-ell

De Arbres

Le suffixe -ell forme des noms concrets: noms d'outils, d'instruments et au-delà.


(1) Em lakaet em eus da sevel un tammig lojell...
se1 mis R.1SG a à1 construire un morceau.petit abri
'Je me suis mis à construire un petit abri...' Vannetais, Herrieu (1994:84)


Kervella (1947:§834) donne treinell, skudell, skubell, c'hoarïell, kibell, skabell, brañskell, gwaskell, kanastell, sugell, spanell, rañvell, kribell.

Trépos (2001:76) donne kammell 'bâton courbe, crosse', rozell 'rouable', pigell 'houe'.

Favereau (1997:§159) donne dornell 'poignée', fichell 'fiche (fourche)', fourchell 'fourche', kammellig 'crosse', skudell 'écuelle', ridell 'sas', 'rozell 'racloir', goell 'levain', poell 'lien'

Goyat (2012:322) donne: /'ka:vɛl/, ['kaɛl], kavell 'berceau', /'kutɛl/, koutell 'couteau', /'mi:nɛl/, minel 'boucle de fer' (sur /mi:n/, min 'museau, groin'), /'rastɛl/, rastell 'râteau', /'ro:zɛl/, rozell 'rouable (pour étaler la pâte à crêpes)', /sky:dɛl/, [skɥɛl], skudell 'écuelle'.


Morphologie

allomorphe en -(i)al

Martin (1929:175) donne la forme cornouaillaise (Scaër, Guiscriff, Gourin) kerrial 'brouette'.


exocentricité

Le suffixe -ell obtient toujours un nom, quel que soit la catégorie de sa racine. Il sélectionne des racines nominales, mais aussi adjectivales.

Kervella (1947:§834) donne treuzell, kaerell, beskell, brizhell.


genre

Les mots en -ell sont féminins (Kervella 1947:§834, Trépos 1968:§129).


(2) An tad a daol an avalou flastret er waskell Léon, Seite & Stéphan (1957:19)
le père R1 jette le pommes écrasé dans.le 1press.e
'Le père jette les pommes écrasées danns la presse.'


genre fluctuant dans les emprunts

Les noms en -elle du français sont féminins. S'ils sont empruntés en breton, ils sont aussi féminins. C'est le cas pour le français une venelle et le breton binell, ur vinell 'petit chemin' (Menard 2016).

Les noms en -eau, -eaux du français reçoivent un suffixe -ell ou -el lors de leur adoption en breton. Parmi ces emprunts au français, les finales en eau, eaux obtiennent -el, ou -ell dans Bordeaux > Bourdel, mangonneau > bañgounell, guideau > kidell, drapeau > drapell (Mordiern 1939:13). Cela crée parfois en diachronie de noms masculins en -ell.

Kervella (1947:§834) relève porc'hell, kastell, kabell et porrastell, qui tous résultent d'emprunts à des mots d'ancien français (maintenant en -eau en français moderne). Certains de ces emprunts obtiennent des noms féminins, ce qui coïncide avec le genre du suffixe -ell du breton (3).


(3) he mantell dano. Léon, Seite & Stéphan (1957:123)
son2 manteau 1épais
'son épais manteau'


Kervella (1947:§834) note comme masculins les noms troell 'liseron, volubilis' et goell 'levain' dans leur sens collectif. Trépos (1968:§129) considère aussi comme masculins et ne relevant pas du même suffixe kastell 'château', kavell 'berceau' et touell 'ruse'.

Cheveau (2017:§33) note une variation sur un emprunt dans des dialectes vannetais pour 'la coutume, l'usage': le féminin er vodel à Inguiniel et le masculin er model à Berné.

nombre

Kervella (1947:§834) note des pluriels réguliers en -où qui forment une finale en -elloù et les pluriels internes kontilli, mantilli, kestilli.

productivité

Goyat (2012:322) note que les bases du suffixe /-ɛl/ ne sont que très rarement attestées.


composition

On trouve le suffixe -ell dans les finales de noms féminins en -adell.

Sémantique

diminutif

Kervella (1947:§834) note que -ell a souvent un sens diminutif, ou approximatif. Il cite logell, runell, roc'hell, krugell, rodell.


