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L''''élicitation''' est une des sources possibles des bases empiriques d'une grammaire.
Une '''élicitation''' est une séance de recherche linguistique de terrain avec au moins un ou une locutrice. La liste de tâches ou de questions est appelé un '''protocole d'élicitation'''.


Le travail d'élicitation consiste à confronter un locuteur natif avec ses intuitions grammaticales dans sa langue.  
Le travail d'élicitation consiste à confronter un locuteur natif avec ses intuitions grammaticales dans sa propre langue. Il existe de multiples tâches d'élicitation possibles dans un protocole: compréhension, traduction, jeux de question-réponse, permutations de données libres... Telle phrase dans tel contexte est-elle grammaticale? Est-elle aussi pertinente dans le contexte donné? Comment décrire une image donnée? Si l'ordre des mots est inversé, la phrase reste-t-elle grammaticale?


Une structure sera étudiée en lui faisant subir des tests assez similaires aux tests mis en place en chimie pour analyser une matière.  
L''''élicitation''' est une des sources possibles des bases empiriques d'une grammaire, à côté des relevés de corpus ou des études statistiques d'usage. Ses résultats sont précieux car l'élicitation est la seule source de données qui fournit des données négatives, c'est-à-dire des jugements grammaticaux par un locuteur natif que, du moins dans sa variété de langue propre, une forme donnée est [[agrammaticale]]. Par définition, les formes agrammaticales ne se trouvent effectivement pas dans les corpus, et une absence statistique prouve juste que la forme en question n'est pas répandue. L'élicitation permet donc de tracer les limites de ce qui est possible dans un système linguistique donné.


Pour étudier un [[adverbe]], on va par exemple le mettre dans tous les endroits possibles dans la phrase et vérifier si les résultats sont grammaticaux ou agrammaticaux pour les locuteurs natifs. On pourra aussi mettre la phrase à différentes valeurs temporelles, et voir si ces adverbes restent grammaticaux. On pourra chercher à le [[modifier]], à le mettre sous [[focus]], à le [[mouvement|bouger]] ou à le [[cliticiser]], pour dégager un portrait syntaxique le plus complet possible, qui rendra compte le plus fidèlement possible de la [[compétence]] d'un locuteur, afin de modéliser sa grammaire interne.
Ce site comprend une [[centrale d'élicitation]]. Les résultats bruts des protocoles y sont postés en ligne. Ils alimentent la recherche en syntaxe formelle, mais aussi la grammaire descriptive ARBRES sur ce site.
 
 
== protocoles ==
 
Une structure grammaticale peut être étudiée en lui faisant subir des tests assez similaires aux tests mis en place en chimie pour analyser une matière. Pour étudier un [[adverbe]], on va par exemple le mettre dans tous les endroits possibles dans la phrase et vérifier si les résultats sont grammaticaux ou agrammaticaux pour les locuteurs natifs. On pourra aussi mettre la phrase à différentes valeurs [[temporelles]] ou [[aspectuelles]], et voir si les adverbes restent [[grammaticaux]] avec ces différentes valeurs. Pour un adverbe donné, on pourra chercher à le [[modifier]], à le mettre sous un [[focus]], à le [[mouvement|bouger]] dans la phrase ou à le [[cliticiser]], pour dégager un portrait syntaxique le plus complet possible, qui rendra compte au plus près de la [[compétence]] d'un locuteur, afin de modéliser sa grammaire interne.
 
Les tâches prévues dans une séance d'élicitation (traductions, jugements de grammaticalité, descriptions d'images, etc.) sont réunies dans ce qui est appelé '''un protocole'''.
   
   


L'élicitation peut être enrichie par un travail d'analyse de [[corpus]], mais fournit des informations précieuses que le corpus ne peut fournir.
== élicitation vs. corpus ==


Jamais un corpus ne nous dira les limites d'une structure donnée. Il peut tout au plus nous donner une idée des contextes favorables à l'apparition de ces structures.
L'élicitation peut être enrichie par un travail d'analyse de [[corpus]], mais elle fournit des informations précieuses que le corpus ne peut fournir.
 
Jamais un corpus ne nous dira les limites d'une structure donnée. Le corpus est limité par la performance, et non par la compétence. Il peut tout au plus nous donner une idée des contextes favorables à l'apparition de structures grammaticales.
 
Le travail d'élicitation nous fournit en plus l'assurance que pour un locuteur donné, telle ou telle structure n'est pas possible. Ce sont ces limites précisément que la [[grammaire générative]] cherche à expliquer. De plus, l'élicitation peut étudier des structures rares en corpus mais cependant solidement grammaticales. L'élicitation permet d'étudier la compétence des sujets parlants, la connaissance interne fine qu'ils ont du système de la grammaire de leur langue.
 
 
== réplicabilité ==
 
Sprouse & Almeida (2012) ont testé la réplicabilité des résultats obtenus par élicitation. Ils trouvé un taux minimum de réplication de 98% des résultats d'élicitation en prenant les 469 données d'un manuel d'introduction à la syntaxe.
 
== langues minorisées, langues d'héritage ==
 
Les langues dont les locuteurs sont les moins nombreux, les moins enclins à répondre en masse ou par internet sont les locuteurs des langues minorisées et des [[langues d'héritage]].
 
L'élicitation obtient alors des résultats où les études statistiques ne peuvent s'appliquer. Le défi consiste à obtenir des jugements d'[[agrammaticalité]] de la part de locuteurs qui résistent à exprimer des jugements grammaticaux et se réfèrent à des normes (existantes ou imaginées) extérieures à eux-mêmes (D'Alessandro & al. 2021).
 
