (Ankoù). Il est aussi prononcé -aou sous l'accent, mais il n'a pas d'allomorphe en -ioù.
Bibliographie
- Ar Porzh, R. 1987. 'An dibenn "ioù" el liesteriou hag en anviou divoutin', Hor Yezh 171-172, 103.