-ell vs. -ikell, -ial

(1) dornell 'poignée', Favereau (1997:§159)

dornikell 'manivelle', Favereau (1997:§178)


Selon Martin (1929:175), à la forme léonarde karrigel correspond la forme vannetaise karrikel, et la forme cornouaillaise (Scaër, Guiscriff, Gourin) kerrial.


noms d'outils mais aussi au-delà

Le suffixe -ell excède parfois le sens de nom d'outil. C'est le cas dans les mots qui finissent maintenant en -eau en français: gwastell 'gâteau' ou mantell 'manteau' (Kervella 1947:§834). Dans kontell, on reconnaît la racine de 'coutellerie'. Favereau (1997:§159) donne aussi porc'hell 'pourceau', kastell 'château', kavell 'berceau'.


(1) Hag eñ, ker buan, mont ha sankañ e gontell...
et lui tant vite aller ha planter son1 couteau
'Et lui, aussi vite, de planter son couteau.'
Standard, Kervella (1995:§276)


Il existe aussi des noms en -ell dont la sémantique excède largement les noms d'outils comme troell 'liseron, volubilis' et goell 'levain' (Kervella 1947:§834), fozell 'fosse', lojell 'abri', bouzell 'boyaux'.


(2) Karget eo ar fozelloù get ar glav en deus kouezhet a-c’houde dec’h.
chargé est le fossés avec le pluie 3SG a tombé depuis hier
'La pluie qui est tombée depuis hier a rempli les fossés.' Haut-vannetais, Louis (2015:106)


(3) Em lakaet em eus da sevel un tammig lojell...
se mis R.1SG a à construire un morceau.petit abri
'Je me suis mis à construire un petit abri...' Vannetais, Herrieu (1994:84)


Certains noms de maladies finissent aussi en -ell.


(4) Ar ruzell zo gantañ.
le rouge.ole R est avec.lui
'Il a la rougeole.' Léon, (Cléder), Fave (1998:60)


(5) A-benn neuze e oa ar sorohell warni.
quand alors R est le râle sur.elle
'A ce moment là, le râle était déjà sur elle (elle râlait).' Trégorrois, Gros (1996:258)

-ell vs. -enn, les animés

Le suffixe -ell peut aussi dénoter un référent animé. Ce suffixe est alors en concurrence avec le suffixe -enn.

Kervella (1947:§834) oppose kammell et kammenn, le suffixe -enn étant considéré plus concret.

En vannetais, Cheveau (2017:§35) illustre le suffixe -ell par des formations où le breton standard mettrait -enn: ur sodel 'une folle', ur gammel 'une boiteuse'.

On retrouve -ell dans les noms d'animés dans porhell 'cochon' (Trégor, Gros 1984:57), ou kaerellig 'belette' (Plozévet, Goyat 2012:322).

Diachronie et horizons comparatifs

Le suffixe ‑ell est basé sur le latin ‑ĕllus m., ‑ĕlla f., ‑ĕllum n., c’est-à-dire sur des suffixes auxquels sont attachés différents genres. Ce suffixe est cependant massivement de genre féminin dans toutes les langues brittoniques (Irslinger 2014:85).

Deshayes (2003:40) met le suffixe -ell breton en relation avec le suffixe -ell gallois.

Le français comme le gallo ont pu soutenir ou alimenter ce préfixe par des emprunts au diminutif moyen français -elle f. (au masculin -el au cas régime sg., et -eaus, -iaus au cas régime pluriel). Bonnard & Régnier (1989:25) donnent, pour l'ancien français, agnelle, prunelle, nacelle... Le suffixe -elle du gallo peut être une autre source d'emprunt, avec penelle 'labeur, misère, peine', binelle 'corbeille en paille, paneton' (Auffray 2007:intro).


A ne pas confondre

Press (1986:61) pointe que les noms finissant en –ell non-dérivés (ur sell, masc., 'un regard') ne relèvent pas du suffixe -ell. Selon lui, les noms empruntés (ur c'hastell 'un château') non plus, mais il ne fournit pas d'argument à l'appui.

Il existe aussi en breton un autre suffixe nominal réalisé en -el, -ol. L'opposition est dans la longueur de la voyelle (brezhell 'maquereau' vs. brezel 'guerre').

Une finale en -ellat peut relever soit d'un suffixe -ellat itératif, soit d'une verbalisation en -at d'un nom d'instrument en -ell (pigell 'pioche' > pigellat pigellein 'piocher', Le Bayon 1878:21).


Bibliographie