== Bibliographie ==
 
* D'Alessandro Roberta, David Natvig & Michael Putnam. 2021. 'Addressing Challenges in Formal Research on Moribund Heritage Languages: A Path Forward', ''Frontiers in Psychology'' 12, [https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2021.700126/full?fbclid=IwAR2uoKsZNKVfnItvf7Cv8EDXfqmehQVc24mpXmoBQsCHEfBpY5aRG9wkN9c texte].
 
* Sprouse, J., & Almeida, D. 2012. 'Assessing the reliability of textbook data in syntax: Adger's "Core Syntax"', ''Journal of Linguistics'' 48:3, 609-652.
 
* Broekhuis, Hans. 2019. 'Why I will not become a corpus linguist, The use of introspection data and corpus data in synchronic syntactic research', ms. [https://ling.auf.net/lingbuzz/004911 texte].


Le travail d'élicitation nous fournit l'assurance que pour un locuteur donné, telle ou telle structure ne sera jamais possible. Ce sont ces limites que la [[grammaire générative]] cherche à expliquer.


[[Category:fiches|Categories]]
[[Category:fiches|Categories]]

Version du 29 juillet 2021 à 09:39

Une élicitation est une séance de recherche linguistique de terrain avec au moins un ou une locutrice. La liste de tâches ou de questions est appelé un protocole d'élicitation.

Le travail d'élicitation consiste à confronter un locuteur natif avec ses intuitions grammaticales dans sa propre langue. Il existe de multiples tâches d'élicitation possibles dans un protocole: compréhension, traduction, jeux de question-réponse, permutations de données libres... Telle phrase dans tel contexte est-elle grammaticale? Est-elle aussi pertinente dans le contexte donné? Comment décrire une image donnée? Si l'ordre des mots est inversé, la phrase reste-t-elle grammaticale?

L'élicitation est une des sources possibles des bases empiriques d'une grammaire, à côté des relevés de corpus ou des études statistiques d'usage. Ses résultats sont précieux car l'élicitation est la seule source de données qui fournit des données négatives, c'est-à-dire des jugements grammaticaux par un locuteur natif que, du moins dans sa variété de langue propre, une forme donnée est agrammaticale. Par définition, les formes agrammaticales ne se trouvent effectivement pas dans les corpus, et une absence statistique prouve juste que la forme en question n'est pas répandue. L'élicitation permet donc de tracer les limites de ce qui est possible dans un système linguistique donné.

Ce site comprend une centrale d'élicitation. Les résultats bruts des protocoles y sont postés en ligne. Ils alimentent la recherche en syntaxe formelle, mais aussi la grammaire descriptive ARBRES sur ce site.


protocoles

Une structure grammaticale peut être étudiée en lui faisant subir des tests assez similaires aux tests mis en place en chimie pour analyser une matière. Pour étudier un adverbe, on va par exemple le mettre dans tous les endroits possibles dans la phrase et vérifier si les résultats sont grammaticaux ou agrammaticaux pour les locuteurs natifs. On pourra aussi mettre la phrase à différentes valeurs temporelles ou aspectuelles, et voir si les adverbes restent grammaticaux avec ces différentes valeurs. Pour un adverbe donné, on pourra chercher à le modifier, à le mettre sous un focus, à le bouger dans la phrase ou à le cliticiser, pour dégager un portrait syntaxique le plus complet possible, qui rendra compte au plus près de la compétence d'un locuteur, afin de modéliser sa grammaire interne.

Les tâches prévues dans une séance d'élicitation (traductions, jugements de grammaticalité, descriptions d'images, etc.) sont réunies dans ce qui est appelé un protocole.


élicitation vs. corpus

L'élicitation peut être enrichie par un travail d'analyse de corpus, mais elle fournit des informations précieuses que le corpus ne peut fournir.

Jamais un corpus ne nous dira les limites d'une structure donnée. Le corpus est limité par la performance, et non par la compétence. Il peut tout au plus nous donner une idée des contextes favorables à l'apparition de structures grammaticales.

Le travail d'élicitation nous fournit en plus l'assurance que pour un locuteur donné, telle ou telle structure n'est pas possible. Ce sont ces limites précisément que la grammaire générative cherche à expliquer. De plus, l'élicitation peut étudier des structures rares en corpus mais cependant solidement grammaticales. L'élicitation permet d'étudier la compétence des sujets parlants, la connaissance interne fine qu'ils ont du système de la grammaire de leur langue.


réplicabilité

Sprouse & Almeida (2012) ont testé la réplicabilité des résultats obtenus par élicitation. Ils trouvé un taux minimum de réplication de 98% des résultats d'élicitation en prenant les 469 données d'un manuel d'introduction à la syntaxe.

langues minorisées, langues d'héritage

Les langues dont les locuteurs sont les moins nombreux, les moins enclins à répondre en masse ou par internet sont les locuteurs des langues minorisées et des langues d'héritage.

L'élicitation obtient alors des résultats où les études statistiques ne peuvent s'appliquer. Le défi consiste à obtenir des jugements d'agrammaticalité de la part de locuteurs qui résistent à exprimer des jugements grammaticaux et se réfèrent à des normes (existantes ou imaginées) extérieures à eux-mêmes (D'Alessandro & al. 2021).

Bibliographie

  • D'Alessandro Roberta, David Natvig & Michael Putnam. 2021. 'Addressing Challenges in Formal Research on Moribund Heritage Languages: A Path Forward', Frontiers in Psychology 12, texte.
  • Sprouse, J., & Almeida, D. 2012. 'Assessing the reliability of textbook data in syntax: Adger's "Core Syntax"', Journal of Linguistics 48:3, 609-652.
  • Broekhuis, Hans. 2019. 'Why I will not become a corpus linguist, The use of introspection data and corpus data in synchronic syntactic research', ms. texte.